vendredi 3 avril 2015

Le travail du deuil


Ces derniers jours, j'ai vécu un deuil familial avec le décès précoce de ma sœur.

Le deuil de proches, j'en ai malheureusement déjà beaucoup vécu parce que, dans ma famille, on a une espérance de vie qui semble vraiment très limitée. Ca semble paradoxal pour des vampires.


C'est toujours cruel surtout quand c'est prématuré et qu'on ne peut donc pas rationaliser ça. Mais les deuils et surtout le travail du deuil, ça se déroule de manière chaque fois différente. Au bout d'un temps plus ou moins long, on en ressort complètement autre; mais, comme je l'entendais dire Michel Onfray, ce n'est pas vous qui vous refaites dans le deuil, c'est le deuil qui vous refait.


D'abord, on est sidérés, complètement vidés physiquement et psychologiquement. C'est incroyable à quel point on cesse de s'intéresser au monde. Une guerre éclaterait qu'on s'en ficherait complétement et puis, on perd tout intérêt émotionnel, sensuel. Plus rien ne vibre, tout est neutre, morne!


On est traumatisés, aussi, par le spectacle de la mort, du cadavre. On a évacué ça dans nos sociétés hygiénistes mais quand ça revient brutalement, quand il faut contempler, en direct, la pourriture, la charogne, le sang figé, toucher un corps glacé, décomposé, méconnaissable, respirer l'odeur épouvantable, assister à l'entassement progressif des pelletées de terre, le choc est d'autant plus rude. Oui, la mort est abjecte, sordide, et elle n'a rien de digne. Et cette horreur, cette nausée qu'on éprouve, on ne peut rien en dire à personne, sauf à paraître totalement dérangeant, inconvenant. Je me souviens d'un passage de "La recherche du Temps Perdu" où Swann annonce qu'il va bientôt mourir. Il provoque alors une gêne terrible et ses interlocuteurs passent aussitôt à autre chose. La mort, c'est de toute façon, incommunicable.


Après, vient le temps, souvent très long, de la culpabilité. Malgré tout, on est responsables de la mort de ses proches. Moi, je sais bien que j'ai été une tueuse avec ma sœur. Toujours à l'écraser avec ma supériorité, mes études, ma réussite, mon fric, ma séduction. Elle, mauvaise élève, sans doute très belle mais toujours avec des mecs minables, complètement addicto. J'ai puissamment contribué à son mal être. D'ailleurs, je l'avais rejetée, je ne la voyais quasiment pas, grand maximum une fois par an. 


Sous une apparence harmonieuse, il y a, généralement, une violence terrible entre sœurs et entre frères et sœurs, avec des rapports de pouvoir destructeurs. C'est avec ses frères et sœurs que l'on fait l'expérience irremplaçable et maintes fois renouvelée, de l'humiliation, de la rancœur, de la haine. Notre narcissisme en prend un sérieux coup mais on se forge par rapport à ça. On devient d'autant plus impitoyables dans la vie adulte.


Pourtant, c'est cet amour-haine qui nous cimente, nous permet de bâtir, petit à petit, notre personnalité; c'est comme les conflits avec nos parents. Mais quand on n'a plus ça, quand on n'a plus personne à qui se confronter, on risque de succomber au vertige de son seul narcissisme et de se croire tout puissants.


Après l'enterrement, pour évacuer toute cette horreur, j'ai sorti, le week-end dernier, ma BM et j'ai foncé, à toute berzingue, vers le Nord. Conduire comme une folle ça m'a un peu calmée. Je me suis retrouvée, comme ça, à Gand (Gent) en Belgique puis à Delft en Hollande. 

Gand et Delft, je serais bien incapable de vous dire pourquoi, précisément, je suis allée là-bas. Gand, c'est bien sûr Bosch, Fouquet, Charles Quint, ...et Delft, c'est évidemment Vermeer mais sinon, c'est surtout le hasard, le rêve, l'impulsion...


Le peu que j'en ai vu, c'était quand même merveilleux mais il faut dire qu'il a fait un temps apocalyptique, à la mesure de ma détresse: des tombereaux de flotte et un vent continuel à plus de 100 kms / heure. Impossible de mettre le nez dehors, sauf à risquer la noyade ou l'écrasement. Alors, je me suis contentée d'aller révâsser dans des brasseries et de me soûler à la bière. Ma surprise, c'est qu'à Gand,  les gens étaient étrangement monolingues, très difficile de communiquer. Rien à voir avec la Hollande beaucoup plus moderne et raffinée. 

Tout au long de mon voyage, j'ai eu l'impression qu'on me regardait, épiait,  avec une intensité accrue et inhabituelle.  


Tableaux de Léon Spilliaert (1881-1946), peintre symboliste belge.

J'ai déjà posté certaines de ses œuvres mais j'aime vraiment beaucoup! Il est très connu en Belgique (un très beau monument lui est consacré sur la plage d'Ostende) mais il me semble injustement ignoré en France.

Dans le prolongement de ce post, je conseille vivement le film: "Voyage en Chine" de Zoltan Mayer avec Yolande Moreau.

Je recommande aussi absolument le film "Cerise" de Jérôme ENRICO. La confrontation des cultures, l'ukrainienne et la française. Une jeune Française débarque un jour à Kiev. Elle déteste d'abord puis fait ensuite l'apprentissage de la découverte. C'est très juste et même très drôle. Un excellent film dont la critique n'a quasiment pas parlé.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Carmilla, le destin m'a fait decouvrir ton blogue un dimanche de l'automne dernier... Et depuis chaque lundi j'attend le dimanche pour te lire! Tant de peintres et d'ecrivains inconnut dont je nourrit ma culture... Le 22 mars tu nous parlais de la fin de vie comme un signe premonitoire a ce triste jour de Paques ou ta chere soeur est partie rejoindre l'autre cote du miroir! Permets moi de t'en presenter mes sinceres condoleances... He oui nous tous cela nous attend! Nous sommes tous sur ce quai a attendre notre correspondance pour l'audela... Quel bonheur cette inconnue qui nous sourit tel tu l'es... En tout cas si nos bonnes bieres belges te permettent d'adoucir la douleur, la peine en toi... A Delf les Coffee shop ne sont pas a sous estimer! Cette plante tante maudite en France est pourtant un cadeau de la nature... Le ticket sur le quai pour l'express de nos sens ou la réalité est plus douce a accepter en ces moments sombres :) Thierry

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Thierry pour ton message si sympathique.

Je suis sensible à ta compassion.

Je ne sais malheureusement plus trop que dire aujourd'hui. Tout m'apparaît vain et inadapté. Je précise simplement que mon post du 22 mars n'était pas un signe prémonitoire. Je l'avais écrit quelques jours après le décès de ma sœur que je ne pensais pas, en fait, évoquer dans mon blog.

Sinon, pour évoquer des choses plus gaies, c'est vrai que j'apprécie la bière et notamment la bière belge. A Gand, j'ai pu goûter, pour la première fois, de l'Orval pour la quelle le blogueur Nuages m'a fait une grosse publicité. C'est vrai qu'elle est remarquable. Dommage qu'elle soit quasi introuvable en France.

Enfin, en ce qui concerne les Coffee-shops, je ne suis nullement contre mais j'avoue qu'à Delft, je n'en ai pas trouvé un seul. Mais il faut dire que je suis peu sortie tellement il faisait mauvais.

Bien à toi

Carmilla

nuages a dit…

Ne trouvez-vous pas étrange que ce deuil vous frappe tant alors que vous aviez mis tellement de distance entre vous et votre soeur ?
Peut-être que le rejet est aussi une forme de lien.

....

A part ça, je suis assez étonné par vos impressions gantoises. En tant que Belge francophone, j'ai toujours trouvé que Gand était une des villes les plus ouvertes et tolérantes de Flandre. Beaucoup de Gantois parlent bien français, dans les lieux culturels et les cafés, les restaurants...

Et vous n'aviez pas encore goûté l'Orval ? En effet, elle est savoureuse et noble.

A Gand, j'avais aussi découvert une bière locale très originale et délectable, la Gruut. Faites un petite recherche sur le net et vous verrez. Mais elle sera encore plus difficile à trouver en France.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Je crois que les relations entre proches (entre parents/enfants et entre enfants), sont toujours très complexes avec un mélange indissociable d'amour/haine. J'ai essayé d'être très sincère en la matière, ce qui peut, bien sûr, choquer.

Ce que je dis là, c'est évidemment du freudisme bas de game mais le fait est qu'on éprouve, généralement, un fort sentiment de culpabilité à la suite du décès d'un proche.

Sinon, à propos de Gand, chaque voyage est évidemment singulier. Mais le fait est que j'ai été étonnée de me heurter à une véritable incompréhension linguistique. Dans les cafés, restaurants, transports, hôtels, j'ai eu du mal à trouver des gens bredouillant un mauvais anglais. Surtout, les menus étaient tous en néerlandais ce qui me contraignait à choisir au hasard. Ca ne veut évidemment rien dire, ce n'est qu'une expérience ponctuelle et je suis sans doute mal tombée mais j'ai jugé le contraste saisissant avec la Hollande où tout le monde parle un excellent anglais ou allemand.

Sinon, je vais évidemment me renseigner concernant la Gruut.

Bien à vous

Carmilla