On s'excite régulièrement sur la prochaine couleur que doit revêtir la Tour Eiffel. Parce qu'obligation a été faite, par son créateur, de la repeindre tous les 7 ans.
Et c'est ainsi que la Tour Eiffel a revêtu plusieurs couleurs au fil du temps (au moins 8 bien différentes). Et on a complétement oublié que la couleur originelle, celle de l'Exposition Universelle de 1889, était franchement rouge (rouge Venise) avec des dégradés et une polychromie tirant sur l'or. En atteste le tableau ci-dessous d'Arenda-Luis Jimenez.
Repeindre la Tour Eiffel en rouge, ça ferait hurler aujourd'hui. Les campagnes de peinture sont d'ailleurs conduites par l'architecte en chef des Monuments Historiques et ça donne lieu, bien sûr, à des réunions et réflexions interminables.
Tout cela pour aboutir finalement au choix de la couleur la plus neutre possible: ocre brun, jaune brun (couleur actuelle), maronnasse, beigeasse. Rien que des couleurs qui ne risquent pas de flasher, de heurter.
Et c'est conforme à l'air du temps, à l'ambiance générale. Depuis le début du 19ème siècle, en fait, les couleurs prédominantes des sociétés occidentales sont le noir et le gris.
Ca vaut notamment pour l'habillement. Etre habillé chic, c'est revêtir des couleurs sombres. C'est la petite robe noire des femmes et le costard à la Bardella des hommes.
On ne s'interroge pas beaucoup là-dessus mais qu'est-ce que ça veut dire ce goût prononcé des sociétés occidentales pour des couleurs les plus discrètes et les plus sombres possibles ?
On a complétement oublié que les statuaires grecques et romaines ainsi que les cathédrales médiévales étaient richement coloriées. On vient de rénover complétement Notre-Dame de Paris mais il n'est venu à l'idée de personne de la ressusciter telle qu'à l'origine, c'est-à-dire parée de couleurs éclatantes. Ce serait considéré d'un mauvais goût absolu.
Pourtant, le Moyen-Age était débordant de couleurs et le noir était associé aux ténèbres et à l'Enfer.
Et Léonard de Vinci disait encore, à la Renaissance, que le noir n'était pas une couleur.
Mais de sinistre, le noir est devenu progressivement une couleur distinctive, discriminante, symbole de l'élégance et de la modernité. Cette émergence du noir aurait pour explication, selon Michel Pastoureau, que l'obtention d'un beau tissu noir, d'un noir vraiment profond, était, jusqu'à une époque récente, vraiment difficile et très couteuse (et donc réservée à la noblesse).
Et après la Révolution, on a donc voulu ressembler à des nobles. Et puis le noir s'est aussi imposé avec le protestantisme. Il est devenu le signe de la rigueur morale et de l'austérité. Le symbole aussi de l'autorité, celle du Juge dans un Tribunal ou de l'arbitre sur un terrain de sport.
Le 19ème siècle et une large partie du 20ème ont ainsi été colorés en noir. Paris, ses façades et monuments, étaient même tout noirs, corbeau ou charbon, jusque dans les années 60.
Il y a néanmoins eu une étrange parenthèse, celle des années 60 et 70 qui se sont révélées littéralement pétantes de couleurs. Revoir les films, les images de cette époque, c'est vraiment troublant.
On avait toutes les audaces: les robes asymétriques colorées de Cardin et Courrèges, les meubles en plastique, les transistors, frigos et mixers multicolores, les cuisines orange, les papiers peints psychédéliques, les canapés vert pomme, les tuyaux multicolores du Centre Beaubourg, les voitures couleur clémentine ou orange minium. Il fallait avoir de bonnes lunettes de soleil pour éviter d'être ébloui par tout ce flashy.
Mais dès les années 80, les couleurs ont pâli avant de disparaître. Une ambiance trop chargée, fatigante, parfois kitsch voire infantile. Et donc "allez hop, à dégager la vie en couleurs !" On s'est donc empressés de revenir à l'austérité chromatique.
C'est au point qu'on fait, aujourd'hui de Pierre Soulages notre grand peintre national. Ce contemporain depuis longtemps dépassé (l'Art Abstrait, ça remonte, tout de même au début du 20ème siècle) est devenu le peintre officiel de notre République (avec un musée à Rodez inauguré, en grandes pompes, par François Hollande).
On est tous priés de s'extasier devant ses "noirs profonds". Ils inciteraient à la méditation et à l'intériorité, ils auraient une dimension spirituelle. Ils nous "ouvriraient l'âme".
Personnellement, je suis insensible et Soulages, pour moi, c'est l'ennui et la morosité promus comme mode de vie. Les couleurs éclatantes, ça m'émeut davantage, peut-être parce que je suis plus sensible à "l'âme du Nord".
Et ce spiritualisme actuel, ce mysticisme à deux balles, je trouve ça franchement fumeux. Parce que notre intériorité, elle n'est pas dans l'oblitération du réel. Proust l'a bien montré: notre intériorité, elle est plutôt faite d'émotions, souvenirs, sentiments, goûts et couleurs qui viennent régulièrement toquer à la porte de notre conscience.
Mais rien à faire ! Les élites artistiques et intellectuelles deviennent de plus en plus puritaines. Elles se méfient des images, des couleurs, des émotions. Ca apparaît vulgaire et idolâtre. On revit la période byzantine de l'iconoclasme. Finie la sensualité, place à l'inhumanité.
Rappelons-nous Arthur Rimbaud et son évocation des couleurs des voyelles.
Images de Marc Chagall, Arenda-Luis Jimenez, Robert Delaunay, Gustave Caillebotte, Henri-Fantin Latour, Jean-Pierre Cassigneul, Portail illuminé de la Cathédrale d'Amiens, Honoré Daumier, Niki de Saint-Phalle, Piano/ Rogers (Beaubourg), Pierre Soulages (vitraux de Conques), Martial Raysse, Guy Bourdin, Sonia Delaunay, Fernand Léger (Arthur Rimbaud).
Je recommande:
- Bien sûr, les bouquins de Michel Pastoureau sur l'histoire culturelle des couleurs. Tous sont intéressants. A chacun de choisir. Il y en a au moins 9 de recensés.
- Pierre Lamalattie: il est un peintre, écrivain (3 bons romans) et critique d'Art. Il excelle notamment dans ce dernier domaine avec des analyses toujours pertinentes sur les baudruches contemporaines.
Aux Parisiens, je recommande enfin l'exposition Niki-de-Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten au Grand Palais.











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