dimanche 26 avril 2015

La dictature au quotidien


J'ai vu, avec plaisir, le film "Taxi Téhéran" de Jafar PANAHI. Certes, on ne voit aucun des lieux "remarquables" de Téhéran: rien que de banales avenues périphériques (les images de Téhéran m'ont vraiment déçue);  et puis, les petits taxis blancs et orange (des Peykan Hillman d'origine britannique) que j'avais connus, il y a quelques années, ont disparu ; ils égayaient, autrefois, (depuis les années 60, paraît-il) les villes iraniennes. Il n'y a plus rien, aujourd'hui, que d'ordinaires Peugeot.

Mais ce que j'ai aimé, c'était cette irruption continuelle du hasard et du merveilleux dans les rencontres effectuées. Et puis, ça permet de corriger l'image que l'on peut avoir de la vie quotidienne sous une dictature.


On a tendance à penser que les dictatures, c'est le règne du silence, du sinistre. La dictature, tout le monde est d'accord là-dessus, c'est effroyable, horrible: personne ne parle à personne, tout le monde espionne et dénonce tout le monde. C'est vrai, mais c'est aussi plus compliqué que ça. La vision sombre, ultra répressive, ça a, en particulier, été conforté, à l'Ouest, par le film, "La vie des autres", de Florian HENCKEL, qui a rencontré un grand succès à sa sortie en 2006.


Florian HENCKEL, pour moi, c'est l'Est tel que les Occidentaux se le sont imaginé.

Mon expérience propre est, à peu près, exactement inverse. Le silence, ça caractérise plutôt les pays démocratiques. C'est ici même, en effet, dans les pays occidentaux, que l'on ne se parle pas, que l'on est livrés à la solitude et au conformisme de l'individu "libre". Cela se comprend d'ailleurs aisément: à quoi bon engager un dialogue puisque la parole n'a plus aucune importance et se dissout immédiatement dans l'insignifiance ?


Il faut le reconnaître: la dictature, ça a , malheureusement, plein d'aspects séduisants et agréables. Ça se vérifie immédiatement dès que l'on voyage dans un pays totalitaire. Là-bas, mille gens, chaque jour, viennent vous parler et échanger avec vous, un peu partout, dans la rue, dans les transports collectifs. Ça continue, par exemple, de se vérifier, même si c'est en régression, dans les pays de l'ancien bloc communiste et aussi au Moyen-Orient et, particulièrement, en Iran. 

A contrario, essayez donc, à titre d'expérience, d'engager une conversation, en Europe de l'Ouest, avec votre voisin dans un train. On vous prendra tout de suite pour une folle ou une allumeuse. 


Surtout, dans une dictature, la parole est beaucoup plus libre qu'on ne l'imagine: on n'hésite pas à critiquer violemment le gouvernement ou les mollahs. C'est la soupape de sécurité consentie par les régimes totalitaires: laisser parler, laisser dire....; tant que ça ne débouche pas sur la création d'une organisation politique, c'est de toute manière stérile.


C'est comme ça qu'il y a, incontestablement, dans les pays totalitaires, une plus grande convivialité et chaleur humaine. Tout n'y est pas, contrairement à ce que l'on imagine, uniformément, gris et sinistre. On peut même avoir l'impression d'y vivre plus intensément parce que l'on peut jouer, souvent à bon compte, le rôle d'un opposant. De toute manière, rien n'est de notre faute et tout peut être rapporté à l'Autre: le Parti, les Religieux... C'est l'une des étranges séductions des dictatures: mentalement, on y est beaucoup mieux structurés, tout s'explique, tout apparaît clair. Rien n'est indécis, abandonné à notre libre arbitre.


Enfin, la vie est beaucoup moins normalisée, banalisée, dans une dictature. La Loi, les réglementations, de toute manière, tout le monde s'en fiche et on les ignore. Alors, tout devient possible et c'est comme ça qu'il advient plein de choses merveilleuses, magiques.


J'ai, comme ça, trouvé exemplaire, dans le film de Jafar Panahi, ce passage où deux femmes prennent le taxi en portant un aquarium  avec deux poissons rouges. D'un point de vue occidental, c'est une scène surréaliste et j'imagine mal l'attitude d'un chauffeur parisien si je me pointais dans son taxi avec un aquarium et 2 poissons: ou bien il me jetterait avec violence, ou bien il m'invoquerait la réglementation. Mais en Iran, c'est, en effet, tout à fait possible, j'en suis sûre; ça ne soulèvera, même, aucun étonnement et sera considéré comme tout à fait normal. Des petites choses comme celles-ci soulèvent finalement plein de questions.


Photographies de Newsha TAVAKOLIAN, jeune photographe de Téhéran (née en 1981) sur la quelle Virginie a appelé mon attention.

Enfin ... comme mon blog est aussi, un peu, une agence de voyages (non rémunérée), je vous invite, fortement, à  passer vos prochaines vacances (après l'Ukraine) en Iran. C'est infiniment plus facile que vous ne l'imaginez. C'est aussi merveilleux, très dépaysant et sans aucun risque, croyez-moi! 

2 commentaires:

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Nuages,

Vous avez adressé, hier soir, un commentaire très pertinent qui s'est malencontreusement perdu. Je mentionne cela parce que je ne veux pas que l'on pense que je censure quoi que ce soit.

Vous avez critiqué mon analyse associant la dictature et les conversations dans l'espace public. Vous avez peut-être raison! Je sais simplement que, dans les dictatures, la population exprime souvent en public, parfois avec violence, son hostilité au pouvoir.

Carmilla

nuages a dit…

Pas de souci.
Ce n'était pas exactement une critique. Je pense seulement que le fait de beaucoup parler dans la rue, ou non, et dans les espaces publics, ne tient pas nécessairement à la nature du régime politique, mais plutôt à la culture de chaque pays, de chaque peuple.

Quant à critiquer la dictature, il faut sans doute prendre en compte sa dureté, sa férocité. Dans l'Albanie d'Enver Hoxha ou la Corée du nord de la dynastie des Kim, n'importe quel propos oppositionnel tenu en public peut être fatal.