samedi 20 juin 2015

Vive l'Autriche-Hongrie !


Quand on me demande (c'est rare) d'où je viens, je réponds souvent: d'Autriche-Hongrie. Evidemment, on me prend pour une folle mais c'est quand même bien le pays, même s'il n'existe plus, dont je me sens la plus proche, mentalement et culturellement. Je considère, d'ailleurs, que la disparition de l'Autriche-Hongrie, à l'issue de la 1ère guerre mondiale, a été l'un des grands malheurs de l'Europe. 

Pourquoi, d'ailleurs, les diplomates se sont-ils acharnés à la destruction de l'Etat le plus multi-culturel, le plus tolérant et le plus cosmopolite du monde ? Sans doute parce qu'il contredisait leur vision étroite de l'Etat-Nation. On s'est, tout à coup, mis à penser, à la fin du 19 ème siècle, que l'Etat et la nation devaient, absolument, coïncider. Pourtant, la nation, c'est une connerie mais de cette idée folle, on n'arrête pas d'en payer, aujourd'hui, les effroyables et funestes conséquences, avec la montée de la bêtise chauviniste, du racisme et de l'intolérance.  

En France même, je n'ose pas trop parler de l'Autriche-Hongrie tellement l'opinion est négative. Ça se réduit, d'ailleurs, à quelques clichés: François-Joseph et Sissi, un pays ringard et conservateur uniquement épris de valse et d'Opéra.

Pourtant, l'Autriche-Hongrie, au début du 20 ème siècle, c'était, incontestablement, le pays phare de la culture européenne. Un pays qui produisait des génies à la pelle, comme des petits pains: Sigmund Freud, Karl Kraus, Otto Weininger, Robert Musil, Hugo von Hofmannsthal, Arthur Schnitzler, Stefan Zweig,  Ludwig Wittgenstein, Arnold Schoenberg, Gustav Klimt, Koloman Moser, Oskar Kokoschka, Adolf Loos, Otto Wagner... Et je ne cite, ici, que les Autrichiens. Il faudrait, au moins, ajouter quelques non-Autrichiens, peut-être encore plus grands: Leo Perutz,  Joseph Roth, Franz Kafka, Soma Morgenstern, Gustav Mahler et des dizaines d'autres...En comparaison, il ne se passait, vraiment, pas grand chose dans le reste de l'Europe.
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Et puis, c'était un extraordinaire melting-pot culturel. On y parlait toutes les langues: l'allemand bien sûr mais aussi le hongrois, le yiddish, le roumain, le polonais, le tchèque, le slovaque, l'ukrainien,  le slovène, l'italien, le croate, le roumain... Quant aux religions, on était catholiques, orthodoxes, uniates, protestants, juifs, musulmans... 

Tout ce monde là, malgré tout, a réussi à vivre, en bonne entente, pendant plus d'un siècle. C'est peut-être à méditer, aujourd'hui, à une époque où on croit que l'homogénéisation des populations est la solution, où on parle même de droit du sol et de droit du sang.    


C'était également un pays ultra-moderne, beaucoup moins pauvre qu'on ne l'imagine. A Vienne, on était même plus riches que partout ailleurs, largement autant qu'à Berlin ! 
C'était aussi un pays développé; un exemple: on pouvait se rendre, en quelques heures et très facilement, de Trieste  (Italie) à Lemberg (mon Lviv-Ukraine) par le train, pour une simple représentation d'Opéra . Essayez de faire ça, aujourd'hui, même par avion, vous m'en donnerez des nouvelles...


C'était, aussi, le plus beau pays du monde avec des villes de rêve et une unité architecturale extraordinaire. Pour moi, il n'y a pas de plus belles villes que Prague, Krakow (Cracovie) Lemberg (mon Lviv et la ville préférée de François Joseph), Trieste, Trento, Ljubljana,  Dubrovnik, Sarajevo, Salzburg, Budapest, Sighisoara, Brasov. Si on n'a pas vu tout ça, on n'a rien vu.


Surtout, l'Autriche-Hongrie, c'est pour moi un art et une qualité de vie extraordinaires avec une vie sociale et une convivialité intenses. Dans les milieux bourgeois, on n'arrêtait pas de se recevoir, de se rencontrer à l'Opéra, d'organiser des fêtes avec des accompagnements musicaux extraordinaires. Pour les classes moyennes, il y avait de magnifiques restaurants, pâtisseries, cafés. D'extraordinaires lieux de rencontre, des institutions uniques portées au sommet de leur raffinement. On ferait bien d'ailleurs de s'en inspirer parce que de beaux cafés, par exemple, je trouve vraiment, au risque de choquer, que ça manque beaucoup en Europe de l'Ouest, et notamment en France.

Il est donc urgent de redécouvrir l'Autriche-Hongrie mais je mettrai quand même un bémol à mes propos louangeurs. Lorsqu'il m'arrive ainsi de me rendre, aujourd'hui, à Vienne, je n'ai pas vraiment l'impression de retrouver tout ce dont je vous parle. La magie, le dynamisme, la créativité culturelle du début du 20 ème siècle semblent s'être largement effacés. C'est un peu déprimant mais on trouve tout de même encore un esprit austro-hongrois très vivant dans les villes périphériques. 


Tableaux et images de Gustav KLIMT et Koloman MOSER

Les vacances approchent et vous ne savez peut-être pas où aller. Je vous conseille donc l'Autriche-Hongrie. C'est d'abord l'occasion de lire, relire, les grands classiques littéraires (Schnitzler, Zweig, Musil, Roth). Je recommande aussi un écrivain pragois extraordinaire mais un peu moins connu: Leo Perutz. Il faut ainsi absolument lire: "Où roules-tu petite pomme ?"; "Le tour du cadran"; "Le maître du Jugement dernier"; "La troisième balle"; "Le cosaque et le rossignol".

Un livre référence enfin sur la culture viennoise: "Vienne Fin de siècle" de Carl E. SCHORSKE

6 commentaires:

nuages a dit…

Ce n'est évidemment pas un hasard que Adolf Hitler, natif de Braunau-sur-Inn, en Autriche mais à la frontière de la Bavière, haïssait l'Autriche-Hongrie, melting-pot de cultures et de langues, ce qui constituait tout ce qu'il avait en horreur.
Mais il ne faut pas oublier que dans la partie hongroise de l'Empire, dans le royaume de Hongrie donc, les Slovaques et les Roumains se sentaient comme des citoyens de seconde zone.

Carmilla Le Golem a dit…

Votre remarque est très juste Nuages.

Effectivement, Hitler détestait la cosmopolite Autriche-Hongrie.

Ce qui est également curieux, c'est qu'il avait des prétentions artistiques. Il a essayé d'accéder à l'école des Beaux-Arts et a longuement séjourné à Vienne. Il était donc l'exact contemporain du grand mouvement artistique de la Sécession viennoise. Mais il est complètement passé à côté de ce grand bouillonnement culturel. Ça prouve qu'il était vraiment quelqu'un de médiocre.

Autre curiosité: Hitler et Wittgenstein ont fréquenté la même école à Linz. On les voit sur une même photo. Difficile d'envisager personnages plus dissemblables.

Enfin, c'est vrai qu'il y a eu un vaste mouvement de libération des peuples en Autriche-Hongrie. Tout n'était évidemment pas rose. Mais tout le monde cohabitait quand même à peu près et ça a tout de même duré un bon siècle.

Bien à vous

Carmilla

Anonyme a dit…

Très bon et beau billet,Carmilla; quand vous parlez d'un pays,de paysages que vous aimez,vous êtes incomparable,on a tout de suite envie d'y aller,et de vous suivre dans vos pérégrinations picturales,littéraires.L'Autriche-Hongrie ,cela semble si lointain et réduit à des images d'Histoire,sommaires,en ce qui me concerne,ou à des livres,des écrivains dont parfois je me demande :allemand ?autrichien? hongrois?
Nous sommes livrés trop souvent aux images colorées d'un tourisme de cartes postales,3 fois hélas.Ce à quoi je rêve ....les cafés,les vrais cafés,aux architectures somptueuses,aux tables chargées de pâtisseries, aux discussions sans fins ou à la solitude de l'observation ou de la lecture,au milieu de parfums qui titillent l'esprit et les papilles.Vous partez pour Liv,cette année ? Expédiez des photos ,n'oubliez pas ! Bel été .Lola

Carmilla Le Golem a dit…

Grand merci Lola pour ce message si sympathique !

Je me demande souvent pourquoi, en effet, l'image de l'Autriche-Hongrie est si caricaturale. En plus, on ne connaît que Vienne alors qu'il y a tant de villes austro-hongroises magnifiques.

Vous l'avez deviné. Je vais effectivement à Lviv cet été mais pas avant le 15 août parce que je redoute les fortes chaleurs.

Je vous conseille d'y aller un jour. Là-bas, il y a plein de cafés, restaurants et pâtisseries magnifiques, tels que vous les évoquez, où vous pouvez passer tranquillement la journée. Je trouve que ce type d'institution manque en France: on privilégie la qualité de l'assiette mais on néglige le décor.

Enfin.., l'Ukraine, je comprends que ça puisse effrayer aujourd'hui même s'il n'y a, en réalité, pas grand danger. Allez donc au moins à Cracovie en Pologne qui est tout proche de Lviv (c'est facile de coupler les deux). Ça ne pose vraiment aucun problème et on trouve des billets d'avion pour rien. En outre, c'est dans cette ville que l'on trouve, à mes yeux, les plus beaux cafés et restaurants d'Europe (il faut me demander les adresses).

Bien à vous

Carmilla

Pivoine a dit…

J'aime bien cet article, à plus d'un titre... D'abord, j'ai bien aimé lire Léo perutz aussi, dont j'ai deux livres, "Le cavalier suédois" et l'autre, je ne sais plus le titre, mais la première nouvelle raconte une histoire de cri - dans une prison post-révolutionnaire de 1917.

Entre l'Europe de l'Ouest et la Mitteleuropa, il y a une frontière peut-être aussi hermétique que l'ancien rideau de fer. Amusant, parce que je suis allée à Vienne il y a bien longtemps, en 1971, mais c'était à l'occasion d'un concours de jeunes chorales européennes. j'ai fait le parcours de rigueur, avec beaucoup de choses que je n'aimais pas (comme la Hofburg), et d'autres que j'ai aimées, la galerie des tapisseries de l'Opéra, le Kunsthistorïches et les jardins du Belvédère (à l'époque, il n'existait pas de musée). Tout ce qui était Art nouveau et Sécession viennoise était à l'époque, inconnu de notre groupe, mais nous étions là aussi pour la musique.

Mon fils aussi a visité Vienne (sans posséder de voiture, son amie et lui font plutôt des city trips). Oui, pour les cafés et les pâtisseries, je vois, car j'ai un livre de propos de cuisine et d'histoire de la cuisine en Autriche-Hongrie (avec une échappée sur la Yougoslavie) et des photographies des années 50-60. Et des photographies des cafés et pâtissiers célèbres, aussi bien en Autriche qu'en Hongrie.

mais je crois qu'il se passait des choses importantes ailleurs aussi, en Europe. Dans des domaines différents. En Belgique, c'était en art et en architecture - et en arts décoratifs, pour la littérature, je ne m'avancerais pas trop, et en art, bien sûr, l'académisme était encore à son apogée. Mais je reconnais que ma mère m'a toujours dit qu'un véritable mur de glace nous rendait ignorants par rapport à l'Europe centrale ou l'Europe du Nord, ce qui n'était pas le cas de son temps (avant la guerre)...

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Pivoine pour votre message,

S'agissant de Perutz, je crois que votre livre, c'est "Où roules-tu, petite pomme ?". Leo Perutz, c'est un écrivain extraordinaire que j'essaie de faire connaître. Ce qui est étonnant, c'est qu'il a sans doute croisé Kafka et qu'il a travaillé, comme lui, dans une compagnie d'assurances (où il était actuaire et donc mathématicien).

C'est vrai qu'il y a une méconnaissance et un refoulement complets de l'Autriche-Hongrie. On a longtemps assimilé le pays au kitsch et au conservatisme, ce qui est tout à fait faux. C'est seulement depuis peu que l'on redécouvre la Sécession viennoise. Il paraît ainsi que Gustav Klimt, l'un des peintres aujourd'hui les plus connus au monde, était complètement tombé dans l'oubli jusqu'à la fin des années 70. On le considérait comme un peintre décoratif.

Cela dit, je ne raffole pas moi-même de Vienne. La vraie Autriche-Hongrie pour moi, c'est plutôt Salzburg, Prague, Cracovie, Lviv, Ljubljana, Trieste. C'est dans ces villes que je conseille d'aller pour découvrir le véritable esprit viennois et la beauté architecturale.

Carmilla