samedi 29 avril 2023

Au pays des lynx, des rennes et des ours

 

Voici donc quelques-unes de mes photos de Finlande. 


Ca a évidemment un caractère un peu dérisoire d'exhiber ainsi ses petits souvenirs touristiques. C'est, peut-être même, ridicule, parce que, dépourvue de talent créatif, je sombre dans le cliché: les grands  monuments, les rues pittoresques, les beaux paysages. 


Les images, on en est maintenant accablés, submergés, au point qu'on porte à peine attention à toutes celles dont nous bombardent nos amis sur Whatsapp: les enfants, la grand-mère, la fête familiale des autres, ça nous laisse généralement de marbre. 


Et puis, on se moque des touristes, mais on s'empresse de faire comme eux, on ne conçoit pas de ne pas "fixer" quelques lieux, quelques instants. Mais des photos, il y en a tellement aujourd'hui qu'on les zappe toutes et qu'on n'en voit plus aucune.  


Mais je me décide quand même à poster les miennes. Non pas parce que je croirais à la qualité esthétique de chacune mais parce que leur ensemble traduit/trahit, peut-être, quelque  chose de celle que je suis, quelque chose de ma personnalité. J'espère donc simplement que la subjectivité de mes photos, ma perception propre du pays, en compensera, peut-être, la maladresse.


Ce n'est quand même jamais complétement par hasard qu'on débarque, un jour, dans un pays. Les motivations sont diverses, bien sûr, allant du farniente au trek sportif. 


Personnellement, je cesse justement de faire du sport, rien que de la marche, quand je suis en vacances. Quant au repos, je m'ennuie très vite. Au total, qu'est-ce que ça peut apprendre de crapahuter ou de se vautrer sur une plage ? Rien qu'on ne sache déjà.


Voyager, ça répond plutôt pour moi à un besoin de remise en cause, de moi-même et de ce qui m'entoure. Voyager, c'est une occasion de réfléchir sur la manière dont les différentes sociétés, et les individus qui la composent, fonctionnent. Je me pose ainsi souvent cette question: plutôt qu'en France, est-ce que je ne ferais pas mieux d'aller vivre dans un autre pays ? Est-ce que je n'y serais pas plus à l'aise ?


La réponse, je ne la trouve jamais parce que je suis tout de même prisonnière d'un boulot et de la rémunération qui va avec. Mais l'essentiel, c'est la réflexion ébauchée. 


De ce point de vue, la Finlande, c'est idéal. Je l'ai déjà dit, c'est le pays classé le plus heureux au monde. Mais c'est probablement aussi, l'un des pays les moins visités au monde. 


Les pays nordiques n'ont vraiment pas la cote en Europe de l'Ouest. 


Mais pour les rares touristes, la mode aujourd'hui, c'est de faire une croisière dans les fjords de Norvège avec les iles Lofoten comme clou du voyage. 



Ou alors, en plus intello et plus aventurier, c'est l'Islande avec ses geysers et ses volcans. Tant pis si on découvre, trop tard, qu'on s'agglutine tous sur les sites et que l'Islande est devenue un enfer touristique. 


Alors on se rabat éventuellement sur la Suède parce qu'on a lu Camilla Läckberg ou le Danemark parce qu'on a entendu dire que c'était le pays du design. Mais, in fine, à peu près personne ne s'intéresse à la Finlande. 


Voilà au moins un pays préservé en Europe (peut-être avec la Moldavie et la Macédoine du Nord). 


Et c'est vrai que quand on y débarque depuis un Paris tumultueux, plein de bruit et de fureur, le contraste est immense. Tout est feutré, quasi silencieux, aucune "musique d'ambiance", plus aucune bousculade, jamais d'attentes. Tout semble facile, sans stress. On se dépêche de vous aider, on peut manger à toute heure, les transports sont une merveille d'efficacité et de confort.


On dit des pays du Nord qu'ils sont des "sociétés de confiance". C'est l'histoire du portefeuille que l'on dépose dans une rue animée. Il disparaît immédiatement dans les pays latins. Dans les pays du Nord et d'Europe Centrale, il est généralement restitué à son propriétaire.



En Finlande, on remarque ainsi qu'il serait très facile de voler ou de resquiller: la surveillance et le contrôle sont très lâches (il n'y a même pas de puce électronique sur les objets dans les magasins). Mais voler, extorquer, je crois que ça ne viendrait à l'idée de personne, c'est proprement inconcevable.


L'un des endroits qui m'a ainsi le plus impressionnée, c'est la nouvelle Bibliothèque centrale Oodi, installée, en plein centre de la ville, dans un bâtiment futuriste (le tout jaune, un peu en dessous). Chacun y entre librement sans aucun contrôle. Là des milliers des milliers de livres et de revues s'offrent sur des étagères aux visiteurs. On se sert soi-même, il est simplement demandé de remettre le livre à sa place. On peut aussi, à d'autres étages, disposer d'ordinateurs nombreux et performants. 


Il est évident que, dans un tout autre pays que la Finlande, la bibliothèque serait volée, pillée, saccagée, en quelques semaines. Mais ici, à Helsinki, tout demeure parfaitement rangé et dans un état impeccable. C'est au point que la bibliothèque est devenue un lieu de rencontre privilégié des jeunes et de tous les habitants. Il y a même un café et des salles de projection mais chacun s'efforce d'être le moins bruyant possible.

Le contraste est immense avec la Grande Bibliothèque de Paris dont l'accès relève d'un parcours du combattant et n'est finalement réservé, après moults contrôles, qu'à une toute petite minorité.


Et puis, il faut évoquer l'environnement urbain d'Helsinki. Rien n'est déglingué, rien ne semble en mauvais état, tout est bien repeint, ripoliné. Même les grands immeubles collectifs de la banlieue apparaissent proprets et cossus.


La Finlande, c'est donc, à bien des égards, séduisant.


Le pays coche, pour moi, bien des cases: d'abord son climat avec de la neige garantie chaque hiver (même si à Helsinki, ça n'est plus du tout ce que c'était). C'est ce dont je rêve: il fait vraiment beaucoup trop chaud pour moi à Paris. 


Et puis, son alimentation. La cuisine française, je trouve ça trop compliqué, je ne sais plus ce que je mange. En Finlande, les plats sont simples: du renne, du saumon, des airelles ... C'est ce qui me convient.

Et puis, évidemment, la facilité de la vie quotidienne y est attrayante. Le stress, on ne connaît visiblement pas trop.


Mais est-ce que ça peut suffire aussi ? 


Entre la France tumultueuse, en excitation permanente, et la Finlande tranquille et cotonneuse, on peut hésiter.


Est-ce qu'on n'a pas besoin aussi de pression, d'aiguillon, qui vous force à, sans cesse, sortir de soi-même ? Le calme, la routine confortable, ça ennuie vite.


Et puis, il y a cette vision hygiénique de la vie (l'alimentation, le corps, le désir, la sexualité, la symbiose avec la Nature) qui devient vite exaspérante. On n'est pas simplement de bonnes personnes pétries de bons sentiments. On aspire aussi à autre chose, à la déviance. 




























Mes photos finlandaises. J'en ai sans doute posté beaucoup trop. Mais le pays est tellement peu connu que j'ai pensé qu'il méritait une plus grande attention.

La 1ère image est un tableau célèbre d'Edvard ISTO représentant une jeune fille finlandaise, tenant un Livre de Loi, agressée par l'aigle russe bicéphale. C'est aujourd'hui particulièrement d'actualité.

Outre Helsinki, vous trouvez des images de villes proches: Porvoo et Espoo.

A Helsinki, deux monuments ont fait scandale au moment de leur inauguration: l'hommage au musicien national Sibelius inauguré en 1967 (photos 41 et 42) et la fontaine d'Amanda Havis (photo 48) dont la nudité et la séduction ont choqué en 1908. Elle a fini par devenir le symbole de la ville. Mais est-ce qu'une telle statue ne déclencherait pas, aujourd'hui, un courroux encore plus grand ? Le "male gaze", on en entendrait parler. 

J'évoque les lynx dans le titre de mon post parce qu'une association pour la protection de ce charmant félin en Finlande m'a gratifiée, en remerciement, d'un magnifique petit lynx (en peluche bien sûr).

En Finlande, j'ai lu trois livres remarquables :

- "Pierrette" d'Honoré de Balzac. Un petit livre de Balzac qui contient toutes ses préoccupations: le rapport sordide à l'argent, la situation de la domesticité, "l'ambiance" dans les villes de province avec le conflit entre les républicains et les monarchistes.

- "Après nous le déluge" de Peter Sloterdijk. Je le trouve parfois un peu verbeux. Mais le grand philosophe allemand a aussi une qualité d'écriture remarquable. Il est en outre éminemment sympathique et grand connaisseur de la France.

- "La renarde" de Dubravka Ugresic. Elle est décédée très récemment. Cette grande écrivaine croate eût mérité le Prix Nobel. 


14 commentaires:

julie a dit…

Bonjour Carmilla,
En quel honneur aviez-vous été gratifiée de ce lynx ? Œuvrez-vous à la sauvegarde de ces splendides animaux ?
J'aime beaucoup votre récit de voyage. Les belles photos témoignent de votre sensibilité à la richesse de ce pays nordique.
Merci de l'avoir partagé ici !
Douce soirée.
Julie

julie a dit…

Ajout : finalement, ce pays que l'on pourrait penser "froid", déborde de couleurs.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

Simplement parce que j'ai donné un peu d'argent à cette association pour la sauvegarde des lynx. On peut penser qu'il y a des causes infiniment plus importantes à défendre que les lynx mais l'une n'exclut pas forcément les autres et puis je trouve cet animal très beau et un peu amusant avec ses oreilles aux pointes noires. Je ne crois pas non plus qu'il soit trop dangereux mais je n'en ai à vrai dire jamais vu que dans des zoos. Le problème en Finlande, c'est qu'on avait estimé, à une époque, qu'ils devenaient trop nombreux et on avait alors commencé à les exterminer. Mais on est, paraît-il, allé trop loin.

Dans les pays du Nord, on aime effectivement peindre les maisons de couleurs vives. Mais cela se comprend aisément parce que, pendant la période d'hiver, de novembre à fin février environ, la grisaille est quasi continue avec une lumière qui se lève à peine.

Merci pour votre appréciation concernant mes photos,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Pour les peuples nordiques au printemps, c’est la célébration du retour de la lumière. Celle de la Finlande ressemble étrangement à celle du Québec. Je suis surpris du nombre d’arbres feuillus, encore nus pour le moment, mais qui vont bientôt exploser d’une verdure tant attendue, souhaitée passionnément, comme c’est le cas de ce qui se passe présentement au Québec. Cette métamorphose de cette lumière difficilement descriptive est bien rendu par vos photos. Certes, il y a une grande différence entre l’architecture de la Finlande et celle du Québec, mais pour le reste, les arbres caduques, les herbes jaunes sans avenir, de l’eau partout, sans doute aussi de la boue dans les champs, laisse présager une espère d’espérance qu’on ne retrouve que dans le nord.

J’écris devant ma fenêtre, et dès que je lève les yeux de mon écran, mon regard est irrésistiblement attiré par cette verdure des trembles et et des bouleaux sur l’autre rive de la rivière, sous un ciel gris, ce qui résulte en une lumière tout à fait particulière par tout juste dix degrés sous un vent du nord froid. Malgré tout, le printemps commence à laisser sa marque. Vous avez bien choisi votre moment de l’année pour ce voyage en Finlande, qui stimule votre attention, mais surtout vos réflexions sur la vie.

On sent qu’à chaque voyage, vous êtes attirée irrésistiblement par des remises en question. Ce n’est pas un doute, c’est une recherche comme, partir pour revenir, un départ sans retour, un changement dans votre existence. Tout est dit dans ce petit paragraphe : « La réponse, je ne la trouve jamais parce que je suis tout de même prisonnière d'un boulot et de la rémunération qui va avec. Mais l'essentiel, c'est la réflexion ébauchée ».  Vous êtes très consciente de votre situation, entre le partir et le revenir, être prisonnière de sa vie quotidienne, son travail et surtout de sa rémunération, ce qui est le lot de plusieurs humains sur terre. Par chance, c’est l’essentiel de la réflexion ébauchée. On peut rester piégé par sa condition, mais s’en extraire exige une forte volonté, et un appétit incommensurable de liberté. Aller s’établir dans une autre pays pour recommencer à neuf c’est un plongeon dans l’inconnu. Pas facile lorsqu’on a le monde en partage devant autant de possibilités, des désirs innombrables. À chaque fois que vous faites un voyage, je sens votre ambivalence, des fois c’est exprimé directement, en d’autres occasions c’est implicite comme une trace de brouillard, un coup de vent en passant. Ceci n’est pas indécision, c’est une conscientisation d’un état qui vous est propre. L’avenir est toujours incertain, ce qui le rend à la fois inquiétant, mais aussi excitant. Il me semble vous voir frapper à la porte de Nokia, où à une autre compagnie finlandaise, pour postuler un emploi… Pourriez-vous être itinérante pour le restant de vos jours?

C’est le 30 avril, demain se sera le 1er mai, alors Joyeux Anniversaire.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

D'abord pour vos bons voeux. Je constate que vous avez une excellente mémoire.

S'agissant du climat, j'ai été un peu surprise de voir qu'en Finlande, à la mi-avril, le printemps n'avait absolument pas débuté: pas un bourgeon, pas une fleur, un tapis brûlé d'herbes. Il faut dire qu'il avait encore neigé abondamment quelques jours auparavant (ce qui est tout de même rare à cette époque).

Il y avait en revanche un très belle lumière, cette lumière du Nord qu'on ne connaît pas en France et dont la beauté s'exprime surtout en juin et juillet.

Quand je voyage, je me demande en effet, à chaque fois, si je pourrais vivre dans le pays visité. Je pense que c'est d'ailleurs la réflexion d'un peu tout le monde. Mais la question est vite tranchée. Si j'avais un travail exclusivement technique, ce serait peut-être envisageable.

Mais contrairement à ce qu'on imagine peut-être, exercer des fonctions financières, ça ne réclame pas seulement de savoir lire un bilan ou un compte de résultat. Il faut aussi savoir expliquer les choses, la situation d'une entreprise et ce que l'on veut faire pour la corriger. Pour cela, il faut de grandes qualités d'expression écrite et orale. Je passe ainsi une grande partie de mon temps à écrire et à parler en public.

Et puis, on est sans cesse sollicité pour des publications techniques ou des participations à des séminaires.

Pour cela, il faut donc la maîtrise absolue d'une langue et pas simplement se débrouiller avec. Et la maîtrise d'une langue étrangère, ça représente plusieurs années d'apprentissage.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

La puissance de la lumière.

Nous les nordiques on en sait un bout sur la lumière. Dans les faits, nous n’attendons pas le printemps, nous souhaitons ardemment le retour de la lumière. Dès que l’intensité de la lumière augmente nous le sentons, sur tout notre corps, dans notre être entier, et cela survient bien avant l’arrivée officielle du printemps. Personnellement pour moi, déjà à la fin de janvier, je sens qu’il se passe quelque chose, l’énergie revient après les mois sombres de décembre et janvier, je me sens plus vif, plus intense, plus fort physiquement. Cette lumière, c’est de l’énergie, et elle cause un bien énorme chez les humains, surtout après cette période de privation du solstice d’hiver. Toute cette force de la lumière, c’est de l’énergie, on a qu’à regarder les plantes, à l’intérieur, dès la fin janvier, les feuilles des chênes sortent, pendant qu’à l’extérieur ce n’est que neige et glace. Il en va de même pour les humains, cela varie d’un individu à l’autre. Plusieurs humains sont très sensibles au manque de lumière, ce qui leur cause un malaise généralisé, qu’on appelle dans le langage commun, (le mal des cabanes), expression qui provient des gens du nord, et qui vivent sous des latitudes nordiques, comme par exemple au Yukon. Là où le manque de lumière se manifeste par des grandes noirceurs. Ce qui vaut pour tout le nord du Canada et une bonne proportion du Québec.

Lorsque j’ai regardé les photos de votre voyage en Finlande, la première chose que j’ai remarqué, c’est la lumière, et j’ai pensé immédiatement, que ce genre de lumière s’apparentait parfaitement avec celle du Québec. Cela n’a pas été une surprise, tous ces arbres nus, ce foin jaune, ce manque de verdure, ce qui est parfaitement normale sous nos latitudes. On la voit, on la sent, cette lumière particulière. Chez moi, ce genre de sentiment est ancré profondément. On la sent d’abord, puis après on la voit. Il y a comme un décalage entre le sentiment et la vision. Biologiquement cela relève de l’instinct de la bête, de l’animal, pourtant, nous imaginons ce phénomène en l’intellectualisant. Comment ne pas songer à la neurologie? Qu’est-ce que nous voyons vraiment? Comment nous le voyons? Et après vient le pourquoi que nous le voyons ainsi?

Vous avez raison, nous sommes entourés, que dire, submergé d’images, de photos de toutes sortes, que nous en perdons la finesse de notre regard, l’intellect tue l’instinct. Les gens ne s’arrêtent plus pour regarder afin de développer cette finesse du regard, cette affinité de la sensibilité. Vos photos exigent qu’on s’y arrête, ce n’est pas seulement de l’eau, des arbres, des bâtiments, c’est aussi de la lumière, une certaine disposition, un cadrage, mais aussi le (sentir), ce qui vous projette dans un autre univers de la perception. Nuages pourrait nous en dire beaucoup là-dessus, certes il y a un côté technique, mais il y a aussi cette attirance et peut-être la raison pourquoi on prend telle photo. Le domaine de la lumière regorge de mystères que nous avons tendance à négliger. Nous pouvons le transposer à la peinture et vous le faites souvent pour non seulement agrémenter vos textes, mais aussi pour y ajouter une certaine luminosité. Lorsque je visite un musée ou une galerie de peintures, je visite lentement, tout en observant les visiteurs qui m’entourent et qui passent trop rapidement devant les toiles, en me disant : ils n’ont rien vu, rien senti, des vrais automates.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La lumière du Nord, je la perçois surtout comme cette lumière rasante, d'une couleur blanchâtre, qui fait des ombres très longues et se prolonge longtemps dans la soirée.

Elle est la caractéristique des pays proches du pôle Nord où la durée du jour est beaucoup plus longue en été. On la perçoit déjà bien à Saint-Pétersbourg ou Helsinki.

Compte tenu de sa latitude, je ne pense pas que le Québec connaisse cette vraie lumière du Nord. Mais peut-être s'agit-il de la couleur des pays froids où les contrastes sont plus marqués avec une teinte générale bleuâtre.

Les photographies étaient rares autrefois parce que techniquement difficiles et coûteuses. Celles que l'on réalisait, on les mettait dans des albums. Aujourd'hui, avec les smartphones, beaucoup de gens en font quelques milliers chaque année mais n'en éditent aucune. Mais qu'en reste-t-il ensuite ? Cela se perd dans les réseaux électroniques et, avec l'évolution constante des supports et des technologies, on sera, dans peu de temps, incapables d'ouvrir et de lire les anciens fichiers. Finalement, le bon vieux papier et les supports argentiques se conservent infiniment mieux. La profusion des images consacre leur vacuité et leur insignifiance.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Une excellente mémoire?

Mais comment peut-on qualifier une mémoire? Je ne dirais pas que ma mémoire est excellente. Certes, elle est mystérieuse, particulière, renversante, pour certains domaines particuliers, comme pour raconter des histoires, puiser dans mes souvenirs, naviguer dans l’espace, trancher dans le temps, elle déborde souvent comme une rivière en furie au coeur de la débâcle, souvent indomptable, où se mêle les rêves et la réalité, mémoire de paroles, de mots, d’expériences, mémoire historique qui puise inlassablement dans le passé, c’est une bête indomptable. Un genre de fauve qu’on ne domestique pas. Comment ne pas me sentir comme un fauve impossible à domestiquer? Qui plus est, j’aime cet état! Mémoire du territoire, il me suffisait de passer deux fois au même endroit pour ne plus avoir besoin de ma carte géographique. Je sais des forêts par coeur. Cela se fait sans effort. Je m’étonne moi-même. Je reconnaissais des lacs du premier coup d’œil. Après ce sapin, il y a un très beau mélèze. Au coeur d’une progression lente dans une jungle d’aulnes, je sais que je me rapproche de la petite rivière de Stoke. C’est une mémoire qui ne se force pas, et lorsque je la force, elle se rebelle, elle se refuse, me boude, me déserte. Le fauve devient dépourvu. Les pilotes qui embarquaient avec moi pour un vol n’en revenaient pas de ma facilité à naviguer. Et la navigation à vue, c’est de la géométrie dans l’espace, et qui dit espace dit temps, ça formait un tout dans mon esprit. J’ai aussi une mémoire politique, des noms, des actions, des plans, et surtout j’ai une maudite bonne mémoire de ceux qui me mentent. Que se soit un individu comme d’un homme ou une femme politique. C’est la mémoire longue, large, incommensurable, implacable. Suite à une dispute avec ma mère, elle m’avait dit : Tu devrais essayer l’oublie. Inutile, je ne peux pas oublier. Par contre, je me bats toujours avec l’orthographe et la grammaire, apprendre des textes par coeur c’est une torture, l’école et moi, c’était deux, les langues étrangères ce n’est pas pour moi, mais j’arrive toujours à me faire comprendre. Il est vrai que j’ai un timbre de voix qu’on oublie pas, qui est dérangeant, je dirais même qui n’est pas séduisant. L’important c’est de se débrouiller. Je peux écrire une texte sans plan, sans note, on dirait que ma mémoire se déplie comme un accordéon. Tout est là, et je peux en disposer facilement, même choisir entre deux ou trois scénarios. Les idées se mélangent aux phrases, ça brasse comme dans un orage. Je ne suis pas talentueux, je suis torrentueux. Cette mémoire m’entraîne dans des aventures fabuleuses, en quelque sorte elle enrichit ma liberté!

Facile de me souvenir de votre anniversaire de naissance. Le premier mai cela me rappelle beaucoup d’événements. En France, c’est la fête des travailleurs, et je me souviens très bien que j’avais assisté lors de l’un de mes voyages en Europe au défilé à Paris. Ça ne s’oublie pas. C’est mon côté raconteur. Dans votre cas Carmilla, être né un premier mai, cela ne s’invente pas. C’était sans doute une belle histoire!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Le 1er mai, ça évoque surtout pour moi la fête du travail dans les pays communistes. Même si je n'ai pas vraiment connu, c'était horrible, c'était la fête de la dictature, la fête de l'humiliation.

Il y a différentes formes de mémoire. Je n'ai personnellement pas une grande mémoire visuelle (je ne reconnais pas toujours les gens car leur apparence est trop changeante) mais j'ai en revanche une mémoire dans le temps quasi imparable. Je me souviens de tout ce que j'ai fait, lu, écrit et entendu à tel moment, il y a un an, 10 ans, etc... au jour près. Tout est ainsi classé dans ma tête. C'est pratique, je n'ai pas besoin de notes ou d'archives.

S'agissant de l'orthographe, les déficiences traduisent souvent un rapport trop affectif au langage. Les fautes sont souvent une résurgence des conflits internes (amour/hostilité) qui nous ont traversé. Les fautes, c'est une manière de signifier la guerre intérieure qui nous anime: qu'est-ce qu'on abîme en torturant les mots ?

On fait souvent moins de fautes d'orthographe quand on s'exprime dans une langue étrangère (qui n'est pas notre langue maternelle), tout simplement parce qu'on a un rapport instrumental, dépassionné, au langage. On est, en revanche, alors incapables de s'exprimer poétiquement.

Quant aux langues étrangères, c'est bien simple. Je ne crois pas qu'on puisse vraiment apprendre une langue si on ne vit pas dans un pays où elle est pratiquée. Ca va très vite si on est plongés "dans le bain".

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Merci pour votre commentaire.

Je retiens un paragraphe :

« S'agissant de l'orthographe, les déficiences traduisent souvent un rapport trop affectif au langage. Les fautes sont souvent une résurgence des conflits internes (amour/hostilité) qui nous ont traversé. Les fautes, c'est une manière de signifier la guerre intérieure qui nous anime: qu'est-ce qu'on abîme en torturant les mots ? » 

J’aimerais que vous élaboriez sur cette idée : sur la résurgence des conflits internes (amour/hostilité), cela me semble une piste intéressante que j’ignore.

Merci Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

C'est de la psychanalyse dont, vous ne l'ignorez pas, je suis férue.

Je pense en effet que les fautes d'orthographe, les difficultés d'expression et même l'absence de don pour les langues étrangères ou les "trous de mémoire" ne sont généralement pas liées à la faiblesse de l'intelligence mais sont simplement porteuses de signification. Elles traduisent quelque chose de nous-mêmes dans la construction, dès la petite enfance, de notre personnalité. Elles sont porteuses de signification.

L'apprentissage du langage, dès les premières semaines de la vie, est en effet un processus entièrement affectif. Chaque mot, de la part des parents et de l'entourage, est, pour l'enfant, porteur d'une charge émotionnelle. Et chaque mot ouvre les voies du désir ou... de l'interdit.

C'est l'apprentissage de la culture qui est émancipatrice (puisqu'il permet à l'enfant de se détacher de sa mère en conquérant une individualité) mais qui génère également de multiples troubles et de nombreuses frustrations. Se développe alors la nostalgie d'un monde plein, indifférencié, sans interdit (car sans langage), dans lequel le désir pouvait trouver une satisfaction immédiate.

Les difficultés ultérieures du langage et de son expression traduisent donc une révolte contre cet ordre que nous a imposé le langage. Elles sont une manière de rejouer les conflits de notre enfance avec ses rages et ses frustrations.

Mais je ne peux bien sûr m'exprimer sur un cas individuel. C'est à chacun de réfléchir à ce qu'il cherche à exprimer dans son élocution, sa façon de parler (proche ou différente de celle de ses parents), ses incorrections de langage. C'est toujours une manière de se positionner par rapport à son entourage. Quand on s'exprime dans sa langue maternelle, l'affectivité déborde toujours les mots proférés. C'est ce qui en fait la capacité à émouvoir.

En espérant avoir esquissé quelques pistes sur un sujet bien difficile à traiter dans le cadre d'un commentaire.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Mercie pour votre commentaire.

C’est une piste intéressante qui débouche sur maintes questions? Sujet aux multiples facteurs, parce que cela ne peut pas être uniquement une cause de conflits entre l’enfant et les parents. Nous ne pouvons pas réduire ce (défaut d’apprentissage) uniquement à des causes psychologiques.

Convenons tous, que le langage comme l’écriture sont des conventions, qui changent, peuvent être modifiées, adaptées, comme n’importe quelles conventions, ententes, et remises en question. La langue comme l’écriture, sont des domaines artificiels. Entre l’apparition du langage, puis de l’écriture, il y a eu un vaste espace, une lente évolution. À la base, nous n’étions pas constitués pour parler et encore moins pour écrire. Ce constat évoque la plasticité du cerveau.

J’ai trouvé très intéressant le paragraphe suivant :

« On fait souvent moins de fautes d'orthographe quand on s'exprime dans une langue étrangère (qui n'est pas notre langue maternelle), tout simplement parce qu'on a un rapport instrumental, dépassionné, au langage. On est, en revanche, alors incapables de s'exprimer poétiquement ».

Nous serions alors, nous les fautifs, des passionnés de la langue que nous massacrons? Qui plus est dans une langue étrangère incapables d’écrire de la poésie. Étrange, lorsque j’écoute des francophones qui composent et chantent en anglais, parce qu’ils veulent conquérir le marché américain, plus lucratif que celui du Québec, je constate que la poésie est au rendez-vous.

Dans ce domaine se pose cette question suivante :

Comment transposer et unir, la psychologie à la neurologie? On peut peut-être expliquer certaines situations par la psychanalyse, mais pas toutes les situations. Il ne faut pas oublier le fonctionnement du cerveau. Comment joindre cette psychologie à la neurologie?

Je n’ai pas trouvé de réponse, et il se peut très bien que je n’en trouve jamais, ce qui n’empêche pas de trouver cette question...(séduisante)…

Les fautes nous aident à comprendre le monde, à nous connaître, et en cela, la faute n’est pas toujours mauvaise. Sans erreur, il n’y a pas de progression.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

L'accès au langage constitue une période extraordinaire de la vie dont on mesure mal l'importance. L'être humain y gagne et y perd à la fois.

D'une part, avec le langage, le monde trouve une nouvelle clarté car il se décompose en entités bien définies.

D'autre part, l'accès au monde sensible se trouve désormais médiatisé. L'homme n'y a plus accès direct. Une scission irrémédiable se creuse en lui. Une période de plénitude de la vie s'efface. Surtout, cette fêlure interne le plonge dans la névrose et l'angoisse de la mort. Avec le langage, on se projette dans l'avenir et ça n'est pas très drôle parce que plein d'incertitudes.

La neurologie, je veux bien mais je ne suis pas entièrement convaincue. La question, c'est peut-être, plutôt : comment le langage s'inscrit-il en chacun de nous ? De quelles prescriptions, interdits, est-il porteur ?

Sur la langue maternelle ou étrangère, je parle bien sûr de ma propre expérience. Quant à l'écriture, il y a quelques grands écrivains (Conrad, Nabokov) qui ont utilisé une langue étrangère pour leurs romans. Mais je connais pas de grand poète qui se soit exprimé dans une langue autre que la sienne. Une chansonnette, c'est autre chose.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Avec la langue et l’écriture, une part des connaissances devenaient possibles. Au début on ne se rendait pas compte, que dans un certain sens, nous venions d’ouvrir une boîte de pandore, conceptualisé n’enveloppe pas toutes les connaissances, sans oublier le présent qui souligne pas seulement nos réussites, mais aussi nos défauts et nos erreurs, nos accusations, pour finalement trancher nos débats par la guerre. Certes nous progressons, et cette progression lorsque nous l’analysons, on finit par se rendre compte, que d’autres possibilité deviennent possibles. Exemple les transformations climatiques. À l’époque lointaine jamais on aurait pensé, lorsque nous avons pris un bâton dans nos mains, que cela nous amènerait à la bombe atomique!

En définitive, nous profitions à l’époque d’une acuité visuelle remarquable, ce nous remarquons par exemple chez les chasseurs, oui ils en restent de ces primitifs, qui peuvent distinguer un chevreuil immobile à 500 mètres. Donnez-leur une dictée, ils ne apercevront jamais de leurs fautes. En fait notre constitution s’accordait parfaitement à notre vie quotidienne, voir le crocodile qui ressemblait à une bûche de vieux bois, ou encore, le serpent qui vous attendait dans le sentier, l’ours qui jouait à cache-cache en attendant de vous mettre la patte dessus.

Jadis, la nature s’occupait de vous recaler, aujourd’hui il suffit de rater un examen. Alors on fait quoi avec ceux qu’on vient de recaler? L’avenir resterait le domaine des forts en thème? Il semblerait que nous venons d’être rattrapé par une question existentielle, et cette question, elle me passionne. En quelque sorte, cela se nomme, de la sélection. Une manière (politisée), vous à droite et toi à gauche, et ceux qui se retrouverons à gauche pendront le chemin du four. C’est une manière de faire très déplaisante.

Certes la progression de l’apprentissage, la science de l’enseignement progressent continuellement, aujourd’hui des spécialistes du langages, des psychologues, des orthophonistes, s’occupent des enfants en difficultés. Comment ne pas saluer cet avancement? L’abandon n’est pas une solution, la punition non plus, peu importe l’être humain, ses habiletés et ses faiblesses, nous devons impérativement nous en occuper. Mes souvenirs débordent d’exemples d’enfants abandonnés, pas seulement par leur famille, mais aussi par les institutions, entre autre, l’école! Lorsque j’y pense, je sens la colère et la révolte monter en moi. Faut-il condamné une part de notre humanité, à la médiocrité, à la pauvreté, et à l’ignorance?

Je me plaît à imaginer, que dans un avenir plus ou moins lointain, que nous n’aurons plus besoin ni de la parole, ni de l’écriture pour communiquer, mais cela posera d’autres problèmes d’autres défis. Lorsqu’on écoute les débats sur l’intelligence artificielle, pour ceux dont la conscience ne dort jamais : l’évolution de cette tendance a laissé derrière elle, un quai vide! Encore une fois, ce genre de propos pour l’heure, ressemble à de la pure imagination. Il faudra inventer de nouveaux outils, et comprendre ce que nous n’avions même pas imaginé. Il se peut très bien, que pendant un certain temps, nous aurons encore besoin de psychanalystes et de neurologues.
Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent