samedi 12 mars 2016

Le droit à la solitude


J'ai plusieurs facettes: je suis généralement très sociable; j'engage, volontiers, la conversation dans un café ou un restaurant ou, alors, j'adore organiser, chez moi, des fêtes démentes, à la slave, se terminant, généralement, dans l'hébétude ou l'orgie;  mais, quelquefois aussi, je suis complètement sauvageonne, je disparais complètement de la circulation, je ne réponds plus ni aux mails, ni aux appels téléphoniques, je m'évade, sur un coup de tête, dans un pays lointain ou bien j'erre simplement, au hasard, infiniment, dans Paris. 


A une époque, j'allais même au Japon rien que pour ça: j'avais l'assurance d'y être injoignable puisque plus rien n'y fonctionnait, portable, ordinateur, appareils électroniques;  j'étais sûre d'avoir la paix, d'y être tranquille, de sortir du champ des radars, de m'évanouir à l'horizon. Mais même le Japon, ça n'est plus possible aujourd'hui, tout y marche maintenant. Partout dans le monde, maintenant, on est et on doit être joignables, connectables à tout moment. 

La pression de l'extérieur, c'est ce qui me pèse le plus. Etre mille fois sollicitée, chaque jour, pour des motifs professionnels, sentimentaux, sexuels, je trouve ça épuisant. 

Je sais bien que ce dont on souffrirait le plus aujourd'hui, ce serait de la solitude mais ça m'étonne. La littérature, la peinture contemporaines évoquent continuellement ça. Et c'est vrai que la solitude, on en fait tous, chaque jour, plus ou moins, l'expérience. On éprouve ça dans un groupe ou dans la foule, dans une relation de couple, dans une fête, après avoir fait l'amour. Tout à coup, on se sent rejetés, mis à l'écart et on vit ça généralement très mal. 


Pourtant, je ne suis pas sûre que la solitude, ce soit toujours le problème existentiel numéro 1 de nos sociétés. 

J'ai l'impression que la solitude, c'est fini ! 

On vit plutôt dans un monde de la sollicitation, de l'intrusion, du harcèlement permanents.On me considère ainsi, souvent, avec compassion: comme tu dois être malheureuse, sans famille, sans descendance, sans relation stable. Et on se plaît à me casser les pieds comme si on voulait me punir: je suis inondée de mails, de messages, d'appels téléphoniques, d'invitations, de requêtes; sexuellement, je suis, sans cesse, harcelée comme la plupart des filles pas trop moches. 


Je prends ça avec distance et je ne m'en plains pas non plus: c'est la vie ! L'épouvante, ce serait aussi que personne, absolument personne, ne me contacte. Ce qui me gêne, en fait, c'est que, sans cesse, on me somme de décider, de prendre parti, de m'engager, de faire ceci ou cela. La solitude, ça n'est vraiment pas mon vécu quotidien. Je me sens plutôt continuellement bombardée d'injonctions. 

Parce que c'est bien ça: il n'y a aucune sollicitude dans cette attention que l'on semble me porter. La pression de l'extérieur, celle des amis, des collègues, des relations professionnelles, des dragueurs, des amants, n'a rien de bienveillant, c'est celle des diktats d'une société qui veut éradiquer ses francs-tireurs. C'est le rappel à l'ordre. 


Les loups solitaires, ça ne doit plus exister. On doit accepter de se faire bouffer: 

"Fais des enfants. Fais carrière. Fonde une famille. Assois ta réussite. Ta descendance. Assure ta succession. Crains la vieillesse. Fais-toi rajeunir. Sois jalouse. Possessive. Habile et désirable. Ne perds jamais de vue tes intérêts". 

Le droit à la solitude, ça n'existe plus. Il faut apprendre à obéir, à se conformer aux lois de la reproduction sociale.


Je voudrais, ici, revendiquer un droit essentiel, aussi essentiel que celui de sa propre vie: 

"Le droit d'être absente, le droit à la rêverie, au retrait, à la rétention, voire au refus. Ne pas se rendre forcément disponible quand on doit l'être, se réserver quelques îlots inatteignables où disparaître quand on vous agresse ou qu'on vous flatte, deux stratégies de dévoration, assez jumelles au fond-ne pas être marié à son portable, rester opaque, jouer l'obsidienne contre le cristal, le mystère contre la transparence".


Tableaux d'Edvard MUNCH (1863-1944), le grand peintre norvégien. Aucun autre (pas même Edward Hopper) n'a su exprimer, avec une telle intensité, le sentiment de  la solitude.

J'ai placé, en exergue, son tableau: "La criminelle". Il me hante continuellement. C'est même, pour moi, l'une des grandes œuvres contemporaines. Etre une criminelle, est-ce que ce n'est pas l'affirmation, la plus extrême, de son droit à la solitude, à la liberté ? Qui peut comprendre la monstruosité ? Qui est plus solitaire qu'un criminel et surtout qu'une criminelle?

Les textes entre guillemets sont d'Elisabeth BARILLE que j'aime et admire et dont je recommande, absolument, le dernier livre: "L'oreille d'or".

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonsoir madame !

La liberté et la solitude dans cet univers de la sollicitation sont en train de devenir des denrées rares, des véritables luxes.

Qu'une personne y songe et écrive sur ce sujet me rassure.

Contrairement à vous je suis d'un nature sauvage.

Facile ici au Québec, tu embarques dans ta Jeep et tu fonces plein nord et personne ne sait où tu es. C'est grisant. J'adore. Un pied-de-nez à la société.

Le pouvoir de disparaître.

D'être soi-même, au plus profond de sa nature.

La solitude c'est la compagne de la liberté.

Les deux vont de pairs.

Si on a peur de la solitude, jamais on ne touchera à la liberté.

Alors, comment porter en soi-même un sentiment de plénitude ?

D'autre part, j'ai aimé votre billet sur la Galicie

J'aimerais bien un jour avant de crever d'aller visiter Cracovie et surtout Auschwitz.

Bien Vôtre

Solitaire, mais libre.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard pour votre commentaire !

Etre capable d'affronter la solitude, c'est en effet essentiel. C'est comme ça qu'on peut se construire et être libre.

Je conçois bien, en effet, qu'il est plus facile de disparaître au Canada qu'en France mais, tout de même, il y a toujours Internet et les téléphones qui peuvent vous rattraper.

S'agissant enfin de Cracovie, c'est une très bonne idée. C'est l'une des très belles villes d'Europe et c'est beaucoup moins envahi que Prague. Ça demeure également bon marché (surtout, n'ayez pas recours à un Tour Opérator).

De plus, les alentours de Cracovie sont enchanteurs avec la montagne toute proche.

Enfin, visiter Auschwitz est bouleversant.

Je vous signale enfin que, depuis Cracovie, il est très facile d'aller, par le train, à Lviv (Ukraine). C'est très beau et très dépaysant, croyez-moi.

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…

Bonjour CARMILLA

Dans notre société ‘’conçue comme réelle’’ et dans le ‘’régime du semblable’’ et non du ‘’différent’’, la plupart des hommes et des femmes s’accrochent obstinément à des étoiles d’illusions… alors que nous avons tous davantage besoin de solitude pour digérer les événements imposés et choisis de nos vies.

Car nous perdons de façon coruscante ce que nous obtenons en… sécurité.

La vie est relation, c’est une réalité inévitable de notre siècle …
Nul ne peut vivre hors de toute relation, mais à la condition d’être en phase et en relation avec soi-même…car nous vivons de plus dans une société qui ne nous apprend pas à être seul.

Dans notre vie, chacun peut faire l’expérience de se retrouver seul, de lâcher prise, sans en rendre compte à qui que ce soit , et quand cela devient primordial , lorsque nous sommes en quête d’une solitude apaisante au milieu d’une société tumultueuse et d’individus oppressants et malveillants…

La conquête de la solitude signe la maturité et parfois même le génie…
La plupart des grands Artistes en viennent .. (tous ceux que vous citez dans vos posts).

Nul ne peut se dire philosophe, écrivain, artiste et surtout femme ou homme libre s’il n’a exploré sa solitude… et que penser dans la solitude appelle un certain courage et non la résignation .
et que tout envoyer balader…de temps en temps…provoque une certaine jouissance de l’esprit.

Alors… une expérience à renouveler ASAP.


Bien à vous
JEFF

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff pour ce long développement avec lequel je me sens globalement en accord.

Je ne connaissais pas le mot "coruscant"; quant à ASAP (as soon as possible, je suppose ?) je découvre, aussi l'utilisation de cette expression.

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…



Comme quoi on nous n'avons jamais fini de découvrir les choses.
Nos petites vies n'y suffiront pas.
Je me sers beaucoup du dictionnaire également (personne n'est parfait) j'adore le parcourir de temps en temps pour y découvrir d'autres mots que nous n'utilisons pas...
et pour sauver notre belle langue...je vais de ce fait aller revoir notre FABRICE LUCHINI national...(un peu excessif par moments...)

Bien à vous
JEFF

nuages a dit…

En ce qui me concerne, j'ai un réseau de relations assez modeste, peu étendu (en tout cas trop peu à mon goût), sauf à Avioth, où je côtoie beaucoup de monde, mais la plupart ne sont pas vraiment des amis.

Ça doit tenir à ma difficulté d'entrer en relation avec les autres, ou de paraître "séduisant" (dans le sens large du terme). Et donc, je reçois peu de coups de téléphone, peu de courriels.

Je ne désirerais pas pour autant être harcelé, ce serait l'excès inverse, bien entendu.

De ce fait, je n'ai pas besoin de téléphone portable, et j'aime aussi, c'est vrai, "ne pas faire comme tout le monde" ; un portable, ça me serait utile, parfois, pour savoir pourquoi la personne avec qui j'ai rendez-vous dans un café ou un restaurant n'est pas encore arrivée. Mais je me dis alors que cette personne n'a qu'à être à l'heure, et que je ne vais pas acquérir cet objet trop emblématique de notre époque uniquement pour élucider les raisons des retards des uns et des autres...

J'aime bien écrire et recevoir des courriels, en revanche. Ceux que j'envoie sont comme des petites lettres, j'attache de l'importance à leur rédaction. Je conserve les courriels que j'envoie (et que je reçois) dans des fichiers textes propres à chaque correspondant(e) et je les relis de temps en temps, avec plaisir, moi qui n'ai guère la mémoire des événements.

Mais vous, qui souhaitez souvent ne pas être harcelée ou sollicitée, êtes-vous obligée d'emporter votre portable au Japon ?
Est-il impossible de vous "déconnecter" ? Vous pourriez éventuellement aller dans un cybercafé pour lire vos courriels, si c'est vraiment nécessaire.

J'avoue que c'est un aspect de l'époque que je n'aime pas, tous ces gens l'oeil et les doigts rivés sur leur bidule, même en marchant, au risque d'entrer en collision avec les autres passants, dont moi !

Bien à vous

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Parfois, j'aimerais pouvoir, comme vous, me passer de smartphone et de courriel.

Mais la vie professionnelle me rattrape sans cesse et me pourchasse, à toute heure, jusqu'au bout du monde. Fini le temps où l'on pouvait être injoignable. Quant aux mails, j'en reçois tellement qu'il faut bien que je les consulte tous les jours, même pendant les vacances, sinon je suis perdue.

Il faut aussi préciser que le portable et le mail sont devenus des instruments de harcèlement sexuel ce qui n'est pas toujours très drôle. Il faut être prudente quand on communique ses coordonnées.

Les nouvelles technologies ont créé une terrible dépendance rarement dénoncée. La plupart des gens semblent même accepter cette tyrannie avec délectation. C'est sans doute une manière de se sentir exister.

J'admire donc votre attitude de refus hélas marginale.

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…

« Les nouveaux navigateurs… »

Vissés sur leurs portables IPHONE… IPAD… IPOD… IMAILS …les « nouveaux navigateurs » semblent avoir une compréhension intuitive d’être nés dans une période de changement sans précédent et d’avoir l’opportunité et la certitude de changer l’histoire du monde ...

Ce n’est pas gagné… quand on constate la façon dont les parents essayent de transmettre les valeurs de base à leurs enfants …et de surcroît, dans une dialectique déplorable…

Malgré tout, cette génération est en train de créer une nouvelle société dans laquelle la diversité est reconnue et encouragée…la technologie ayant aidé cette génération à mieux comprendre ses semblables qui sont différents (couleur, religion et sexualité)…

Mais la question la plus angoissante est certainement celle du travail, rare en ce moment pour la majorité de ces nouvelle générations…, car sans travail, l’homme reste dans l’enfance de l’intelligence,dans le désordre et l’imprévoyance, les deux plaies qu’une éducation bien entendue peut seule guérir…

Nombre d’adultes devraient aussi la réapprendre…en urgence et faire preuve de modération dans leurs propos sur les réseaux sociaux....SMS... et même dans la vie courante.

Là est le point de départ, l’élément réel du bien-être.

Ce repli vers les nouvelles technologies n’est-il pas une échappatoire? Un acte de compensation …avec un risque de plus en plus élevé de …« collisions corporelles comme le dit NUAGES" ...et j'ajouterais de pauvreté intellectuelle?

Nous vivons une époque formidable.
Bien à vous
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Bien sûr Jeff,

Je ne voudrais pas apparaître passéiste.

Internet constitue un énorme bouleversement social, culturel, politique, dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences.

Je suis convaincue qu'il s'agit, malgré tout d'une évolution positive (cf le dernier livre d'Alexandre Lacroix que j'ai récemment évoqué).

Je ne parlais que de l'intrusion continuelle de l'extérieur dans nos vies.

Bien à vous

Carmilla

KOGAN a dit…

Bien sûr CARMILLA, je ne suis pas non plus passéiste Dieu merci et ne nie pas cette évolution très pratique et que nous utilisons tous... et trop parfois.

Je reconnais également qu'il doit être très pénible de se faire harceler sans arrêt par ces moyens d'intrusions dans la vie privée...(et oui l'éducation).

Pour ma part j'ai la chance d'échapper au phénomène que vous évoquez:-)
grâce aux cheveux gris qui attirent de moins en moins... la gente féminine .

Je vais jeter un cil et parcourir le livre d'Alexandre LACROIX que vous citez...

Bien à vous.
Jeff

KOGAN a dit…

Bonjour CARMILLA

Nul besoin de « la preuve de MABILLON » pour constater et comprendre certaines vérités décrites dans l’ouvrage bien ficelé d’Alexandre LACROIX, dont certains passages font effectivement froid dans le dos…mais sincèrement, plus rien ne m’étonne…j’en savais déjà un peu sur certains sujets…mystérieux…et autres projets diaboliques.

J’apprécie le libertaire et courageux Julian ASSANGE qui à mon humble avis ne semble pas être coupable d’un soit-disant viol par ces deux femmes suédoises accusatrices, mais induites par leur jalousie et malveillance respectives… de na pas avoir joui comme il faut… ?
et d’avoir fait suer ce bon gars…

Mise à part le manque d’accent sur cette affaire puisque effacée, et plus sérieusement, ne dit-il pas que dans le domaine de son activité et des révélations qu’il a produites , « que toute morale envahissante est promise à être …contournée »…

On voit ça tous les jours…et pour cause, il ne faut surtout pas affoler le péquin dans son train train quotidien …au risque mettre les voyants au rouge…
Mais le web influencera sur tout…et par force, en s’amplifiant dès demain.

En attendant une greffe de clé USB à l’arrière de nos crânes, et d’un « transfert de nos consciences sur disque dur »,« profitons de la liberté de conscience, du désir, de l’ivresse, du rêve, de l’amour …le sel de l’existence qui doit-être préservé contre toute intrusion » dans nos vies…

mais pour combien de temps ? L’amour par télépathie est en route, il l’est déjà par webcam …quelle horreur…

Et ne nous sommes pas déjà tous répertoriés sur de puissants ordinateurs…outre Atlantique….avec toutes nos caractéristiques propres … ?

En espérant également que la WEBMODERNITE inévitable de notre siècle, qui ne fera que croître à vitesse grand V, « n’interfèrera pas trop fortement sur les valeurs dominantes de la société. »…au profit de riches puissants de notre planète de plus en plus ( bizamguë)… (pas dans le dico)…et que, finalement pour en revenir au sujet initial de votre post :

La solitude,

que personne nous séparera de cet AMI que nous ne pouvons voir, mais dont nôtre âme et conscience perçoivent les plus douces impulsions et entendent les conseils.

That’s it…

"...." dans le livre


Cordialement
JEFF

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Il y a, effectivement, un portrait intéressant de Julian Assange dans le livre d'Alexandre Lacroix. C'est vrai qu'il fait l'objet de poursuites grotesques et sinistres. J'ai en horreur les deux Suédoises qui ont porté plainte contre lui: malhonnêtes et haineuses.

Sinon, on ne sait pas ce que nous réserve l'avenir avec le développement de l'informatique. Mais je crois toujours, personnellement, au progrès. Le pire n'est pas toujours certain.

Bien à vous

Carmilla