samedi 20 juillet 2013

"La gloire du traître"


La trahison, la traîtrise, c’est ce que la morale contemporaine, politique, individuelle, réprouve le plus.

C’est la faute par excellence dans la société laïque et démocratique où on est tous censés être vertueux, incorruptibles, transparents; on ne devrait pas avoir d’autre souci que le bien public et la préservation de la cellule familiale.

Mais on sait bien aussi, au fond de nous-mêmes, que c’est une mascarade et une vaste fiction. On n’aspire en fait qu’à tromper, tricher, léser nos semblables.


On aime bien en réalité les traîtres et les menteurs. Sans l’avouer, on trouve tous sympathique, par exemple, ce Mr Cahuzac. Il y a quand même une certaine grandeur en lui. Quel joli pied de nez à tous les constipés et voraces qui nous gouvernent. Personnellement, je n’aurais qu’un reproche à lui faire : 0,5 M€, c’est tout de même bien peu et ça fait miteux.

Il m’intéresse davantage, en tous cas, que tous les fonctionnaires du « Ministère pour la promotion de la vertu et la répression du vice » qui ne cessent de nous assourdir de leurs cris d’orfraie.


Ce qui nous fascine chez les autres, ce n’est pas leur franchise et leur simplicité, c’est leur écartèlement, leur duplicité. C’est pourtant cette ambiguïté que tous les professionnels de la psychologie et médecins des âmes essaient aujourd’hui d’éradiquer. On devrait être tous constitués d’un bloc.


Mais en fait nous sommes tous passionnés par les maîtres du faux, criminels-artistes et grands espions avec leur possible retournement. Kim Philby et le groupe de Cambridge, c’était quand même des traîtres magnifiques.

L’ambiguïté, c’est ça qui fait le sel de la vie. Oserais-je le dire ? Dans les pays totalitaires, et notamment les pays de l’Est, on comprenait mieux ça. Qui est vraiment cette personne si sympathique et si prévenante que je viens de rencontrer ? Pour qui travaille-t-elle vraiment ? On se posait, bien sûr, sans cesse ces questions et ça ouvrait un abîme. Mais ça rendait aussi, dans ces «pays du grand mensonge», la vie plus prenante, plus intense, que dans les pays de la transparence démocratique.


Pourquoi trahit-on d’ailleurs ? Très accessoirement, je pense, pour des raisons financières ou des motivations politiques. C’est plutôt se venger, bien sûr, mais aussi retrouver de la tension, de l’intensité. S’évader de la morne platitude. On ne déprime jamais, on ne s’ennuie jamais quand on est un traître parce qu’on passe son temps à réinventer sa vie.


Ca vaut aussi en amour. Les plus beaux romans sont des romans d’adultère, de trahison. Il y a un sombre plaisir à tromper l’autre. C’est fait d’angoisse et de délectation. Moi-même, je reconnais qu’il n’y a pas plus infidèle que moi. Dès que j’ai un amant, je me dépêche d’en trouver un autre, en simultané. Ca m’évite de me sentir prisonnière et, surtout, ça me fait vivre en tension maximale. C’est un mélange de cruauté, de honte et de gloire.


Tableaux de Jules Lefebvre (1836-1911 - Lady Godiva), William Blake (1757-1827), Hillda Hechle et Kacper Kalinowski (peintre contemporain polonais)


« Un pur espion » de John Le Carré (1986) est, en partie, basé sur la vie et la carrière de Kim Philby.


Sur Antony Blunt, on lira, si on parvient à le trouver, « La gloire du traître (1986) de Bernard Sichère. Récit légèrement romancé de la vie d'Anthony Blunt, un des Cinq de Cambridge, historien d'art britannique, homosexuel.



Enfin, je recommande : « Oswald, un mystère américain » de Norman Mailer (1995). Un livre monstrueux, irritant, passionnant.


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