samedi 6 avril 2019

Permis/Interdit - Les addictions


Les addictions, la dépendance, quand on évoque ça, on pense d'abord et surtout à la drogue, la toxicomanie: 1,2 million de Français fumeraient au moins 10 joints de cannabis par mois (record européen); l'héroïne intéresserait 500 000 expérimentateurs tandis que la cocaïne serait consommée par 400 000 personnes.

On parle moins de l'alcoolisme (5 millions de personnes auraient, en France, un problème avec l'alcool), du tabagisme (16 millions de fumeurs), des consommateurs de psychotropes (plus d'un quart des Français consommeraient des anxiolytiques, somnifères et antidépresseurs) et puis aussi de tous les autres "addictés" : au jeu, à la nourriture (anorexiques et boulimiques), au sport, aux achats... Une véritable liste à la Prévert dans la quelle chacun reconnaîtra au moins l'une de ses petites manies.


Moi-même, j'ai essayé à peu près tout (sauf la boulimie et le tabac). A l'époque où j'espérais devenir une championne de la course à pied, je m'entrainais à raison de plus de 100 kms par semaine. J'avais une fascination pour la minceur et le corps immatériel de l'anorexique. J'aimais bien aussi la bière et certains médicaments qui vous plongeaient dans une béatitude doucereuse. Et puis, je sais que travailler dans la finance me permet d'assouvir mon goût pour le jeu: ça me permet de me sentir continuellement confrontée à la possibilité de la catastrophe, de ma déchéance possible. Heureusement la drogue ne m'a pas semblé plus intéressante et plus stimulante que l'alcool ou les médocs.

Mais ça, c'était avec l'adolescence et la prime jeunesse. Avec le temps, je suis étrangement devenue beaucoup plus détachée, impassible, beaucoup mieux "carapacée". Aujourd'hui, en réalité, je n'apprécie pas beaucoup les addicts: beaucoup trop enfermés dans leur cage et leur petit monde.



Le phénomène de l'addiction est  général, massif. On a tous une petite "béquille" à tel point qu'il est bien difficile, concernant les addictions, de tracer les frontières du normal et du pathologique. C'est pourquoi, la grande psychanalyste Joyce Mc Dougall a pu formuler un "Plaidoyer pour une certaine anormalité". L'objet d'addiction a aussi des qualités bénéfiques: il donne sens à ma vie, il l'illumine, il atténue les souffrances du quotidien. Il a une véritable efficacité thérapeutique et c'est pourquoi le soustraire brusquement peut se révéler délétère.


Il reste qu'il existe une "structure" commune à toutes les addictions. La preuve, c'est que l'on est généralement disposés à passer d'une addiction à l'autre voire d'en combiner plusieurs: boulimique, alcoolo, fumeur, c'est fréquent.

Ce qu'explique la psychanalyse c'est que l'addiction, elle reproduirait l'état de dépendance premier du petit enfant à l'égard de sa mère pour ses besoins alimentaires. Cette dépendance est un état de détresse mais qui offre tout de même les premières expériences de satisfaction grâce à la réponse plus ou moins instantanée qui est apportée. C'est donc une situation relativement peinarde et heureuse.

Et puis tout se complique quand il y a frustration et qu'incidemment, le besoin ne peut être satisfait. C'est un moment crucial du développement du petit homme, puisque c'est à ce moment décisif, avec cette épreuve de la séparation et de l'absence, que se constituent le désir et les fantasmes. C'est à partir de là qu'on commencerait à être envahi de rêves et d'impulsions destructrices, qu'on s'ouvrirait, tout à coup, à la polymorphie des pulsions.


Mais tes explications psychanalytiques, c'est grotesque, on n'en a rien à fiche,  ça ne nous avance pas beaucoup.

Si ! parce que ça montre bien que l'addict n'effectue qu'une régression à cet état de dépendance originel mais il ne s'agit que d'un retour au "paradis d'un simple besoin" (Freud).

Un monde uniquement constitué de besoins, tel est le rêve de l'addict. Et si possible un seul besoin qu'on pourra satisfaire de façon simple et quasi immédiate grâce à un unique objet auquel on sera toujours plus ou moins fidèle (la cigarette, le verre de vin, le joint...).


Une régression au lien originaire avec la mère, une nostalgie de la mère, c'est d'abord cela l'addiction et c'est donc aussi la difficulté à s'"arracher", à conquérir son autonomie.

Ça veut surtout dire que ce que n'aime pas du tout l'addict, c'est le désir et le corps sexuel. A l'incertitude, au danger du désir, aux aventures de son propre corps, de sa présence insistante, il préfère la répétition infinie d'actions simples, ordinaires et il organise toute sa vie en conséquence. Il préfère la béatitude de la dépendance et de l'inaction.


Il déteste la variabilité de l'objet et  il ne recherche donc surtout pas de nouveaux horizons. Voyager, multiplier les conquêtes, ça lui est étranger. Contrairement à ce que l'on affirme généralement, l'univers de l'addict est  pauvre, limité, privé de désirs et de fantasmes, enfermé dans l'impasse d'une gestion bureaucratique de sa vie: nombre quotidien de cigarettes fumées, de verres de vin, de joints, argent dépensé, kilomètres parcourus.... Rien qui relève de l'esprit d'aventure, de l'engagement, de la prodigalité dépensière de la vie.


Mais ce monde exclusivement centré sur le besoin, sans désirs, sans aventures et sans rêves, est-ce qu'il ne décrit pas précisément le monde contemporain, ce que l'on appelle la société de consommation.  Quoi qu'on en dise en effet, ce qui est proscrit  dans la société actuelle, c'est le désir, son irruption, son imprévisibilité. On n'aime même pas du tout ça. On cherche à tout prix à normaliser, à façonner des citoyens prévisibles, contrôlables, et à cette fin on pratique une véritable politique de forçage du besoin. Il faut bouffer et consommer toujours plus, comme ça on cessera de désirer. "Tous addicts", c'est le grand projet de la société bureaucratique, celle de citoyens privés de rêves mais dont les besoins sont immédiatement satisfaits.



Une "société d'addicts", tu exagères, on veut bien admettre que c'est le grand projet totalitaire contemporain mais tout de même l'addiction est sévèrement réprimée dans nos sociétés.

C'est vrai mais ça ne concerne que la toxicomanie et à cet égard, je veux bien reconnaître qu'on n'y va pas de main morte surtout en France. Mais quelle est la signification de cette répression ?




S'agissant de la toxicomanie, tout est, effectivement, interdit à peu près partout dans le monde: l’usage, la détention, l’incitation et le trafic. L'usage illicite est sanctionné plus ou moins sévèrement selon les pays ou les produits. En revanche, le trafic de stupéfiants est partout sévèrement réprimé. 
 


Même en Hollande, la drogue est illégale.Il est simplement toléré de fumer du cannabis et les coffee-shops sont uniquement autorisés à vendre des drogues douces, et pas plus de cinq grammes de cannabis par personne et par jour.

En France, le simple usage de drogues, même à titre récréatif et en privé, est interdit par la loi. Il s'agit d'un délit puni d'un an d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende. Il n'y a en outre, au regard de la Loi, pas de distinction selon la nocivité du produit: cannabis ou héroïne, c'est le même tarif.


Ça n'est pas encore trop méchant mais ça se complique sérieusement si les faits peuvent être qualifiés de trafic de stupéfiants

La plupart des actes de trafic de stupéfiants sont punissables de 10 ans de prison et de 7, 5 M euros d’amende. Quant à la cession ou l’offre illicite de stupéfiants (petits "dealers") à une personne en vue de sa consommation personnelle, elle est moins sévèrement punie: de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende.


Vous pouvez vous rassurer, vous dire que vous n'êtes en rien un trafiquant, qu'en tant que petit consommateur, vous n'êtes pas concerné.  Sauf que si vous cultivez quelques plants de marijuana dans vos pots de fleurs, si vous avez des réserves de "shit" jugées un peu trop importantes (la Loi ne définit pas le niveau) dans vos armoires, si vous partagez votre drogue avec des amis ou allez en acheter pour le groupe ("pour rendre service"), si vous franchissez, avec quelques "bâtons" ou pilules, une frontière (c'est de l'import-export) à l'occasion de vos vacances, il s'agit de situations qui peuvent être qualifiées de trafic de stupéfiants et vous risquez alors 10 ans de tôle et 7,5 M€ d'amende.

De quoi vous refroidir sérieusement, n'est-ce pas ?



Les peines prononcées apparaissent souvent disproportionnées en regard de la dangerosité des produits. Le régime actuel de prohibition est tellement lourd qu'il entretiendrait toute une économie parallèle dirigée par des mafias et nourries de violences, d'illégalité et d'exclusion. Il serait ensuite extrêmement coûteux en raison des forces importantes de police qu'il mobilise et des coûts d'incarcération (un quart des prisonniers le sont pour motifs de drogue). Dans ce contexte, de plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer la dépénalisation de certains stupéfiants.


Le simple bon sens économique et social semble ainsi aller dans la voie de la légalisation de certaines substances (cannabis). Ce serait la disparition d'une importante criminalité, une pacification des villes et des cités.

Pourquoi cela n'est-il pas fait ? Peut-être que l’État ne souhaite pas une société entièrement pacifiée, qu'il a besoin, en fait, d'entretenir un certain niveau de criminalité.

Quoi qu'on en dise, quoi que racontent les médias, la violence et l'insécurité sont en forte régression dans l'ensemble des sociétés occidentales à tel point que la police criminelle est, à terme, menacée d'inactivité. La lutte contre la drogue fournit alors une activité substitutive et un modèle pour une nouvelle politique: moins répressive et davantage préventive. C'est bien me direz-vous ! Sauf que la prévention, c'est aussi la mise sous contrôle de l'ensemble des citoyens et l'immixtion généralisée de l’État dans la vie personnelle, voire intime, des individus, aussi bien celle des délinquants que celle de la population dans son ensemble. Prévenir, c'est nous entretenir dans la dépendance.



Tableau en exergue de "l'Odalisque à l'esclave" (1839) de  Jean-Auguste Dominique INGRES (1780-1867).

Succession d'affiches des années 20

Le plus beau livre qui soit sur les addictions est : "Stéréoscopie" publié en 2013 aux éditions Allia. Une hallucinante plongée aux enfers relatée par Marina DE VAN. J'adore cette femme, cinéaste ("Dans ma peau" 2002) et écrivain.

Par ailleurs et sans relation aux addictions (sauf évidemment sexuelles) je recommande au cinéma, parmi les dernières sorties : "Curiosa" de Lou JEUNET. Ce film m'a permis de découvrir l'extraordinaire personnalité de Marie de Heredia que je ne connaissais pas et à la quelle je me suis identifiée. J'ai appris aussi plein de choses sur Pierre Louÿs et Henri de Régnier. Les critiques de ce film sont contrastées. C'est vrai que c'est de l'érotisme pour nanas mais ça peut plaire aussi aux hommes, du moins à certains. En tous cas, ça m'a émoustillée.

13 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla

Félicitation, superbes vos affiches ! Très évocatrices et suggestives. J'ai eu l'impression de pénétrer dans une atmosphère érotique hors du temps. Il ne s'en fait plus comme cela.
Personnellement, oui j'ai mes addictions, un gros cigares après un excellent repas, mon scotch en fin de soirée, ou après l'écriture d'un texte qui m'a apporté beaucoup de satisfaction. Pour le reste, ça ne m'a jamais impressionné. Je n'ai jamais fumé un joint et ni tiré une ligne. Un de mes amis a été dans le commerce de la marijuana, qu'il coupait avec une certaine quantité de crottes séchées de lapins. Franchement ! Cela m'apparaissait plus de l’enfantillage qu'autre chose. Par contre j'ai trouvé beaucoup plus intéressant le monde interlope que j'ai fréquenté. Il y avait des personnages fascinants loin d'être des deux de piques, qui n'avaient rien à voir avec la crottes de lapins séchées. J'ai toujours aimé traverser des univers illicites, le tout sans être touché. Certains de ces individus se sont recyclés dans la police, ou dans la fonction publique, d'autres sont devenus des hommes d'affaire respectables. Je suis d'accord avec vous, toutes les sociétés qui se respectent se doivent d'avoir un milieu interlope, pour les transferts d'argent, blanchiment, ce qui permet d'entretenir des paradis fiscaux que les gouvernements ne touchent ni ne veulent démanteler pour des raisons évidentes. Bien sûr il y a la drogue, qui n'est absolument rien à côté du trafic d'armes, sans oublier que la diplomatie utilise souvent ces réseaux dans l'esprit qu'un service en attire un autre. Tu ne règles pas ce genre de transactions avec ta carte bancaire, ni ta carte de crédit. Sans oublier aussi, des pilotes avec lesquels j'ai travaillés qui sont allés voler en Afrique et surtout en Amériques du Sud. Le tout payé par des bons citoyens qui rouspètent lorsqu'il y a des hausses de taxes ou d'impôts. Vraiment étrange cette fascinante nature humaine !
L'autre particularité intéressante, c'est la différence entre les lois, ou la sévérité. Prenons par exemple La France et Le Canada. Ici finalement, nous avons légalisé le pot, tandis qu'en France, d'après ce que j'en savais, confirmé par ce que vous avez écrit, la sévérité est encore de mise. Encore là, lors d'une fouille en France, on ne défini pas la quantité. Ce qui m'a semblé un peu aléatoire. Est-ce une loi pleine de trou ?
Pour leur part les autorités canadiennes se sont aperçus que la répression surtout pour le pot leur coûtaient les yeux de la tête. Le territoire est immense. Les (producteurs) de cannabis se sont déplacés en forêt. Il m'est arrivé de découvrir tout à fait par hasard des plantations lors de mes randonnées en forêt. Fin août, je pouvais voir des bimoteurs affrétés par le gouvernement qui volaient à basse altitude doté d'équipements de détections. Je savais de quoi il en retournait.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

J'ai eu un autre addiction sérieuse qui a failli me coûter la vie : vers la fin de ma carrière d'aviateur, je me suis aperçu que je ne carburais plus qu'à l'adrénaline. Ce n'est pas très sain. Je forçais dans des mauvaises conditions météorologiques. Je m'étais fait une spécialité de rentrer dans des trous, amerrir et décoller dans des petits lacs. C'était grisant. Je l'avais fait, je pouvais le faire encore. Je défonçais mes limites continuellement. J'avais développé un puissant sentiment d'invulnérabilité. J'avais un malin plaisir à raser les toitures des bureaux situées au bout du Squaw Lake à Schefferville, qui nous servait de base. Après certains vols particulièrement difficiles, je descendais de l'avion, avec une sensation de légèreté. Il m'est même arrivé d'aller manger et la nourriture n'avait aucune saveur. Personnellement j'étais dans une superbe forme physique, j'étais capable d'en prendre, j'en redemandais, nous volions sept jours par semaine en saison, qui se couronnait par la fameuse chasse aux caribous, entre le 15 août et le 30 septembre des fois nous ne nous rendions même pas à la fin septembre parce que les lacs commençaient à geler. S'ajoutait, la neige, le froid, la mauvaise visibilité, la pression pour sortir tout le monde du bush, les vents violents, les surcharges, la fatigue. Quelques pilotes volaient depuis le début janvier, avec une pose de quelques semaines en fin de mai début juin alors que la glace fondait sur les lacs, ils y en avaient qui commençaient à ressentir la fatigue. Ces deux semaines de vacances forcées servaient à changer les skis pour les flotteurs, faire des réparations majeurs.
Cette année-là, vers la fin de septembre, il est arrivé ce qui devait arriver. J'ai vécu trois accidents en vol. Par très mauvaise visibilité à la nuit tombante, dans un crachin qui collait à mon pare-brise, j'ai failli heurter une ligne électrique haute tension au sud de Schefferville, quelques jours plus tôt, j'avais failli défoncer au bout d'un lac à pleine charge, il m'arrive encore d'y penser, j'en ai des frissons, je vois encore les roches au bout du lac. Pour compléter le tout, j'ai sauté un moteur.
Je venais de faire l'acquisition d'une magnifique chienne Terre-Neuve. Le soir après mon travail, nous partions ensemble pour une randonnée sur le chemin de la montagne du radar, tout le monde à Schefferville appelait cette montagne : la montagne du radar, même s'il n'y avait jamais eu de radar. Je me suis assis sur une roche, j'ai regardé la ville, le Squaw Lake, nos avions à la bouée et ma chienne à mes pieds. Je me suis dit : Voilà c'est terminé, si tu continues ainsi tu vas y laisser ta peau. Le lendemain je me suis tapé une dispute avec mon chef pilote. Décidément, je n'avais plus rien à faire dans ce domaine. Je suis parti. Depuis, je n'ai jamais plus touché à un avion.
J'ai cette mauvaise habitude de couper les ponts, lorsque je sais que c'est terminé. Mon trip d'adrénaline était terminé.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard pour vos appréciations concernant mes petites images,

L'addiction au tabac, c'est dangereux: 1 fumeur sur 6 contracte un cancer du poumon (mortel à 90 %) sans compter les risques cardio-vasculaires.

Je ne sais pas si les conduites à risques relèvent de l'addiction. Je crois qu'il s'agit d'autre chose.

En France effectivement, la répression de la toxicomanie est très forte. Mais ça pose la question de son coût surtout en regard de son efficacité et de la violence sociale générée. Certaines substances ne sont guère plus toxiques que le tabac, leur légalisation pourrait donc modifier beaucoup de problématiques. Mais veut-on renoncer à un prototype de la politique de prévention ?

Enfin, je vous précisais dernièrement que j'avais bien lu "Crashed" d'Adam Tooze. L'ennui est que sa perspective d'analyse m'apparaît totalement fausse.

Dans les milieux économiques et financiers, on distingue 2 catégories: d'un côté, ceux qui "pratiquent" au sein d'entreprises ou de banques, qui mettent "les mains dans le cambouis"; de l'autre, les "profs" qui échafaudent de grandes théories mais qui sont incapables de lire un bilan et qu'aucune entreprise n'envisagerait de recruter. Tooze appartient visiblement à cette seconde catégorie.

Il est parti d'une idée préalable: les marchés financiers, leurs techniques sophistiquées, l'appât sans limites du gain et la spéculation effrénée expliquent les crises de ces dernières décennies. C'est l'idée aujourd'hui à la mode qui permet de passer pour progressiste en désignant un bouc émissaire.

Cette analyse ne résiste pourtant pas à l'épreuve des faits. Il ne faut pas croire d'abord que les établissements financiers disposent d'une totale liberté et indépendance. Ils n'exercent que dans le cadre de la politique gouvernementale qui a été arrêtée (niveau de fonds propres et taux principalement).

Et il faut bien reconnaître que les politiques gouvernementales qui ont été conduites en Europe et en Amérique du Nord ont été (et demeurent) folles: déficits publics monumentaux, forçage de la consommation, encouragement systématique à l'endettement,découragement de l'épargne, création effrénée de liquidités, fixation des taux d'intérêt à des niveaux absurdement bas. La spéculation financière, privilégiant le court terme, elle est née de ces politiques gouvernementales absurdes.

On a créé un "capitalisme sans capital" reposant sur la consommation et le recours systématique à l'emprunt.

Le niveau des taux d'intérêt est tellement bas que les banques sont presque "islamiques": on prête à taux zéro. Mais est-ce une bonne chose? Ça crée surtout une croissance artificielle et des bulles spéculatives qui éclatent, un jour, fatalement.

Il faudrait donc réécrire complétement le livre de Tooze en le recentrant sur les erreurs "monumentales" des différentes politiques gouvernementales. Ce serait plus éclairant que sa laborieuse description des mécanismes financiers interbancaires qui le font apparaître "brillant" et expert, mais n'expliquent finalement pas grand chose.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla.
Enfin, le commentaire du commentaire, j'attendais impatiemment vos réactions et vos commentaires sur l'ouvrage de de Tooze : Crashed.

Enfin, je vous précisais dernièrement que j'avais bien lu "Crashed" d'Adam Tooze. L'ennui est que sa perspective d'analyse m'apparaît totalement fausse.

Tout comme Piketty, il a été vivement critiquer pour son ouvrage, la preuve c'est que leurs propos sont dérangeant, qu'ils ont eu le courage d'affirmer des des opinions qui ont déplus. Tooze avant tout est un historien de l'économie avant d'être un économiste, en dépit de ses multiples formations.

S'il a tout faux, alors, il n'est pas le seul. Un livre de 682 pages, dans ce genre, ne s'écrit en solitaire. Il faut lire les trois pages de remerciements au début de l'ouvrage et parcourir les 72 pages de notes. Donc, nous pouvons présumer, qu'il a lu, consulté et nous pouvons ajouter qu'il a eu des discussions serrées sur différents aspects touchants ces moments historiques. Qui plus est, un doctorat en histoire de l'économie, vous qui aimez les grandes écoles, ce ne doit pas être rien.

Les faits dans Crashed ressemblent étrangement à ses deux ouvrages précédents : Le Salaire de la Destruction et Le Déluge. Ce qui dépasse les crises et qui traite d'aspects, que les médias spectacles ont tendances à passer sous silence, comme le manque de volonté, l'immobilisme, l'inconscience, la peur, et cette merveilleuse faculté humaine qui s'accorde avec la pensée magique, se cacher la vérité, refuser de regarder la réalité dans les yeux.

Qu'est-ce qu'il fait ? Il rapporte des faits, il raconte ce qui s'est passé. Difficile de mettre en doute des faits avérés, vérifiables, documentés, dont nous avons tous été les témoins, et même parfois les acteurs, parce que nous avons vécu cette crise. Dans toute cette saga, aujourd'hui, nous vivons la suite, étourdit comme un boxeur qui vient de se faire passer un jab et qui vacille sur ses jambes. Il n'est pas encore au sol, mais le prochain coup pourrait lui faire connaître le plancher.

J'avoue que j'ai trouvé ce bout d'histoire fascinant, étourdissant, c'est aussi bon que n'importe quel roman. Pourquoi ? Parce que la réalité encore une fois a dépassé la fiction. Voilà ce que je vais faire, je vais reprendre chacun de vos paragraphes pour les commenter.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Vous avez écrit :
« Dans les milieux économiques et financiers, on distingue 2 catégories: d'un côté, ceux qui "pratiquent" au sein d'entreprises ou de banques, qui mettent "les mains dans le cambouis"; de l'autre, les "profs" qui échafaudent de grandes théories mais qui sont incapables de lire un bilan et qu'aucune entreprise n'envisagerait de recruter. Tooze appartient visiblement à cette seconde catégorie. »

Venant de vous et vous connaissant un peu après tous nos échanges, vos propos me surprennent parce que vous avez toujours fait l'éloge des grandes écoles et des universités. Fondamentalement vous êtes une personnes d'institutions.

Sans doute que dans votre parcours scolaire certains de ces (profs) comme vous dites, vous ont enseigné. Ils étaient peut-être bons, peut-être mauvais, je n'en sais rien ; mais ce que je sais, c'est qu'ils vous ont donné une formation, formation que vous semblez avoir réussi, ce qui vous a permis de devenir ce que vous êtes. Ce qui n'est pas rien. Vous avez des compétences. Dommage que vous restez à l'ombre, Macron aurait sans doute besoin d'une personne comme vous, ça le changerait de Benalla.

J'en reviendrais sur des propos que nous avons eu sur Taleb, entre le gars de terrains qui travaillent dans la réalité et le théoriciens. Il est clair que (ceux qui mettent les mains dans le cambouis), ne veulent pas se faire souffler dans le dos par les experts, ou pseudos experts.

Pourtant bien de ces diplômés des grandes écoles, vont faire une petite ou grande baignade dans la finance. Il y a même des institutions, des banques et des compagnies qui courent après eux. Bien sûr il y a du (résautage), du copinage, c'est dans l'ordre des choses.

Il y a ceux qui se font seuls et ceux qui arrivent par en haut. Il se produit que le mélange devient toxique et quelques fois explosifs. Mais règle général, même s'ils ne peuvent pas se blairer, ils tirent la même charrue.

Revenons à la réalité, Tooze et Taleb vont faire application pour un emploi dans votre boîte, le quel vous allez choisir ?

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Vous avez écrit :
« Il est parti d'une idée préalable: les marchés financiers, leurs techniques sophistiquées, l'appât sans limites du gain et la spéculation effrénée expliquent les crises de ces dernières décennies. C'est l'idée aujourd'hui à la mode qui permet de passer pour progressiste en désignant un bouc émissaire. »

Dans l'univers de la finance tout comme dans l'économie réelle, c'est le fondement, c'est la nature profonde du commerce comme du capitalisme, prendre n'importe quel moyen pour faire des profits. C'est souvent débridé, risqué, comme vous le dites vous-même. Le jeu que vous retrouvez dans la finance, vous procure une bouffé d'adrénaline, tout comme moi lorsque je grimpais dans un Beaver ou un Otter.

Ce ni immoral, ni moral, c'est du commerce, des échanges.

Les marchés sont les marchés. Ils se servent de tous les outils qui ont à leurs dispositions, comme Jérôme Keviel s'en est servi, sauf qu'il s'est fait prendre les doigts dans le tiroir.

Vous existez pour faire des profits et Tooze aurait tord de se pencher là-dessus.

Tant qu'au bouc émissaire, il va falloir sortir de cet état pernicieux pour ne pas dire vicieux, qu'il faut trouver un coupable. Dans les faits, nous sommes tous coupables, aussi bien moi lorsque j'achète mes cigares et mon tabac à pipe, ou bien ma pinte de scotch, que vous lorsque vous allez acheter vos robes et vos souliers à talons hauts. Nous y contribuons tous. Je sais de quoi je parle, j'y contribuais furieusement lorsque je brûlais de 20 à 30 gallons de carburant à l'heure dans mes avions la-haut dans le nord, souvent pour transporter des millionnaires à la pêche ou la chasse. Je ne m'en cache pas je plaide coupable.

J'ai vécu dans ce monde des « brasseurs d'argents », je les ai écouté parler lorsque je mangeais avec eux. Je les ai transporté, dépanné, rassuré, pareil pour mes patrons qui attendaient de moi de bonnes performances. Il m'arrivait de penser : vraiment quelle inconscience, ce n'était vraiment pas rassurant. Ce qui me rappelait les paroles de mon père : « Ce monde ne tient que sur un brin sur rien. »

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Vous avez écrit :
« Et il faut bien reconnaître que les politiques gouvernementales qui ont été conduites en Europe et en Amérique du Nord ont été (et demeurent) folles: déficits publics monumentaux, forçage de la consommation, encouragement systématique à l'endettement, découragement de l'épargne, création effrénée de liquidités, fixation des taux d'intérêt à des niveaux absurdement bas. La spéculation financière, privilégiant le court terme, elle est née de ces politiques gouvernementales absurdes »

Bon ! Là on va rentrer dans la viande, vive le plat de résistance.

Tout le monde souscrit à cela comme des cochons dans l'auge. Les gouvernements veulent des entrées d'argent pour financer leurs différents programmes, pour faire tourner la machine, et les financiers applaudissent à l'affaire. Heureux comme des petits cochons dans la (bouette).

Il y a une chose qu'il va falloir se rentrer dans la tête. Lorsqu'on blâme les gouvernements que nous élisons, c'est nous qui nous blâmons, ne mettons pas la faute sur les autres, c'est nous le gouvernement.

Oui, les déficits publics sont énormes. Pour les français aller relire la loi du 3 janvier 1973. Le système financier international à l'époque à fait d'énormes pressions pour que les pays empruntent sur les marchés. Le Général de Gaule a dû se retourner dans sa tombe. Terminé les pays qui s’autofinançaient.

Dans la dette il y a deux choses qu'il faut se rappeler :

Combien tu dois ?

Et à qui tu dois ?

Ce qui a débouché sur l'accroissement de la consommation, l'encouragement au crédit, le faible taux d'épargne, la planche à billet. Vous êtes surpris ? Moi pas. Tant qu'aux faibles taux d'intérêt, cela alimente bien la machine. Il y a une chose que les économistes et les financiers détestent entendre parler, c'est de l'inflation. Mais cette inflation c'est peut-être le dernier outil qui restent entre les mains des gouvernements pour la contrer. Imaginez un instant que les taux pour les emprunts remonteraient seulement de 5 %.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Est-ce que nous allons tous faire faillite en même temps ? Possible. Mais le pire n'est pas certain. Le voilà le résultats de la spéculation financière pour reprendre vos propres paroles Carmilla, des visions à courts terme. Mais accuser seulement les gouvernements, là je refuse de marcher.
Je vais illustrer mes propos. Il y avait une usine d'assemblage de camion à Montréal il y a une vingtaine d'années, qui s'est retrouvée dans une mauvaise situation financière. Bernard Landry était Premier Ministre de la province de Québec à l'époque. Le gouvernement n'a pas hésité, il a aidé financièrement cette entreprise. Je me souviens très bien de la levée de boucliers et de critiques dont a été victime ce gouvernement. Landry a fait une brillante démonstration, il faut bien penser qu'il y avait 1,300 emplois en jeu. Il a dit : Nous venons de sauver 1,300 emplois très bien rémunérés, sur ces salaires nous récupérons des impôts et des taxes, et il avait entièrement raison. Ce qui a fait taire toutes les critiques. L'industrie a continué à produire. Cette compagnie a rembourser les prêts.
Je veux bien qu'on accuse toujours les gouvernements, mais un peu de pudeur serait de mise.
Pour la suite, je reviendrais sur le dernier budget fédéral canadien déposé à la fin de mars. Là je parle du Gouvernement de Justin Trudeau, augmentation du déficit de 4 milliards de dollars. Ce budget est passé sous les radars parce que l'affaire SNC-Lavalin et Wilson-Raybould occupait les médias. Que vont penser et voter les électeurs en octobre prochain ? Nous nous dirigeons vers des élections fédérales. Malgré toute son intelligence, Trudeau agit exactement comme tous les autres gouvernements de la planète. La dette n'a pas l'air de l'empêcher de sourire et de dormir. L'économie tourne à plein. Les Américains achètent nos produits. Ce qui représente 70 % de nos exportations au niveau international. Nous sommes présentement dans le court terme.
J'avais écrit dans un autre texte l'été dernier, publié sur votre blog, que autant pour Macron que pour Trudeau, que cette année de gouvernance serait l'année des examens. J'ai le regret de vous dire que personne n'aura la note de passage.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Vous avez écrit en conclusion :
« Il faudrait donc réécrire complétement le livre de Tooze en le recentrant sur les erreurs "monumentales" des différentes politiques gouvernementales. Ce serait plus éclairant que sa laborieuse description des mécanismes financiers interbancaires qui le font apparaître "brillant" et expert, mais n'expliquent finalement pas grand chose. »
Il faudrait le réécrire ? Alors, très bien, à vous la plume madame Carmilla.
Nous sommes tous dans le même bain. Vous avez un gouvernement en France qui a été élu pour mettre en place des réformes. Elles sont où les réformes ? Je me souviens de certains discours de monsieur Macron lors de sa campagne présidentielle.
Il y a une auteure canadienne du nom de Margaret Atwood qui a écrit un petit livre en 2009, qui s'intitule : Comptes et Légendes, dont le thème est justement (la dette), où elle pose la question suivante : Qui est irresponsable, celui qui emprunte en sachant qu'il ne pourra pas rembourser sa dette, ou celui qui prête à quelqu'un qui est insolvable ?
Est-ce que vous pouvez élaborer sur cet énoncé Carmilla ?
J'aimerais bien.
Lire un livre de Tooze, n'est jamais facile et je vous l'accorde, la laborieuse description des mécanismes financiers exige un certain effort, mais ce n'est pas inintéressant, au contraire. Vous qui œuvrez à l'intérieur du système, peut-être pourriez-vous m'éclairer ? Je n'ai pas fait d'étude économique, mais comme l'économie me touche et touche la géopolitique, cela m'intéresse beaucoup. À mes yeux, il y a une chose qui à la fois me désole et me révolte, c'est que par l'inconscience de certains, d'autres êtres humains vont souffrir, je pense ici aux enfants et aux vieillards de partout dans le monde, et peu importe les gouvernements, les financiers, les économistes, et les commerçants, ou les spéculateurs, nous avons tous et je dis bien tous, un devoir de diligence, d'attention, et de responsabilité. Nous ne pouvons manquer à nos devoirs. J'en reviens à cette image que j'ai utilisé dans un autre des mes textes, et qui a bien fait rire certain : Tous enchaînés à la même enclume sur le bord du précipice. La position est inconfortable, dangereuse, et intenable. Dites-moi Carmilla ce que nous devons faire. Remonter les taux d'intérêts ? Couper le crédit ? Épargner plus ? Augmenter les heures de travail sans augmentation de salaire ? Étendre l'austérité partout ? Larguer 20 % de nos travailleurs dans le chômage ? Ce qui me rappelle un douloureux souvenir, au début des années 80, où pour mater l'inflation on avait augmenter les taux d'intérêt sur emprunt à 20 %. J'ai vu des hommes perdent leur entreprise, d'autres leur emploi, des familles perdent leur maison, j'ai vu des larmes couler, entendus des lamentations. Je me suis dit : plus jamais cela !
Avec mes salutations distinguées.
Bonne nuit dormez bien !
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

L'économie est, hélas, une discipline parasitée par l'idéologie et les idées reçues. Peu importe la justesse, la scientificité, des analyses: plus on s'affiche "progressiste", plus on est démagogue, plus on est écoutés.

Il faut se prosterner obligatoirement devant ceux qui ont des idées "généreuses". C'est par exemple la figure de Piketty que vous évoquez. Son succès en dit long sur la confusion actuelle des esprits. Ce qui m'amuse ainsi, c'est que la France a par exemple, produit de très bons économistes : Jean Tirole et Maurice Allais, prix Nobel, mais aussi Jacques Rueff, Paul Fabra, Philippe Simonnot. Ils sont d'un autre calibre et d'une autre rigueur. Malheureusement personne ne les lit et on préfère s'extasier devant les fumisteries de Piketty.

Tooze, c'est quand même un cran au-dessus de Piketty. Il s'est bien documenté sur les techniques bancaires. Simplement, sa perspective d'analyse m'apparaît erronée. La responsabilité de la crise de 2008 est en effet, à mes yeux, essentiellement politique.

Pour ce qui concerne les seuls Etats-Unis, on peut ainsi en décomposer les étapes:

- entre 1993 et 2000, Clinton inaugure une politique de baisse des taux d'intérêt. Il ramène par ailleurs de 20 % à 5 % l'apport initial des particuliers souhaitant contracter un emprunt pour une acquisition immobilière.
- à la suite, Bush a ramené cet apport personnel à 0%.
- simultanément les intérêts des emprunts ont été déductibles des impôts et l’État a imposé aux banques des quotas obligatoires de prêts aux familles à faible revenu et aux minorités défavorisées.
- dans le même temps, l’État offrait aux banques des garanties aux prêts consentis à travers les organismes para-publics Fannie Mae et Freddie Mac.
- puis est intervenue la guerre en Irak qui a provoqué un déficit abyssal du budget Fédéral. Pour en limiter l'impact, le taux de la FED a été porté à 1 %.

Dans ces conditions, le secteur de la construction s'est envolé aux Etats-Unis laissant au final, après éclatement de la bulle, près de 4 millions de maisons vides. Tout est parti d'idées en apparence généreuses mais qui ont condamné au chômage des millions d'Américains.

Carmilla Le Golem a dit…

Une même analyse vaut pour l'Espagne: les Espagnols 30 % moins nombreux que les Français se sont mis à construire 30 % de logements de plus chaque année.

Tout cela était visible, prévisible: il suffisait de s'interroger sur la progression du nombre de logements, sur l'explosion générale de l'endettement, sur le gonflement prodigieux des bilans des banques. Mais les autorités de contrôle ont préféré ne rien faire. Le problème, c'est que l'on perpétue aujourd'hui les mêmes erreurs et que l'on pratique la politique de l'autruche.

Tout cela démontre bien, néanmoins, que la crise financière a été générée principalement par le pouvoir politique, ses erreurs et sa démagogie. Le secteur bancaire et financier n'a, quoi qu'on en dise, joué qu'un rôle secondaire.

Par ailleurs, je ne veux pas laisser supposer que je n'aime pas les "profs". J'enseigne moi-même assez régulièrement dans le cadre de conférences ou de formations organisées. Ça relève simplement d'un cadre strictement privé, sur demande. J'ai aussi effectué d'assez nombreuses publications, bien sûr purement techniques. Je pense simplement que pour acquérir de véritables compétences financières, il faut une pratique de terrain et savoir prendre des décisions importantes sur la base de quelques bons chiffres.

Dans ce contexte, je préférerais recruter Taieb plutôt que Tooze parce qu'il a été trader. Mais il m'apparaît, à vrai dire, assez antipathique et arrogant dans ses livres.

Vous posez enfin une question très importante: celle du juste niveau des taux d'intérêt. Ce qui est certain, c'est que les niveaux actuels sont destructeurs. Ils découragent l'épargne et l'investissement à long terme. Personnellement, je suis plutôt favorable à l'épargne: contrairement à l'idée reçue, elle favorise beaucoup plus la vraie croissance que la consommation.

Un taux de 3 à 4 % m'apparaîtrait ainsi bénéfique pour l'économie. Il est malheureusement inconcevable aujourd'hui sauf à mettre en faillite de nombreux États.

Quoi qu'il en soit, ce n'est sûrement pas en diminuant la quantité de travail produit que l'on s'enrichira.

Bien à vous

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Madame Carmilla

La confusion actuelle des esprits. Expression qui décrit bien l'époque économique actuelle.
J'aimerais bien qu'on m'explique, par exemple, cette furieuse tendance à investir dans le domaine immobilier. Pourquoi construire tous ces éléphants blancs et je vous fait remarquer que c'est une tendance internationale, autant pour les américains pour que les chinois, et surtout les producteurs de pétroles qui ont empruntés cette voie ?
Tant qu'à tous ces économistes français que vous nommez, je n'en connais aucun, nos sociétés préfères les banalités de nos médias spectacles. Ça aussi, en dit long sur nous-mêmes. Façon d'éviter les véritables débats.
Ce qui est intéressant voire fascinant, c'est que les américains en même temps qu'ils lançaient ces programmes pour l'accès à la propriété menait une guerre.
Si tu es capable de faire une guerre, surtout une guerre inutile comme en Irak, tu es capables de donner un meilleur niveau de vie à tes citoyens.
Les autorités de contrôles ont fermé les yeux, ils ont péché par omission. Ce qui souligne, que ces sociétés de contrôles valent ce qu'elles valent.
Qu'est-ce que vous avez en France comme société de contrôle ?
Comment ça fonctionne ?
Content d'apprendre que vous êtes vous-même une enseignante. Est-ce que je devrai à l'avenir, vous appeler madame la professeure ?
Taleb vous apparaît antipathique, je préfère son côté (baveux), c'est ce qui me plaît chez lui. Il brasse plus la cage que Tooze.
Lu ce matin dans le Journal La Presse de Montréal :
« La première banque américaine en termes d'actifs a enregistré au premier trimestre un bénéfice net de 9,2 milliards de dollars, en hausse de 5,4 % sur un an, pour un chiffre d'affaires de 29,85 milliards (+4,7 %), selon un communiqué, dépassant dans les deux cas les anticipations des marchés financiers. » On parle ici de la JP Morgan Chase.
Ils n'ont pas l'air trop à plaindre.
J'attends les résultats financiers des autres banques.
Merci pour ces échanges toujours intéressants et instructifs. J'espère que nous pourrons continuer à échanger sur maintes sujets.
Bonne fin de journée.
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Non,non, je ne suis pas professeur. Je n'appartiens pas à l'Education Nationale.
Je travaille dans une entreprise. Simplement, comme j'ai une petite expertise dans certains domaines, je suis parfois sollicitée pour dispenser un enseignement parallèlement à mes fonctions.

Les ménages ont en effet tendance à surinvestir dans l'immobilier, convaincus (parfois à tort) que c'est sans risque et toujours judicieux. Les Français entretiennent ainsi une forte épargne mais ils consacrent celle-ci principalement à l'immobilier et aux obligations d’État. Ils sont par exemple champions des résidences secondaires (ce qui est généralement économiquement absurde). L'une des solutions étudiées est de taxer davantage l'immobilier et les obligations d’État pour réorienter l'épargne sur l'acquisition d'actions. Mais il y a une allergie des Français à la Bourse.

Je précise par ailleurs que je ne pense pas que, dans l'économie capitaliste, un entrepreneur ait pour premier objectif le profit. S'il raisonne ainsi, il n'ira effectivement pas loin. Je pense plutôt, contrairement à l'opinion commune, qu'il cherche d'abord à offrir un produit ou un service nouveau au meilleur coût et à la meilleure qualité.

S'agissant des économistes français, Allais et Tirole sont de récents prix Nobel. Les autres sont en effet sans doute peu connus à l'étranger. Si vous êtes intéressé, je vous recommande: "Nouvelles leçons d'économie contemporaine" de Philippe Simonnot. Ça vient d'être réédité en poche, chez Folio actuel. C'est très intelligent et pédagogue. Vous pouvez aussi trouver Tirole en poche: "économie du bien commun". C'est également très lisible.

S'agissant des résultats financiers des banques, ils sont souvent en trompe-l'oeil. Ils intègrent souvent des créances gigantesques dont le recouvrement est probable mais pas certain. Surtout, ces résultats sont générés par des opérations de "marché", spéculatives, et secondairement, par un financement réel de l'économie. Le problème, c'est que les banques sont tétanisées par l'actuelle politique des taux.

Bien à vous,

Carmilla