samedi 3 novembre 2018

La civilisation du mépris des corps

Hier, c'était le jour des morts.

Mais on n'y prête guère attention en Europe de l'Ouest. Et d'ailleurs, on confond généralement le jour des morts (le 2 novembre) avec la Toussaint (le 1er novembre).

Les morts, on veut les oublier et les effacer bien vite, les réduire à  de simples images, des albums souvenir.


Dire que la société de consommation se construit sur le déni de la mort, c'est une banalité.

 
En fait, ça va bien au-delà: le déni de la mort, le rêve d'immortalité, est aussi un mépris des corps. Les corps, on n'y attache plus guère d'importance, on peut les manipuler, les triturer, voire les faire disparaître. On dit qu'ils ne fonderaient plus notre identité personnelle et sexuelle.

Déjà, les cimetières sont appelés à disparaître. Presque tout le monde se fait maintenant incinérer. Il est facile d'invoquer des problèmes de place disponible ou d'hygiène. Il n'y a que les Juifs et les Musulmans qui refusent encore cette pratique.


Et puis on exhibe de moins en moins son corps, on cherche à le dissimuler. Pour une femme, il y a longtemps que l'ère des jupes, des high-heels, du maquillage, est révolue. On préfère les vêtements informes, passe-partout, on cherche à être des petites souris grises. Ne pas se faire remarquer, c'est la préoccupation première même si on la justifie par un souci de tranquillité. Le puritanisme n'a pas seulement envahi nos cœurs, il a aussi envahi nos apparences.


D'ailleurs, on n'aime pas nos corps. On les juge imparfaits, mal fichus, plein de défauts, presque obscènes.

D'où le recours croissant à la chirurgie esthétique.

D'où l'intérêt accru, aussi, pour les "pensées" spiritualistes: le bouddhisme, le yoga, le développement personnel, la psychologie positive mais aussi les Cathares, la Gnose et les Bogomiles.
 

On voudrait maîtriser intégralement son corps, se libérer de sa cage, on voudrait devenir de purs esprits.

C'est d'ailleurs l'avenir qui nous est promis avec le transhumanisme. Il suffira bientôt de télécharger les processus de sa conscience pour accéder à une immortalité débarrassée des  aléas du corps.

Le transhumanisme, ce sera un monde sans sexe.


Mais on a, à vrai dire, déjà atteint ce stade avec la théorie du genre, importée des Etats-Unis avec Judith Butler et ses nombreux comparses, en passe de devenir l'idéologie officielle. Il faudrait surtout bien comprendre que notre identité personnelle et sexuelle n'a rien à voir avec notre sexe anatomique. Et d'ailleurs, parler encore aujourd'hui de transsexuels plutôt que de transgenres est non seulement ringard mais profondément réactionnaire. Il n'y aurait, en effet, pas seulement deux sexes, le masculin et le féminin, mais une éventuelle multiplicité. L'homme, la femme, ce ne sont que des constructions sociales, des effets de discours. Il y aurait plutôt une fluidité dans le genre qui permet de passer, avec aisance, d'un sexe à l'autre. C'est le genre qui fonde le sexe et non l'inverse. C'est la conviction personnelle, l'esprit, qui l'emporte sur le corps.

















Ces élucubrations me laissent un peu sceptique. Que le modèle hétérosexuel soit obsolète, je veux bien le reconnaître. Mais est-ce que ça peut faire rêver l'autre modèle proposé par le mouvement LGBT, celui du transgenre ? L'abolition de la dualité homme-femme, ça m'apparaît sinistre: se construire uniquement par rapport à soi-même, dans la seule réalisation de ses fantasmes, ça ne débouche que sur l'exaltation narcissique et ça a vite fait de sombrer dans un kitsch à la Conchita Wurst. C'est peut-être même totalitaire parce que refuser l'altérité, c'est aussi refuser la rencontre, l'incertitude, tout ce qui peut vous bouleverser, déstabiliser, remettre en cause; bref, c'est refuser l'amour.


Délivrez-nous de nos corps et de nos sexes, c'est cela le rêve des écoles transhumanistes et transgenres.

Et c'est en bonne voie puis qu'avec la P.M.A. (procréation médicalement assistée), la reproduction est désormais dissociée de la sexualité. Bientôt, on pourra totalement s'en passer et se dupliquer tous selon notre bon vouloir.


Les corps disparaissent donc, ils s'effacent de nos consciences.

Mais on assiste peut-être à une petite rébellion. J'en veux pour preuve l'extraordinaire mode du tatouage qui commence à toucher toutes les classes et tous les âges. On a rarement noté que c'était concomitant avec l'effondrement des religions promettant la résurrection des corps. Est-ce que le tatouage n'a alors pas pour fonction de sortir le corps de son insignifiance, de lui redonner sens, de lui permettre de recouvrer son statut de corps glorieux ?


Images de Franciszek STAROWIEYSKI (1930-2009), célèbre affichiste polonais.

Comme je recense, dans ce post, beaucoup de mes préoccupations vampiriques, j'ai placé, en exergue, une image iconique de moi-même, confondante je vous l'assure.

17 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Dame Carmilla !
Né pour évoluer ; né pour mourir.
Je puis comprendre vos interrogations et vos cheminements aux travers de vos propos, votre texte porte à la réflexion. L'animal humain a peur des esprits, de l'inflation, de la ruine, du feu, et de la mort ; en fait c'est un être peureux, qui a même peur de lui-même et c'est peu dire. Il serait même prêt à se renier comme entité. Moi aussi, je vois les mêmes choses que vous, (il m'arrive d'aller en ville quand même), pour apercevoir une jolie femme tatouée, bardée de ferraille, les cheveux tient en bleu ou en vert, je reconnais que pour un homme néandertalien comme moi, c'est déroutant. Qu'est-ce que tout cela signifie ? Il doit bien avoir une signification à tout cela ? Qu'est-ce qui pousse ces femmes à se faire percer, tatouer, charcuter comme un vulgaire morceau de viande ? C'est quoi les fondements de cette mode, je ne puis par le voir autrement. Dans ma logique de paysan, d'homme de la terre, un corps c'est comme une plante, comme tous les autres animaux, ça se respecte et s'entretient. Je vais replonger dans mes souvenirs : Je me souviens lorsque j'avais un troupeau de vaches, il m'arrivait d'assister les vaches qui vêlaient. J'aimais ces moments qui étaient loin d'être faciles, mais lorsque je réussissais à sortir le veau vivant et de sauver la mère, je regardais le veau et je lui disais : Oui tu es né, né pour mourir. Je faisais lever la vache afin qu'elle ne fasse pas un virement de matrice ou un prolapsus vaginal, tout en surveillant le veau qui déjà voulait téter. Des fois, il faut aider la nature, c'était mon rôle. Nous sommes tous nés pour mourir, cela fait partie de l'évolution, c'est ainsi, nous donnons la vie, parfois la mort, il m'arrivait que je devais abréger les souffrances d'une vache, alors j'abattais. C'était une perte sèche. Ce que je vois présentement chez les humains : Est-ce un refus de l'évolution ? Ce désir de nous perpétuer est-il en train de nous tuer ? Suicide collectif assuré ? La mort permet cette évolution, le changement, le « rebrassage » des cartes, et nous pensons que nous sommes des supers humains en voulant à tout prix comme à n'importe quel prix vivre éternellement. Mais si nous nous reproduisons en copie conforme, cela va donner les mêmes résultats, il n'y aura plus d'évolution, c'est le danger qui nous guette. Et on ne semble ne pas comprendre. J'ai fait souvent allusion à Harari dans mes propos. J'ai lu et relu Homos deus. Je me suis demandé pourquoi cet ouvrage avait connu des ventes phénoménales ? C'est parce que c'est une histoire d'horreur appréhendée. Nous nous engageons dans les prémisses d'une aventure qui pourrait être irréversible ; frissons garantis. Harari nous met en garde que les choses peuvent se passer autrement, que ce n'est qu'une projection, une prévision, mais qui au fil des pages cela donne froid dans le dos. Je suis loin d'avoir terminé je commence juste à me réchauffer.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Nous naissons par hasard avec le corps que nous avons et nous devons faire avec, nous débrouiller ; mais nous savons que nous allons mourir. Pourquoi on voudrait être éternel ? Pour tout contrôler ? Pour posséder tous les pouvoirs ? J'avoue que cette année 2018 est riche autant en découvertes qu'en émotions. En mai dernier, j'ai fait la découverte d'une type très impressionnant dans le Philosophie Magazine. Il se nomme Nassim Nicholas Taleb c'est un ancien trader de Wall Street, qui est devenu parce qu'il s'interrogeait sur tout ce qu'il voyait un érudit qui me rappelle Umberto Eco, spécialiste des mathématiques des probabilités, professeur, amateur de langues anciennes, capable de lire le grec ancien comme le latin, un personnage énigmatique, confondant, contestataire qui est devenu un écrivain. Il ne m'en fallait pas plus pour me jeter dans son œuvre. Il appert que j'ai une mauvaise habitude lorsque je découvre un auteur passionnant et je ne puis faire autrement que de parcourir son œuvre. Je viens de terminer la lecture de Jouer sa peau son dernier essais sur le risque pas juste financier, mais le risque total. Je suis en train de relire Antifragile, mais il est surtout connu pour : Le Signe Noir. Nous sommes constitués pour prendre des risques, pour innover, condamné à l'évolution, trouver des solutions, imaginer, commettre des erreurs, agir sans comprendre. Alors que d'autres tentent de nous faire croire que nous devrions tout contrôler, qu'il ne devrait plus avoir de hasard. Taleb fait référence à la volatilité, il prend l'exemple de la nature qui bricole lentement, qui évolue, qui supprime. Il écrit que nous sommes plus fait pour faire que pour comprendre. Nous ne comprenons pas toujours ce que nous faisons. Que nous avons plus de mal à maîtriser l'abondance que la pénurie, ce qui revient à dire que nous sommes plus fait pour la famine que pour l'abondance. Taleb est contesté autant par ses pairs que pas ses anciens camarades traders. Qui plus est il fait souvent référence aux anciens, comme Sénèque, Marc-Aurele, Montaigne etc. En fait nous ne pouvons pas arrêter ni la marche du temps encore moins de l'évolution, nous n'arriverons jamais à destination, nous ne pourrons jamais dire : nous sommes arrivés. Les hommes ont cette prétention, ils pensent qu'ils sont arrivés, qu'ici on va se reposer, qu'on va pouvoir prendre du bon temps, erreur, ce n'est pas ainsi que ça marche. Nous pouvons craindre le futur, mais si on regarde bien, ceci pourrait être révélateur voir très stimulant. Oublions les purs esprits, lorsque je descend en ville, je ne rencontre jamais des purs esprits, je croise des corps habités par des esprits. Il va falloir encore pendant un bout de temps, vivre avec nos carcasses que ça nous plaise ou pas. Et puis comme vous l'écrivez, s'il n'y a plus de sexe on va faire quoi ? Nous allons nous vautrer dans la dépression ? Absorber des pilules de joie ou de bonheur afin de fuir ce que nous serons incapables de fuir, prisonnier de l'immortalité, parce que nous savons très bien que les paradis artificiels ne sont pas une solution.
La pluie vient de se transformer en neige, cela me rappelle samedi dernier.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

J'ai bien aimé cette phrase :
C'est peut-être même totalitaire parce que refuser l'altérité, c'est aussi refuser la rencontre, l'incertitude, tout ce qui peut vous bouleverser, déstabiliser, remettre en cause; bref, c'est refuser l'amour.
Refuser son corps c'est refuser l'amour comment aimer si on ne s'aime pas soi-même ?
Ne dit-on pas et j'aime l'expression : Tomber en amour. Ce qui implique une part de hasard, alors si on refuse l'altérité, on refuse le hasard, on refuse que la pluie tombe, on refuse la foudre qui peut nous transpercer, on refuse la vie. Le paradoxe comment vivre éternellement si on refuse la vie ?

Une certaine folie m'habite, celle de voir de la beauté partout, dans cette neige qui tombe, dans ces mélèzes parés d'or, nous sommes juste dans les temps. La voilà la plénitude comme jeudi dernier alors que j'ai croisé un orignal dans un petit village qui porte le nom de Notre Dames des Mères, situé entre Windsor et Sherbrooke. C'était une grande femelle qui marchait le long de la route et qui semblait très dépaysée par toutes ces habitations qui l'entouraient. L'orignal c'est commun au Québec, sauf dans notre région de l'Estrie, ici c'est très rare. Ce fut un moment très agréable, une heureuse rencontre.

C'est étrange votre première photo, on dirait Juliette Binoche. Je l'aime bien c'est l'une de mes actrices favorites. Je n'oublierai jamais son rôle dans : Le Patient Anglais.

Et puis il y a cette autre photos de ce photographe russe la semaine dernière.
Il faut que j'essaie ce truc, faire flamber un bonhomme de neige à l'aide de papier journal. J'ai bien aimé cette composition, mais il va falloir attendre que la neige soit épaisse et mouillée. Vous aller finir par me donner toutes sortes d'idées.

Content de vous lire
Bonne nuit et dormez bien

Richard St-Laurent

KOGAN a dit…

Bonsoir Carmilla

Voici pour ma part, et sans flagornerie, un des meilleurs spots que ayez publié.

Il est très difficile pour moi de le boursoufler d'évidences sur la façon de vivre décrite et de ne pas vouloir apprécier cette "finitude" pour la plupart de notre espèce, tant il est criant de vérité du début à la fin.

Dans notre société on est déjà mort entre 40 et 50 ans (professionnellement), ce qui fait le bonheur des laboratoires distributeurs d'antidépresseurs et coachs en tous genres après charrettes.

Par chance, par refus, et surtout par conviction, je n'ai pratiquement jamais pris de médicament de ma vie.

Concernant l'aspect des corps, de ses accoutrements vestimentaires et dessins en tous genres sur peau , c'est en effet une véritable catastrophe universelle...une vraie exposition de "vie de merde".

Quant au grand saut vers l'orient éternel inévitable auquel on pense quand on a attrapé la soixantaine bien frappée, je ne me gratte plus la tête...j'ai déjà réalisé...sans attendre.

Bien à vous.
Jeff




Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard pour vos commentaires,

Effectivement, la négation de la mort qui caractérise nos sociétés est un refus d'assumer son propre destin, la condition tragique de l'humanité.

Mais à refuser cette réalité, à inventer des subterfuges ou échappatoires, on oublie non seulement ce qui fait la spécificité humaine mais on risque fort de sombrer dans une indifférence absolue, où tout se vaut, est équivalent, interchangeable et qui signerait finalement ce que l'on appelle pompeusement la mort de l'homme.

Comme vous, j'ai lu, cet été, Nicholas Nassim Taleb ("Risquer sa peau", "Le cygne noir"). Je n'ai cependant pas été entièrement convaincue. J'ai été gênée par son "esbroufe" et son arrogance terribles. Il n'arrête pas de répéter qu'il est grand mathématicien, grand financier, grand cosmopolite, grand anthropologue et que tous les autres se trompent sauf lui. Il y a effectivement quelques idées percutantes et séduisantes mais elles sont peu nombreuses et continuellement ressassées. Cela étant, je n'ai pas arrêté mon jugement le concernant et je vais essayer d'approfondir.

Un orignal ? Je crois bien que je n'en ai jamais vu même pas au zoo, juste en photo.

Enfin, je ne pense pas ressembler à Juliette Binoche. Je suis plus grande et plus mince.

Quant aux bonshommes de neige, il y a longtemps que je n'ai pas eu la possibilité d'en faire.

Bien à vous

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff pour votre appréciation "sans flagornerie". C'est quand même agréable.

J'ai à vrai dire, en ce moment, quelques petites idées et projets de posts qui, je l'espère, pourront, dans les semaines qui viennent, intéresser ou déconcerter. Le mieux est donc, peut-être, à venir.

Je souscris, sinon, à vos remarques mais je ne partage pas votre appréciation sur la "vie de merde".

Quelles que soient les critiques que l'on puisse formuler, je suis néanmoins convaincue que l'humanité n'a jamais été aussi heureuse qu'aujourd'hui. Vous reconnaîtrez probablement, puisque vous l'avez connue, que la France des années 60, 70, souvent citée en modèle, ça n'était pas si bien que ça.

Bien à vous,

Carmilla

KOGAN a dit…

Merci à vous également,

"Intéresser ou déconcerter"...plus rien ne me choque!!! Chère Carmilla

Il faudra y "mettre le paquet" pour me faire tomber de mon siège :-) mais vous avez la plume bien trempée...

Les années soixante soixante dix c'était une autre époque, en effet, mais je ne pouvais pas faire autrement que d'y être...mais avec beaucoup moins de couillons qu'aujourd'hui...enfin une autre espèce.

Le passé n'est pas un rêve...et nous sommes bien partis pour passer au cauchemar :-)

Bien à vous.
Jeff

Richard a dit…

Bonsoir Dame Carmilla !
Je n'en n'attendais pas moins de vous sur cet ouvrage de Taleb. J'ai senti un doute et une hésitation de votre part dans votre réponse. Je vous l'accorde le bonhomme n'est pas reposant et il dépeigne rudement Piketty. Il faut se rappeler que ce n'est pas un financier mais un trader, un homme de terrain. Son idée de responsabiliser ceux qui prennent des risques avec les l'argent des autres, pourrait peut-être donner des idées à certains gouvernements, ce que j'en conviens, ne serait pas apprécié par certaines instances financières. Les affaires sont les affaires et la politique est la politique et les pas de deux ne sont pas toujours volontaires entre ces partenaires. Pour l'heure l'argent est un bien public qui sert à des transactions privées. Je me souviens du cas de Jérôme Kerviel, qui a fini par tourner en eau de boudin. Kerviel coupable ou innocent ; responsable ou victime ? Je dirais qu'il y a un doute raisonnable. D'autre part je suis sûr qu'on a déjà camouflé plusieurs histoires semblables qui ne sont jamais sorties publiquement.
En 2008 lorsque la crise a éclaté et que certaines banques étaient sur le bord de la faillite, qu'est-ce qu'on a vu apparaître sur les perrons des gouvernements ? Justement ceux qui avaient cassés leur jouet. Devait-on sauver certaines institutions financières ? Ça reste à débattre. Taleb écrit qu'on aurait dû les laisser couler.
Ayant été nourrit de récits sur la crise de 1929, que mes grands-parents et mes parents ont vécu, j'ai toujours un gros doute sur la finance en général et sur les financiers en particulier. Tout cela me semble très fragile. Moi aussi, j'ai mes doutes et je suis content lorsqu'un type se lève ou une femme peu importe et qu'il affirme qu'il n'est pas d'accord haut et fort. Reconnaissons que ça requière un certain courage.
En simultané comme vous l'écrivez, je suis en train de lire en même temps qu'Antifragile un ouvrage intitulé : Le salaire de la peur d'Adam Tooze. Comment un peuple pauvre comme les allemands en 1936 a réussi à réarmer et à livrer une guerre de plus de cinq années. C'est intéressant, parce que celui qui fait la guerre, il faut qu'il la paie, que dire, la finance. C'est rempli de statistiques et j'ai été étonné par cette donnée que 62 % des contribuables allemands gagnaient moins de 1,500 Reichsmarks annuellement (1936). Ce qui représente 30 Reichsmarks par semaine, comme tenu du coup de la vie à l’époque que j'ai trouvé très cher. Exemple un kilo de bacon 2 Reichsmarks 14 pfennigs, une douzaine d’œufs 1.44 Reichsmarks, un litre de bière 88 pfennigs, un litre de lait 23 pfennigs, une motte de beurre 250 grammes une heure de travail environ 55 pfennigs. Pas facile la vie des allemands entre les deux guerres.
En toute économie, bonne fin de nuit
Richard St-Laurent

Anonyme a dit…

Vos doigts sentent-ils la rose ?

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard pour ces réflexions,

Qui ne saurait souscrire à cette idée que la gestion des affaires et du monde devrait plutôt être confiée à des gens capables de risquer leur peau ?

Ce qui me gêne néanmoins dans cette idée c'est qu'elle comporte implicitement une condamnation des "experts", des élites, voire des intellectuels. Le danger d'une telle orientation, c'est qu'elle pet aboutir à... Donald Trump et au populisme.

Personnellement, je préfère les élites aux "malins". Le système politique et social français repose largement sur la sélection par les concours et les grandes écoles. C'est très critiqué actuellement (on n'arrête pas de dire que l'école ne fait que reproduire les inégalités, ce qui m'apparaît largement faux) mais je crois vraiment, à contrecourant de l'opinion commune, qu'il faut défendre cela. La méritocratie républicaine, c'est un acquis très fort de la Révolution française.

Sur la crise financière, il est de bon ton d'incriminer les établissements bancaires. La finance devenue folle, elle a pourtant été rendue possible par l'irresponsabilité des gouvernements qui ont creusé des déficits abyssaux et inondé les marchés de titres douteux. On peut également rappeler que la crise de 2008 est issue d'une décision du gouvernement Clinton de faciliter au maximum l'accès à la propriété des classes défavorisées en garantissant les prêts hypothécaires, par le biais de deux organismes semi-étatiques Fannie Mae et Freddy Mac. Les Etats irresponsables (ils sont aujourd'hui innombrables), il faut aussi en parler.

S'agissant de Kerviel, je peine à croire, en effet, que la direction de la Société Générale n'était pas au courant. Je ne comprends pas non plus leur décision d'avoir brutalement dénoué toutes les positions, ce qui a généré des pertes énormes. Il était tout à fait possible de limiter la casse, personne n'a appelé l'attention là-dessus.

Enfin, en ce qui concerne l'économie nazi, j'ai eu l'occasion de travailler dessus au cours de mes études. Contrairement à ce que l'on affirme souvent, la situation était totalement artificielle (une fuite en avant continuelle financée par le déficit) et le système était sur le point de s'écrouler en 1939. Hitler n'a pas du tout redressé l'économie.

Bien à vous

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

"Mes doigts sentent-ils la rose ?".

C'est toute l'ambiguïté/dualité des fleurs.

Une figure idéale, celle des pétales (éphémères), reliée par des racines obscènes à la pourriture de la terre. Il me semble que Georges Bataille a écrit un truc là-dessus.

Les doigts de rose trempent donc dans la mort.

Bien à vous

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla !
C'est toujours intéressant d'échanger avec vous.
Je viens de quitter ma lecture de la soirée d'Adam Tooze : Le Salaire de la destruction, pour venir vous lire, et cette lecture vient confirmer ce que vous dites. J'en suis rendu en 1941 après l'échec de l'Armée Allemande devant Moscou. Je n'en reviens pas que les nazis se soient livrés à de telles acrobaties financières. C'est véritablement une fuite en avant qui va conduire à la destruction et la ruine de l'Allemagne.
Cette semaine nous venons de vivre un autre épisode de ce que j'appellerais : la saga Trump. Le peuple américain ne l'a pas sanctionné. C'est une autre fuite en avant parce que c'est financée par un déficit qui se creuse continuellement. Comment ne pas faire un parallèle avec l'Allemagne de 1941 ? Qui va siffler la fin de la récréation ?
Certes, il ne faut pas seulement blâmer les banques, mais aussi les gouvernements et les gouvernements c'est nous tous, ça nous l'oublions souvent parce que nous sommes tous impliqués. Les gouvernement veulent que l'économie fonctionne pour que les gens puissent travailler et payer des impôts et des taxes alors ils surveillent l'économie et les financiers surveillent les gouvernements. Nous sommes tous attachés à la même enclume sur le bord du précipice. Le premier qui va tomber va entraîner tous les autres.
Je ne comprends pas qu'il n'y ait pas eu de débat en France sur le système éducatif à la dernière présidentielle, débat que nous aussi nous n'avons pas fait lors de la dernière élection provinciale, parce que l'éducation au Canada est du ressort des provinces.
À voir la France aller, je me demande où elle est votre élite ? 10 % de chômage c'est beaucoup trop pour votre pays. Macron ne pourra pas faire tout, tout seul. Où en sont les grandes réformes promises ? Est-ce que mon impression est bonne, on dirait que ça tourne à vide ? Il ne faut pas seulement une élite, mais aussi des leaders et dans le monde d'aujourd'hui ça manque, pas seulement pour la France mais aussi pour beaucoup d'autre pays.
Ici au Québec comme au Canada, ça tourne à plein, 5,7 % de chômage au Québec, c'est du jamais vu, lorsque je discute avec mon entourage, je leur dis prenez garde ça ne durera pas. Je ne veux pas être alarmiste, mais quand même il faut être lucide. Nous devrions tous réfléchir à ce qui vient. C'est notre part de responsabilité en tant que citoyen.
C'est terminé pour les mélèzes ils viennent de perdent leur splendeur.
Je retourne à ma lecture, bonne fin de nuit s'il en reste.
Richard St-Laurent

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla

Un des meilleurs spots vous dis-je!

et qui suscite en effet de profondes réflexions , la plus réaliste étant celle où nous sommes "TOUS attachés à la même enclume au bord du précipice"...

Il suffit entre autre qu'une seule grande banque européenne , en l'occurrence italienne? soit le marteau qui aille avec l'enclume...

Les hommes naissent tous innocents, puis ils deviennent TOUS coupables.

Bien à vous
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard pour l'attention que vous portez à mes réponses,

En complément du livre d'Adam Tooze, je vous conseille également le livre de Götz ALY: "Comment Hitler a acheté les Allemands". C'est en poche, chez Flammarion.

Vous avez par ailleurs bien raison de vous demander où sont passées les élites françaises au vu de la croissance médiocre et du chômage élevé du pays.

Les principales origines des difficultés de la France sont pourtant bien simples: un emploi salarié dont la durée de travail est faible (35 heures hebdomadaires), un âge précoce de départ à la retraite, un salaire minimum réglementé. Le poids gigantesque des déficits publics conduit, en outre, à détourner l'épargne des investissements productifs, ce qui fait que les entreprises sont sous-capitalisées (on parle d'un capitalisme sans capital).

Tout cela est bien connu mais aucun gouvernement n'a le courage de s'attaquer aux problèmes et aux avantages acquis. Je crains malheureusement que la France ne choisisse la voie du déclin continu.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Je ne suis quand même pas aussi catastrophiste que vous: des crises oui, un effondrement, non !

Mais vous avez raison de préciser que nous sommes tous coupables et tous responsables. On s'accommode très bien de l'euphorie qui précède les désastres.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla !
Merci aussi pour vos réponses et vos réflexions que je lis toujours avec avidité et attention parce que vous assumez votre nature profonde et que vous avez un sens commun qui me plaît, ce qui enrichit le débat. Vous l'avez constaté, j'aime discuter mais avec des gens avides de connaître, de penser, d'échanger et surtout pas dans la banalité. Les médias m'apparaissent souvent bien fades évitant de creuser un sujet en demeurant superficiels. Cette manière de faire m’horripile. Élevons nos esprits par la connaissance, la curiosité, le questionnement. Donnons du beau et de la substance autour de nous et les gens en redemanderont et peut-être que ce monde sera meilleur.
Il appert que la France possède un système social très sécurisé. Il y aurait moyen de réaménager.
Ici les travailleurs de la fonction publique travaillent 35 heures semaine. Ce que je trouve juste et bien surtout pour les infirmières et le personnel hospitalier.
Dans l'industrie cela va de 35 à 40 heures. Je suis bien content pour ces gens, parce moi j'ai travaillé souvent sept jour sur sept, 70 heures semaines dans des conditions déplorables.
Le travail est une valeur, mais ce n'est pas la seule valeur, qu'on se le dise.
Nous pouvons nous réaliser de bien des façons dans la vie et le travail n'est pas tout.
Tant qu'à l'âge de la retraite, (ce que je déteste le mot retraite, bon pour les communautés religieuses et les armées en déroutes), on devrait donner le choix aux gens avec pleine compensation, et avec l'outil de l'impôt égaliser le tout en fin d'année. Je sais que votre système est très centralisé ce qui est contraignant. Le moindre que je puis dire, c'est que vous n'êtes pas très flexible.
Je ne voudrais pas travailler comme les allemands ou encore les américains, pire les chinois ou les japonais.
Je ne pense pas que se soit seulement la France qui soit sur le déclin, on dirait que c'est toute la communauté européenne qui est ainsi. Il y a des pays qui sont assis et qui attendent béatement les subventions.
Sur ces quelques réflexions éparses et très sommaires, j'espère que nous croiseront à nouveau le fer. Dire que le sujet de votre texte c'était : La civilisation du mépris du corps . Cela nous a mené loin, mais ce fut très plaisant.
Merci et à la prochaine
Richard St-Laurent
Avec son enclume

Richard a dit…

J'oubliais:

Merci pour votre suggestion de lecture.

Richard