samedi 1 novembre 2014

Pornographie


Ma copine Daria et moi, ça nous torture. On a toujours peur de ne pas être à la hauteur au lit. Evidemment, parce qu'on vit en France, un pays réputé d'experts. C'est sûr qu'en Europe Centrale en général, on a le sentiment de ne pas y connaître grand chose en la matière.


En Ukraine par exemple, même si le spectacle de la rue est ultra-érotique avec plein de filles magnifiques habillées hyper-sexy, on vit dans une ambiance étrangement asexuée, comme si ça (le désir) n'existait pas. D'ailleurs, il est, en réalité, bien difficile, contrairement à ce qu'on imagine peut-être ici, de trouver des lieux de débauche, sex-shops, prostituées ou boîtes de strip-tease, voire même de simples revues pornographiques. J'ai l'impression que ça n'existe presque pas. De plus, les relations entre les hommes et les femmes sont assez prosaïques et conventionnelles. Quant à la littérature érotique, c'est simple, il n'y en a aucune.


Quand on vient d'Europe Centrale, on se sent donc un peu complexées: la supposée plus grande liberté sexuelle, ça fait terriblement fantasmer. Le choc des civilisations, on en parle beaucoup, aujourd'hui, dans les medias, mais j'ai l'impression, qu'avant même les conflits religieux, c'est peut-être là, à propos de la question sexuelle, que ça se situe. D'ailleurs, ce que dénoncent, dans le capitalisme, les intégristes de tout poil (y compris les gauchistes), c'est moins son asservissement aux biens matériels que son immoralisme sexuel.


Pourtant, c'est bien ça qui est fascinant et c'est là-dessus, sans doute, qu'on ne saurait transiger.



Moi, j'ai d'abord été éblouie par la littérature érotique française, surtout celle du 18 ème siècle. C'est absolument renversant, c'est unique. A ce choc, on ne peut pas se soustraire. Ça vous met au pied du mur, ça vous confronte, sans détours, à vous-même. En plus de Sade..., Laclos, Boyer d'Argens, Crébillon, Bussy-Rabutin, de Nerciat, c'est vraiment inouï. Et puis tous ces incroyables et innombrables nouvellistes... Mon amour de la France, c'est là qu'il trouve son origine. Je ne suis pas sûre que toutes ces œuvres trouveraient aujourd'hui éditeur et d'ailleurs ce qui est maintenant publié m'apparaît bien pâle. Jamais sans doute, la liberté de pensée et de mœurs n'a, à cette époque, été portée à ce point d'incandescence.


Tout ça, toutes ces lectures, ça m'a largement déniaisée mais après, bien sûr, il fallait passer à la pratique.


Pour ça, je n'ai jamais trop manqué d'audace, peut-être pas par inclination personnelle mais surtout parce que j'avais peur de passer pour ringarde. Et puis, ça ne m'a jamais posé de problèmes de rentrer dans le jeu des conventions. Je n'ai jamais dédaigné les "accessoires" que les filles "éduquées" méprisent tant: la lingerie, les porte-jarretelles, les talons-aiguille, le maquillage soutenu, les sex-toys. Je n'ai jamais considéré que c'était avilissant ! Le risque de la séduction, de l'éventuelle vulgarité, je l'ai assumé. Bien sûr que c'est kitsch mais ça fait, qu'on le veuille ou non, partie du jeu érotique et c'est ce qu'attendent, malgré tout, tous les hommes. Et enfin, j'aime, moi-même, bien ça.


La conquête érotique, ça m'a bien sûr donné confiance. Et puis conquérir, c'était découvrir, apprendre.


Mais il faut le reconnaître: j'ai, aussi, été souvent déçue. Dans l'érotisme, en fait, on ne s'éclate pas tant que ça. De l'innovation, de la transgression, il n'y en a vraiment pas beaucoup. Surtout, on a tellement peur de passer pour nulles qu'on adopte des comportements appris, stéréotypés, mais qui garantissent notre modernité. 


Par exemple, ce qui nous étonne toujours un peu, moi et ma copine Daria, c'est que, quand on fréquente les milieux intellectuels parisiens, il faut absolument déclarer qu'on adore la sodomie et la fellation. Comme dit Daria, ça n'est vraiment pas la peine de prendre la pilule. On est de toute manière censées être consentantes, même si, après, on a du mal à marcher pendant plusieurs jours mais on est modernes, n'est-ce pas, et on n'a, donc, rien à dire. On est vierges, maintenant, tant qu'on n'a pas subi une pénétration anale. C'est la violence du conformisme. C'est sûr qu'à Moscou, on est à des années-lumière de ça. Mais qu'est-ce que ça veut dire? On remplace, en fait, un conformisme par un autre.


Enfin, de tout ça, je m'en fiche un peu aujourd'hui! La sexualité, j'ai, enfin, compris que ce n'était pas le rapport sexuel, le coït. C'est bien plus large que ça. Je vis quelquefois plusieurs semaines sans coucher avec quelqu'un. Mais ça n'est pas si important que ça ! Ce qui m'importe, c'est de vivre des situations où je me sens bouleversée, renversée. Et ça, c'est un processus à long terme et ça se produit avec des gens que je n'attends pas.


Tableaux principalement de Degas (hormis le premier de Franz Von Stuck et le 6ème de Rodin). 

Degas, j'avais tendance à trouver ça un peu mièvre mais il faut reconnaître que ses nus (qui ont fait l'objet d'une récente exposition au musée d'Orsay en 2012) sont vraiment troublants.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous avez raison sur toute la ligne, le mot érotique de nos jours est vidé de son sens, c'est devenu un concept marchand avant tout, la rationalité s'est immiscée dans une chose qui devrait échapper à toute analyse, à toute maîtrise à toute exploitation. L'érotisme n'a rien à voir avec l'acte sexuel, avec la pénétration. La sodomie n'a rien d'érotique en elle-même, en effet, non pas parce que ce n'est plus transgressif mais parce que ce qui est érotique c'est la pleine conscience du trouble comme vous le remarquez très bien, c'est la perte des pédales, en fait peu importe comment ça se matérialise après, l'acte ou même peu importe s'il y en a...On peut vivre un moment très érotique sans baiser, sans faire l'amour, en étant pourtant même très pornographique. Dans la production de textes contemporains, on confond ça justement, il y a pléthore de récits archétypes, avec les mêmes schémas, et personnages, l'imaginaire s'est tari, les gens s'abreuvent de préfabriqués. Alors que l'érotisme en est à mille lieues, l'érotisme c'est de la créativité à l'état pur, enfin, ça devrait l'être...

Anonyme a dit…

Et puis, puisqu'on parle d'érotisme, de pornographie et d'imaginaire, je pense que vous seriez extrêmement intéressée par le livre d'art de l'expo d'Orsay "Sade attaquer le soleil", d'Annie Le Brun qui parait juste aux éditions Gallimard (http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Livres-d-Art/Sade)
je viens de le recevoir, , j'y trouve beaucoup plus de matière avec les textes que lors de ma visite de l'expo qui m'a un peu déçue(http://anneelisa.wordpress.com/2014/10/16/expo-sade-attaquer-le-soleil-au-musee-dorsay/) pour comprendre comment Annie Le Brun peut affirmer que les peintres réunis dans cette expo doivent tous qq chose à Sade. Et pour en revenir à votre thème de l'érotisme, vous trouverez dans ce livre des extraits littéraires de Sade ou d'autres qui insistent sur ce que l'imaginaire peut seul sauver du conformisme du sexe et de ses actes, il y dit aussi que si le beau est simple..la laideur est extraordinaire...Ca devrait vous plaire Carmilla ...

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Anne pour vos messages,

Je craignais, à vrai dire, que ce post ne suscite beaucoup d'incompréhension mais je vois que nous sommes complètement en phase.

C'est sûr qu'on est enfermés dans une vision physiologique de la sexualité finalement très restrictive. L'important en effet, c'est le trouble, le vacillement.

Quant au catalogue de l'exposition d'Orsay, je l'ai longuement feuilleté, samedi dernier , à la Fnac (l'exposition, j'attends une opportunité pour y aller en dehors d'un week-end). Il est en effet magnifique. Sinon, je partage vos réserves. Le lien entre ces tableaux, aussi beaux soient-ils, et le Marquis de Sade, est tout sauf évident. On a effectivement un sentiment de facilité dans les choix effectués, un peu de représentation sexuelle justifiant une filiation automatique.

Il ne faut pas oublier que la lecture de Sade, la découverte de sa pensée (politique, philosophique) est, en réalité, très récente: les années 60/70.

Bien à vous

Carmilla