samedi 8 avril 2023

Contre les âmes grises: l'absurde et la tragi-comédie


Bientôt Pâques (comme Noël, c'est désormais à la même date en Ukraine que partout ailleurs, sauf en Russie). Cette année, j'ai fait pousser, dans des assiettes profondes, du cresson et de l'avoine. Et puis, je vais aller chercher des œufs peints et teintés. J'ai aussi commandé des "vareniki" (ou pierogis) et des choux farcis ainsi que des gâteaux au pavot et au fromage. Moi qui n'aime pas cuisiner, je vais peut-être même faire du borchtch et rechercher une carpe ou des saucisses blanches.


Je m'effraie moi-même: je commence à régresser. Bientôt, je vais peut-être porter une veste ou une chemise brodées. Et pourquoi pas une couronne de fleurs dans les cheveux ? Ou bien de grandes nattes ? Moi qui ai toujours détesté ce folklore (exalté sous le communisme), qui ai toujours considéré que c'était vraiment "la honte", je me dis que je deviens bête. On a vite fait de devenir nationaliste, même si on sait bien qu'une guerre, c'est d'abord un combat pour la liberté avant d'être une défense des traditions et de l'âme d'un peuple (on ne sait pas, c'est ce qui m'inquiète, ce que ces grands mots, la tradition, l'âme, peuvent bien signifier et jusqu'où cela peut aller).


Le risque, c'est l'étouffement, le renfermement sur soi-même. Quoi qu'il advienne, les lendemains ne chanteront guère. Vainqueurs ou vaincus, on vivra dans une exaltation ou une rumination continuelles. Ca ne sera guère propice à l'esprit critique.


Je viens de lire le "Journal d'une invasion" d'Andreï Kourkov, le plus célèbre des écrivains ukrainiens. C'est le récit des 6 premiers mois de l'année 2022, incluant le déclenchement de la guerre. On est évidemment un peu déçus de ne pas avoir la suite jusqu'à aujourd'hui, même s'il nous est promis que ça viendra.


Ce qui m'a le plus marquée, c'est qu'il souligne, à plusieurs reprises, que, depuis le 24 février 2022, il se sent incapable non seulement de poursuivre la rédaction de ses romans mais, même, de simplement lire un quelconque bouquin. Comme si la guerre faisait un vide complet, absorbait toutes nos  pensées. 


Il est vrai que, toutes proportions gardées, j'ai, moi-même, d'abord éprouvé une sidération (comparable à celle éprouvée à l'occasion d'un deuil) et je me semblais incapable de m'intéresser à quoi que ce soit d'autre que la guerre.  Je pensais même arrêter mon blog tant le monde "normal" m'apparaissait vain et futile. Et puis, sans doute parce que je ne vis pas là-bas, j'ai "redémarré" et repris la vie un peu comme avant. 


Seule exception: je ne supporte plus les informations, l'actualité, françaises. Ces pleurnicheries, ce misérabilisme, ce rabâchage, continuels sur l'inflation, l'écologie, les retraites, j'étouffe là-dedans: je trouve ça tellement mesquin, étroit et presque cynique. Il ne faut pas que le soutien à l'Ukraine se fasse au détriment du pouvoir d'achat des Français, ça devient la rengaine des conversations même si personne ne prend la peine de consulter les chiffres (l'aide, ça n'est qu'une infime partie du budget de l'Etat). 


Pour en revenir à Kourkov, il a donc abandonné le roman. Et c'est vrai qu'on peut se poser la question: l'Art, la création artistique, ont-ils encore un sens en temps de guerre ? Est-ce que ça n'est pas un luxe, une distraction, de pays pacifiés, vivant tranquilles et repus ? 


On dit de l'Art qu'il ne se contente pas de reproduire la réalité mais surtout qu'il la "fait voir": c'est à dire qu'il nous permet de sortir de nous-mêmes, de nous ouvrir à d'autres expériences, d'autres sensibilités que la nôtre. Mais il faut bien reconnaître que la guerre impose une réalité brute, incontournable, qui évince toutes les autres. Il n'y a plus que l'urgence de la survie et, par rapport à cela, l'imagination, la rêverie, ça apparaît presque encombrant.


La guerre nous réduit à nos besoins primaires, immédiats, quasi animaux : bouffer, lutter contre la peur, le froid et l'épuisement. Les seuls échappatoires, les dérivatifs, c'est fumer, se soûler, baiser et...Tuer. Ce sont les sombres satisfactions d'une Barbarie retrouvée. L'Art n'a évidemment pas de place là-dedans.


Et du reste, toutes les périodes de précarité de la vie se sont révélées funestes pour la culture. L'effondrement complet de l'Empire romain au début du 6ème siècle, ça a d'abord été une disparition des grandes bibliothèques et un appauvrissement général du savoir. Il a fallu des siècles pour retrouver une splendeur comparable et le schéma s'est ensuite reproduit, avec une période de sursaut tout de même réduite, avec toutes les grandes calamités (la Grande Peste, la guerre de 30 ans, les guerres mondiales).


Mais le plus grand danger, c'est peut-être de s'abandonner complétement à la sombre réalité, de ne plus vivre que sous l'empire de la survie, de la contrainte des "événements".  On a vite fait de se laisser complétement happer par l'urgence tragique. On n'est plus capables de s'ouvrir à autre chose.


Dans son bouquin, Kourkov esquisse néanmoins quelques lueurs d'espoir. Il décrit ainsi avec attention ce qui fait désormais le quotidien des Ukrainiens en temps de guerre (la cuisine, le jardin, les contacts sociaux, les animaux, les transports, le chauffage, l'eau, l'électricité). Mais il l'émaille continuellement de multiples petits détails qui "illuminent" cette vie misérable. Qui la rendent sensible, affective.


Par exemple, la grand mère qui promène dans toute l'Ukraine son coq Tocha. Ce coq trop vigoureux qui, dès 4 heures du matin, réveille tout le monde dans les gymnases, les églises ou les bâtiments municipaux où se sont entassés les réfugiés. Mais personne ne s'en plaint. Au contraire, à force de photos ou de vidéos circulant dans toute l'Ukraine, on a fait de Tocha une célébrité nationale.


Et ces fichus dauphins qui occupaient le grand aquarium de Kharkiv. On aurait pu les laisser crever sous les bombes. Mais non ! On a pris la peine de les transférer, par convoi spécial, à Odessa (1 000 kms d'un parcours périlleux via Kyïv). On imagine la catastrophe si leurs bocaux s'étaient fracturés en cours de route.


Et puis... les femmes qui continuent d'arborer high heels et faux cils, les chants et danses dans le métro, les petits plats que l'on cuisine en commun sur un poêle tiré des décombres, les queues d'approvisionnement comme nouveaux centres d'information. Tout n'est pas figé dans la désolation.


J'y retrouve ce côté burlesque et picaresque de la vie en Ukraine. C'était l'esprit du "Pingouin" (les deux romans qui ont rendu célèbre Kourkov) cet oiseau, surgi de nulle part, qui erre, en toute décontraction, dans les rues de Kyïv. Et c'est vrai qu'on croise souvent, dans les rues des villages ukrainiens, des flopées d'animaux qui y gambadent librement (chats, chiens, canards, volailles etc.. et même des ânes et des vaches). Je me demande comment leurs propriétaires arrivent à les retrouver. Mais personne ne s'en étonne ni n'y voit d'inconvénient. 


Les choses absurdes ont droit de cité. C'est pour ça qu'on n'est pas trop soucieux d'ordre et de réglementation. On n'attend pas grand chose des pouvoirs en place, on préfère s'arranger, se débrouiller, tracer son propre chemin. Se débrouiller, j'ai l'impression qu'on n'est plus trop capables de ça à l'Ouest, on préfère être intégralement pris en charge.


Vis à vis des gens, là-bas, c'est pareil. Les bizarreries d'apparence et de comportement ne suscitent aucune réprobation ni rejet. Les filles ukrainiennes sont ainsi souvent habillées de manière ultra agressive mais ça ne pose aucun problème, personne ne les embête dans la rue. 

Quant aux vieux impotents et aux dérangés mentaux, on s'en accommode, on évite de les confier à une institution. 

Et pour le sommet de la dinguerie, je vous invite  à aller sur Tik Tok et le compte Princeska-13. Moi-même, je trouve ça sidérant. Il s'agit de Tetiana Tchoubar. Elle a 23 ans et commande un canon automoteur (une espèce de tank) avec 4 hommes sous ses ordres. Elle trouve le temps de se maquiller, de se peindre les ongles et même, parfois, de faire la fête. Elle aimerait pouvoir peindre en rose son véhicule blindé. Ses supérieurs militaires l'ont tout de même autorisée à peindre en rose une partie de la cabine de son tank (on ne sait pas ce qu'en pensent ses subordonnés).


De quoi crève-t-on, en fait, dans les sociétés occidentales ? D'ennui, de banalité, de normalité. On est des "âmes grises" incapables de s'émerveiller, de vivre dans la fulgurance de la vie. On est pétris de conventions, d'idées toutes faites, de comportements policés. C'est pour cette raison qu'on peut considérer qu'on est "déshumanisés". Je n'aime pas trop cette tarte à la crème existentialiste mais elle explique quand même, je crois, la morosité qui submerge nos pays repus.


L'absurde nous envahit, certes. C'est la grande dépression moderne. Quant au tragique, il est à nos portes avec une remise en cause potentielle (les guerres, le climat, la dépression économique) de tous nos acquis et de toutes nos certitudes.


Faut-il alors désespérer complétement ? Andrei Kourkov indique une autre voie : quand l'absurde devient le normal et quand le tragique se transforme en comique. Entre le rire et le drame, la distance est souvent ténue. Et la franchir, cela peut illuminer nos vies. L'humour, c'est ce qui peut nous sauver.


Images de Daria PETRILLI, SHAUN-TAN, Zdzislaw BEKSINSKI, Alfred KUBIN, Pierre MORNET.

Lectures:

Je recommande bien sûr la lecture d'Andreï Kourkov. Ses deux derniers bouquins notamment, le "Journal d'une invasion" et "L'oreille de Kiev" (c'est à rapprocher de "La garde blanche" de Boulgakov). J'ajoute les deux livres consacrés au Pingouin.

Si vous souhaitez approfondir votre connaissance de la littérature ukrainienne contemporaine, je signale que, parmi ses plus célèbres représentants, figurent : Serhiy JADAN ("Anarchy in the UKR", "La route du Donbass") et Yuri ANDRUKHOVITCH ("Douze cercles", "Moscoviada"). Leurs livres sont traduits aux Editions Noir sur Blanc.

Il y a un point commun à ces trois auteurs: leur littérature est complétement déjantée, absurde et comique. Donc bien éloignée de la littérature française qui s'embourbe, en ce moment, dans le social et le sociétal.

8 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Excellent votre texte ce matin.

Par-dessus la sombre réalité, il importe de sauter à pieds joints dans ce qui reste de la vie, ce qui touche à la spiritualité comme à l’humour. Nous pouvons tout perdre et même la vie, mais en attendant nous sommes bien vivants, du moins pour ceux qui restent, et il est impensable d’envisager de baisser les bras. Bien sûr que nous pouvons tout perdre ce que nous possédons, mais après ces pertes, nous nous rendons compte que c’est pas si important que cela. Malgré les souffrances nous sommes capables de surmonter toutes ces difficultés, voilà ce qui fait la beauté de l’humain.

Nous venons encore une fois, nous les Québécois d’en faire l’expérience pendant cette semaine. Nous avons subi une tempête de verglas mercredi dernier. Ce n’était pas le grand verglas de 1998, mais c’était une tempête assez rude pour priver d’électricité un million d’abonnés. Il en reste présentement trois cents milles à reconnecter. Et qu’est-ce que nous avons vu? Des gens qui se sont serrés les coudes, se sont entraidés, n’ont pas compté leur temps. Pourquoi faudrait-il toujours taire nos générosités comme si cela tenait de la honte? Il est toujours permis d’espérer de l’humanité. Dans nos récriminations nous avons la tendance à l’oublier.

Certes, une tempête de verglas en avril, au Québec, c’est exceptionnel. Ici, nous avons été chanceux, pendant que le village voisin était dans la noirceur, nous ici sur le chemin de la rivière, nous n’avons subi aucune interruption d’électricité. Nous avons été chanceux!

Joyeuse Pâques Carmilla

Merci pour votre texte

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

J'avoue ne pas être trop mécontente, pour une fois, de mon petit post.

S'agissant du Québec, les médias français n'évoquent presque jamais son actualité politique. Mais comme ils sont friands de météo, ils ont longuement évoqué cette tempête de glace avec des images impressionnantes. En soulignant, bien sûr, qu'on risquait quasiment sa vie en mettant le nez dehors.

Je reconnais que je ne connaissais pas ce phénomène ou du moins pas sous cette forme extrême. J'ai trouvé que c'était d'une étrange beauté. Mais à écouter les informations françaises, on a l'impression que ça se traduit par des dégâts énormes dans les arbres avec de nombreuses chutes de grosses branches. Est-ce vraiment le cas ?

Et puis, j'imagine que l'hiver commence à prendre fin chez vous. En France, il a été quasi inexistant: pas une seule journée, je n'ai eu besoin de mettre des gants et aucune fleur, dans mon jardin, n'a gelé.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

Je m'apprête à repartir à Avioth aujourd'hui et j'ai pris le livre de Kourkov dans mon sac. De lui, j'avais bien aimé "Les abeilles grises".

On attend les contre-offensives ukrainiennes, qui permettront peut-être de libérer de nouveaux territoires, mais au prix de lourdes pertes humaines. Ça m'étonnerait beaucoup que la guerre se termine cette année. Elle aura généré une rupture durable et haineuse entre Russes et Ukrainiens, qui mettra longtemps à se résorber.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

A vrai dire, j'avais été un peu déçue par "Les abeilles grises". Ce n'est peut-être pas son meilleur.

Parmi ses récents, j'avais aimé "Vilnius, Paris, Londres" même s'il est vraiment long.

La contre-offensive ukrainienne, oui, peut-être. Mais j'ai des doutes. L'aide occidentale, indispensable, n'est pas si importante que ça. Une petite centaine de chars, ça n'est pas énorme, ça ne peut pas suffire.

Si vous en avez la possibilité, procurez-vous le numéro des 09/10 avril du journal "Le Monde". Il y a un excellent et long entretien avec Timothy SNYDER sur la guerre.

J'espère parfois un effondrement brutal de l'armée russe parce que le moral de ses soldats est tout de même bien bas et que certains se demandent ce qu'ils font là. Mais c'est quand même peu probable tellement la propagande est forte.

Quant à l'après guerre, si les Ukrainiens gagnent, une réconciliation sera peut-être possible (mais pas tout de suite). Mais je crains quand même qu'il faille plusieurs générations avant que reprennent des relations normales. On me dit quand même qu'il demeure possible de parler russe dans les villes ukrainiennes sans se faire agresser.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Une étrange beauté dangereuse comme toutes les beautés d’ailleurs. Il en faut peu pour alourdir et finalement casser les branches d’un arbre, surtout si cet arbre est vieux, et souvent pas toujours en très bonne condition. Une branche chargée de glace qui se casse à une dizaine de mètres de hauteur, c’est suffisant pour tuer une personne. Et, c’est ce qui s’est produit encore une fois. Il est peut-être tentant d’aller se promener sous les arbres chargés de glace, mais c’est très dangereux, ou d’entreprendre des travaux forestier. Encore une fois nous avons vu des arbres se fendent littéralement en deux comme si une hache géante était venu frapper en plein milieu. Il y a une loi non-écrite : lorsque nous sommes en état d’urgence, il faut être très prudent spécialement en période de verglas. Ce que les gens oublient dans leur très grande insouciance. Ils s’imaginent qu’ils peuvent retourner à l’état primitif, et ici comme ailleurs, les gens ne savent même pas manœuvrer une hache, un marteau, une scie mécanique. Certes, ils sont tous instruits, mais on dirait que leur instruction ne leur sert à rien en ce qui concerne leur sens pratique. Leur bon sens s’est envolé entre les pages d’un livre, ou s’est caché derrière un écran! Alors, ils deviennent dangereux pour eux-mêmes et leur entourage. On ne s’improvise pas plombier, électricien, encore moins bûcheron et élagueur, surtout pas en état d’urgence ou de crise. Reste deux facteurs, ne pas se blesser, et surtout ne pas mourir bêtement. Il y a des gens qui ne comprennent pas qu’on ne démarre pas une génératrice a essence à l’intérieur d’une maison. Les moteurs à combustion interne dégage un gaz dangereux, le monoxyde de carbone, qui est inodore, sans sans saveur, mais extrêmement dangereux. Plus d’une centaine de personne ont été incommodées par ce gaz au cours de ce verglas, dont deux qui sont décédées. De même pour les réchauds au gaz, genre équipement de camping au charbon de bois pour les grillades, parce qu’il dégage du monoxyde. À plus forte raison, on ne démarre pas un moteur de tracteur ou d’automobile dans un hangar fermé. Ce sont pourtant des consignes simples que les autorités répètent à chaque tempête. Il y en a pour lesquels cela leur passe par-dessus la tête. Même chose pour les fils électriques tombés au sol, on s’éloigne, à plus forte raison, ON NE TOUCHE PAS! On laisse faire les élagueurs d’Hydro-Québec , ils sont formés pour cela, être élagueur sur des lignes électriques c’est un métier. Après avoir dégagé les branches, coupé des arbres, ou ce qui en reste, il faut rebrancher, réparer les fils ou les changer, des fois même remplacer des poteaux, des transformateurs. Imaginez la tâche, un million de clients se sont retrouvés en panne mercredi dernier. Qui plus est, le lendemain des vents de 50 à 70km /h ont soufflé pendant toute la journée, ce qui ajoutait des difficultés pour les réparateurs. Ils l’ont pas eu facile. D’après les nouvelles, c’est Montréal qui aura été la plus touchée. Ils ont reçu 97mm de pluie alors que Sherbrooke a reçu 27 mm. La zone de pluie verglaçante s’étendait du nord-est de l’Ontario, région des Outaouais, Ottawa, Gatineau, pour s’étendre jusque dans Estrie qui est ma région, en passant par Montréal. Mais, il faut relativiser les événements, ce n’était pas une grosse tempête de verglas, cela n’avait rien à voir avec la longue crise du verglas de janvier 1998. Il y a des gens qui ont passé deux mois sans électricité, pendant une semaine la pluie verglaçantes est tombée. Le tout en plein coeur de l’hiver.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Oui, le Québec c’est un beau pays, mais je ne vous le cacherai pas, c’est aussi une terre dure, difficile, belle mais dangereuse. Ces tempêtes de verglas touchent particulièrement le sud du Québec à proximité de la frontière américaine. Avant 1998, lorsque les prévisions annonçaient du verglas, je n’en faisais pas de cas; mais après 1998, lorsqu’on annonçait des précipitations verglaçantes, je dressais l’oreille. J’ai comme un petit pincement au coeur qui déclenche chez moi une mise en alerte. Ce que nous avons vécu, je ne l’aurais jamais imaginé, non seulement les lignes de distributions dans certains secteurs avaient été littéralement pulvérisées, mais les grosses lignes de transports avaient été écrasés. Les pylônes étaient tordus, cassés, par le poids des gros câbles alourdis par la glace. Sous le ciel gris, c’était vraiment impressionnant. Nous étions vraiment dans une très mauvaise situation. Il aura fallu le restant de l’hiver pour tout réparer. J’étais à la ferme à cette époque, et j’avais une cinquantaine de bovins dans l’étable. Ce qui m’inquiétait particulièrement, c’était l’eau, parce que ma pompe fonctionnait à l’électricité. Encore une fois, j’ai été chanceux, on n’a manqué d’électricité pendant six heures. Dans notre secteur les lignes de distributions avaient tenus de coup, et on a été rebranché sur la ville de Sherbrooke qui possédait sa propre compagnie d’électricité. J’étais juste en bordure du grand désastre! J’avoue que la première nuit de ce verglas aura été angoissante, je n’ai pas dormi, parce que j’entendais les branches et les morceaux de glace qui tombaient sur la toiture de ma maison. Je me demandais si la toiture allait tenir le coup. Puis, je repartais vers la grange, où j’allais vérifié les poutres qui soutenaient la toiture. J’ai passé ma nuit à vadrouiller entre les bâtiments, bottes aux pieds, lampe à la main. Mais, qu’est-ce que je pouvais faire? J’étais complètement impuissant. Je pense que j’ai éprouvé le plus grand sentiment d’impuissance de ma vie. On ne peut rien face aux éléments de la nature. On ne peut rien face à la tempête, et face au verglas c’est encore pire. D’autre part, j’éprouvais un sentiment de colère. Parlez-en aux Québécois qui ont vécu cette épreuve en 1998, tous s’en rappellent, on se souvient toujours où nous étions, et à quoi nous étions occupés. Ce que nous venons de subir, n’est pas très agréable, pour certain c’est la cinquième journées sans chauffage, sans se laver, souvent sans manger. Comment, je pourrais m’empêcher de penser aux Ukrainiens qui vivent l’horreur depuis plus d’un an! Cette tempête que nous venons de subir, ce n’est rien, comparé à ce que vivent les Ukrainiens. Vous aussi les Français vous avez connu une période difficile l’été dernier lors des grands feux de forêt. Ça aussi on connaît au Québec comme au Canada. J’ai travaillé là-dessus. C’est à la fois dangereux et épuisant. On s’envolait à l’aube et l’on rentrait à la nuit tombante. Vous venez de connaître un hiver sec, il n’y a pas eu beaucoup de précipitation. Les nappes phréatiques sont basses. Des crises comme Sainte-Soline vous pouvez en vivent d’autres. Se sera peut-être plus difficile que le dossier des retraites. Vivre dans le confort, ce n’est pas une assurance et nous oublions que nous sommes des êtres vulnérables. La vulnérabilité nous pend au bout du nez continuellement. D’autre part il ne faut pas se laisser submerger par l’angoisse. avec dans un coin de son cerveau une place pour les urgences. Il faut toujours être prêt pour l’inconcevable. Les informations sont justes, les branches qui tombent peuvent vous tuer. C’était en automne, je revenais du nord, et je donnais un coup de main à la ferme. Je bûchais avec mon père. En abattant un arbre, une branche s’est détachée du tronc et lui a effleuré le front. Quelques centimètres de plus cela aurait été directement au cerveau. Et, il n’y avait pas de glace sur la branche!

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Lorsque je me suis réveillé mercredi matin, c’est toujours le même rituel, j’ai regardé par la fenêtre. Les prévisions étaient justes. Une petite bruine tombait, l’air de rien. C’est toujours ainsi que le verglas commence. C’est un phénomène météorologique difficile à comprendre pour ceux qui ne l’ont jamais vécu. C’est ce qu’on appelle une inversion. Une masse d’air plus douce s’étend en altitude. Ce qui devrait tomber en neige tombe en pluie et comme nous venions de connaître une nuit à -10 degrés, dès que cette pluie touche le sol, les bâtiments, les arbres, elle gèle instantanément, et si la pluie persiste, alors la couche de glace augmente sur les structures. L’autre condition, il faut que la température de l’air ambiant soit compris entre moins 5 et +3 degrés, conditions optimales de givrage, on apprend cela très rapidement en aviation. J’ai regardé le thermomètre qui indiquait – 1 degré et cette température est demeurée stable pendant toute la journée. Ce qui nous a aidé, c’est que la pluie est devenue intermittente. Donc nous avons eu moins d’accumulation de glace . Il y a bien eu quelques petites branches qui ont cassées, quelques arbres ont plié, mais ce fut tout. Je suis sorti à pied pour aller vérifier l’état de la chaussée sur la route, parce que je devais sortir en après-midi. Des véhicules avaient circulé et la couche de glace était en train de se transformer en mélange de glace et eau. J’ai considéré que le freinage était adéquat et que je pouvais sortir en toute sécurité. Lorsque je suis passé près du Jeep, j’ai cassé la glace sur le capot, et j’ai découvert qu’il y avait de l’eau sous cette glace. La situation n’était pas si mauvaise. Je me suis dit que ça allait aller. Je n’ai pas eu de problème. J’ai enclenché les quatre roues motrices et je suis parti. Je suis rentré vers la fin de l’après-midi.

Ce qu’il faut se souvenir, c’est que les contions de verglas sont très changeantes. Cela peut évoluer très rapidement. C’est encore pire en vol, surtout que nous n’avions aucun système de dégivrage sur nos appareils. Cette couche de glace fausse l’échappement de l’air sur les ailes, la portance se détériore et l’appareil s’alourdit. Il faut rapidement changer de direction pour se sortir de cette situation. Il en va de même pour les bateaux qui naviguent dans les eaux froides, le navire est froid, et les embruns le recouvre comme une pluie verglaçante. La glace s’accumule et le navire prend du poids.

La surprise, ce fut que ce verglas s’est produit en avril, habituellement à cette époque de l’année c’est terminé pour le verglas. Je souligne que nous avons eu un hiver bien étrange sur l’Estrie. Nous n’avons pas connu de longues périodes de froid, peut de précipitation de neige, aucune tempête de neige, ici la rivière a gelée le 6 de février pour débâcler un mois plus tard le 6 de mars, ce qui est exceptionnelle. Et, nous n’avons vu personne sur la rivière, cette glace n’aurait pas supporté le poids d’un homme tellement qu’elle était mince. S’ajoute des longues périodes de grisailles. Le soleil ne s’est pas présenté souvent au travail. Un bien étrange hiver.

Voilà vous en savez maintenant un peu plus sur le verglas.

Bonne nuit Carmilla et dormez bien!

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne connaissais pas en effet ce phénomène.

Mais je pense qu'en dépit d'une latitude plus basse, le Canada est beaucoup plus froid que l'Europe. Ca concerne même la Russie où le froid et la neige à Saint-Pétersbourg et Moscou ne commencent souvent qu'à Noël (autrefois, c'était dès le 1er novembre). En Pologne même, les hivers ne sont plus aujourd'hui, dit-on, que des hivers français des années 60.

Je me rends cette semaine en Finlande mais c'est à peine s'il a neigé à Helsinki cet hiver et la mer n'a évidemment pas gelé (alors que les audacieux pouvaient autrefois s'évader d'URSS par le chemin de la mer).

Bien à vous,

Carmilla