dimanche 18 mars 2018

"Le petit prospère des peuples"


La Russie et la dictature, ça irait de pair. D'ailleurs, il n'y a que ça qui convienne à la mentalité russe.  On aimerait le knout !  J'entends ça régulièrement, en ce moment, avec l'élection présidentielle russe.


J'en prends vraiment plein la tête. C'est vrai qu'un 6 ème mandat pour un président (soit 24 ans de pouvoir !), ça commence à faire beaucoup. C'est vrai aussi que cette longévité ça engendre favoritisme, corruption, immobilisme: c'est le pouvoir des copains. Et c'est vrai, enfin, que tout a été fait pour éliminer l'opposition politique et qu'il n'y a aucune liberté de l'information. Les médias sont inondés de propagande et, même si on le sait, on finit pas être influencés.


Mais, malgré tout, je ne suis pas sûre que la Russie soit une vraie dictature. Force est de reconnaître qu'il y a une réelle adhésion de la majorité des Russes à Poutine.

S'il s'agit d'une dictature, elle sait du moins user de séduction. Il est d'ailleurs très probable que Poutine serait de toute manière réélu dans l'hypothèse d'élections entièrement libres. Et il faut même reconnaître que l'on peut critiquer publiquement Poutine, dans la rue, entre amis. Il ne vous arrivera rien du moment que ça n'est pas trop virulent et que vous ne cherchez pas à fonder un parti.


Pourquoi en effet les Russes votent-ils Poutine ? Principalement pour deux raisons: d'abord, le fric et ensuite, la sécurité ou du moins le sentiment de sécurité.

* Le fric: l'arrivée au pouvoir (en l'an 2000) de Poutine a coïncidé avec un redressement de l'économie (grâce à l'envolée des cours du pétrole) et l'émergence de la société de consommation. Pour la première fois, les Russes ont pu s'acheter des voitures, voyager, avoir accès à des produits de luxe. Le pays est sorti de la misère communiste, c'est la première explication de la popularité de Poutine même s'il n'y est pas pour grand chose. Le journal "Libération" a, à cet égard, trouvé une formule géniale: "Le petit prospère des peuples". Et comme le dit la grande écrivaine, Ludmila Oulitskaïa: "Ceux qui votent pour Poutine ne s'en lasseront sans doute jamais".


Aujourd'hui encore, la Russie change, évolue sans cesse et il existe maintenant, dans les grandes villes, une importante classe moyenne qui vit assez bien.

J'ajouterai même que la vie courante est, à certains égards, plus facile et moins stressante qu'en France.

On n'est pas oppressés, en Russie, par toute cette effroyable bureaucratie, paperasserie, réglementation, qui rend la vie des Français si compliquée.

En Russie, tout est beaucoup plus simple et plus facile: trouver un logement, un travail, un crédit, payer ses impôts, se déplacer, faire des achats. Bien sûr, ça repose sur des règles ultra-libérales (qui feraient hurler les Français) et il y a des contreparties à toutes ces facilités. Il n'empêche, on en retire le sentiment que si l'on est un peu dynamique, tout est possible et on peut facilement réussir. On n'a pas l'impression d'une société bloquée et c'est assez euphorisant.


Par ailleurs, si les médias sont soumis à une censure féroce, en revanche, la création littéraire et artistique est presque complètement libre (sauf si elle s'en prend au pouvoir politique).

* La sécurité:
La seconde explication de la popularité de Poutine, c'est qu'avec lui, les Russes se sentiraient de nouveau respectés. On veut à tout prix être considérés comme une grande puissance même si le PIB russe équivaut à celui de l'Espagne. C'est un fantasme extravagant qui remonte  au moins à l'époque stalinienne. On veut faire peur même si on ne se rend pas compte qu'on est surtout considérés comme des voyous.


C'est bien sûr ridicule mais il faut dire qu'en Russie, on n'a pas du tout la même vision de l'histoire qu'à l'Ouest. C'est trop long à expliquer mais c'est associé à un nationalisme exacerbé et à la défense de cette bêtise de l'âme russe.

C'est bizarre mais les Russes se sentent menacés. Ils sont convaincus que les Chinois et les Américains veulent détruire leur civilisation. Ils entretiennent l'idée d'un encerclement. C'est pour ça que la société russe est en quête d'ordre et de sécurité et qu'elle approuve entièrement le programme militaire délirant de Poutine.


Ça ne s'est évidemment pas arrangé ces dernières années avec les sanctions occidentales. Les Russes sont maintenant convaincus qu'on ne les aime pas du tout et la propagande leur fait savoir qu'ils sont souvent insultés, agressés quand ils se déplacent à l'Ouest.


Un fossé se creuse de plus en plus. Mais est-ce que ça n'est pas non plus un peu pareil du côté occidental ? Les Français, par exemple, me servent systématiquement que la Russie est un pays dangereux et que les gens de couleur et les homosexuels y sont régulièrement agressés. C'est le grand cliché à l'Ouest qui est l'inverse exact du cliché russe: à l'Ouest, il n'y a que des Noirs et des homosexuels.

J'ai l'impression, en fait, que l'Ouest connaît aussi mal la Russie que la Russie ne connaît l'Ouest.


Tableaux d'Ilya GLAZUNOV (né en 1930). Très connu et très controversé en Russie. Il est un peu le peintre officiel du régime et l'illustrateur de l'âme russe.

4 commentaires:

Thierry Mattart a dit…

La Russie et la Chine doivent se tenir la main ... C'est le monde de demain! Tout empire connais un jour son déclin et les USA y glissent progressivement... Le nier serait le comportement de l'autruche fasse à la peur ! Et les gens craignent se nouveau monde ... Ils vivent de rêves et de consommations. Comme un film d'Hollywood! L'esprit Slave vit pas dans le reve... C'est tres exigeants et intelligents! C'est pour l'Occident le plus difficile... S'adapter à se changement de paradigme !

Anonyme a dit…

Bonjour Carmilla,
la société russe est vraiment passionnante dans ses représentations.
J'ai vu hier ce documentaire qui relaie parfaitement la connaissance que vous avez de la Russie : "Un continent derrière Poutine" (https://www.france.tv/documentaires/societe/437431-un-continent-derriere-poutine.html).
Autant dire que nous ne connaissons rien de la Russie et que j'ai été surpris de découvrir que les Russes soutiennent Poutine pour des raisons légitimes.
Il ne s'agit pas pour moi de dictature si les gens disposent d'un sentiment de liberté et de sécurité. Au sens propre du terme, une dictature, en tant que régime totalitaire, nie le concept même d'individu pour soumettre les personnes à un ordre idéologique qui les asservit.
Il s'agit plutôt d'un affaissement de la démocratie politique qui n'est pas caractéristique de la Russie dès lors que le phénomène touche également les Etats dits "démocratiques", dans le contexte de cette époque. Et si Poutine était français, je pense qu'il serait élu président ici aussi, même s'il prendrait une raclée à Paris (mais Paris n'est pas la France).
Bien à vous.
Alban

PS : Désolé pour les pubs insupportables qui précèdent le docu...

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Thierry,

J'ose espérer que ni la Russie ni la Chine ne sont l'avenir du monde. La spiritualité russe, la puissance chinoise, ça ne me dit rien du tout, ça me fait même peur.

J'espère malgré tout que l'esprit démocratique continuera d'animer le monde. C'est malheureusement la voie la plus difficile mais c'est la seule qui permette d'évoluer et de progresser.

Bien à vous

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

J'ai également vu le reportage d'Anne Nivat, une journaliste que j'apprécie.

J'apporterai toutefois quelques nuances. Il y a certes une adhésion à Poutine et la dictature en Russie ne s'exerce pas par la contrainte externe. On peut faire à peu près ce que l'on veut si l'on ne se mêle pas trop de politique. On peut même critiquer Poutine dans un café, dans un bus.

Mais il ne faut pas oublier qu'il y a une propagande effroyable. Les journaux sont illisibles, les informations inaudibles. On ne raconte que des âneries énormes et ça marche auprès de la plupart des gens.

Il y a d'ailleurs une chose à la quelle j'ai renoncé: évoquer l'Histoire, récente ou du dernier siècle, avec des Russes. Il est vraiment difficile d'avoir un point de vue commun. En général, ils n'ont aucun regard critique sur leur passé. Ils sont obnubilés par leur supposée grandeur passée et se croient même des bienfaiteurs de l'Europe. Ils sont en outre convaincus qu'on les menace. C'est inquiétant.

Sinon, c'est vrai qu'il y a une demande accrue d'autorité dans tous les pays et qu'un Poutine, tout de même moins grossier que Marine Le Pen, aurait du succès en France. Les temps changent et je ne crois pas que ce soit positif.

Bien à vous

Carmilla