samedi 3 avril 2021

Universalisme, communautarisme

 

Les nouveaux combats politiques (ceux des jeunes, des écolos) sont en train de changer de braquet ou de perspective. On délaisse la sphère économique et la lutte des classes pour se concentrer sur la lutte contre les discriminations : sociales, sexuelles, selon la religion, le genre, la race. On revendique finalement de nouvelles identités, identités opprimées ou victimes. 


 C'est problématique, voire inquiétant, au regard de l'esprit républicain et de ce que signifie, en réalité, être français, quelle "identité", vraie, fausse, ça recouvre. La France s'enorgueillit ainsi, à juste titre, d'avoir promu l'universalisme, directement issu de la Révolution et de la philosophie des Lumières. On devient Français essentiellement par adhésion aux valeurs universelles d'une République unie et indivisible dont tous les citoyens sont égaux en droits.


 L'idée, je la trouve formidable et j'y souscris entièrement. On prend en considération ce que les hommes, tous les hommes, ont en commun, tout ce qui les rapproche et non ce qui les différencie, les particularise.

Ce ne sont donc ni le Droit du sang (qui imprègne largement l'Allemagne et l'Europe Centrale), ni le Droit du sol (USA) qui fondent l'identité française (dans la pratique, c'est un peu plus compliqué que ça). L'universalisme, c'est, en effet, d'abord le rejet de l'essentialisme et des visions racialistes ou ethniques. C'est le refus du communautarisme, d'un État qui serait constitué d'une mosaïque de groupes sociaux cohabitant plus ou moins harmonieusement.


 J'approuve ça, je le redis. Je trouve bien qu'il n'existe pas ainsi, en France, de cimetières communautaires ou de parcelles réservées. Qu'il n'y ait pas, non plus, de quartiers ethniques, arabes, africains, chinois, juifs, russes etc... (c'est évidemment également à nuancer). Surtout, le racisme est, d'après ma perception, globalement moins fort en France que dans beaucoup de pays. La preuve : les "unions mixtes" plus nombreuses qu'ailleurs.

Mais je m'interroge également. J'avoue avoir été émerveillée par New-York et ses multiples quartiers ethniques, italiens, allemands, slaves, etc... Un monde fascinant et chatoyant, au sein du quel on retrouve même une vieille Europe que l'on croyait disparue (quartier yiddish ou ukrainien par exemple). Ou alors Londres où le spectacle de la rue est beaucoup plus bigarré, déjanté, qu'à Paris. Et puis, ma troisième référence, c'est l'ancien Empire d'Autriche-Hongrie au sein duquel coexistaient une multitude de langues et nationalités et qui est devenu, au début du 20 ème siècle, le centre culturel et artistique de l'Europe.

L'ambiance française apparaît plus uniforme, plus formatée. Les villes sont belles mais les foules y sont policées, monotones. Et puis que signifie cette singulière division entre un centre-ville coquet et agréable et des banlieues tristes et désolées ? Les ségrégations, on n'y échappe jamais complétement.


 Je n'aime pas les identités, les assignations, je crains l'émergence d'une "politique racisée", ethnicisée ou genrée, j'adhère donc à la vision française.

Mais il faut bien reconnaître que son universalisme est parfois rude. Je dirai même qu'il y a trop d'universalisme en France  parce qu'on y est, finalement, très peu multi-culturel.


 L'école, ça a ainsi été une épreuve pour moi. Personne n'a d'abord jamais fait l'effort de prononcer à peu près correctement mon nom et mon prénom. Aujourd'hui encore, je me sens affublée d'une appellation qui m'apparaît ridicule. J'ai l'impression d'être machin-chouette.

Et puis, pas question de déroger au dress-code jeune. Vous êtes tout de suite cataloguée "plouc" ou "coincée" ou "barge", voire "pute".

Après, ce fut l'enseignement du français et de la littérature. Mais ce n'était vraiment pas la littérature universelle, on ne parlait que des écrivains français et surtout des "belles lettres" convenables, officielles. Certes, il y a pléiade de grands auteurs, certes, la France a inventé, au 19 ème siècle, l'art du roman mais la littérature française elle-même ne s'est pas développée indépendamment de multiples influences et échanges avec les littératures étrangères. J'ai donc toujours eu tendance à lire "à côté" du programme scolaire et ce qui me plaisait vraiment (les romans noirs et libertins).


 Et puis que dire de l'enseignement de l'histoire ? Une histoire universelle ? Ça m'apparaît plutôt un grand roman national dont étaient exclus presque tous les pays d'Europe. Je me faisais détester par mes professeurs en les interrogeant sur les Chevaliers Teutoniques, la guerre du Nord, la guerre de trente ans, la République des deux nations, Pierre le Grand, Christine de Suède, la Grande Catherine, l'Autriche-Hongrie, les Balkans, l'opération Barbarossa, etc... Au total, j'avais des notes très moyennes parce qu'on jugeait que je ne connaissais pas suffisamment l'histoire de France.

 Vient enfin l'enseignement des langues étrangères. Même si je vais sans doute vexer, il faut quand même bien évoquer l'étrange inaptitude des Français pour les langues étrangères (si ça peut consoler, les Russes ne sont pas, en réalité, plus doués, en la matière, que les Français et que dire des Japonais et des anglophones ?). Ça n'a bien sûr rien à voir avec une quelconque déficience congénitale mais c'est simplement lié à une attitude générale, ce que l'on appelle l'arrogance française, et à un manque de curiosité pour ce qui se situe en dehors des frontières. Personnellement, j'ai depuis longtemps cessé d'évoquer d'où je viens, ça introduit tout de suite malaise et silence.

 Je ne dirai rien des religions en France. On s'affirme massivement laïcs, voire goguenards à leur égard. Mais cette attitude condescendante dissimule, en réalité, une abyssale ignorance. Du judaïsme, de l'Islam, et même du christianisme, on ricane volontiers mais on n'en connaît, en général, à peu près rien.

Voilà donc mes réserves sur l'universalisme français. Il n'est pas si universel que ça et il produit un modèle auto-centré, peu ouvert à l'autre. 

 Oui à l'universalisme, donc; mais il faut bien reconnaître que trop d'universalisme est stérilisant. Il faut savoir trouver une juste approche des autres, de leur richesse, de leur diversité, de leurs potentiels apports. Ce que l'anthropologue Claude Lévi-Strauss avait résumé en une formule : "ni trop près, ni trop loin".

Savoir considérer l'humanité "de près et de loin". "Si tout le monde se ressemble, l'humanité se dissout dans le néant; si chacun cesse de respecter l'altérité de l'autre en affirmant sa différence identitaire, l'humanité sombre dans la haine perpétuelle de l'autre. Les sociétés ne doivent donc ni se dissoudre dans un modèle unique (la mondialisation) ni se refermer dans des frontières carcérales (le nationalisme) : ni trop près, ni trop loin. L'uniformisation du monde produit toujours la guerre et le communautarisme". 

Finalement, je dirai qu'il faut savoir aussi bien respecter les différences (relativisme) qu'affirmer l'universalisme du genre humain.


Tableaux de Sam SZAFRAN (1934-2019). Peintre français peu connu du grand public mais, aujourd'hui, très coté. Trois thèmes majeurs : les escaliers, la végétation, les paysages urbains.

Mes conseils de lecture :

- Elisabeth ROUDINESCO : "Soi-même comme un Roi - Essai sur les dérives identitaires". Toujours un modèle de clarté et de précision.

- Claude LEVI-STRAUSS : "Race et Histoire" et "Tristes Tropiques"; ce dernier livre n'est pas seulement un livre d'ethnologie mais aussi un des grands textes de la littérature française du 20 ème siècle. Je rappelle aussi, à nouveau, la sortie récente de "L'abécédaire de Claude Levi-Strauss".

13 commentaires:

Richard a dit…

"ni trop près, ni trop loin".

Bonsoir Carmilla !

À vous lire, il serait difficile de ne pas croire que vous n'avez pas lu le dernier Philosophie magazine du mois de mars 2021, dont le sujet est justement l'identité, (Liberté, égalité, identités). Votre texte demeure solide, vous possédez la capacité de faire la part des choses, autant déplaire aux Russes qu'aux Français, et vous ne vous en privez pas. J'avoue que je ne comprends pas grand chose à ce sujet des identités, on ne voudrait justifier que sa petite communauté, ce qui ressemble à un bonbon acidulé sur une fin de parcours. Un amusement d'enfants gâtés qui se perd dans un tumulte inconscient. Une espèce de futilité à rabais. Pendant ce temps la niveleuse de la crise sanitaire est en train de niveler ces fumisteries. Quoi de mieux, que s'interroger sur la mousse de nombril. Mirage qui occupe les esprits pendant qu'on joue notre vie. Est-ce la France centrée sur son nombrilisme ? Ce qui au cours de son histoire l'a beaucoup affecté. Elle rayonnait, mais elle a beaucoup perdu. Mais pour perdre, il faut être riche. Est-ce qu'elle est en train de perdre cette vocation de l'accueille et de la tolérance.  ? Nous en savons quelque chose, nous les francophones de l'Amérique du Nord. Nous avons été largué, et pour ceux qui s'en souviennent, on se serait bien passé de ce marquis neurasthénique comme général, on aurait préféré de la poudre, des canons, et des boulets, avec trois ou quatre capitaines corsaires sans noblesse dans le golfe du Saint-Laurent. Peu importe nous avons résisté. Excusez-moi, je ne pouvais pas m'en empêcher. Ce qui ressemble à une digression, mais une digression sur une fond de vérité. Finalement les restants de l'Europe ont débouché sur l'Amérique, je suis heureux de vous voir évoquer le mélange des races de la ville de New York. Mais, aujourd'hui, ils sont tous américains, ce qui a fait leur richesse. Ce qui est le lot de toutes les villes d'Amérique du nord-est qui donnent sur l'Atlantique, y compris Montréal. On provient toujours de quelque part, et nous traînons derrière nous des racines tenaces. L'émigration c'est une histoire internationale. Je déplore tout comme vous le mauvais enseignement de l'Histoire Universelle. Chaque pays centré sur lui-même comme si les autres n'existaient pas. Je ne crois pas qu'il faut taire ses origines, pourquoi ne pas provoquer le malaise et l'inconfort, vous voyez immédiatement à qui vous avez à faire. Je pense qu'un jour il faut arrêté de s'excuser sur ses origines, se regarder droit dans les yeux, et affirmer sans retenu que nous sommes tous des humains.

Dans le même ordre d'idée, une lecture à ne pas rater :

Le sablier, par Edith Blais (Otage au Sahara pendant 450 jours) publié au Éditons de l'Homme à Montréal. Une femme de Sherbrooke qui n'avait rien à faire au Mali, comme de quoi que l'universalisme n'est jamais très éloigné de sa porte.

Bonne fin de nuit Carmilla et merci pour votre texte qui mérite maintes réflexions.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Et bien non, je n'ai pas lu le dernier "Philosophie Magazine". C'est plutôt le livre (pas mal mais pas son meilleur)d'Elisabeth Roudinesco qui m'a inspirée. Mais c'est aussi une question fortement débattue en France, en ce moment.

J'ai conscience que mes propos peuvent irriter nombre de Français mais ce n'est pas mon objectif. Je pense que la France aurait effectivement beaucoup à gagner en s'ouvrant davantage aux autres pays, aux autres cultures (le multi-culturalisme n'a tout de même pas que des aspects négatifs). Mais il existe un nombrilisme consternant. Le pire, ce sont les informations, à la radio, à la télévision : rien que la France et les petites bêtises de la vie politique locale. Malheureusement, on est aujourd'hui entrainés dans une spirale de repli généralisé, de populisme et de haine des élites. L'ambiance générale devient inquiétante.

Je prends bonne note du "sablier". Ca devrait m'intéresser en effet. Mais je suis en ce moment sur plusieurs livres remarquables que je serai probablement amenée à évoquer.

Joyeuses Pâques !

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla.

Il n'y a rien comme des lectures passionnantes pour fuir ce climat délétère et morbide.

Le récit d'Edith Blais m'a rappelé l'ouvrage de Dambisa Moyo : L'aide fatal. Dans toutes ces descriptions pénibles que madame Blais décrit, j'ai pensé que ça prendrait d'énormes investissements pour sortir de cette crise qui n'est pas seulement économique.

Le cheminement va doute être encore très long. Mais comme le disent les Africains : les blancs ont des montres, nous nous avons le temps. Le temps africain n'est ni le temps américain ou le temps européen.

Edith Blais ne pouvait pas mieux choisir son titre : Le sablier, parce que 450 jours de captivités cela fait beaucoup de grains de sable. Qui plus est, c'est son premier livre et je crois que nous assistons à la naissance d'un nouvel auteur plein d'avenir, du moins je lui souhaite.

Je ne vous en dit pas plus, parce que je me retiens pour ne pas me lancer dans des dévoilements qui vous priverait de certaines découvertes.

Une fois ma lecture terminée j'ai eu cette étrange pensée : Théodore Monod a passé soixante ans de sa vie à explorer en marchant le Sahara, ce qui est étrange, personne ne l'a jamais kidnappé.

Bonne nuit, bon vent, que la paix soit avec vous

Richard St-Laurent

Merci de votre commentaire

Carmilla Le Golem a dit…

En effet Richard,

On a tendance à penser que lire, c'est chercher à s'évader du réel, voire le refuser.

Je crois au contraire que lire, c'est expérimenter une multitude de vies aux quelles notre condition limitée ne saurait donner accès. En lisant, on devient une multitude de personnages de tous lieux et de toutes époques. On apprend à souffrir, aimer, être heureux, avec eux. Quelqu'un qui lit connaît beaucoup mieux le monde et la vie, il devient plus tolérant, plus ouvert.

"Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre". Je viens de découvrir cette phrase de Marcel Proust. Ça me convient tout à fait,

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla

"Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre"

Voilà une phrase lourde de sens. Il y a de quoi s'arrêter.

Ce qui ressemble à une de vos recommandations de lectures de février dernier dont je viens de terminer la lecture : La poursuite de l'idéal par Patrice Jean que je ne connaissais pas. Lorsqu'on évoque devant moi l'apprentissage, le devenir, la réussite, où l'échec, vous pouvez être sûr d'avoir mon oreille. Ce livre n'est pas seulement un roman, je dirais que c'est une œuvre d'anthropologie, ce qui s'apparente à votre texte de la semaine. Comment nous devenons sans trop le savoir, souvent dans notre plus grande inconscience ?

« Mais les êtres humains, trop souvent, abdiquent, ils ne tiennent à rien, ils volent au gré des vents, dans l'inconsistance. »
La poursuite de l'idéal
page -443-

Tenir à un idéal n'est pas une mince affaire et s'accrocher à ses rêves n'est pas toujours de tout repos. Nous pouvons saluer ceux qui y parviennent.

« Rien n'a changé depuis l'Ancien Testament, les hommes sont toujours confrontés, écrivait-il, aux mêmes limites, la fragilité, à la mort ; et toujours ils courent après le bonheur , attrapent au passage quelques plaisirs, à défaut d'un cul se paluchent le braquemart , savourant du pinard, s'étourdissent de spectacles et d'exploits ; puis ils crèvent. On est revenu à des temps pré-bibliques, avant la rédemption, avant la résurrection sans porte de sortie. Même l'Islam est en train de mourir, avec quelques soubresauts ; quand au bouddhisme, il n'est plus qu'une thérapie pour Occidental neurasthénique, écrivait-il. »
La poursuite de l'idéal
Page -439-

Patrice Jean ne manque pas de décoiffer au passage la société française actuelle. J'avoue que j'ai failli laisser tomber cette lecture, j'ai été impressionné par sa plume. Au fil des pages je ne voyais pas où il allait aboutir. Mais le personnage principal, Cyrille, va tenir le coup et refuser la facilité au nom de son idéal. Le renoncement ne sera pas facile.
À sa façon il aura rêvé sa vie. Tu peux œuvrer dans un petit boulot toute ta vie durant, même t'en satisfaire, faute d'occasion ne jamais sortir de ta condition ; mais aussi, tu peux devenir célèbre pas par ton mérite ni tes efforts, mais pas chance.

Merci et bonne fin de nuit Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Patrice Jean, je ne connaissais pas non plus. Ce sont quelques critiques très favorables qui m'ont incitée à lire ce gros bouquin d'initiation.

On est tous conduits, avec plus ou moins de hasards, à suivre les rails d'une vie professionnelle réglée, plus ou moins choisie. Il en va de notre survie matérielle.

Il arrive quand même que l'on retire beaucoup de satisfactions d'un travail, même si ça implique toujours nombre de souffrances et de renoncements. Mais de toute manière, je ne crois pas que ça se traduise jamais par la destruction complète de notre capacité à rêver et créer. C'est cette capacité qu'il importe, à tout prix, de préserver. Je ne suis pas sûre, toutefois, qu'il faille retenir des solutions radicales, comme celle du héros à la fin du livre.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

"Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre". Vous vous retrouvez tout à fait dans cette phrase de Proust, dites-vous.
Ça me surprend, vous qui êtes une grande voyageuse, qui multipliez les rencontres et les expériences !



Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

D'abord, les voyages, les rencontres et les expériences, c'est à peu près zéro depuis un an.

Ensuite, la vie brute, la vie prosaïque, je pense en effet qu'elle n'est, en elle même, pas très intéressante. C'est l'idéologie actuelle du bonheur mais, personnellement, il me faut un peu plus qu'être avachie, en plein soleil, sur une plage, ou attablée devant un apéro, pour me sentir heureuse. L'homme n'est pas un animal limité aux sensations. Ce qui le distingue, c'est justement sa capacité à rêver, à imaginer.

C'est très fort chez moi. Je n'appréhende jamais le réel "tel quel" (cela existe-t-il d'ailleurs ?)mais toujours mélangé à l'imaginaire, un imaginaire largement constitué de mes souvenirs personnels et de mes lectures. Pour moi, le monde est "hanté" ou "magique", plein des émotions qui l'imprègnent sans cesse. Chaque lieu, chaque personne sont intimement évocateurs. L'imaginaire suscite des résonances multiples (c'est comme ça que j'ai compris la phrase de Proust).

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla !
Les gens qui rêvent vraiment, qui en font une partie intégrante de leur existence, intérieure comme extérieure, qui se promènent les yeux ouverts comme les yeux fermés m'apparaissent comme des humains très intéressants. Lorsqu'ils se dévoilent, vous gardez le silence, lorsqu'ils parlent vous regardez au loin par pudeur, tout en vous sentant honoré de leur confiance. Rares, ils deviennent précieux pour une société qui préfère souvent le superficiel. Rencontrer de telle personne n'est pas donné, et de personne ils se transforment sous vos yeux en personnage. Dans ces cas, les échanges sont toujours trop brèves.

J'ignorais cette citation de Proust, auteur avec lequel, je dois l'avouer, je n'ai pas beaucoup d'atomes crochues. J'ai lu cet auteur sans plaisir, sans joie, y recherchant ce qui provoquait cet engouement. Il appert, que tu n'écris pas ces genres d'ouvrages à foison si tu n'as rien dans le coffre. Ce genre d'écriture exige, un monde imaginaire, où prédomine le rêve. À la recherche du temps perdu, c'est quand même une belle expression, faut croire que je n'étais pas fait pour les salons et les madeleines. Je ne pense pas que Proust aurait partagé mon thé fort. Il y a deux univers que je n'ai pas percés et encore moins expliqués, James Joyce et Marcel Proust. Cela m'échappe. Peut-être que je n'ai pas compris leurs rêves. Je reconnais, que c'est une bien pauvre explication.

Je déplore ce manque, moi le grand rêveur, être incapable de pénétrer dans un univers qui me restera probablement fermé jusqu'à la fin de mon existence. Ce qui fait que j'aime les histoires, surtout lorsque les raconteurs, ou les raconteuses sont bons. C'est comme pénétrer dans une espèce de littérature orale. En général, dans ce domaine, les nomades sont excellents, et particulièrement les indiens au Canada. Votre dernier paragraphe de votre dernier commentaire m'a un peu éclairé. C'est une manière de vivre sa vie en quelque sorte, mais personnellement, il me reste encore des zones d'ombres. Je suis bien éloigné de Proust, peut-être parce que je suis plus proche de ce proverbe, et de bien d'autres d'ailleurs :

« Le premier thé est âpres comme la vie, le second est fort comme l'amour, et le troisième est suave comme la mort. »

Proverbe Touareg

Voilà qui me va très bien.

Bonne nuit et faites de beaux rêves Carmilla !

L'incorrigible rêveur

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

On n'est pas obligés d'aimer les grands chefs d’œuvre. Il y a plein de grands écrivains aux quels, moi-même, je n'accroche pas (Joyce notamment).

Proust, je ne vais pas dire que je suis une inconditionnelle et je ne fréquente pas de salons. Mais c'est d'abord une géographie parisienne (Proust, c'est quand même très parisien) que je connais très bien (j'ai notamment vécu dans un appartement qui donnait sur le lycée Condorcet où il a été élève). Mais à mes yeux, personne n'a su décrire comme lui la formidable duplicité humaine et le mensonge (ou la comédie) social : tout est faux mais tout fait signe, tout est donc à décrypter. Quant à ses analyses du sentiment amoureux et de la sexualité humaine, je trouve ça proprement révolutionnaire, d'une audace inouïe même aujourd'hui. Il est l'égal de Freud en ce domaine.

Au total, je crois qu'il ne faut jamais se forcer à aimer un écrivain ni culpabiliser si on n'accroche pas. Surtout, je ne pense pas que l'on puisse se satisfaire d'un seul auteur. Personnellement, je préfère connaître 50 auteurs très divers plutôt qu'un seul à fond. Je préfère donc être superficielle mais avoir des visions diverses.

Bien à vous,

Carmilla

julie a dit…

Bonjour Carmilla
Bonne analyse, je n'ai rien d'interessant à rajouter au sujet.

"Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre" ?
Pffff, je m'apprêtais justement vous filer un réel rencard ((en tout bien tout honneur, faut pas non plus rêver (sourire))
dont cette citation vient freiner mon excitation.

Allez, grosse bise réve(illée).
Bien à vous !

julie a dit…

@Richard : "les gens qui rêvent vraiment"... et à forte dose donc, manquent forcement de moyens pour agir autrement.
Ils passent beaucoup de temps dans la crainte du réel, dans le refoulement de leur précieuse curiosité, carrément dans la peur de vivre, simplement.

J'aime beaucoup vous lire ! tout particulièrement vos récits personnels lesquels, paradoxalement, semblent atemporels voire irréels...
Bonne journée à vous, continuez de nous faire rêver (sourire tendre).

Bien à vous :)
julie

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie pour votre sympathique message,

Plein de beaux rêves à vous aussi.

En effet, rêver, ce n'est pas fuir le réel, c'est le transfigurer, le rendre plus beau et plus intéressant. C'est vouloir le transformer. Les grands découvreurs ont été de grands rêveurs.

Bien à vous,

Carmilla