dimanche 16 novembre 2008

Le fantôme des tsars et l'innocence retrouvée


























Leon BAKST

Comme il pleut continuellement, je me réfugie dans les salons de l’Hôtel Metropol pour lire et observer. C’est un lieu magnifique, un accomplissement de l’Art Nouveau qui donne une idée de la vie brillante de l’aristocratie russe au début du 20ème siècle. A ma déception, je ne parviens pas à me faire passer pour française et tout le monde m’identifie comme russe ou pire comme ukrainienne, ce qui n’induit pas les mêmes rapports.

Je n’arrive pas à lire de romans policiers. Même la trilogie de Stieg Larsson m’est rapidement tombée des mains. Trop de clichés, trop prévisible. En revanche, je n’arrête pas de lire et relire la vie des tsars et tsarines de Russie. Il y a tout ce qu’il faut, et même plus, comme grands criminels, imposteurs, sombres brutes, débiles profonds, pervers sadiques, parricides, hétaïres, mères incestueuses. Je souris toujours lorsque l’on évoque la débauche de la cour française. Mes figures favorites : la Grande Catherine bien sûr, « la lumière venue du Nord » ; je suis également fascinée par la cruauté, la violence et la débauche des trois tsarines qui l’ont précédée : Catherine 1ère, Anne et Elisabeth 1ère.
























En Russie, le crime et la violence ont toujours été les moteurs de l’histoire. Toute société est fondée sur un crime commis en commun, comme l’a dit Freud, comme s’il effectuait une véritable analyse de l’histoire russe. Cela signifie, si l’on suit Freud, que la convivialité est forcée et que dans cette contrainte s’entend une culpabilité sourde, l’angoisse de l’angoisse. Il n’y a par conséquent pas de bonne société et tout projet visant à « ensembliser » l’humanité est faux par nature. Au panier donc, les religions et les utopies politiques et même la navrante démocratisation sexuelle en cours.

A rebours de cette vision freudienne, le projet « social » moderne, c’est la pacification complète, le dépassement de la violence, la saturation du désir, l’effacement du crime. Vertueux et donc innocents, tel est notre horizon politique. Son achèvement, sa forme totalitaire, c’est la banalisation de l’imaginaire et le renforcement de la morale sexuelle.


Sur un mode différent, le projet politique de la Russie d’aujourd’hui est de retrouver l’innocence perdue avec sa tentative de reconstitution de l’Imperium. C’est la puissance et la dépendance. La dictature de l’homo sovieticus présentait un avantage essentiel : évacuer toute culpabilité en nous entretenant dans l’illusion de la puissance et nous permettre de vivre dans une joyeuse irresponsabilité. Traumatisme psychologique avec la chute du communisme : nous nous sommes découverts coupables et haïs. Tout le monde nous méprisait et nous détestait. Je me souviens qu’à Prague on refusait de me servir dans les restaurants. Le dépeçage de l’Union Soviétique a été vécu comme une humiliation avec tous ces pays pressés de se séparer de ces russes alcooliques et paresseux. Débarrassés de la Russie, on ne pouvait que devenir plus riches.

























Ironie du destin, les choses ne se sont pas exactement passées ainsi. Il y a d’abord eu le sursaut lié à l’identification avec les Serbes, ces frères orthodoxes victimes d’une injustice qui réveillaient le souvenir des glorieuses guerres balkaniques russes. Et puis la fantastique expansion pétrolière qui a rendu tout à coup le passeport russe éminemment désirable et fait de la Russie un pays d’immigration. Cruauté de l’histoire : les ukrainiens et les géorgiens, épris de démocratie et de reconnaissance européenne, rêvent maintenant de travailler en Russie. L’économie a raison de toutes les convictions politiques altruistes.

Alors l’Imperium ? Installer des fusées à Kaliningrad, là-même (Königsberg) où vivait Emmanuel Kant, l’auteur du « Projet de paix perpétuelle », tout près également de la maison d’été de Thomas Mann à Nida. Tout César est un imposteur, ce mâle plus mâle que les autres qui joue de l’imbrication profonde de la dépendance et de la puissance. Un retour à la horde primitive qui n’a heureusement qu’un temps mais se conclut un jour tragiquement.

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