samedi 24 avril 2021

Les abstinents

 

"Une sexualité épanouie", c'est aujourd'hui considéré comme une condition absolue du bien-être et de l'accomplissement personnels. Il y a même une véritable injonction, un diktat, du coït et de l'orgasme. Et on n'a jamais assez de mépris pour les "mal baisées", les puceaux et les coincés.

On vit sous une idéologie délirante, celle de l'impératif de l'orgasme. Il faudrait jouir à tout prix et la génitalité est, à cette fin, promue comme thérapie absolue. C'est le triomphe de la sinistre hygiène de vie qu'appelaient de leurs vœux les penseurs ultra-surestimés de la dénommée révolution  sexuelle : Herbert Marcuse et Wilhelm Reich (curieusement né dans un bled d'Ukraine, près de Tchernovtsy). Cette vision hygiénique de la sexualité, de la satisfaction nécessaire d'un besoin, elle a conquis aujourd'hui tous les esprits, elle nous a rendus niais et simplistes.

 Pour ce qui me concerne, je me détache de plus en plus,, je m'éloigne, de cette véritable propagande. Faire l'amour le plus possible, ça ne m'apparaît pas l'ingrédient essentiel du bonheur. Et la perspective de me marier, de me faire ramoner trois ou quatre fois par semaine par un type qui me fera trois ou quatre gosses, je trouve même ça carrément déprimant. 


 Et puis cette idéologie de la libération sexuelle m'apparaît souvent une vaste fumisterie. 

- d'abord parce qu'elle est profondément inégalitaire. Comme l'a bien montré Michel Houellebecq ("Extension du domaine de la lutte""), elle concerne exclusivement les riches, les beaux et les jeunes. Tous les autres, les moches, les vieux et les pauvres, c'est à dire la majorité, en sont exclus et peuvent ruminer indéfiniment leur frustration. C'est le fameux malaise dans la civilisation.


 - ensuite parce qu'on constate aujourd'hui, dans les sociétés occidentales, un désintérêt croissant pour la sexualité. C'est particulièrement flagrant au Japon où une effarante proportion de trentenaires avoue n'avoir jamais eu de relations sexuelles. Quant aux couples mariés, c'est très épisodique. 

 

Pourtant, on ne peut pas dire que les Japonais soient ignares en matière de sexe (leur production graphique me fait moi-même souvent rougir). Et on ne peut pas dire, non plus, qu'ils se sentent malheureux. J'ai même trouvé que la vie de certaines jeunes Japonaises était plutôt agréable. Elles ont de l'argent, elles voyagent dans le monde entier, elles sont éprises d'Art, de chic et beauté, elles organisent des fêtes endiablées avec leurs copines. Simplement, elles n'ont pas du tout envie d'avoir à supporter le fardeau d'un type et de tâches domestiques.

Moi même, adolescente, je pensais que la sexualité, ça n'était que le plaisir. Alors j'ai voulu, de toute urgence, me faire "décapsuler" mais pas par de quelconques bêtas, par de vrais hommes "expérimentés". Être "un bon coup", ça devient une étrange ambition, un point d'honneur, pour une jeune fille qui se veut moderne. J'ai alors fait défiler, à la fois pour tester et par esprit de compétition avec ma sœur qui avait un succès fou. 

J'en ai, en fait, souvent bavé, peut-être parce que j'ai  un côté hautain qui fait que les hommes ont davantage tendance à se déchaîner. Il faut alors subir sans broncher, parce qu'on est libérées, les sodomies qui vous déchirent et les fellations qui vous étouffent. Et puis, une fois que le type a gagné, qu'il a éjaculé, c'est terminé. C'est vraiment limité. Hommes et femmes n'ont, en fait, pas les mêmes attentes érotiques. Les matins blêmes, c'est rarement rose. C'est souvent aussi la crasse, la grossièreté et l'humiliation. La sexualité, ce n'est pas seulement la félicité, c'est aussi le sordide.

La délicatesse n'est plus dans les mœurs. Parfois, j'ai envie de ne plus coucher qu'avec des filles, c'est au moins plus tendre et plus doux. J'en ai assez des soirées réglées où, en échange d'un restaurant ou d'un sinistre week-end à la campagne, je dois accepter de me faire planter et déployer mon savoir-faire érotique. Être pas trop mal fichue, ça n'a, finalement, pas que des avantages. Ça suscite aussi  une sourde hostilité : on veut se venger de la beauté d'une fille, la lui faire payer, parce que sa beauté est une insulte, le comble de l'inégalité sociale. Alors on cherche à l'humilier, à lui en faire voir de toutes les couleurs.

Finalement, aujourd'hui, même si je pense être plutôt libérée, je ne survalorise plus du tout l'orgasme et la relation sexuelle. Je me prends de compassion et surtout d'intérêt pour tous ceux, innombrables en fait, qui reconnaissent ne pas avoir de vie sexuelle, que ce soit une situation subie ou par choix délibéré (parce que la contrepartie est exorbitante). 

Toutes ces personnes, tous ces "abstinents", posent, en effet, une question essentielle : ne pas faire l'amour, est-ce ne rien connaître de la sexualité, ou plutôt la sexualité se résume-telle au nombre de partenaires que l'on a eus ?

De quoi finalement s'alimente le désir érotique ? Très secondairement, en fait, du besoin organique du coït. Plus profondément du grand jeu de la séduction, de ces multiples signaux, plus ou moins subtils et ambigus, adressés à l'autre. C'est cela qui est somme toute agréable et captivant. Je frémis sans doute plus à jouir de mon apparence et à me sentir regardée, voire visuellement déshabillée, que pelotée dans un sombre couloir. Exhiber une belle robe, ça me plaît souvent autant que faire l'amour.

La sexualité est, par essence, dysfonctionnelle, polymorphe, et tous les promus "experts" et sexologues ne pourront jamais corriger ça.

Les "abstinents" préfigurent peut-être une nouvelle modernité privilégiant les jeux symboliques entre les sexes. L'énigme de l'autre, c'est ça qui est intéressant dans la sexualité. L'ambiguïté et le mystère, c'est ça qui fait le sel de l'amour et de la vie toute entière.

Images de Roger BALLEN, né en 1950 à New-York et résidant en Afrique du Sud. Photographe de l'angoisse, de l'angoisse sexuelle. Rien à voir avec la félicité et la simplicité aujourd'hui célébrées.

Un post dont la crudité des propos choquera peut-être. J'assume, il faut aussi savoir nommer les choses.

Dans le prolongement de ce post, je recommande :

- Michel Houellebecq : "Extension du domaine de la lutte" et le tout récent essai, comme toujours décoiffant : "Interventions 2020"

- Lisa Halliday : "Asymétrie". J'ai déjà recommandé ce livre, paru en 2018, mais j'ai vraiment beaucoup aimé le récit de sa relation avec Philip Roth. On le trouve maintenant en poche.

- Chantal THOMAS :  "Un air de liberté - Variations sur l'esprit du 18 ème siècle"

- Vivant DENON : "Point de lendemain". Un conte emblématique de la littérature libertine par un personnage aux multiples facettes qui accompagna Bonaparte en Égypte pour en décrire les monuments puis devint le premier directeur du musée du Louvre.

- Bibliothèque de la Pléiade : "Nouvelles du XVIII ème siècle". 

Ces trois derniers ouvrages permettent de découvrir la fascinante et trop occultée littérature française du 18 ème siècle. Une liberté de mœurs et de pensé incroyable, inégalée.


17 commentaires:

Richard a dit…

Les matins blêmes, c'est rarement rose.

Bonsoir Carmilla !

Voilà une belle phrase sur les lendemains de la veille.

La sexualité n'est pas toute la vie. C'est seulement une partie de la vie. Un être humain est privilégié lorsqu'il comprend ce fait tôt dans son existence. Ce qui lui évitera des champs de ruines dévastateurs, des souffrances paralysantes, et des désillusions qu'il traînera derrière lui comme des maladies chroniques. Finalement ça vous bouffe le dedans en occupant votre esprit et votre temps à l'extérieur. Je pense ici aux dépendants affectifs, qui pataugent dans les méandres de la jouissance dans l'illusion de l'affection et la satisfaction des sens. Beaucoup d'humains édifient autour d'une sexualité ce qui est le fondement de leur vie. Mais, laissez-moi vous dire, que c'est une construction fragile, parce que très limitée. La vie est beaucoup plus vaste et passionnante que simplement satisfaire un désir qui se déguise souvent en caprice. Nous pouvons subir quelques désillusions dans la vie, mais pas en faire une profession, ou encore pire une vocation. Courir de relation en relation ça devient épuisant à la longue. Ce qui vous empêche souvent de faire autre chose, d'agrandir nos champs d'intérêts, de nous forger des opinions, de soigner notre liberté. J'ai toujours été étonné de constater que les humains engouffraient beaucoup d'efforts et d'énergies dans des relations sexuelles qui débouchaient sur rien. Ce qui est suivi, comme vous l'écrivez si bien Carmilla, de tristes matins gris.

Pourtant, au cours des cinquante dernières années, les sociétés occidentales ont tablé sur la satisfaction du désir sexuel, comme si c'était le sommet de la réussite. Une grande fortune flanqué d'une carte de mode peinturluré totalement inculque qui ouvre les jambes comme un accessoire ou une catin. Que reste-t-il de l'évocation de la libération sexuelle qu'on nous avait tant vanté et donc nous souhaitions tous la venue et la réalisation ? Pour plusieurs la déception aura été inépuisable. Ils n'en finissent plus de ruminer. Ils voient leur fin arriver en se demandant ce qu'ils ont fait de leur vie. Ils ont payé de la contrepartie exorbitante. Dans ce domaine nous ne comptons plus les naufrages, pour nous retrouver devant un mur qui ressemble à une faillite. Ce n'est pas exactement ce que nous avions souhaité et espéré au départ. Où sont donc passé les grands séducteurs qui jadis se moquaient de nous les exclus ? Ils m'arrivent d'en croiser quelques uns. Les triomphateurs de la vingtaine traînent maintenant de la patte. Il y a longtemps que j'ai cessé de compter les désastres et les épaves autour de moi.

Richard a dit…

Ce qu'il faut comprendre, c'est que la sexualité n'est pas essentiel à un certain état de satisfaction que plusieurs nommeront le bonheur. Je tiens à vous rassurer, le bonheur c'est beaucoup plus vaste. Ce n'est pas parce qu'on ne réussi pas dans un domaine que la vie est foutu. Pour paraphraser Nietzsche : le refus, cela vous rend plus fort, ça ouvre des portes, de nouvelles routes, des opportunités qu'on ne soupçonnaient pas. À bien y réfléchir c'est moins corrosif qu'on se l'était imaginé. Qui plus est, ça vous endurci pour découvrir qu'il n'y a pas de limite à vos capacités, et qu'on parvient même à se surprendre soi-même. Nous ne sommes pas obligés de subir parce que on ose nous faire croire que c'est cela la libération. Subir ainsi, m'a toujours révolté. Inutile de ruminer sa frustration, parce que les beaux, les riches, et les jeunes, c'est d'abord du paraître, de l'apparence, du mirage, il n'y a rien de solide là-dedans. Les beaux et les riches, je les ai côtoyé, je les ai transporté, et pas besoin de gratter longtemps pour trouver le vide. J'ai plus d'admiration pour les laids qui descendent dans le trou de la mine, ou bien, pour ceux qui se lèvent le matin pour aller traire les vaches à l'étable, ou encore pour l'indien qui part sur sa ligne de trappe. Ce qu'on nous montre dans les magazines ou dans les autres médias, ce n'est pas la vraie vie, c'est juste des images pour nourrir la frustration. La beauté comme vous le mentionnez n'a pas seulement des avantages. Il appert, que des fois, c'est une bonne chose que de passer inaperçue. Nous n'avons pas à nous sentir coupables de ce que nous sommes, et ce malgré nos défauts, nos manques, et nos laideurs. Nous sommes vivants et c'est tout ce qui compte, parce qu'avec la vie on peut tout faire. Je n'ai pas beaucoup d'intérêt pour la compassion parce que le manque peut se transformer en force. La frustration peut devenir un puissant moteur de motivation. Peu importe le riche ou le pauvre, le beau ou le laid, nous sommes tous des vivants et dans mon système de valeur, les pauvres et les laids ont beaucoup de mérites. Il y a une grande satisfaction de partir perdant dans la vie et de doubler le lapin au fil d'arrivé, d'être le gagnant ignoré de tous au départ. Ce qui manque souvent aux gens, c'est un peu de confiance en soi. Le reste, c'est une question de travail, de labeur et de ténacité. J'ajouterais aussi une pincé de chance. Pour en revenir à la sexualité ceux qui sont abstinents pour une raison ou une autre, bien des fois nous surprennent par leurs connaissances fines du sujet, dépassant allègrement toutes ces cartes de mode qui ne connaissent rien au véritable érotisme et qui enlignent les partenaires comme sur un champ de tir, en se faisant croire qu'elles ou qu'ils ont une vie sexuelle intense.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Le désir érotique, c'est biologique, son absence n'est pas mortelle comme de manquer d'eau ou d'air. L'amour ou le grand jeu de la séduction c'est du théâtre et de la politique, jeux qui ne sont pas inintéressants et qui peuvent être très inspirants. Les abstinents ne sont pas en reste. Ils ont toujours existé. Est-ce qu'ils préfigurent une nouvelle modernité ? Je n'en suis pas sûr. Si on en arrive aux jeux symboliques, c'est que dans un certain sens, nous aurons transformé le sexe en religiosité, ce qui est un vieux fond de commerce de toutes les religions. Les symboles nourrissent les esprits, mais laissent souvent les corps à plat, jusqu'à les dénigrer. C'est ainsi qu'on fait des dieux mystérieux, incompréhensibles, artificiels, afin de ne pas avoir à affronter nos réalités les plus terre à terre, et surtout tous les problèmes qui en découlent. Jamais dans l'Histoire humaine nous n'avons autant entendu parlé de dépressions, de déceptions, de maladies mentales ; alors avons-nous manqué de sexe ou de religion ? C'est comme si un grand vide nous habitait. Sommes-nous en route pour de nouvelles croyances ? Avons-nous besoin de plus de croyances, ou de plus de sexe ? Avons-nous cessé de peaufiner nos sentiments ? Peut-être qu'on consacre trop de temps à nos téléphones soit-disant intelligents et pas assez à la recherche de la compréhension de nos sentiments ? Ce qui est étrange à ce sujet, c'est que les humains parlent beaucoup au téléphone ; mais lorsqu'on les abordent en présence physique, soudain ils n'ont plus rien à dire, plus rien à séduire, plus rien à débattre. Lorsque vient le temps de poser des gestes, peu importe lesquelles, nous hésitons. C'est peut-être pour cette raison que les japonais ont poussé l'art érotique à un niveau si élevé. Ils ne l'ont pas fait seulement dans l'érotisme mais aussi dans bien d'autres domaines. Ce qui est peut-être une prise de pouvoir sur la nature. Une manière de faire taire ses désirs, ou encore, de les sublimer au point de les transcender.

Je me demande si nous ne sommes pas en train de perdre : (L'absolutisme du vivant humain), qui est le titre du chapitre 6 de l'ouvrage d'Étienne Bimbenet : Le complexe des trois singes. Sans oublier le sous-titre : Essai sur l'animalité humaine.

« Les humains font la différence. Ils la font en ce sens qu'ils l'instituent, dans cet univers de représentations partagées qu'est pour eux l'univers de la culture. »
Étienne Bimbenet
Le complexe des trois singes
Page -247-

Sur le fond, est-ce que nous parlons trop de sexe et ne le pratiquons pas assez ?


Merci Carmilla pour ce texte qui stimule la réflexion.
Bonne nuit et dormez bien !

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Dernière lecture en date :

Bien sûr : Le complexe des trois singes
Essai sur l'animalité humaine.
Étienne Bimbenet.

Il faut plus qu'une lecture attentive pour comprendre ce livre. Pour moi qui s'intéresse aux animaux, cet ouvrage a piqué ma curiosité.

L'animal spécial qu'est l'homme voudrait maintenant que les animaux soient reconnus en droit comme les humains. Tout en parlant des animaux l'auteur en revient à nous les humains, ce qui ne manque pas d'intérêt dans l'analyse.

En gros est-ce que nous les mangeurs de viandes impénitents, devrions-nous sentir coupable de notre plaisir comme on le fait sentir aujourd'hui aux fumeux de tabac ?

Je l'ai lu une fois, maintenant, je suis en train de l'analyser. Ce qui exige une certaine concentration et surtout un volontarisme à toute épreuve.

Aussi deux ouvrages de Giles Milton

La Guerre de la noix de muscade, qui raconte l'histoire de la concurrence des Anglais et des Hollandais pour le commerce des épices en Asie du Sud-Est, entre le XVIe et XVIIIe siècles. Passionnant, stimulant et instructifs.

Samouraï William, l'histoire du premier anglais : William Adams, qui a foulé le sol japonais vers 1600, et qui finalement va adopter la vie japonaise. Il ne retournera pas en Angleterre. Récit qui me rappelle ce roman très populaire à l'époque : Shogun par James Clavell, publié dans les années 70.

Enfin une biographie d'un homme remarquable, animateur et réalisateur à Radio-Canada, Robert Blondin, une homme de grande culture qui a laissé sa marque dans la radiophonie canadienne. C'est raconté par Luc Gonthier. Blondin est originaires des Cantons de l'Est, il est né à Magog le 23 février en 1942.

Merci Carmilla pour vos suggestions de lectures !

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je dirais que le champ de la sexualité humaine est très vaste (c'est ce qui la distingue de l'instinct animal) et trouve de multiples formes d'expression qui dépassent largement le simple besoin biologique : des regards, des gestes, des rêves, des écrits, etc... La sexualité humaine est nimbée d'imaginaire, ce qui fait que certaines personnes (j'en fais peut-être partie) vivent presque continuellement dans le désir. Le désir humain, ce n'est qu'un petit peu biologique, en fait.

Je ne considère donc pas la sexualité comme quelque chose de secondaire ou d'accessoire. Elle baigne au contraire la majeure partie de notre vie même si elle ne trouve pas d'expression dans la relation sexuelle. Les sœurs Brontë ou Marcel Proust ont, mieux que quiconque, décrit le désir amoureux alors que leur expérience physique en était très limitée. C'est pourquoi je pense qu'une vierge ou un abstinent ont autant de choses à nous dire sur la sexualité humaine qu'un dragueur ou une prostituée. On a finalement une vision très réductrice de la sexualité avec l'idéologie de la révolution sexuelle : ce n'est qu'une idéologie comptable et de conquête.

Concernant Giles Milton, je trouve tous ses livres passionnants. Je l'ai beaucoup lu l'an dernier pendant le confinement. J'ai été impressionnée par "Captifs en Barbarie ", "Paradis perdu" et "Roulette russe".

Le livre de Bimbenet est effectivement difficile mais pertinent : il y a bien une coupure radicale entre l'homme et l'animal. Je termine par une constatation personnelle. Les trois petits merles de mon jardin s'enfuient maintenant dès qu'ils me voient, comme si j'étais un monstre, alors qu'il y a quelques jours, je pouvais les approcher sans difficultés. Mon marchand d'oiseaux m'a dit que j'aurais pu, à ce moment, les prendre dans mes mains et leur donner à manger. Mais alors, c'était fini dans un autre sens. Ils m'auraient reconnu comme leur mère et n'auraient cessé de vivre dans ma dépendance. Finalement, j'ai bien fait de ne rien faire.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla !

Merci pour votre commentaire.

Effectivement, vous avez bien fait de ne rien faire.

Comme dans plusieurs domaines, les humains ont cette fâcheuse tendance à en faire trop. Ils ne peuvent résister à la tentation de prendre dans leurs mains les animaux sauvages. Des fois au lieu de nuire, il vaut mieux de ne rien faire !

Mercredi et jeudi passé tous les oiseaux ont disparu pendant 48 heures, alors que nous avons reçu entre 15 et 20 cm de neige sur la région. Je me demande toujours où se cachent les oiseaux lorsque l'hiver nous revient en avril ? Je tiens à vous rassurer, le tout a fondu rapidement et les oiseaux sont revenus. Avant cette bordée de neige, voilà deux semaines j'avais travaillé à retourner la terre dans mes jardins. Il faisait tellement beau que j'ai songé à semer mes radis et mes bettes à carde. Je pense que j'ai bien fait de ne rien faire. Ce que nous venons de vivre, c'est en plein le Québec, la deuxième semaine d'avril presque estivale, et la semaine d'après un bonne petite bordée de neige.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Anonyme a dit…

Bonjour Carmilla,

Les merles sont toujours les premiers à se lever.
Ici, à Amiens, ça piaille déjà fort!

Bien à vous.

Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Les interactions homme-animal sont souvent difficiles à gérer.

Je commence ainsi à m'inquiéter pour mes trois petits merles. Cela fait plus de 15 jours qu'ils ont quitté leur nid et ils sont déjà aussi gros que leurs parents. Mais ils savent à peine voler, juste 1 mètre ou 2 d'un arbuste à l'autre. Ils passent en fait leur journée à sautiller et à s'amuser ensemble dans mon jardin. Quant à chercher leur nourriture, ça ne semble pas beaucoup les préoccuper. Ils reçoivent toujours la becquée de leurs parents qui, eux-mêmes, ne se cassent pas la tête en se contentant de transférer la nourriture que je leur donne dans une assiette.

Je commence à me demander s'ils ne sont pas trop bien hébergés. Si un animal n'a pas la pression du besoin et de la nourriture, il ne cherche pas à s'affranchir.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Effectivement Alban,

J'ai ainsi lu que les merles seraient parmi les premiers oiseaux à chanter le matin : très exactement 1/2 heure avant le lever du jour. Ça commence donc, en ce moment, à 5 H 30 à Paris.

Mais il ne faudrait pas en déduire que les oiseaux chantent parce qu'ils sont des romantiques ou des poètes. Ça voudrait dire en fait : je suis là aujourd'hui sur mon territoire. N'approchez pas ! C'est donc très pragmatique.

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla !

Les animaux sont comme les humains, lorsqu'ils ne sont pas mis devant la pression des besoins, ils en profitent. Exemple un pays qui devient riche, qui élève ses enfants dans ouate, risque d'en faire des paresseux. Les animaux ne sont pas différents. L'affranchissement c'est la voie de la facilité, sans doute que ces trois merles profitent de votre généreuse hospitalité. La facilité appelle la facilité. L'animal comme l'humain vont au plus facile. C'est tout à fait remarquable. Ils se dépassent lorsqu'ils sont en danger ou encore à la recherche de nourriture. Les animaux comme les humains se vautrent dans l'abondance comme si c'était un puits sans fond et inépuisable.

Je remarque que vos merles font la même chose que les nôtres, qu'il nourrissent les jeunes qui ont quitté le nid. Mais, ce n'est pas tout les merles qui agissent ainsi.

Hier matin, en savourant mon café devant ma porte ouverte, je regardais un grand frêne près du bâtiment, et soudain, j'ai vu par un gros trou le l'arbre une bonne quantité de pourriture être rejeté par le trou. Alors je me suis approché, pour constater que c'était une femelle malard qui était en train de faire le ménage dans son nouvel appartement. Les canards ne sont pas des oiseaux qui se perchent dans les arbres et habituellement ils font leur nid au sol. Ce n'est pas la première fois que je vois une femelle malard venir occuper cet endroit ; mais je n'ai jamais vu de canetons sortir de ce trou. Je vais essayer de ne pas trop déranger madame canard, elle semble très farouche.

Je vous en reparlerai !

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Oui Richard,

Certains oiseaux continuent de nourrir et de s'occuper de leurs petits après qu'ils ont quitté leur nid. Il est vrai que c'est une période cruciale pour ces derniers qui sont alors exposés à de multiples prédateurs. C'est assez curieux : y a-t-il chez eux la perception d'une filiation ? Mais il vient un moment, semble-t-il, où les parents ne les reconnaissent plus comme leurs enfants et les chassent. A partir de là, intervient la grande sélection naturelle. Mais je doute vraiment que mes petits merles soient suffisamment armés pour survivre dans Paris et d'abord trouver un lieu sûr où s'abriter.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Sujet intéressant que la filiation chez les animaux. Pendant que les femelles ours s'occupent de leurs petits pendant plus de deux années, (les couples de jumeaux ne sont pas rares chez eux), les reptiles et les poissons sont laissés à eux-mêmes. Toutes ces manières de faire entre les animaux, des liens qu'ils entretiennent avec leur progéniture, nous les jugeons avec nos manières de faire, nos systèmes de valeurs, nos manières de penser, ce qui faussent nos jugements. On en revient à Bimbenet, qui dans l'un de ses chapitres traite de la souffrance chez les animaux. Nous sommes séduit par la femelle qui s'occupe de son petit en le léchant ou en le nourrissant. Aucune méprise possible, ceci n'est pas de l'amour, même pas la tendresse, se sont des actes pragmatiques afin d'assurer la pérennité de l'espèce.

« C'est dire que l'argument de la similitude des esprits possède un étrange statut dans les différences éthiques animales. »
Étienne Bimbenet
Le complexe des trois singes
Page -93-

Il appert que vous avez raison, quitter le nid, c'est un moment particulièrement critique et aléatoire surtout dans l'existence des animaux. Chez les poissons c'est drastique, chez les saumons c'est moins de 1 % des alevins qui vont devenir des adultes.

Sur ce sujet je vous recommande la lecture du livre d'Adam Weymouth : Les rois du Yukon, trois mille kilomètres en canoë à travers le Yukon et l'Alaska. Le sujet principale c'est le roi des saumons : le chinook, qui en train de disparaître, mais Weymouth dépasse largement la biologie du saumon, pour s'intéresser aux répercutions sociales mais aussi économiques de cette disparition. L'auteur touche plusieurs domaines comme la politique, la biologie, sans oublier toutes ces rencontres qu'il fait le long de ce grand fleuve Yukon, de personnages autonomes, débrouillards, qui font des constats désolant sur l'État de la situation non seulement sur ce poisson, mais sur l'ensemble de nos manières de vivre, de consommer, de faire les choses, de prendre des décisions, un livre aussi lucide que déstabilisant.

Adam Weymouth, Les rois du Yukon, publié par Albin Michel. Je vous le recommande Carmilla.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je comprends, à la limite, le lien de filiation qui peut s'établir chez les mammifères. Ça n'est d'ailleurs pas si évident que ça : les travaux d'ethnologues ont, en effet, montré que le lien de cause à effet entre une relation sexuelle et la conception n'était pas et n'avait pas toujours été toujours reconnu dans les sociétés humaines. Et c'est vrai, si on réfléchit bien, que la connexion ou l'enchaînement ne vont pas de soi.

C'est encore plus troublant chez les ovipares. De la conception au poussin, il y a tout de même une étape supplémentaire. Je suis vraiment étonnée de voir mes petits merles, maintenant aussi gros que leurs parents, piailler à l'arrivée de leurs parents et leur réclamer de la nourriture. Et ceux-ci s'exécutent tout de suite alors qu'ils attaqueraient (voleraient dans les plumes) un autre oiseau et surtout un autre merle.

Une belle énigme,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla !

Certes une belle énigme sur laquelle nous n'avons pas fini de nous interroger comme le fait Weymouth dans son ouvrage, tout au long de son périple sur le fleuve Yukon lorsqu'il visite des tribus indiennes, où il rencontre des enfants abandonnés par leurs parents biologique, recueilli par d'autres parents qui tissent des filiations étonnantes et chaleureuses. J'avoue que lorsque j'ai commencé à travailler dans le nord du Québec, j'ai été désarçonné par la culture indienne, j'ai eu du mal à comprendre qu'un enfant pouvait naître dans une famille, puis être adopté par une autre, et que les indiens ne faisaient pas un plat sur les causes de ce désintéressement et de cette adoption. Chez les blancs, il arrivait qu'une famille adopte un enfant parce que les parents étaient malades, ou bien, parce qu'ils étaient décédés, mais c'était l'exception. Chez les indiens, c'étaient courant. Il appert que la conception amoureuse chez l'humain demeure un concept récent dans l'histoire de l'humanité et qui peut être vécu de bien des façons. Prenons le cas d'une femme qui refuse son enfant à la naissance, peu importe la raison et des fois il n'y a même pas de raison, cette situation existe aussi chez les animaux et je le sais d'expérience. Exemple la vache qui refusait son veau, ce qui arriva quelques fois, et souvent avec des vaches qui avaient connu des vêlages sans histoire, et voilà que ce matin-là c'était non, elle aurait pu tuer son veau, par chance que j'avais ma vieille Hereford dans un coin de l'étable qui adoptait n'importe quel veau abandonné en plus du sien. C'est ainsi que je sauvais des veaux, c'est ainsi que les indiens sauvaient des enfants. On peut comprendre l'adage : Il te faut du sexe pour fonder une famille ; mais tu n'as pas besoin de famille pour avoir du sexe. La filiation n'est pas un fait automatique qu'apporte la copulation, il en résulte des familles qui ne fonctionnent pas, alors que d'autres adoptent des enfants même s'ils en ont déjà. Les problèmes surgissent alors qu'il faut intégrer ces personnes dans une immense société où l'individualisme domine. Ce qui a donné au Canada : Les pensionnaires autochtones. Ce qui fut un véritable désastre dont nous pouvons encore constater les résultats néfastes aujourd'hui. L'idée, c'était qu'on pensait transformer ces indiens en les séparant des parents, pour les envoyer dans des pensionnats pendant des années pour les transformer en bon citoyens blancs afin que ces enfants oublient leur culture, leur langue, leurs croyances, leur identité. Le tout soutenu par une loi du Gouvernement Canadien qui avait été voté par le parlement. Les parents indiens qui refusaient que leurs enfants fréquentent les pensionnat devenaient des criminels. Ce fut un épisode bien triste de l'Histoire canadienne. Dans les faits, nous nous sommes comportés comme tous les états colonialistes. Il n'y a pas de quoi être fier !

Adam Weymouth a bien évoqué le sujet dans son ouvrage : Les rois du Yukon. Pour un Britannique, c'est tout à son honneur. D'une finesse exquise, il se glisse dans la peau des gens qu'il rencontre, là où la vérité n'est jamais tout à fait blanche, et où le mal n'est pas toujours fautif.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je vous conseille en retour, et sur le sujet de la filiation, le petit livre de Claude-Levi-Strauss : "Nous sommes tous des cannibales".

La filiation, ça dépasse, en effet, largement la dimension biologique. Je comprends, en ce sens, la revendication du mariage et de la parenté homosexuels (même si cela doit, bien entendu, faire l'objet de débats). A l'inverse, je m'interroge sur cette mode croissante des arbres généalogiques, de la recherche des origines biologiques ou des racines. Personnellement, mes ancêtres ne me préoccupent guère. Je ne pense pas que je puisse me retrouver en eux. Quant à eux, ils seraient peut-être effrayés de découvrir celle que je suis.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Merci Carmilla pour votre suggestion de lecture !

Si vous avez d'autres ouvrages sur ce sujet, je suis preneur. La filiation c'est un grand sujet qui m'a toujours intéressé. Pourquoi nous tissons des liens, ou bien que ces liens ce tissent avec certains êtres humains et pas d'autres ? J'imagine rencontrer mes ancêtres du Haut Moyen-Âge. Dans les faits, se serait une rencontre d'étrangers. Des personnes qui n'auraient rien à faire ensemble. Me semble de voir leurs réactions : C'est cela notre descendance...c'est pour cela que nous avons souffert...tu as vu comme il est laid... Le tout pourrait donner une bonne histoire très inspirante. C'est étrange, j'y ai pensé souvent à cette rencontre avec mes ancêtres. Se sont des rêves les yeux ouverts qui m'intriguent toujours. Il y a de quoi occuper son esprit pendant des heures, alors qu'ici la verdure s'accorde avec un ciel gris sous la pluie, un véritable moment de grâce. Verdure naissante, pluie généreuse, promesses d'avenir de potagers chargés de légumes, sous une luminosité d'un grand réconfort que j'aime tout particulièrement.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Oui Richard, ce petit livre de Claude Levi-Strauss est très intéressant et agréable. Une bonne introduction à son œuvre.

Il me semble évident que rencontrer mes ancêtres, probablement tous des paysans analphabètes, serait une épreuve terrible. On ne pourrait pas se comprendre et ils me jugeraient probablement très mal. On mesure mal l'ampleur de l'évolution des mœurs et puis l'hérédité, les gènes, je me refuse à y croire.

Bien à vous,

Carmilla