dimanche 2 mars 2014

Du sombre plaisir de la guerre et de la Révolution



Je suis bien sûr branchée, le plus possible, sur l'Ukraine. Contrairement à ce que l’on imagine peut-être ici, les sentiments prédominants, là-bas, ne sont ni la peur ni l’angoisse, même si l’avenir, à court terme, est complétement incertain et même si les premiers cliquetis des armes se sont déjà fait entendre en Crimée.

On ne sait pas, bien sûr, ce qui va se passer avec la Russie mais on n'arrive pas à croire à la possibilité d'une guerre et on continue plutôt de vivre dans une immense allégresse, une grande euphorie collective face à la béance d’un avenir qui semble, tout à coup, s’ouvrir et devenir riche de mille possibilités, même les pires...

On vient de s’arracher, brutalement, à la morne banalité de l’existence. Soudainement, les choses reprennent sens. Tout se recompose, on a cessé de s’ennuyer. La vie retrouve une saveur  jusqu’alors refoulée. On se remet à parler à tout le monde, pas seulement à ses voisins et sa famille mais à tous ceux que l’on rencontre au hasard, dans la rue, les transports, les cafés. On se sent affranchis des règles sociales et des codes de bonne conduite.

La Révolution, les guerres, ça fait sans doute partie des expériences décisives dans une existence humaine. C’est sûr, en effet, qu’un pays, un individu, ça ne se constitue pas dans la paix et la tranquillité mais plutôt dans le conflit, l’affrontement, bref dans la guerre.

Il faut oser l’évoquer : il y a un plaisir fou à voir sombrer l’ordre social ancien. Il y a un plaisir du combat, il y a un sombre plaisir de la guerre.


Bien sûr, je ne vais pas appeler à la guerre d’autant que je déteste les armées, les militaires et leur effrayante bêtise.

Mais c’est sûr que ce qui me manque en Europe de l’Ouest, c’est le sens du tragique. Tout est plat, banal, utilitaire et surtout on a le sentiment que plus rien ne peut jamais arriver.

Pour moi, l’évocation de « la grande  guerre patriotique », ça demeure ainsi très important; j’ai aussi été très marquée par les récits de la révolution iranienne et surtout par l’effondrement du système communiste. La chute de l’U.R.S.S., ça a été un bonheur fou et c’est pour ça que je déteste les livres  nostalgiques aujourd’hui publiés.


Ce qui m’effraie, en revanche, en l’Europe de l’Ouest, c’est qu’il n’y a aucune ouverture possible. La Révolution, la guerre, c’est devenu carrément impossible. C'est complétement sorti de la conscience européenne et on n'y a plus recours que de manière déguisée, honteuse, très loin à l'extérieur.

Il faut ainsi évoquer un bouleversement anthropologique essentiel : le tabou essentiel, c’est devenu, maintenant, celui porté sur la guerre et, dans une moindre mesure, sur la Révolution. C’est finalement très, très récent, rien du tout à l’échelle de l’histoire humaine. Pourtant, il y a bien sûr la guerre criminelle mais il y a aussi la guerre civilisatrice (Rome, Napoléon) et puis l’état de guerre, comme l’a dit Hobbes, c’est la situation primaire de l’humanité que vient ensuite contrecarrer l’ordre politique.


Le pacifisme est aujourd’hui vainqueur. Bien sûr qu’il faut s’en réjouir mais l’humanité pacifiée, est-ce que ce n’est pas aussi l’humanité domestiquée ?

Imagine-t-on, en effet, des manifestants rassemblés sur la place de la Concorde, fussent-ils des centaines de milliers, renverser le Président de la République ? Et pourtant, c’est bien aussi d’une Révolution que rêvent la plupart des Français.


On vit dans un Etat démocratique, nous objectera-t-on ! Tout se règle dans le cadre d’un système électoral.

C'est vrai mais la pluralité n'est souvent que de façade et c'est l'unanimisme démocratique qui est sollicité. Parfois, on a l'impression de vivre en R.D.A..

L

C'est cette impuissance éprouvée qui fait que beaucoup de gens se tournent vers des partis extrémistes.

Parce qu'il faut bien le reconnaître : on porte tous en nous le rêve d'un grand soir révolutionnaire. On aimerait tous voir, un jour, guillotinés en place publique, tous les représentants de l’ordre bureaucratique qui oeuvrent aujourd’hui, insidieusement, à l'asservissement de nos vies.
Paris, Kiev, même combat !

Tableaux d'Igor Podolczak, peintre ukrainien, né à Lviv en 1962
Sur la question de la guerre, je renvoie à Paulina Dalamayer : "Aime la guerre" et à Robert Redeker : "Le soldat impossible". Je ne partage pas, bien sûr, les idées de Robert Redeker mais son livre est très bien écrit et pose des questions dérangeantes.

2 commentaires:

dominique a dit…

Carmilla, vous m'apprenez beaucoup de choses! Et comme vos goûts artistiques sont originaux et variés!Merci mille fois.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci à vous aussi, Dominique, pour votre sympathique message qui me fait plaisir et me trouble à la fois.

Amicalement

Carmilla