samedi 30 mars 2019

Permis/Interdit - Le voyeurisme


L'actualité politique, c'est vraiment bizarre !

Au mois d'août dernier, la France se passionnait pour l'insignifiante affaire Benalla. Elle venait probablement de trouver un nouvel exutoire de haine après l'affaire Johnny.

Mais qui dans, le même temps, s'est vraiment préoccupé du vote par le Parlement d'un texte prévoyant la création d'un délit de "captation d'images impudiques" (article 222-32-1 du Code Pénal) ? Je n'ai pas l'impression qu'on en ait dit un seul mot aux informations télévisées, que ça ait fait l'objet d'un seul débat. Des "experts" ont réglé la question sans mot dire.

Ce sont pourtant des dispositions régulant le "vivre ensemble". Elles marquent surtout un premier pas inquiétant dans la répression du voyeurisme; elles peuvent, à terme, créer un délit du regard. "J'aime regarder les filles" dit la chanson. On peut espérer que ça demeurera toujours possible mais c'est sûr qu'il faudra se montrer de plus en plus prudent.



Jusqu'alors, il faut le préciser, la Loi ne s'occupait guère du voyeurisme. Il ne constituait pas un délit en tant que tel et n'était répréhensible qu'au regard de certaines "circonstances particulières": violation de domicile, corruption de mineurs, atteinte à la vie privée.

Jusqu'alors, donc, les "petits mateurs" des cabines d'essayage dans les magasins, des bas d'escaliers dans les couloirs du métro, des fenêtres aériennes la nuit, des vestiaires des salles de sport, voire des toilettes publiques, pouvaient se rincer l’œil tranquillement. On ne disposait pas de qualification pénale adéquate.


Et bien, tout ça c'est terminé depuis l'automne dernier (mais qui le sait vraiment en France ? Les Lois ont souvent pour caractéristique première d'être complétement ignorées, Kafka a tout dit là-dessus).

Ça s'est fait progressivement. Les mouvements féministes se sont d'abord émus de la pratique de plus en plus répandue en Europe de l'"upskirting". Une vraie mode même grâce au smartphone: des malotrus rivalisent à prendre en photo le dessous des jupes des filles. C'est ensuite balancé sur Internet.


Le nouvel article du Code Pénal règle d'abord ce problème avec le délit de "captation d'images impudiques". Mais les choses vont bien au-delà. On n'entend pas réprimer uniquement les "pervers pépères" qui reluquent et photographient les "dessous" des femmes, mais, plus largement, de multiples formes de voyeurisme. Il s'agit ainsi de pénaliser «le fait d’user de tout moyen afin d’apercevoir les parties intimes d’une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a cachées à la vue d’un tiers». Le tout, bien sûr, sans le consentement de la personne, ou à son insu.


A partir de là, ça ne rigole vraiment plus !

Ce qu'encourent désormais les petits voyeurs ? Un an de prison, et 15 000 euros d’amende, voire le double en cas de circonstances aggravantes. Ainsi, si l’auteur filme ou prend des photos de sa victime, ou si cette dernière est mineure, handicapée ou enceinte, le voyeur s’expose à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Idem s’il sévit dans les transports en commun.

C'est pareil en Belgique (depuis 2014) et encore mieux au Canada (5 ans). Partout en Europe et en Asie (20 000 manifestantes en Corée du Sud), on réfléchit et met en place des disposition réprimant le voyeurisme, même en Grande-Bretagne (qui a pourtant d'autres chats à fouetter en ce moment) et en  Russie (vidéo "virale" d'Anna Dovgalyuk).

On vous explique doctement, bien sûr, qu'il s'agit quasiment d'un crime, que le voyeur réduit la femme à une dimension d'objet et porte gravement atteinte à sa dignité. C'est une humiliation et un traumatisme qu'elle portera toute sa vie.



Je trouve qu'on vit une époque de dingues. Ça pourrait être risible si ça n'avait pas, éventuellement, de telles conséquences. 

Je m'imagine bien, par exemple, faire scandale dans un magasin à chaussures parce que le jeune vendeur, tout rougissant, aurait regardé sous ma jupe au moment de l'essayage. Je tairais, bien sûr, que ça m'aurait, peut-être, fait plaisir mais j'irais porter plainte. Ensuite, je serais toute contente quand j'apprendrais, quelques mois plus tard, que le jeune vendeur a été condamné à un an de prison pour son regard libidineux. J'aurais obtenu "juste réparation" de mon traumatisme.


Rêve-t-on vraiment d'une pareille société opposant, sans cesse, des agresseurs et des victimes ? 

Être moderne aujourd'hui, ça n'est plus être responsable, c'est porter plainte pour tout et pour rien.

L'expérience belge démontrerait heureusement que ces dispositions répressives sont quasi inapplicables du fait de l'impossibilité de réunir, la plupart du temps, des preuves matérielles flagrantes.


En fait, sur le voyeurisme, on est d'une hypocrisie totale, la plus grande, peut-être, de toutes celles qui touchent aux questions sexuelles. On déclare tous, bien sûr, qu'on ne s'y adonne aucunement mais on se repaît continuellement de ça. Si on était sûrs d'une totale invisibilité et impunité (c'est ce que démontrent les quelques enquêtes effectuées), on passerait son temps à aller fureter chez ses voisins, son patron, ses copains, copines, tous ceux que l'on admire ou qui nous insupportent. On prolonge indéfiniment, en fait, ses premières explorations infantiles: qu'est-ce qu'il en est de la jouissance des autres, quelle est la vérité de leur désir ?


Et d'ailleurs, on vit dans des sociétés de voyeurisme généralisé. C'est le triomphe de l'image et de l'apparence: le pouvoir politique, les relations sociales, la conquête amoureuse et sexuelle, le spectacle de la rue, les villes muséifiées. 

Et on se donne d'abord à voir : Facebook, Instagram, Snapchat. Quelle gloire ! Big Brother non seulement ne fait plus peur mais on aspire à toujours plus. 

C’est aussi le triomphe de l’œil avec ses appareils sophistiqués et ses satanés smartphones et autres bidules. Un déluge de couleurs, formes, anecdotes triviales. Tout se vaut, tout est équivalent, l'insignifiant comme le sublime. Nous voulions voir et être vus, nous devenons "omnivoyeurs".


On a en fait découvert quelque chose d'important au siècle dernier : la distinction de la vision et du regard. La vision, c'est celle des objets communs. Le regard, lui, il n'a trop que faire d'objectivité. Il est enveloppé de désir, il en est même la cause. La psychanalyse et Jacques Lacan ont déliré à l'infini sur ce sujet.

Le regard, il est déstabilisant parce que, fondamentalement, on est d'abord des êtres regardés. On dit que notre subjectivité se construit par rapport au regard de l'autre. Notre corps perçoit même physiquement le regard. Un instant d'accroche: angoisse ou coup de foudre.

Ça explique qu'on éprouve toujours une grande gêne et souvent même une espèce d'hostilité quand on se sent regardés  parce que le regard de l'autre est appropriateur comme s'il cherchait à nous vider de notre substance, à nous voler notre individualité.


Notre rapport au regard, finalement, il façonne souvent celui ou celle que l'on est. Il explique ainsi l'émergence de trois figures majeures de la modernité :

- l'hystérique: ce sont surtout des femmes, de moins en moins nombreuses en réalité. C'est beaucoup mon portrait, je l'ai déjà dit. L'hystérique cherche à capter le regard. Pour cela, elle a un comportement de séduction plus ou moins adapté, plus ou moins habile. Et puis, elle sait très bien donner l'impression d'être à l'unisson de sa victime. 

- le paranoïaque: il a évidemment le sentiment que des millions de regards sont posés sur lui.

- le névrosé obsessionnel: c'est la catégorie de gens que je déteste le plus. Ceux qui veulent tout maîtriser, tout contrôler, qui n'admettent pas le hasard, les aléas, qui sont incapables de risquer leur peau. Avares et rigides, ce sont eux, souvent, qui épient les autres, écoutent aux portes, les observent à la jumelle. Leur vie est tellement blindée qu'ils ne croient pas au vacillement du désir et à la mort.

Tableaux de Balthus (1908-2001): "Thérèse rêvant" et Marcel Duchamp (1887-1968): "Étant donnés".

Il est à noter que le tableau de Balthus a récemment (fin 2017) fait l'objet d'une mobilisation et d'une pétition de New-Yorkais pour qu'il soit retiré du Museum of Modern Art (MOMA). Il inciterait au voyeurisme et à la pédophilie. A vous de juger mais ne me demandez pas de le retirer de mon post.

Photographies de Roger SCHALL (1904-1995), Petra SEDLACZEK, Gail Albert HALABAN, l'une allemande, l'autre américaine mais ayant beaucoup vécu, toutes les deux, à Paris.

Au cinéma, de nombreux films abordent le thème du voyeurisme. Voici mes trois préférés:

- "Brève histoire d'amour" de Krzysztof Kieslowski
- "Malveillance" de Jaume Balaguero
- "Monsieur Hire" de Patrice Leconte

En littérature, je conseille un livre dérangeant: "Le motel du voyeur: une enquête" de Gay Talese. Prix Sade 2017. Il est en poche et facile à trouver.

15 commentaires:

Richard a dit…

Exhibitionniste V/S Voyeur

Bonsoir madame Carmilla !

Encore une fois, j'ignorais que le Canada punissait les voyeurs. Cinq ans de pénitencier ce n'est pas rien pour du voyeurisme. C'était en 2014 que cette loi a été votée dans le cadre d'un projet de loi omnibus, c'est-à-dire un paquet de lois déposé comme tel, qui ne font pas l'objet de débat et qui sont habituellement acceptées et votées à la (vapeur), expression locale qui signifie : adopté rapidement. C'était au temps ou le parti conservateur de Harper détenait le pouvoir. Ça vous donne une idée de qui était derrière tout cela. Vraiment c'est de la perte de temps, pas la peine de s'étendre sur le sujet.

Légalement, si vous êtes accusé de voyeurisme, la défense ne manquera pas d'évoquer l’exhibitionnisme de ceux qui jouissent d'être regardés. Ce qui pourrait tomber : mort au feuilleton, ou un non lieu.

Par contre, vous avez évoquez le regard, voilà qui est plus intéressant. Lorsque je fais affaire, que je suis en train de négocier une entente financière, ou encore de planter mon regard dans les yeux de la caissière qui vient de faire une erreur sur ma facture, j'insiste pour qu'elle me regarde, je veux son attention. Je veux qu'elle me regarde comme je la regarde à la manière du sergent instructeur dans le film de Kubrick (Full Metal Jacket), en train de passer un savon à une recrue. Je voudrais bien qu'on m'accuse d'agression, ils y en auraient qui regretteraient d'être venus au monde et de m'avoir rencontré un jour, surtout de croiser mon regard reptilien.

Les yeux servent à voir, à regarder, et si tu veux te soustraire à mon regard, il existe le rideau, le jour de souffrance, la porte, la fuite, la soustraction ou encore le voile. La vie privée c'est comme la vie sexuelle, ça se protège.

L'été dernier, je revenais du village. Je tourne dans mon stationnement pour me garer, mais comme le rayon de braquage de mon Jeep est trop grand, il faut que je recule après m'être avancé au maximum du stationnement. Je suis au-dessus de la piscine et de la table à pique-nique de ma logeuse. J'ai une vu imprenable. Il est 13 heures, pas un nuage dans le ciel, et qu'est-ce que je vois ? Ma logeuse qui est en train de sucer un de ses gigolos. J'aurais pu être accusé de voyeurisme. Faut vraiment faire exprès. Depuis ce temps, lorsque je vais payer mon mois de location, ma logeuse évite mon regard. Je puis comprendre sa gêne. Les causes en cour commencent souvent avec des niaiseries et des négligences.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Dans permis/interdit, j'espère que vous allez toucher des sujets comme la prostitution et les MTS.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Dans un tout autre ordre d'idée, beaucoup plus passionnant, je viens de terminer la lecture de : Les Pérégrins par Olga Tokarczuk.
Après la lecture passionnante, Les Livres de Jakob, j'ai voulu en savoir plus de cette auteure. Pour creuser et connaître sa personnalité, cet ouvrage est tout indiqué.
Habituellement je ne je suis pas un lecteur de nouvelle, mais cet ouvrage est plus qu'un recueille de nouvelles, je dirais qu'il tient plus de l'essai sur le bord de la biographie.
Je n'avais aucune idée de la définition de pérégrin, j'ignorais même le mot.
Pérégrin : Dans l'Empire romain, les pérégrins sont des étrangers, hommes libres, habitant les provinces conquises par Rome, mais ne disposant pas de la citoyenneté romaine, ni du statut juridique des Latins.
Tokarczuk n'a pas choisi ce titre par hasard, ce qu'il faut retenir, hommes libres, ainsi elle affiche sa liberté, celle de la grande voyageuse qu'elle incarne. Elle ne pouvait pas écrire Les Livres de Jakob sans avoir beaucoup voyagé.
J'aime découvrir les écrivains. Qui sont-ils comme humains ? Où sont-ils nés. Qu'elle a été leur parcours scolaire ? Leur milieu familiale ? Je désire savoir ce qu'ils ont dans le coffre ?
Dans Les Pérégrins elle touche divers sujet comme les voyages, l'euthanasie, un magnifique récit intitulé : La Zone De Dieu, ou une ancienne amoureuse revient en Pologne pour administrer la mort à son premier amour qui est en phase terminale.
Un autre sujet que peut d'auteurs touchent, mais qui semble la passionner : L'histoire de Philippe Verheyen consigné par son disciple et confident, Willem van Horssen, qui traite de la dissection et de la conservation des cadavres au XVe siècle en Hollande. Les descriptions sont tellement minutieuses que je me voyais en Hollande devant une table de dissection.
Il y a aussi l'histoire du marin Éric qui travaille sur un ferry, un jour il décide de prendre le large. Très bonne histoire.
Le récit d'Anouchka, qui quitte momentanément sa famille pour se perdre dans Moscou avec les sans abris. Ce n'est pas très joyeux mais cela donne une bonne idée de cette ville et des gens qui l'habitent.
J'ai presque réussi, contrairement à mes habitudes de lectures, de ne pas dévorer ce livre en quelques jours. J'ai prolongé le plaisir. Je l'ai savouré. Ce qui m'a procuré quelques connaissances sur cette femme exceptionnelle.
Je ne manquerai pas de le relire.
Bonne fin de nuit. Les oiseaux reviennent. J'ai vu ce matin mon premier rouge-gorges (merle d'Amérique). Là c'est vrai, le printemps est de retour.
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Si j'ai entrepris de parler un peu du Code Pénal, c'est parce que je me suis rendu compte que les populations, dans à peu près tous les pays du monde, ignoraient complétement les lois aux quels elles sont soumises en matière de mœurs.

C'est vraiment très étrange parce que c'est, quand même, très important. On a vraiment l'impression que le Législateur s'attache à ce que ce soit méconnu. Là-dessus, comme je l'ai précisé, Kafka a écrit des choses essentielles. Il y a un mystère et une opacité essentielle qui s'attachent à la Loi.

Peu de gens, par exemple, savent ainsi qu'ils peuvent être lourdement condamnés pour des peccadilles (regarder sous les jupes des filles, posséder la photo d'une mineure)ou qu'à l'inverse, ils sont autorisés à certaines pratiques qu'ils croyaient "naturellement" interdites (avoir, en France, des relations incestueuses avec son père, sa mère...si l'on est adultes consentants).

Je n'ai pas parlé de l'exhibitionnisme parce que je ne suis pas sûre que ce soit l'exact négatif du "voyeurisme".

Je vais probablement parler de la prostitution mais je ne sais pas quand. Je n'ai pas de programme de travail à moyen/long terme. Je le ferai quand je penserai avoir quelques idées originales sur le sujet.

"Les pérégrins " est effectivement un grand livre, ce qui explique qu'il ait reçu un grand prix international. Le mot "pérégrin" est un mot "forgé" qui reprend l'esprit de son titre polonais (Bieguni).

L'une des caractéristiques essentielles des langues slaves est en effet leur capacité à créer, individuellement, des mots (ce que n'autorise pas beaucoup le français). Elles ont des rigidités mais ces rigidités autorisent souvent une plus grande liberté.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla
Je fais le même constat que vous depuis des lustres. Les citoyens ne savent rien de leurs lois nationales. Mais, dites-moi, qui va lire le code pénal entre dix-huit heures et minuit par une beau samedi soir, ou bien, ponctuer ses nuits d'insomnies de jurisprudences ? Peut-être des avocats zélés ou des tordus dans mon genre.
De cet état, les législateurs portent une grande responsabilité, celle de constituer des lois claires, compréhensibles, à la portée de tous. Ne dit-on pas que tous ne peuvent ignorer la loi ? Par contre si vous boucler cette loi dans des textes incompréhensibles, qui font souvent le bonheur, le pain et le beurre des avocats ; alors comme législateur vous avez raté votre coup.
Qu'est-ce que vous avez à objecter entre l’exhibitionnisme et le voyeurisme, pouvez-vous élaborer sur le sujet ? Quelles sont vos doutes ?
D'autre part pour en revenir à Tokarczuk est-ce que vous pourriez me donner un définition de bieguni, est-ce l'équivalent de pérégrin ?
Pour marier Tokarczuk à vos sujets sur la loi :
« Voilà pourquoi les tyrans de tous poils, les larbins de l'enfer, ont dans le sang la haine des nomades. Voilà pourquoi ils persécutent les Tsiganes et les Juifs, sédentarisent de force les gens libres, les estampilles d'une adresse, ce qui pour nous est une condamnation ».
Olga Tokarczuk
Les pérégrins
Page -249-
À mon réveil en préparant mon café, deux rouge-gorges sont passés devant ma porte fenêtre. Il fait présentement, (9h35 heure locale), +12 degrés, je me sens un peu perdu après l'hiver que je viens de vivre.
Mais dites-moi avec vos températures en France, votre petit jardin doit commencer à se réveiller ?
Vous en êtes où dans la progression de notre natation ?
Merci pour vos textes et votre présence.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Bonne nuit Carmilla

C'est qui ce type Volodymyr Zelenski ?
Ici la nouvelle vient de tomber.
Si c'est une plaisanterie, elle n'est pas drôle.
30 % du vote avec une participation de 50 %

Richard St-Laurent

Anonyme a dit…

Bonjour Carmilla,
merci pour cette série d'articles dont je partage pour l'essentiel les analyses en tant que juriste (même si je ne suis pas pénaliste). Le Droit moderne, conçu comme instrument des Lumières, redevient une religion.
Pour ma part, je me représente à la fois comme un hystérique, un parano et un névrosé obsessionnel, au regard des définitions que vous proposez. Cela dépend essentiellement des contextes et des personnes que je rencontre.
Il y a deux sujets associés à cette dérive dans la publicisation des moeurs, me semble-t-il. Il y a tout d'abord l'enfer de la transparence qui conduit évidemment la plupart des gens (dont je fais partie) à se planquer encore davantage, à s'anonymiser de façon paradoxale, à traquer les images sur le web, notamment. Il est dans cette perspective absolument impossible d'ouvrir un compte facebook ou instagram. J'aurais bien trop peur de servir de proie numérique à qui que ce soit (une miction hystéricoparanoiaque dont je ne souffre pas, en quelque sorte).
Il y a ensuite la psychologisation généralisée des moeurs et des relations. Il n'y a plus l'autre et moi. Il y a des catégories psychanalytiques en guerre contre les unes contre les autres, et notamment des genres. Récemment, alors que je laissais une dame me quitter sans combattre (je suis un piètre guerrier), je fus qualifié de manipulateur narcissique à tendance perverse en raison de mon abus de silence. Surement une névrose obsessionnelle révélée par un bouquin de développement personnel. Grand bien m'en fasse :-)
Bien à vous et au plaisir de vous lire.
Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Oui, il fait très doux en France et depuis trois semaines, les grands camélias de mon petit jardin sont magnifiques. J'ai aussi deux érables japonais qui ont retrouvé leurs feuilles (cuivrées pour l'un, vert tendre pour l'autre). Pour les hortensias, il faut que j'attende deux mois pour qu'ils soient en fleurs.

Quant à la natation, je continue de progresser conformément à mes objectifs.

Il se passe en effet des choses très importantes avec le regard humain (séduction, hostilité, appropriation ...?). Encore une différence très importante avec l'animal: l'animal voit mais regarde-t-il ?

L'exhibitionnisme me semble bien différent du voyeurisme. Ce qui est sûr, c'est que de même qu'un sadique ne recherche pas un masochiste, un voyeur ne recherche surtout pas une exhibitionniste et inversement. Il recherche la transgression et donc quelqu'un de "normal".

S'agissant du titre du livre d'Olga Tokarczuk, "Bieguni", je ne suis pas très forte en polonais mais je puis vous confirmer qu'il ne s'agit pas d'un mot de la langue courante (sous réserve d'une confirmation par un Polonais de Pologne). C'est un mot qu'a créé Olga Tokarczuk qui évoque, vaguement, des groupes en mouvement, en itinérance. En ce sens, la traduction française "pérégrin", un mot évocateur mais qui n'existe pas dans la langue française, correspond bien à l'esprit du titre polonais.

S'agissant de Zielenski, les sondages l'annonçaient depuis deux mois en tête. Malheureusement, son score dépasse toutes les prévisions et il est probable qu'il sera élu Président. C'est évidemment une catastrophe parce que l'Ukraine n'a évidemment surtout pas besoin d'un acteur comique pour conduire des négociations internationales en vue de sortir de la guerre. Le pays est malheureusement épuisé par 5 années de guerre avec une hémorragie démographique (3 millions d'Ukrainiens ont quitté le pays), une récession économique (tous les grands groupes étrangers se retirent) et une absence de soutien diplomatique international (l'Europe et les Etats-Unis préfèrent sacrifier l'Ukraine à la Russie).

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

Je voudrais d'abord souligner que j'ai une haute idée du Droit. Ses règles abstraites et universelles le situent bien, en effet, dans le prolongement de la Philosophie des Lumières. Le Droit, surtout, est le garant de la démocratie (il n'y a pas de pays développé qui ne soit, également, un État de Droit) et il assure la protection de tous les citoyens (victimes et accusés)contre l'arbitraire. Le Droit contre la haine et l'esprit de vengeance !

S'il y a des dérives du Droit aujourd'hui, c'est qu'on ne s'en tient plus aux grands principes mais qu'on cherche à l'étendre aux multiples aspects de la vie quotidienne. Mais cela est le fait du pouvoir politique et non des juristes eux-mêmes.

Je partage avec vous les critiques que vous formulez concernant les catégorisations psychologiques. Je déteste ça également parce que c'est incroyablement réducteur. Je les ai ici employées, néanmoins, parce que l'on ne peut pas non plus complétement s'en passer. Je n'ai du moins repris que trois grandes catégories freudiennes (Freud parle avec précision de l'hystérie, de la névrose obsessionnelle et de la paranoïa dans ce qui est peut-être son meilleur livre: "Cinq psychanalyses") mais j'admets que c'est le point le plus critiquable de mon post.

Freud n'a jamais parlé de "pervers narcissique". Il me semble que l'extraordinaire succès de ce diagnostic tient au fait qu'il permet à l'un des acteurs d'un "ratage sentimental" de se consoler à bon compte en s'exonérant de toute responsabilité. On veut toujours s'afficher comme des petits saints, on refuse d'avoir la lucidité de sa culpabilité, de reconnaître que l'on a soi-même participé activement au jeu destructeur .

Je m'étonne enfin comme vous de la facilité et de l'inconscience avec la quelle les gens s'inscrivent sur Instagram et Facebook. Sur ce point, je suis carrément "paranoïaque". Le plaisir de nuire est trop fort surtout quand il a peu de freins.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

J'ai trouvé le mot pérégrin dans un vieux dictionnaire Larousse de 1981. Comme de quoi, il ne faut jamais se débarrasser d'un vieux livre, surtout pas des vieux dictionnaires.
Du latin peregrinus, homme libre qui n'était ni citoyen romain ni latin.
Ce qui n'est pas très éloigné de pérégrination.
Tout cela fait sens.
Mes vieux dictionnaires poussiéreux me réconfortent.
J'ignorais que c'était Tokarczuk qui avait inventé le titre de son livre.

Des érables japonais, des camélias, de la verdure, j'en rêve. Ici dans le pays des bancs de neige agonisant, au travers des nids-de-poule, il nous reste à traverser avril, avant de pouvoir jouir d'un peu de verdure. Je pense ici aux premières pousses de l'ail des bois, qui, si les conditions sont bonnes et favorables, je pourrais savourer en salade vers la fin du mois ou au début de mai. C'est l'un des délices de la nature ici. Mais comme tous les délices ça ne durent pas très longtemps.

Par contre mes glands de chênes plantés en janvier ont germés, certains plans font 10cm. Ma tanière est en train de se transformer en jungle. Oui, je suis un homme qui plante des arbres tout comme dans le récit de Giono. S'ajoute des avocatiers qui donnent d'excellentes plantes d'intérieures, plus un citronnier, mais c'est un essai. Les poivrons poussent bien et je vais semer mes tomates dans les jours qui viennent. Le tout à l'intérieur bien au chaud.

Le plaisir du jardinage, se mettre les deux mains dans la terre.
Bonne fin de journée
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Jeudi, 4 avril 2019
Bonjour madame Carmilla
Fortes turbulences, Ça brasse dans le ciel, les nuages bousculés, éprouvés par les vent du Nord-Ouest se déchirent entre les puits de lumières au-dessus de cette neige fraîche tombée pendant la nuit dernière, soulevée par la poudrerie dans ce printemps hésitant. Le thermomètre indique à 7 heures du matin -4 degrés. Je ne pense pas que nous dépasserons le point de congélation aujourd'hui. Les rafales pointent entre 30 et 40 nœuds et plus. Je me félicite d'avoir conservé mon parka dans le Jeep. Les urubus reprennent leurs patrouilles en se transformant en as de la voltige.
Je ne me lasse pas, d'observer ces nuages bousculés, d'entendre les hurlements du vent dans la vallée de la rivière, de jouir de ces puits de lumières creusé entre ces paquets de vapeurs qui étalent leurs palettes entre le rose ténue et le gris sale sur fond de ciel bleu.
Le plaisir de baigner dans les contrastes. Je me demande si le pôle nord glisse sur le Québec à demeure. Si, le reste de la terre se réchauffe, nous en revanche nous bavons de froid. Avril piétine et il se pourrait bien qu'il piétine encore longtemps. Ce qui ne manquera pas de retarder les semences.
Indubitablement, le Yukon et les Territoires Du Nord-Ouest auront connu un hiver très doux. À Dawson City au Yukon, pour l'une des rares fois de leur histoire, les habitants ont été incapables de construire un pont de glace sur le grand fleuve Yukon. Ce que nous oublions en cette époque, où nous faisons les gorges chaudes sur le réchauffement de la planète, c'est que les périodes de grandes chaleurs sont souvent suivies de refroidissements brutaux. Mais de cela, personne n'en parle tellement que nous voulons endosser la responsabilité de cette situation incontrôlable. La faute, voir le péché, nous intéressent plus que le réalisme scientifique ou le sens commun.

« L'heure est venue où l’âme, chevillée à la conscience, s'effondre, écrasée, comme une créature sauvage qui cherche sa pitance.»
Olga Tokarczuk
Les Pérégrins
Page -83-

Est-ce que la douceur et la facilité sont des bons chemins ?

Bonne fin de journée
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Carlos Ghosn encore une fois arrêté.
Il est en train de goûter à la justice japonaise.
Le Japon exerce impitoyablement sa souveraineté.
Est-ce qu'il y a eu des pressions diplomatiques ?
Personne ne semble pressé de le voir sortir de ce pays, les japonais ne reculent pas, ils n'ont peur de personne.
Est-ce que leur nationalisme est toujours aussi fort ?
Comment un type aussi puissant que Ghosn, s'est fait piégé ?
Dossier intéressant

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Autant pour moi, Richard !

Le mot "pérégrin" se trouve effectivement dans certains dictionnaires et appartient donc bien à la langue française. Mais je suis sûre qu'à peu près personne ne le connaît et ne l'utilise dans la langue courante.

Merci pour vos descriptions poétiques de la météorologie québecoise mais je ne sais que vous répondre; comme je l'ai déjà précisé, le climat parisien n'est pas très intéressant: continuellement doux et plus ou moins gris.

Quant à Carlos Ghosn, j'éviterai de me prononcer. Comme presque tout le monde, je ne connais pas le dossier d'accusation. Par ailleurs, je suis très attachée au principe de la présomption d'innocence.

Cela dit, la justice japonaise ne m'apparaît pas vraiment celle d'un pays démocratique. Il m'apparaît par exemple extraordinaire que Ghosn ait été, hier, directement incarcéré, sans garde à vue préalable. Quant au concours d'un avocat durant ces périodes d'incarcération, il semble qu'il soit très limité.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

"Le Droit, surtout, est le garant de la démocratie (il n'y a pas de pays développé qui ne soit, également, un État de Droit)", dites-vous...

Mais les exceptions me semblent très nombreuses : la Chine est aujourd'hui largement développée, elle n'en demeure pas moins une dictature. Idem pour la Russie, et, il n'y a pas si longtemps, pour la Corée du Sud, par exemple.
Quant à l'Allemagne des années 30, elle avait beau être le pays le plus développé d'Europe, elle a connu dès 1933 une dictature terrifiante.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Il me semble que la Chine et la Russie sont encore loin d'avoir atteint le niveau de vie et de développement des pays occidentaux. Dès qu'on a quitté les grandes villes de ces pays, on comprend.

On craint même une stagnation économique de la Russie en raison de la corruption généralisée du monde des affaires. C'est le même problème en Ukraine: il n'y aura pas de décollage économique tant que ne sera pas créé un État de Droit.

Quant à l'Allemagne nazie, de nombreux travaux montrent aujourd'hui que sa réussite économique était une supercherie financée par l'emprunt et la fuite en avant monétaire. En 1939, le pays était au bord de l'écroulement. Je vous conseille le livre d'Aly Götz: "Comment Hitler a acheté les Allemands". C'est en poche, chez Flammarion.

La Corée du Sud, enfin, est devenue une véritable démocratie même si c'est assez récent. J'ai eu l'occasion d'aller en Corée il y a 10 ans. Le pays était, paraît-il, sinistre du temps de la dictature militaire. Il a beaucoup changé mais il demeure marqué par cette période.

Bref, la dictature produit peut-être quelques résultats au départ mais ça se bloque tôt ou tard.

Bien à vous,

Carmilla