samedi 1 octobre 2016

Insatisfaction


Je dirai qu'en gros, il y a les satisfaits et les insatisfaits.

C'est la distinction entre ceux qui veulent tout et ceux qui veulent autre chose. Ce serait, aussi, la distinction entre les hommes et les femmes mais ça m'apparaît un peu primaire.

D'abord les satisfaits, les plus nombreux, contents, malgré tout, de leur petite situation: un emploi sûr, une baraque, des chiards, un mari ou une femme "potables", ressemblant, étrangement, à leur père ou à leur mère. Un peu de piment, tout de même, avec une relation adultère. Les contents, ils veulent tout garder, tout avoir (simultanément l'envers et l'endroit), avec le moins de vagues possible. C'est le modèle de la vie bourgeoise, avec sa dissociation et sa schize permanentes: on aime bien avoir une maîtresse, un amant, mais la maîtresse, l'amant, ne peuvent jamais devenir une épouse, un époux, sauf à perdre toute leur séduction. Les contents, ils aspirent au calme avec un environnement et des relations stables. Le risque de la transgression, de l'adultère infini, ça doit aussi s'insérer là-dedans, il faut que tout arrive à cohabiter. Les contents, ils ne veulent surtout pas avoir à choisir et ils essaient de tout faire coexister: la maman et la putain, le gigolo et le papa. On peut vivre, comme ça, longtemps peinards pourvu que rien ne bouge et qu'à peu près tout le monde s'accommode de cette situation.


A l'inverse des contents, je suis une éternelle insatisfaite. Je ne veux pas tout, je veux toujours autre chose que ce que j'ai. Et pour ça, je ne suis pas accommodante, je n'hésite pas à renverser les tables.


Simple exemple, m'habiller, c'est une épreuve terrible. Il faut d'abord que j'essaie une cinquantaine de robes mais quand j'en ai, enfin, choisi une et que je l'ai ramenée chez moi, je me dis que ça ne va pas du tout. Alors, je retourne, dès le lendemain, m'en acheter une autre mais celle-ci, finalement, ne va pas non plus. Et c'est comme ça que je me dis que n'ai rien à me mettre alors que mes armoires sont pleines. Dès que je possède quelque chose, je le rejette et je me mets même à désirer ce que j'ai rejeté.


Mais ça va évidemment au-delà: pourquoi j'habite à Paris ? Est-ce que je ne serais pas mieux à Berlin, à New-York voire à Lviv ? Pourquoi, je fais ce boulot ? Plutôt que de la finance, est-ce qu'artiste, intermittente du spectacle, ne me conviendrait pas mieux ?

Et tout est comme ça, notamment en matière amoureuse. Quand j'ai un amant, je ne suis jamais satisfaite, je pense, tout de suite, à en rechercher un autre: je ne vais, tout de même, pas perdre mon temps avec ce type là, ce n'est pas l'homme de ma vie, il faut que j'aille voir ailleurs. Je casse, je brise, je jette, je fais des ravages, c'est affreux ! J'ai conscience d'être odieuse, infecte, mais la conciliation, le compromis, l'harmonie des contraires, la paix, ça n'est vraiment pas mon truc. Je ne veux pas m'ancrer, me lier.


J'imagine que ce trait de caractère peut apparaître insupportable. Mais moi, je le considère comme une véritable bénédiction. Mon insatisfaction chronique, c'est ce qui me fait bouger, carburer: c'est la créativité, c'est l'ambition. Vouloir un autre appartement dans une autre ville, rechercher d'autres amis, amants, faire d'autres voyages, lire d'autres bouquins.... Sans cesse m'échapper, partir... Les insatisfaits, ce sont eux qui font l'Histoire.


Tableaux de Jean-Jacques HENNER (1829-1905).

Je recommande, tout particulièrement, la visite du musée qui lui est consacré à Paris. Il vient d'être rénové. C'est un lieu magique, tout près de chez moi, au 13, avenue de Villiers dans le 17 ème.

10 commentaires:

Unknown a dit…

Ne changez surtout pas, c'est comme ça que je vous apprécie, sinon pourquoi viendrais-je tous les samedi soirs chez vous !

Je suis moi aussi une fan absolue de Jean-Jacques Henner.

J'ajoute que je viens de terminer Les Âmes baltes, de Broken et que j'ai beaucoup aimé. Merci encore Carmilla pour ce conseil de lecture.
J'ai également lu Giboulées de soleil, de Lenka Hornakova-Civade, qui m'a vraiment émue. Connaissez-vous ce livre, si non, je vous le conseille.

Bon dimanche à notre éternelle insatisfaite !

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Ariane,

Changer, je ne crois pas que ce soit possible. On ne se refait pas, dit-on !

Cela dit, je ne suis peut-être pas non plus aussi extrémiste que peut le laisser supposer mon post. Je force un peu le trait pour mieux poser le problème.

Lenka Hornakova, j'avais effectivement noté son livre mais je n'ai finalement pas lu. Vous me donnez envie de m'y essayer.

Bien à vous

Carmilla

Richard St-Laurent a dit…

Bonjour Dame Carmilla.

Insatisfaction ?

Après avoir terminé la lecture de Vilnius Poker de Gavalis, je retiens cette citation :

« L'homme aura beau tenter d'être parfait ou idéal, si le monde n'a pas besoin de sa perfection, ses qualités sont superflues. »

Ricardas Gavelis
Vilnius Poker
Page -319-

J'ajouterais à cette citation, celle de Wajdi Mouawad :

« Le monde est vaste, mais les humains s'entêtent à aller là où leur âme se déchire. »

Wajdi Mouawad
Anima
Page -124-

Vous m'avez bien fait rire, essayer 50 robes pour en choisir une !

Cette semaine, j'ai fait quelque chose de très satisfaisant. J'ai abattu deux ormes géants, plus d'un mètre de diamètre sur la souche, deux monstres dangereux, mais ils sont tombés là où j'avais prévu. Ce qui est très satisfaisant. Même si l'orme demeure mon arbre fétiche, mon totem, il a bien fallu que je les abattre, parce qu'ils séchaient sur pieds à cause de la maladie Hollandaise de l'orme.

Le matin, lorsque je me lève, et que je revêt mes pantelons de protection contre les coups de scie mécanique, que je chausse mes bottes blindées, et que attrape mon casque de sécurité, la question du choix de cinquante vêtements ne se pose pas.

Ce que la vie peut être différente, ainsi que les satisfactions, d'un bout à l'autre de la terre.

Après l'abattage de ces deux géants, je flottais...

Sous les érables rouges, les frênes en or, et les ormes secs, l'automne nous emporte tous, avec une grande satisfaction.

Bon vent

Richard St-Laurent


Anonyme a dit…

Le portrait que vous faites des "satisfaits" me fait penser à Otto Dix. Burlesque et déprimant. Vous forcez un peu le trait, me semble-t-il ! ou bien vous fréquentez des milieux sacrément ankylosés, ce qui ne vous ressemble guère!! les "insatisfaits" ne passent pas non plus leur temps à essayer des robes avec frénésie.Soyez sûre que je ne cherche pas à vous faire la morale. J'étais loin, je redécouvre votre blog, avec amusement et intérêt. Je compte sur vous pour trouver des peintres que l'on ne voit nulle part ailleurs . BaV Lola

KOGAN a dit…

Welcome in your dressing

Je vous soutiens vivement dans votre désir d'acquisition de vêtements chaussures sacs à main, qui n'est pas un acte de possession en lui-même, mais qui embellit la femme , la rend plus séduisante , enfin pas toutes...
on en voit encore beaucoup habillées façon la Redoute années 70...

Les femmes participent allègrement au chiffre d'affaire des différents métiers du PAP qui a représenté pour la France au 1er semestre 2014, plus de 5,10 milliards de CA suivant les données de la FFPAP (fédération française du prêt à porter).

Pour les hommes il s'agit de vêtements également mais en beaucoup moins grande quantité..., ce qui nous permet de ne pas trop obstruer nos placards qui servent de dépôts inaccessibles et remplis de choses qui ne servent plus à rien bien souvent..

Pour les hommes il s'agirait plutôt (en cas d'achat compulsif ) de l'éternelle bagnole, de l'ordi, de l'appareil photo, achats s'effectuant dans l'euphorie et se terminant par la culpabilité...mais on oublie vite.

Comme vous le dites, on ne change pas...et merci pour l'info musée JJ.HENNER Paris 17 .

J'aime bien cet arrondissement de la capitale , j'ai habité un temps boulevard Pereire en 1974 près Pont CARDINET et participé au contrat de rénovation de la gigantesque marquise Gustave EIFFEL de la banque MORGAN STANLEY en 2011.

Question satisfaction... jusque la ça va ...jusque la ça va...

Bien à vous
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Richard,

Je vais vraiment essayer de lire "Vilnius Poker". Vous m'en donnez vraiment envie, d'autant que je connais assez bien la Lituanie.

Je comprends le sentiment de paix et la sérénité que vous éprouvez. Mais est-ce que vous n'avez pas, quelquefois, envie d'autre chose ? L'insatisfaction, je crois que c'est très largement partagé. C'est bien sûr négatif mais c'est aussi un élément moteur.

En France, l'automne n'est pas encore arrivé mais il n'y a pas d'arbres aux couleurs éclatantes.

Bien à vous

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Lola,

Ravie de vous savoir de retour ! Que vous me lisiez avec amusement est la bonne attitude. Je ne veux pas apparaître trop sérieuse, sentencieuse.

C'est sûr que je n'aime pas beaucoup les satisfaits. On n'est généralement satisfait qu'au prix de compromis inavouables et parfois crapuleux.

Les achats, leur frénésie, malgré tout ça me calme, ça m'apaise, même si ça me frustre aussi. Mais durant la semaine, je pense à ce que je vais m'acheter le week-end et ça me soutient le moral. Je suis sans doute superficielle mais je le revendique aussi.

Bien à vous

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Dame Carmilla.

Vous avez le sens de la répartie...

Envie de d'autre chose ?

Bonne question.

Traverser l'Atlantique Nord au mois d'octobre à la voile, piloter un DeHavilland Mosquito, souper en compagnie de Winston Churchill, Michel De Montaigne et Albert Camus si c'était possible, être dans le corps d'une femme afin de connaître sa nature profonde, imaginer l'imagination des autres, passer un dimanche sur Mars et revenir le lendemain, parler avec un ours, voler et naviguer comme une outarde, planer comme un urubu, explorer un cerveau humain, découvrir un monde parallèle, traverser un grand lac à la nage, conduire une locomotive à vapeur, vivre une année en Saskatchewan, planter encore plus d'arbres, bâtir une cabane dans les nuages, traverser encore une fois l'Amérique, apprendre à jouer d'un instrument de musique, transcender mon destin, citer dieu à la barre, rencontrer Primo Levi, relire Marguerite Yourcenar, marcher jusqu'à ma mort, être aussi léger qu'une plume, connaître les intentions du vent, approfondir l'art du mensonge, dessiner comme Léonard de Vinci.

Je pense que je vais manquer de temps.

Vous m'avez écrit dernièrement :

La liberté, c'est de pouvoir échapper à toutes les catégorisations.

J'ajouterais, que c'est surtout sortir de sa condition première.

Pour le reste, tout est ouvert. C'est l'infini de tous les possibles.

Allez, plongez dans Vilnius Poker, une vampire comme vous va mordre là-dedans.

Tiens pour vous mettre en appétit :

« L'homme est devenu ce qu'il est, car il est capable de s'adapter ; mais c'est aussi cette capacité qui le mènera à sa propre ruine. »

Ricardas Gavelis
Vilnius Poker
Page-134-

Bon vent

Richard St-Laurent



Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff pour votre message,

Je n'ai bien sûr rien contre l'industrie de la mode. Elle participe à une culture de séduction en incontestable régression.

Mais je parlais surtout d'un rapport aux objets dont l'acquisition génère, souvent, une déception immédiate.

La pleine satisfaction, je n'y crois pas trop. Ca s'effectue souvent au prix d'arrangements, concessions, compromis et c'est souvent une illusion que l'on aime avoir pour éviter de s'engager dans des choix radicaux.

Sinon, oui! le 17 ème est un quartier beau et agréable. C'est en plus assez calme. Je vous recommande, en effet vivement, le musée Henner. C'est peut-être un peintre pompier mais ses tableaux provoquent, néanmoins, une réelle émotion.

Bien à vous

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Voilà une belle et poétique énumération !

Mais presque tous vos désirs, à l'exception d'un petit nombre, n'ont aucune chance de trouver un accomplissement. Est-ce que ce n'est pas une manière d'éluder la question, de fuir le réel ?

Sinon, je suis assez d'accord avec vous. La liberté, c'est bien s'arracher de soi-même, vaincre sa pesanteur.

Bien à vous

Carmilla