samedi 17 novembre 2018

De l'Histoire

L'Histoire, on a tendance à penser qu'elle est enseignée partout de la même manière et avec le même contenu.

Rien n'est plus faux, j'en sais quelque chose. C'est d'ailleurs un sujet que j'évite d'aborder avec des Français: on n'a jamais ni les mêmes repères ni les mêmes points de vue. L'histoire, c'est vraiment la matière la plus politique et la plus idéologique qui soit. On ne voit que midi à sa porte.

Par exemple, j'ai regardé avec intérêt, dimanche dernier, la cérémonie du centenaire de l'armistice du 11 novembre à Paris. Elle a réuni, paraît-il, 72 chefs d’État et de gouvernement. Mais qui a pu y "retrouver ses petits", hormis les Français ?

D'abord cette étrange conviction des Français que leur pays a le plus souffert et qu'il a été le principal théâtre des opérations militaires (ça vaut aussi, et même davantage, pour la seconde guerre mondiale). Verdun, la Marne, le chemin des Dames, quelle barbe ! Tout ce qui s'est passé en Europe Centrale et de l'Est, ça semble à peu près anecdotique (même s'il y a eu, en fait, davantage de morts). Les héros, c'est les Français, les Anglais et les Américains et tant pis pour les autres.


Par rapport à cette vision, les appels à dépasser le nationalisme apparaissent évidemment un peu incongrus.

Et puis, s'agissant du nationalisme, il faut tout de même rappeler que c'est la France elle-même qui a promu l'Europe des Nations au lendemain de la guerre. Il fallait à tout prix abolir les Empires (ottoman, d'Autriche-Hongrie, d'Allemagne), synonymes de despotisme et d'archaïsme, et faire droit aux revendications territoriales des communautés nationales.

Pourquoi pas mais on commence à se rendre compte que les Nations, ça peut être encore plus effrayant que les Empires. Il est par exemple de bon ton, aujourd'hui, de vilipender la Hongrie de Viktor Orban mais la France oublie que c'est elle-même qui a créé la Hongrie actuelle avec tout son potentiel identitaire explosif.


Surtout, les Français considèrent que l'armistice de 1918, ça a consacré la fin des hostilités et la paix universelle en Europe. C'est incroyablement réducteur ! Ça a sans doute été vrai en France mais partout ailleurs, dans les anciens Empires, on a assisté à une explosion des violences et des guerres civiles. Ça a duré au moins jusqu'en 1923 et ça a peut-être été encore plus épouvantable que la Grande Guerre.


Étrangement (scandaleusement ?), c'est complétement occulté en France. Je m'étonne ainsi qu'on y ignore presque totalement, sur cette période des années 1910-1920, des événements historiques qui m'apparaissent pourtant majeurs. Je citerai ainsi :

- l'effondrement austro-hongrois face à l'armée russe au début de la guerre au point que Vienne a été menacée;
- la bataille de Tannenberg;
- la création d'une République démocratique d'Ukraine occupée par l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie.
- la renaissance de la Pologne avec pour Président un grand pianiste et musicien Ignacy Paderewski. Puis la guerre entre la Pologne et la Russie allant d'une occupation de Kiev par l'armée polonaise au "miracle de la Vistule".
- la révolte spartakiste à Berlin avec Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg;
- la révolution communiste de Béla Kun en Hongrie suivie de l'occupation de Budapest par les Roumains;
- la guerre civile en Finlande;
- l'intervention de corps francs allemands dans les pays baltes. L'accession provisoire à l'indépendance de l'Estonie, Lettonie, Lituanie.
- les guerres civiles russes (plus de 3 millions de victimes) avec de multiples interventions extérieures, notamment française et britannique mais aussi les légions tchècoslovaques et des chefs contre-révolutionnaires fous et mystiques: Denikine, Koltchak, l'effrayant baron Ungern-Sternberg;
- la terrible guerre gréco-turque s'achevant avec la catastrophe de Smyrne (Izmir).

Bien sûr, cette énumération ne recouvre que mes propres références. Elle est donc tout aussi partielle et partiale. Et puis, je suis mal placée pour donner des leçons parce que je ne connais moi-même pas bien l'histoire de France ni non plus celle d'une infinité de pays.

Simplement, je veux souligner que l'Histoire, telle qu'on l'enseigne aujourd'hui, est toujours partisane et tronquée; elle est un véritable instrument de propagande, faux et réducteur.

Alors, il serait peut-être bon, à l'heure où l'on proclame l'urgence à lutter contre les nationalismes, d'enseigner non plus une histoire française ou allemande ou italienne mais une histoire européenne. Ce serait un grand pas vers plus de tolérance, de compréhension mutuelle et de sentiment d'unité.

Images de Jacques TARDI (né en 1946) illustrant, principalement, les aventures d'Adèle Blanc Sec. Des images saisissantes, un démenti radical à ceux qui doutent que la BD soit un art..

Si vous vous intéressez aux lendemains de la 1ère guerre mondiale en Europe, je vous recommande "Les vaincus" (Seuil-septembre 2017) de Robert GERWARTH.

13 commentaires:

Richard a dit…

De l'Europe et de l'Éducation !
Bonsoir ou bonjour selon le cas Dame Carmilla.
Vendredi dernier j'ai reçu deux présents, 30 cm de neige supplémentaire, et le livre de Ludmila Oulitskaïa, L'échelle de Jacob, dont j'ai déjà lu une centaine de pages. Ce qui a fait ma journée. Je reviendrai pour madame Oulitskaïa une fois que j'aurais terminé la lecture de son livre.
Comment aborder l'Europe sans parler d'éducation ? Ce n'est pas seulement une histoire de l'Europe qu'il nous faut, c'est une histoire universelle comme on nous l'enseignait à l'époque des collèges ici au Québec, ce qui nous ouvrait à l'universalisme, ça partait de la pré-histoire jusqu'à 1960 à l'époque. C'était plus que de l'instruction, c'était de l'éducation. Il semble qu'on a oublié tout cela. Lorsque je m'adresse à un professeur d'université et que je lui parle des Doukhobors et que je lis dans son regard l'ignorance, je me demande où est sa culture, voir son éducation ?
Charles de Gaulle avait très bien posé cette question incontournable, répondant à un journaliste : »Oui, la Communauté Européenne, mais dirigé par qui ? » Il semblerait que d'après ce que j'ai lu, vu et entendu; personne n'a répondu à cette question. Alors un jour cette fameuse Communauté Européenne, s'est enfoncée dans le merdier Yougoslave. Pas besoin de vous faire un dessin. C'était hier.
Une fédération, parce que c'est de cela dont on parle ; lorsqu'on évoque la Communauté Européenne, qui est constituée de pays dont plusieurs régimes sont républicains centralisateurs à forte tendance nationalisme. Joyeux ou triste paradoxe ? Vu de l'extérieur, ce système élaboré avec peine m'apparaît comme de la poudre aux yeux voir comme une aberration et sans remettre en cause la bonne volonté et l'honnêteté de certains des instigateurs de ce projet très louable, je me souviendrai toujours de Maastricht en 2005, où, disons-le ainsi, on a forcé la démocratie. Ce qui n'est pas très recommandé pour la suite des opérations.
Oui, je les ai vu tous ces chefs d'états alignés. J'ai surtout remarqué les trais tristes de madame Merkel, moi qui s'est fourvoyé pensant que sa réélection ne poserait pas de problème. Qui plus est, j'ai aussi lu depuis un certain temps, dans ce visage qui vieillit vitesse grand V, un président Français, qui sait pertinemment qu'il vient de perdre sa meilleure allier. Votre Président est nu. Terminé la jeunesse, terminé les paroles faciles et les beaux discours. Maintenant comme nous disons au Québec : Ça va prendre de la viande autour de l'os.
Je vous souhaite une très bonne nuit.
Richard St-Laurent

Ariane a dit…

Merci mille fois Carmilla de nous rappeler ces faits !

Je suis à 100 pour cent d'accord avec vous.
J'ajouterai que d'entendre sans cesse pérorer ainsi de notre Histoire, enfin celle des Français, me rend malade. Je ne cesse de m'effarer de l'égocentrisme de ce pays qui se prend pour le nombril du monde...

Bon dimanche à vous, et merci encore pour vos billets que je rate jamais; ils sont mon plaisir du dimanche matin.

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla

Il est à noter que depuis Caïn et Abel l'humanité a fortement progressé dans la barbarie et dans les grandes guerres que l'on commémore chaque année (cela doit être fait mais sans tout ce faste coûteux).

Pendant ce break à hommages, les conflits continuent de s'amplifier dans le monde...et au lendemain de ces rappels de l'histoire, cette mémoire se met en veilleuse pour une majorité.

L'homme ne s'entend déjà pas avec lui-même...alors avec son voisin...
il faudrait peut être plus de femmes à la tête des états comme Madame Merkel.

L'histoire des guerres anciennes en Europe,comme vous les citez, les enseignants à mon époque n'en n'ont jamais soufflé mot, et avec une très grande hypocrisie plus tard concernant les interventions "pacifistes" de la France, notamment en Algérie ou l'on préférait parler "d'événements d'Algérie" que de guerre d'Algérie, sans oublier l'Afrique noire.

Ce n'est pas que notre "président qui est nu", c'est l'Europe entière...à défaut je peux lui prêter ...un gilet.



Bien à vous
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

J'espère en effet que vous me donnerez des nouvelles d'Oulitskaïa. Elle est probablement le plus grand écrivain russe. Pour ma part, j'ai abordé Tokarczuk. C'est impressionnant mais je ne sais pas si je peux la recommander.

Oui ! Pour favoriser la paix dans le monde, on a vraiment besoin d'un enseignement plus universel de l'histoire; cela permettrait une meilleure compréhension entre les peuples.

Vous avez appelé mon attention sur les Doukhobors, ces étranges chrétiens russes dont certains se sont installés au Canada. C'est assez méconnu en Russie. Existe-t-il encore une communauté ?

C'est vrai que l'Europe demeure tiraillée entre une vision universaliste et des aspirations nationalistes.

On peut hélas, aujourd'hui, s'interroger sur sa possible désintégration surtout avec le départ de la Grande-Bretagne.

La direction à suivre n'est pas suffisamment affirmée sauf par Emmanuel Macron. C'est regrettable parce qu'il y a bien, à mes yeux, une profonde unité européenne. C'est celle d'une culture commune qui s'incarne notamment dans un mode de pensée, une littérature, une architecture, une musique, des modes de relation sociale, une vision de progrès. Tout cela semble un peu oublié aujourd'hui au profit d'intérêts mesquins et mercantiles.

Quant à Angela Merkel, quelles que soient ses qualités, il me semble évident que cela fait trop longtemps qu'elle est au pouvoir.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Unknown pour votre sympathique message.

Entendons-nous bien, toutefois. Mon propos n'est pas de critiquer la France de manière virulente. Je ne crois pas que l'Histoire soit mieux enseignée dans les autres pays d'Europe. Quant à la Russie, je vous assure que c'est bien pire.

D'une manière générale, un point de vue étroit et nationaliste prévaut dans l'enseignement de l'Histoire. C'est à tel point que les déformations de la réalité sont caricaturales. Le pire, c'est que chacun est convaincu de l'absolue vérité de ce qui lui a été enseigné.

Une réforme importante serait donc de l'aborder dans une perspective plus universelle et plus européenne.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Votre thèse d'un accroissement de la violence est contestée, notamment par Steven Pinker ("La part d'ange en nous" et "Le triomphe des Lumières").

Il semble bien que l'on assiste plutôt, sur le long terme, à une pacification accrue. Fortes baisses de la criminalité, de la délinquance, de la cruauté... Le monde n'a jamais été aussi sûr et la sécurité des personnes aussi grande. Ce n'est pas l'opinion commune mais de multiples données viennent étayer cette hypothèse.

Quant aux événements que j'évoque, c'est simplement ce que, moi, j'ai appris mais c'est pour montrer que ça ne coïncide probablement pas avec la vision de jeunes Français pour cette période de l'Histoire. Mais je ne prétends pas que ma vision soit plus objective.

Vous avez enfin raison d'évoquer la guerre d'Algérie. J'avoue ne pas y connaître grand chose mais j'ai l'impression qu'il faudra encore des décennies avant de pouvoir porter un regard neutre, dépourvu d'affectivité, sur ce conflit.

Il faudrait enfin évoquer le Moyen-Orient à propos des lendemains de la 1ère guerre mondiale. Son étrange découpage par les Français et les Britanniques: la Syrie, le Liban, l'Irak, la Palestine et la Trans-Jordanie. Est-c qu'on ne continue pas d'en payer le prix ?

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Dame Carmilla !
Charles de Gaulle avait raison, lorsqu'il affirmait que les deux guerres mondiales, c'était des guerres civiles, je constate que vous avez la même vision, ce qui sur le fond est très juste ; en pratique c'est autre chose.
C'est qui le le brillant génie qui a avancé que l'Europe avait besoin d'une armée européenne ? J'espère que ce n'est pas sorti d'entre les deux oreilles d'Emmanuel Macron tout seul. Cela implique de lourdes responsabilités, surtout envers ces pays qui sont (européismes) du bout des lèvres.
Imaginez-vous tout le monde va faire ses emplettes, des armes neuves, toutes au même niveau, une armée à la grandeur de l'Europe, opérationnelle. J'en connais qui salive déjà en Europe Centrale. N'oublions jamais que La France est dans le top 10 des vendeurs d'armes au niveau international. Ça laisse songeur.
Allez-vous partager vos codes nucléaire avec l'Allemagne ?
Vous allez leur donner ou bien leur vendre ?
La France est la seule présentement à posséder une armée opérationnelle sur le continent à part les Russes. Ce n'est pas rien. Je ne serais pas surpris de connaître, le degré de jalousie des envieux qui aimeraient bien avoir leurs petites ou grandes armées.
C'est la porte ouverte à la guerre civile.
Et puis une armée européenne pour se battre contre qui ?
Pour vous battre entre vous autres ?
Déjà que nous avons du mal à faire fonctionner l'ONU.
Il ne faudrait pas en remettre sur le gâteau.
Il y a de quoi se faire du sang de cochon, et je ne puis empêcher que la moutarde me montre au nez, lorsque sont exprimés certain propos qui rappellent ceux de votre président qui disait récemment que la situation présente lui rappelait celle des années 30. Elle est peut-être pire que cela, personnellement, elle me rappelle celle des années 1900-1914. Oui, il faisait si beau lorsque Jean Jaurès a été assassiné, c'était un merveilleux été, beau et chaud. Oui...
J'ai visité Paris à plusieurs reprises, des fois je regarde des photos que j'ai prise et en ce matin de neige blanche, sur le bord de ma rivière, savourant l'aube comme je savoure ma tasse de thé, j'imagine cette magnifique ville rasée par une seule bombe nucléaire. Je vous l'avoue Carmilla, cela laisse un goût amer. Je n'ai aucune envie qu'on remettre cela...

En colère mais lucide.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Salutations distinguées encore une fois.
Pour une fois je vais parler de l'un de mes voyages, surtout surtout celui dans l'ouest canadien en l'été 2009 ce qui me fait d'autant plus plaisir qu'habituellement c'est vous qui nous parlez de l'Europe Central, de la Galicie, de l'Ukraine et je vous en suis reconnaissant parce que j'apprends beaucoup de choses. Naturellement, j'avais un parcours atypique, j'évitais les grandes villes, pour me consacrer aux petits villages, des fois des petites bourgades au milieu de nulle part, ce que j'adore. J'avais retenu le nom de Veregin sur une carte et je l'avais encerclé en rouge parce que je connaissais cette secte catholique qui se sont établis au environ de 1900 à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Yorkton en Saskatchewan. C'est tout près de la frontière du Manitoba. Comment, j'étais arrivé là et pourquoi je connaissais cette histoire ? J'évoquerai encore l'éducation, chez-nous on racontait, et mon père et mon grand-père m'avait raconté leur histoire. Veregin a été transformé en village historique, il ne reste pas grand chose, la maison du prieur, quelques petites maisons et surtout un musée avec des magnifique photos. Il faut se souvenir que cette secte et je la résume grossièrement, c'est du communisme sans athéisme, qui prend racine en Russie au environ du 18ième siècle. Ils ont été ostracisé en Russie, parce que c'était des pacifiques et qu'ils refusaient de servir dans l'armée du Tsar. Ils les ont transféré en Sibérie, puis pendant des décennies ils ont erré dans ce vaste pays. Finalement n'y tenant plus à cause qu'ils étaient persécutés, ils sont venus au Canada et ils ont donné le nom de Veregin à leur village, qui était le nom de l'un de leur prieur. Je m'y suis rendu non seulement pour visiter, mais aussi pour m'imprégner de cette histoire. Il faut visiter cette maison du prieur, c'est exactement les vastes maisons bois qu'on retrouve en Russie, avec ses larges portes, ses fenêtre immenses, sa véranda au premier étage, haute de plafond. Il y avait un banc peint en gris dans le couloir débouchant sur l'arrière cour. Je me suis assis sur ce banc pendant une heure et j'imaginais ces gens, ces humains, défilant devant moi, venant voir le prieur. Je vous assure Carmilla vous ne seriez pas dépaysé. Mais, je n'étais pas au bout de mes surprises. Lorsque je suis sorti dans l'arrière cour, je me suis retrouvé devant une statue en bronze et pas n'importe laquelle : Tolstoï. J'en ai été soufflé, oui, le grand écrivain Russe, l'auteur de Guerre et Paix, qui vers 1900 était encore vivant. J'ai appris qu'il avait financé les frais de voyage au Canada des Doukhobors et l'achat de terre, en donnant une partie de ses droits auteurs.
Voyager pour moi, c'est cela !
N'est-ce pas une belle histoire.
Richard St-LaurentTokarczuk

Richard a dit…

Je n'en n'ai pas fini avec les Doukhobors.
Les habitant de Veregin en reconnaissance de la générosité de Tolstoï lui ont élevé une statue qui est sans doute toujours là. Tolstoï en Saskatchewan, je vous avoue que j'ai fait le tour de cette statue à plusieurs reprises, c'est le cas de le dire, j'ai tourné en rond. Au XIXème siècle, l'ouest canadien n'était habité que par des nations indiennes et des métis, surtout des francophones qui avaient marié des indiennes. Puis sont arrivé les persécutés, les rejetés de l'Europe, les parias politiques et religieux, les exclus de l'économie, les pauvres, que dire, les très pauvres, dont les Doukhobors. Ces derniers sont arrivés comme on dit chez-nous avez leur butin sur le dos. Butin=vêtement. Pas d'outil, pas un clou, pas une planche, le gouvernement fédéral leur a fait parvenir des vivre pour qu'ils puissent passer l'hiver. Comme les ukrainiens, ils se sont creusés des trous dans la terre. Ce fut leur début. Reconnaissons qu'il fallait avoir un maudit courage pour commencer ainsi. Pendant des heures, j'ai regardé des photos de cette époque, il y en avait une en autre devant laquelle je revenais constamment. Je pouvais y voir 25 femmes, (et je les ai compté) attelées à une charrue simple, c'est-à-dire un versoir. Si on vous demande combien cela prend de femmes pour tirer une charrue, je vous dit 25. Vingt-cinq femmes pour remplacer un bœuf ou encore un cheval, car ils n'avaient même pas d'animaux de trais au début. Et retenez bien ce chiffre, 20, vingt ans plus tard, ils avaient des chevaux, des élévateurs à grain, une meunerie, une boulangerie, et ils habitaient un village prospère. Je vais vous dire une chose énorme : le communisme lorsque c'est bien appliqué, des fois ça fonctionne. Les Doukhobors en été la preuve vivante. Qu'est-ce qui est resté de ce bout d'histoire ? Le gouvernement fédéral et les autres cultivateurs de la Saskatchewan, incluant les Ukrainiens ne voyaient pas d'un très bon œil cette manière de faire, on conviendra qu'il y avait de la jalousie. Qui plus est, ces Doukhobors avaient une façon très particulière de faire. Dans un village lorsque la populations dépassaient un certain nombres familles, ils essaimaient comme une ruche d'abeilles. Ce qui leur permettaient de fonder de nouveaux villages, d'acheter encore plus de terre qu'ils mettaient toujours en commun. En fin de compte, il se créaient un pays dans le pays. On dit souvent au Québec, où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie, autrement dit le diable se cache dans les détails. Effectivement le diable est allé aux vaches, les autorités les ont forcés à diviser leurs terres pour en faire des propriétés privées, cela a été leur fin. Ils se sont disputés entre eux.
Je n'ai pas terminé encore...
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Lord de ma visite à Veregin, c'était à la fin d'août. Les visiteurs dans le nord-est de la Saskatchewan se font rares, il y a toujours les hobos comme moi, les routards. Finalement, j'ai engagé la conversation avec la préposée qui s'occupait du musée cette journée-là. Une grand femme, bien en chair, aux cheveux gris, aux yeux magnifiquement bleus, peut-être la cinquantaine qui ne demandait qu'à fuir son ennuie. J'ai amorcé cette discussion en lui demandant si elle avait des ancêtres Doukhobors. Elle m'a répondu qu'elle était d'origine Ukrainienne, mais qu'effectivement elle descendait de loin de Doukhobors. Ils en restent encore mais ils se sont fondus parmi les autres fermiers, ils sont devenus des fermiers anglophones. Elle m'a avoué qu'elle suivait des cours d'Ukrainien. L'ouest canadien c'est une mosaïque de peuples provenant de partout au travers le monde, qui sont venus chercher la paix dans les plaines. La Saskatchewan fait 600,000 kilomètres carré et compte à peine un millions d'habitants et si vous parcourez cette province vous y rencontrerez maintes ethnies, des chinois qui sont venus construire le chemin de fer transcanadien, des Russes qui fuyaient soit les Tsars ou encore les communistes, des Allemands prisonniers de guerre qui ne sont jamais retourné en Allemagne, des Polonais que j'ai rencontré à Colman une ancienne mine de charbon sur la frontière entre l'Alberta et la Colombie-Britannique. Je sais que pour vous autres Européens c'est difficile à concevoir tous ces espaces, je me souviens comment j'ai été étonné lorsque je suis arrivé à Amsterdam à mon premier voyage en Europe. Le Damrak le vendredi soir, ce n'est pas la rue Wellington à Sherbrooke. J'avais plaisir, lorsque l'envie m'en prenait, de descendre de mon auto, de grimper une colline, et de contempler les plaines autours de moi. J'aime voir loin cela apaise le brouillant personnage que je suis. Ici, le mot liberté n'est pas un mot commun, et vous savez quoi, de l'espace j'en boufferais encore et c'est justement le meilleur jardin pour chérir sa liberté. Au cours de ce voyage qui a duré trois mois, j'airai parcouru 25,000 kilomètres, dans cette liberté à fond la caisse que j'aime tant. J'ai fais des rencontres fabuleuses. Je suis passé là où les touristes ne passent pas. Les gens en général ne s'arrêtent pas dans les plaines, ils disent qu'il n'y a rien à voir. Pourtant c'est plein d'histoires, d'aventures de toutes sortes, et les gens qui habitent ces endroits ne demandent qu'à parler, ils ont une histoire, c'est à nous de les écouter. J'imagine facilement en terminant, que cette histoire de femmes attelés à une charrue, qu'on faisait sans doute la même choses en Russie à la même époque. Ça me laisse étrangement rêveurs.
Merci de me lire, pour une fois c'était moi qui tenait le crachoir.
Richard St-Laurent

Richard a dit…


A tout hasard je vous renvois la première page
Je ne suis pas sûr qu'elle soit passé ?
Pour une fois je vais parler de l'un de mes voyages, surtout surtout celui dans l'ouest canadien en l'été 2009 ce qui me fait d'autant plus plaisir qu'habituellement c'est vous qui nous parlez de l'Europe Central, de la Galicie, de l'Ukraine et je vous en suis reconnaissant parce que j'apprends beaucoup de choses. Naturellement, j'avais un parcours atypique, j'évitais les grandes villes, pour me consacrer aux petits villages, des fois des petites bourgades au milieu de nulle part, ce que j'adore. J'avais retenu le nom de Veregin sur une carte et je l'avais encerclé en rouge parce que je connaissais cette secte catholique qui se sont établis au environ de 1900 à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Yorkton en Saskatchewan. C'est tout près de la frontière du Manitoba. Comment, j'étais arrivé là et pourquoi je connaissais cette histoire ? J'évoquerai encore l'éducation, chez-nous on racontait, et mon père et mon grand-père m'avait raconté leur histoire. Veregin a été transformé en village historique, il ne reste pas grand chose, la maison du prieur, quelques petites maisons et surtout un musée avec des magnifique photos. Il faut se souvenir que cette secte et je la résume grossièrement, c'est du communisme sans athéisme, qui prend racine en Russie au environ du 18ième siècle. Ils ont été ostracisé en Russie, parce que c'était des pacifiques et qu'ils refusaient de servir dans l'armée du Tsar. Ils les ont transféré en Sibérie, puis pendant des décennies ils ont erré dans ce vaste pays. Finalement n'y tenant plus à cause qu'ils étaient persécutés, ils sont venus au Canada et ils ont donné le nom de Veregin à leur village, qui était le nom de l'un de leur prieur. Je m'y suis rendu non seulement pour visiter, mais aussi pour m'imprégner de cette histoire. Il faut visiter cette maison du prieur, c'est exactement les vastes maisons bois qu'on retrouve en Russie, avec ses larges portes, ses fenêtre immenses, sa véranda au premier étage, haute de plafond. Il y avait un banc peint en gris dans le couloir débouchant sur l'arrière cour. Je me suis assis sur ce banc pendant une heure et j'imaginais ces gens, ces humains, défilant devant moi, venant voir le prieur. Je vous assure Carmilla vous ne seriez pas dépaysé. Mais, je n'étais pas au bout de mes surprises. Lorsque je suis sorti dans l'arrière cour, je me suis retrouvé devant une statue en bronze et pas n'importe laquelle : Tolstoï. J'en ai été soufflé, oui, le grand écrivain Russe, l'auteur de Guerre et Paix, qui vers 1900 était encore vivant. J'ai appris qu'il avait financé les frais de voyage au Canada des Doukhobors et l'achat de terre, en donnant une partie de ses droits auteurs.
Voyager pour moi, c'est cela !
N'est-ce pas une belle histoire.
Richard St-Laurent

KOGAN a dit…

Merci Carmilla

Oui vous n'avez peut-être pas tort, ce sont les médias qui amplifient la chose de la violence en parlant du malheur des autres , des atrocités et catastrophes dans le monde... cela nous conforte dans notre bonheur... quand nous ne sommes n'est pas concernés.


Bien à vous
Jeff.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard pour ces messages pertinents et intéressants,

S'agissant d'une armée européenne, je partage largement votre avis. Pour quoi faire et pour se défendre de qui ?

Je ne comprends vraiment pas. On augmente maintenant sans cesse les budgets militaires alors que n'existe aucune menace sérieuse. La Russie n'envisage pas la conquête de Paris ni les Etats-Unis celle de Moscou. Les conflits européens actuels pourraient être réglés par simple voie diplomatique.

J'ai l'impression qu'on dramatise excessivement les choses et que l'on aime à se faire peur. Mais cela aboutit à une surenchère dangereuse. Dire que la situation ressemble à celle des années 30, ça risque d'être la prophétie auto-réalisatrice.

Il est vrai toutefois que le renforcement des forces armées a aussi pour objectif d'intervenir à l'extérieur et de peser sur l'ordre du monde. Mais les résultats catastrophiques de ces deux dernières décennies au Moyen-Orient devraient donner à réfléchir. On ne convertit jamais de force un pays à la "démocratie".

Merci pour votre "reportage" très intéressant sur Veregin et les Doukhobors. Je vais en faire écho en Russie. Je crois que c'est très peu connu parce que ça a été, évidemment, complétement censuré durant la période soviétique.

Curieusement, les Russes ont été beaucoup plus présents qu'on ne l'imagine en Amérique du Nord. Il ne s'agit pas seulement de l'Alaska vendu, pour rien, en 1867. La Californie elle-même a failli devenir russe au début du 19 ème siècle. C'est l'histoire de Nikolaï REZANOV qui a commencé, avec l'appui des tsars, à bâtir un empire russe du Pacifique. Il s'est installé pendant quelque temps à San Francisco. Que seraient aujourd'hui Los-Angeles, la Silicon Valley, si ça avait réussi ?

Bien à vous,

Carmilla