samedi 9 mars 2019

Permis/interdit - La Nécrophilie



















J'ai parlé de la prohibition de l'inceste la semaine dernière.

Mais il existe un tabou encore plus fort : celui de la nécrophilie, de la transgression des frontières entre les vivants et les morts.


C'est même bizarre: on peut évoquer son goût pour les romans policiers, les films d'horreur, les faits divers sordides, les actes de torture. Ça ne suscitera, à l'occasion d'une soirée entre amis, aucune réprobation et même plutôt un intérêt. Et ça relancera même, probablement, les conversations qui prendront, tout à coup, un tour passionné.

Mais essayez de raconter que vous vous intéressez aux morts, que vous les trouvez beaux et séduisants. On vous prendra tout de suite pour une folle complète, à enfermer d'urgence.


La nécrophilie suscite en fait une horreur absolue. C'est curieux parce que c'est totalement irraisonné. La nécrophilie est en effet une pratique inoffensive, elle ne fait de mal à personne.

Le rejet est tel que cette pratique n'est même pas nommée par les textes de Loi. D'une manière générale, en effet, le Code Pénal français ne punit aucune "déviance" ou "maladie mentale".
















Comme l'inceste, la nécrophilie n'est donc pas sanctionnée en tant que telle. Elle l'est seulement parce qu'elle peut constituer une "atteinte à l'intégrité du cadavre" ou donner lieu à "la violation ou profanation" de la sépulture. Cela signifie, en fait, qu'elle peut, dans certaines circonstances être tolérée. Un nécrophile n'est donc pas systématiquement condamné.


Ce que le Droit cherche surtout à protéger, en fait, c'est l'intégrité du corps humain et son caractère inviolable. A titre anecdotique, il faut ainsi préciser qu'il n'est normalement pas possible d'acheter ou de vendre des restes humains et que vous ne pouvez convertir un crâne humain en objet de décoration (sur votre bureau ou table de chevet par exemple) que sous certaines conditions ("bien culturel").



Mais au total, la nécrophilie n'est pas lourdement condamnée. Le Code Pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la violation ou la profanation d'une sépulture (attention tout de même ! ça concerne aussi l'urne funéraire de la belle-mère qui trône sur la cheminée du salon).

La peine est portée à 2 ans d'emprisonnement et à 30 000 euros d'amende lorsque l'infraction est accompagnée "d'atteinte à l'intégrité du cadavre". Cela veut dire que, compte tenu des aménagements de peine en deçà d'un durée de deux ans, un nécrophile peut échapper à l'incarcération. C'est, semble-t-il, puni plus lourdement aux États-Unis, du moins en Californie, où la peine peut aller jusqu'à huit ans.


































Mais il est vrai que les comparutions de nécrophiles avérés devant un Tribunal sont exceptionnelles. On ne recense que quelques "affaires" au cours des deux derniers siècles. L'une des plus célèbres est celle du Sergent Bertrand condamné, en 1849, à un an de prison. Mais il faut mentionner le cas effroyable d'Armin Meiwes (Allemagne 2001) et de sa victime Bernd Jürgen Armando Brandes qui avait donné son consentement à sa castration, à son cannibalisme et à sa mort: une affaire qui constitue un sommet de la terreur. Plus récemment, en Russie, en 2011, un chercheur et scientifique de Nijni-Novgorod, Anatoly Moskvine, a été interpellé parce qu'il entreposait, dans son appartement, les restes de 29 jeunes filles. Il ne les avait pas assassinées, il les avait simplement exhumées alors qu'elles étaient décédées depuis plusieurs années. Il les avait ensuite habillées comme des poupées.

Évoquer la nécrophilie, ça n'aurait donc pas grand sens tellement elle serait marginale. Pourquoi pas parler des fétichistes qui coupent les nattes de jeunes filles dans le métro ?

Et bien non ! Même si le passage à l'acte est rarissime (tellement le tabou est fort), je demeure néanmoins convaincue  que nous sommes tous taraudés par l'étrange proximité de la mort et hantés par la vision de cadavres qui nous visitent régulièrement.


La Mort, grand refoulé de nos sociétés, c'est un cliché, une idée banale et convenue, mais il est évident que la Mort revient et affleure sans cesse en nous, en exerçant une fascination irrépressible. L'existence, ça n'est finalement qu'une bande de Möbius, sans recto ni verso, que l'on parcourt dans une totale confusion : celle de l'enchevêtrement de la vie et de la mort.

Je ne puis éviter, sur ce point, d'évoquer mon expérience personnelle. Disons que des morts, des cadavres, j'en ai rencontré des centaines, pas seulement, évidemment, dans ma famille.

C'est d'abord parce que mon père était un médecin hospitalier et qu'il me trimballait, toute petite, dans son service.

Ça m'a marquée à tel point qu'après la mort de mon père et sans doute par fidélité, j'ai choisi d'exercer d'abord mes compétences professionnelles, comme premier travail, à la direction des finances d'un grand hôpital. Ça n'était sans doute pas entièrement rationnel (je pouvais trouver mieux) mais j'avais besoin de prolonger cette singulière ambiance de l'hôpital.


L'hôpital, c'est un lieu éminemment tendu (j'exclus, bien sûr, les maternités), traversé de passions violentes et contradictoires. On y côtoie sans cesse la Mort avec un détachement, une maîtrise nécessaires. Pour pouvoir exercer son métier, on se doit de refouler son affectivité. Mais presque comme une compensation, il règne aussi, à l'hôpital, une étrange atmosphère érotique, presque obscène. Entre les personnels, la sexualité sert de défouloir, souvent violent et agressif. Quant aux médecins, ils sont les premiers à transgresser les règles d'hygiène qu'ils prescrivent : ils fument, boivent, font bombance et, surtout, ne se soumettent à aucun examen médical.

Je me suis donc pas mal baladée dans tous les services (officiellement pour y faire du contrôle de gestion). Inutile de préciser que j'avais beaucoup de succès auprès du "corps médical" mais ce qui m'intéressait beaucoup également, c'était la visite de la morgue (qui dépendait, pour des raisons trop complexes à vous expliquer, de la direction des finances). Je m'y rendais donc régulièrement. Je me souviens que nous disposions de 50 cases réfrigérées et que chaque jour, nous accueillions de 5 à 10 cadavres et en faisions sortir autant.


Il y avait 4 agents funéraires qui y travaillaient. Contrairement à ce qu'on peut imaginer, ils n'étaient pas des personnes "bizarres". Ils adoraient même leur métier au point qu'ils ne l'auraient échangé pour rien au monde et qu'ils n'étaient jamais absents. "La mort fait partie de la vie" me disaient-ils.

C'était un lieu clos, sans lumière naturelle, où régnait un silence pesant qui n'était troublé que par la visite, souvent déchirante, des familles.

On ouvrait alors les cases et c'était "l'instant décisif", la vision fugace qui imprimerait sa marque définitive et viendrait vous hanter continuellement.

Parfois, c'est horrible, ce sont des visages torturés, défigurés, qui apparaissent.

Mais souvent aussi, la Mort semble avoir paré les corps d'une étrange beauté. Beaucoup de personnes semblent transfigurées, sereines et sans amertume. La beauté, voire la séduction des morts, j'avoue ainsi y avoir parfois été sensible.















Et puis, au bout de quelques petites années, j'ai quitté l'hôpital parce qu'on ne peut pas vivre indéfiniment dans un lieu clos et retiré, surtout dans le souvenir de son père. J'ai alors choisi des activités plus "désincarnées", plus abstraites : la finance pure et dure qui me convient parfaitement.

Mais j'ai toujours entretenu une passion pour la Mort et les morts. Ça s'exprime notamment dans mes goûts littéraires: les œuvres d'Edgar Poe et puis celles de Georges Bataille. "Le Bleu du Ciel", dont le héros ne parvient à surmonter son impuissance que face à un cadavre en putréfaction, est ainsi, à mes yeux, l'un des plus beaux romans du 20 ème siècle. Et puis, il faut mentionner le livre-choc de Gabrielle Wittkop: "Le nécrophile". Un texte à l'écriture magnifique et un écrivain à redécouvrir d'urgence: Gabrielle Wittkop.

Vous trouvez peut-être que je suis bien macabre et vous pensez que je suis sans doute absolument sinistre.

Au contraire, au contraire ! De ma conscience aiguë de la Mort, de ma sérénité à l'affronter, je retire assurance et confiance en moi. Et j'en éprouve finalement une grande joie. Souvent, je chante et j'éclate de rire toute seule.
















Images de Paul DELVAUX (1897-1994), Antoine WIERTZ (1806-1865), Clovis TROUILLE (1889-1975), Zdzislaw BEKSINSKI (1929-2005),  Pietro PAJETTA (1845-1911) pour "Hatred".

Images également de cimetières à New-York, Milan, Paris.

Au cinéma, il existe peu de films évoquant la nécrophilie. Le plus esthétique est un film canadien de Lynne STOPKEWICH sorti en 1996: "Kissed". Vous pouvez facilement le voir sur Internet. Ce qui m'a troublée, c'est que l'actrice principale, Molly Parker, m'y ressemble étrangement au même âge, surtout dans les attitudes et les expressions, comme s'il y avait un profil-type des amoureuses des morts.

9 commentaires:

Richard a dit…

La mort fait partie de la vie.

Que la nuit vous soit favorable Carmilla.

Après avoir lu à trois reprises votre texte, j'ai regardé par la fenêtre, je ne pouvais pas demeurer en place, c'était plus fort que moi, il fallait que je sorte. J'ai fermé mon ordinateur, préparé mes affaires, surtout sans oublier mes bottines de skis de fond, et j'ai foncé vers la ferme.
Michel de Montaigne écrivait : Je ne pense bien qu'à cheval, j'ajouterais : je ne pense bien que sur mes skis de fond.
Je me suis élancé sur le plateau, direction la forêt, toujours mon ultime refuge. Toujours le plaisir de flotter sur la neige, sous un lumière exceptionnelle, sur une surface durcie par des nuits froides par moins vingt degrés, avec en prime un fartage excellent, ce qui ajoute à mon plaisir. L'important, c'est de franchir la plateau qui est désert afin de ne pas trop souffrir sous le vent froid, une fois en forêt, c'est une autre histoire, bien abrité du vent, c'est la grande jouissance. Je me cherche toujours une belle épinette blanche, j'examine le tronc à la recherche de gomme d'épinette, et lorsque j'en trouve, je les détache avec mon couteau et fourre les morceaux dans ma bouche où ma salive les amollira. C'est une véritable jouissance cette saveur particulièrement amère. C'est un antiseptique, qui plus est, cela vous nettoie la bouche mieux qu'un brossage prolongé des dents et n'importe quel rince bouche.
Je n'ai pas besoin de regarder longtemps autour de moi, cette zone c'est une zone d'agonie, qui dit agonie, dit zone de mort. C'est bien une zone de mort. L'hiver que nous vivons présentement au Québec est un véritable hiver, certains le trouve dur, personnellement je le trouve normal. Les chevreuils sont entrés dans une période cruciale. Les épines des petits sapins entre 1 mètre à 1.5 mètres sont rongées, ils ont même commencé a rongé l'écorce de ses petits arbres et lorsqu'ils agissent ainsi, c'est que les chevreuils sont en mode survie. Mars sera, pour ces bêtes, la lutte ultime pour la survie. Les plus vieux comme les jeunes du printemps dernier, pourraient y passer. Pas étonnant que les coyotes rôdent, eux aussi sont en mode survie. La mort est partout, celui qui tombe, servira de repas au suivant. La nature est opportuniste et sans but défini. Nos petites réflexions philosophiques n'ont rien à faire dans cette zone de ravage. Loin de me désoler, je me demande comment ne pas joindre votre texte à cette situation ?
Votre texte est bien tombé ce matin !
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Vos quatre agents funéraires avaient raisons, il y a longtemps que j'ai fait mienne cette maxime : La mort fait partie de la vie. Par contre, je ne suis pas sûr que la vie fait partie de la mort. Cela reste à débattre.
Aujourd'hui, vous être livrée comme jamais au paravent. Je comprends un peu mieux, cette vision que vous possédez, celle des Golems, celle aussi de la mort, de cette mince ligne sur le fil du rasoir, ce point de basculement qui peut se produire dans l'instant ou bien dans vingt ans.
J'ai toujours été intéressé par le traitement que différentes sociétés prodiguaient à leurs morts.
Ici en Amérique, plusieurs nations indiennes avaient des traditions et des habitudes très particulières avec leurs morts.
Certaines de ces nations, une fois une personne décédée, la suspendait à un arbre, la laissait se décomposer, et lorsque le squelette était parfaitement nettoyé, après plusieurs années, reprenait ses os, et là pouvait commencer le deuil, le tout commençait par des cérémonies, un grand banquet, où l'on offrait de la nourriture à la dépouille, des cadeaux et ainsi de suite. Après ces cérémonies, ils enterraient la dépouille.
Est-ce qu'on peut qualifier la chose de nécrophilie ?
Nous avons inventé un terme : nécrophilie !
Mais qu'est-ce que la nécrophilie ?
Je n'ai pas de réponse Carmilla.
Il n'y avait rien à mes yeux de nécrophilie dans ces cérémonies. Ils aimaient les vivants, mais ils avaient un grand respect envers leurs morts. Oui, on peut embrasser un mort.
Dans toutes les sociétés que j'ai côtoyées, j'ai toujours porté attention aux manières dont on traitait les morts, sans porter de jugement.
La manière des cérémonies, le respect, en passant par l'entretient des cimetières, la soif du souvenir, les histoires que l'on raconte à la veillée sur les disparus, étrange pour l'athée que je suis, mais j'ai aussi un côté animiste, style méchant païen.
Je suis là à gratter le tronc d'une épinette pour ma gomme. Je regarde ces petits sapins écorcés. Ce qui me rappelle certaines lectures, où les Russes encerclés à Leningrad grattaient l'écorce des sapins pour se nourrir. Ça aussi ça fait partie de la vie et de la mort.
Par contre, je n'ai aucune affinité avec les cadavres, ils sont morts, c'est très bien ainsi, cela me laisse indifférent.
C'est à mon tour de vous faire une révélation, j'ai été pilote de brousse dans le nord du Québec pendant une douzaine d'années. Je transportais tout ce qui pouvait être transporté par avion, des passagers, des indiens, des biologistes, des ingénieurs, des blessées et des morts.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Je me souviens très bien de ces 5 cadavres étendus sur le plancher de mon Otter en route pour Schefferville enveloppé dans ces fameux sacs jaunes, cinq morts dans un accident d'avion. Pas question de sentiment, il faut bien se concentrer sur son pilotage. J'ai toujours pensé que cela pouvait être moi. Prise de conscience de ma vulnérabilité. Étagement, je n'avais aucune impression macabre, seulement celle d'une grande paix. La cabine du Otter n'avait jamais été aussi calme. Il y a de quoi réfléchir. L'été nous volions sur flotteurs, l'hiver sur skis. En hiver pendant qu'on réchauffait le moteur à l'aide de Hermer Nelson (fournaise auxiliaire) j'avais une pensée qui me traversait l'esprit pendant trois secondes : « Ce paquet de ferraille qu'est cet avion pourrait bien être ton tombeau ». Puis lorsque le moteur était réchauffé, à point pour le démarrage, je grimpais dans mon cockpit, et je n'y pensais plus. Une fois décollé, je pensais que c'était le plus beau métier du monde.
Mais, je n'en n'avais pas fini avec les morts. J'ai accompagné des mourants, j'ai tenu leurs mains, jusqu'à LA FIN ULTIME. Allez leur disais-je, va y, traverse le miroir, toutes souffrances a une fin. C'est vrai Carmilla, à ce chapitre vous avez entièrement raison, cela donne une confiance en soi, je sortais de l'hôpital, la tête haute, fier, content, sans regret, parce que les souffrances étaient terminées.
Ce n'est pas la mort que je déteste ; c'est la maudite souffrance. Cette souffrance de notre impuissance que je n'ai jamais acceptée.
Lorsque vous évoquez tous ces morts, j'en conviens, certains sont vraiment morbides, d'autres affichent cette plénitude comme une grande paix, je dirais de la chose, qui pour ceux qui savent regarder et sentir, que cela apporte une sérénité et pourquoi pas une plénitude à ceux qui restent sur le rivage de la vie. J'évoquerais à ce chapitre, que ceux qui ont réussit leur vie, meurent bien sans regret, par contre ceux qui savent qu'ils ont raté leurs vie se tordent de regrets. J'avoue que ce n'est pas une mince affaire de bien mourir. Nous avons tous un vieux contentieux avec la mort ce qui se résume souvent à une charmante partie de poker.
Un jour je transportais un groupe d'indiens qui se rendaient sur leur territoire de chasse. Après l’amerrissage je taxais lentement vers le rivage du lac. Un vieil indien était assis près de moi. Comme le moteur tournait au ralenti je l'ai entendu clairement me dire : De l'autre côté de cette montagne ma mère est enterrée. Puis, il n'a plus rien dit. Et c'était très bien ainsi !
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Revenons à la vie. J'ai savouré ce bout de texte lorsque vous évoquez que vous accompagniez votre père médecin à l'hôpital. Je vous vois marcher près de lui, et je suis sensible lorsque vous dites que par fidélité vous avez œuvré dans une grand hôpital pour continuer tout simplement, il y a quelque chose de très humain dans cette démarche. Je reconnais votre grande conscience. Sans doute que vous étiez à cet âge tendre déjà très consciente. Sans doute que vous pouvez être dure, dominatrice, implacable, mais je dénote un humanisme qui vous honore. La couche de peinture n'est sans doute pas si épaisse que nous ne pouvons l'imaginer. Ceci est une impression très personnelle, mais que je voulais partager avec vous, celle de la petite fille que vous étiez sans doute la favorite de tout le personnel de hôpital, et qui ne manquait rien.
Je skiais au travers des sapins et je vous voyais, je vous imaginais, et pour imaginer avec moi il faut se lever tôt, je vous voyais au cœur de votre curiosité. C'est une belle intensité, ce qui m'a beaucoup plut. Savez-vous, cela pourrait faire un bon livre. Il y a de quoi là ! Le sujet est vraiment inspirant.
La beauté, cette sensibilité à la beauté des morts, je ne sais pas. J'ai toujours eu pour habitude, lorsque j'allais au corps au salon funéraire, de m'approcher du mort, et de le toucher dans l'esprit qu'un vivant, moi, touche un mort comme dans un espèce de salut. Croyez-moi, c'est beaucoup plus qu'une invocation ou une prière. J'en éprouve toujours une grande satisfaction. Peut-être que dans les même eaux, nous ne sommes pas si éloignés que cela.
Si j'avais fait ma médecine, je serai devenu médecin légiste. Cela m'aurait passionné. Disséquer n'est pas tellement éloignée de la boucherie, je sais se sont des propos grossiers, mais n'oubliez pas je suis né sur une ferme. Mon grand-père m'a enseigné lorsqu'il tuait les veaux au printemps, ce que c'était qu'un cœur, un foi, un poumon, quelles odeurs et quelles textures cela avait, à quoi cela servait, lorsque je suis entré aux études secondaires, en biologie, j'en savais déjà un bout.
Ce qui me fascine, c'est que nous avons enveloppé le tout, d'esprits et de sentiments, et j'avoue que j'ai toujours un faible pour un squelette. Lorsque j'en vois un, je ne puis faire autrement que de m'arrêter, de le regarder, que dire, de l'admirer. C'est cela un humain ?
Merci pour ce texte inspirant
Ce fut une belle journée et vous y étiez pour quelque chose. Je suis rentré de ma randonné en forêt, fatigué mais heureux.
Bonne nuit pour ce qu'il en reste
Richard St-Laurent

Nuages a dit…

Un petit mot à Richard Saint-Laurent, pour lui dire que ses textes sont beaux, émouvants et inspirants.

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla !
Dans un premier temps je voudrais remercier Nuages pour son bref commentaire chaleureux. C'est un beau mot nuage, qui peut devenir un beau nom, vous avez bien choisi.
Comment dans ce pays du Québec ne pas évoquer la neige ? Hier, il faisait froid par un ciel clair, limpide, où la lumière solaire rebondissait sur cette surface brillante. Aujourd'hui, il neige, neige que je qualifierais de giboulée printanière. L'air s'est adouci, mais ce n'est pas encore le printemps.
Je revois les labyrinthes que j'ai parcourus hier, où les chevreuils tracent des sentiers dans l'épaisse couche de neige, et qui dit survie, dit économie d'énergie. Ils se déplacent l'un derrière l'autre, évitent de bondir, les sprinteurs sont devenus des marathoniens.
L'hiver dernier, j'ai bûché dans ce secteur où à pareil date il y avait beaucoup moins de neige. J'y avais découvert une carcasse de chevreuil, toujours passionné par les squelettes, j'ai examiné attentivement ce cadavre. Il devait bien rester la moitié de la viande. C'était une bête dans la force de l'âge, mature, sans doute en forme. La fourrure était encore belle. Pas de trace de lutte. J'essayais de trouver des indices afin d'expliquer ce décès. Peine perdu, je suis retourner bûcher. À chaque jour que je revenais pour bûcher, j'allais visiter cette carcasse. Des fois j'interrompais le banquet des mésanges à tête noire, une autre fois c'était un porc-épic qui se régalait. De jour en jour, la chaire disparaissait, la nature faisait son œuvre et j'étais fasciné par ce processus. Finalement après une semaine de visites quotidiennes, cette carcasse avait disparu. Je l'ai cherché dans les environs, mais je n'ai rien trouvé. N'est-ce pas fascinant ?
Je suis un homme des neiges. J'aime la neige. Je suis la neige. J'assume ma « nordicité ». Lorsque je travaillais dans le nord à Sept-Îles on m'avait donné le surnom de Yéti, à Schefferville je portais le surnom de Sasquatch, je pourrais personnifier assez facilement l'abominable homme des neiges, j'en ai la carrure. Nous sommes ici dans le mythique, dans l'esprit du froid et de la neige. Il suffit que la neige commence à tomber, pour que j'arrête tout et que je me laisse prendre par mon admiration hypnotique de ce phénomène météorologique comme aujourd'hui. Je sais qu'il n'y aura pas de sortie, parce que les prévisions annoncent que cette neige pourrait se transformer en pluie.
Si vous rencontrez un Québécois un jour, ne vous étonnez pas s'il vous parle de météorologie. C'est notre grand sujet de conversation, et encore plus dans les vastes espaces du nord. Est-ce que la neige est poudreuse ? Collante? Ou encore solide comme du ciment. Quelle est l'épaisseur de la glace sur ce lac ?
La neige vient de diminuer d'intensité, par -4 degrés, sous un vent du sud à dix nœuds, visibilité de un à deux kilomètres ici localement près de la rivière Saint-François.
Bonne fin de journée Dame Carmilla.
Bon vent
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il est encourageant que mes propos, un peu en dehors des convenances, parviennent à trouver un écho. En dépit de l'idéologie de la transparence, il y a de l'inavoué-inavouable en chacun de nous et c'est peut-être notre bien le plus précieux.

Je suis peut-être en effet moins dure et moins méchante en réalité que je ne l'affirme. Mais je ne supporte pas, en fait, tous ceux, innombrables, qui pratiquent l'auto-justification et s'affichent, dans leurs textes et leurs propos, comme de petits saints. Un peu d'humilité me semble nécessaire: la duplicité signe notre condition.

Je partage, sinon, l'avis de Nuages concernant vos textes qui nous font entrevoir et sentir l'âpreté de la nature au Québec. Mais je ne sais que répondre. La neige et le froid, j'adore mais le climat en France est désolant: il n'y a rien à en dire. Une pluie, une grisaille et une douceur continuelles. La neige, on ne connaît pas. Je crois qu'il n'y a pas eu une seule journée de gel cette année. En tous cas, je n'ai jamais eu à mettre de gants ou un gros manteau. On est vraiment privés de la magie de l'hiver mais les Français, au lieu de s'en désoler, s'en réjouissent au contraire. Ça me consterne et si je cherchais une raison de quitter la France, ce serait d'abord son climat.

Bien à vous,

Carmilla

PS: J'ai acheté "Crashed" de Tooze et entrepris sa lecture. De grandes qualités de clarté et de précision apparaissent d'emblée mais je vous en reparlerai.

Richard a dit…

il y a de l'inavoué-inavouable en chacun de nous et c'est peut-être notre bien le plus précieux.

Merci madame Carmilla

Voilà un des fondements de la liberté.

Voilà ce que je cherche en fréquentant votre blog, ce genre de réflexions qui me permet de dessiner d'autres perspectives dans une quête jamais assouvie.

Après vous avoir lu samedi dernier, j'avais une seule envie, vous répondre immédiatement, mais je me suis abstenu, j'ai préférer aller méditer tout cela en forêt. Le résultat est contenu dans mes textes.

Parler de nécrophilie, il faut oser.

J'aime votre audace.

Je n'ai pas l'impression d'avoir fait un tour morbide de la mort, non, ce fut une grand tour de la vie.

Albert Camus disait : Je ne veux pas avoir un grand nombre de lecteurs, je veux avoir quelqu'un qui me lit attentivement. Je présume que c'est sans doute votre cas. Il y a des lecteurs, dont vous ignorez tout, qui vous lisent attentivement. C'est stimulant comme une bouteille à la mer.

Il m'arrive dans mes tours du monde virtuel, où je consulte les rapports météorologiques, de m'intéresser à Paris. Pas de gant, ni de lourd manteau, pour nous Québécois c'est un abstraction. J'avoue que nous nous payons une pinte de bon temps lorsque nous visionnons les reportages d'une tempête sur Paris. Il y en a toujours un qui pousse la réflexion : Un tempête ça ? Et nous partons tous à rire.

J'ai mon exemplaire de (Crashed). Je relis certains chapitres. J'ai hâte de lire vos réflexions sur cet ouvrage.

Bonne nuit et dormez bien.
Richard St-Laurent

PS : J'aurais bien aimé rencontrer votre père, je pense que nous aurions eu des conversations intéressantes.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

J'ignore en effet presque tout de mes lecteurs même si je sais qu'ils sont une petite communauté de fidèles qui se manifestent sous différentes formes et supports. J'essaie du moins de répondre à presque tous ceux qui m'écrivent mais, pour différentes raisons, je n'y arrive pas toujours.

Mais je ne veux pas non plus trop en savoir sur mes lecteurs parce que je craindrais de perdre un peu de ma liberté: je pourrais être tentée de chercher à leur plaire, d'écrire pour eux. J'essaie donc de ne pas avoir de freins et tant pis si je choque parfois. Rien de pire que la tiédeur du consensus, mieux valent le combat et la passion.

Quant à mon père, c'eût été difficile. Il ne parlait pas le français.

Bien à vous,

Carmilla