dimanche 18 septembre 2011

L’anti-romantisme



Je me suis débrouillée pour qu’on me fasse parvenir à Moscou le dernier livre d’Eric Reinhardt, « le système Victoria », qui venait de paraître alors que j’étais en vacances.

J’étais tellement impatiente ! Il faut dire que j’avais été très impressionnée par son précédent bouquin, « Cendrillon », que je considère comme l’un des grands livres de la littérature française de ces dernières années.

Je l’ai déjà dit : pas question pour moi de faire de la critique littéraire dans mon blog. Il y a des gens compétents pour ça. Donc, je ne vais vous traduire que quelques impressions et réflexions.

« Victoria », ça n’a malheureusement pas la puissance de « Cendrillon » mais ça réserve quand même quelques fulgurances et ça pointe pareillement les bons problèmes. Surtout, ce que j’aime chez Eric Reinhardt, c’est qu’à la différence de la plupart des écrivains français, généralement profs ou intellectuels précaires, il connaît bien le monde du travail et de l’entreprise.


C’est tout de même l’environnement de la plupart des gens. Le vécu quotidien, ce ne sont pas les oiseaux et la campagne mais c’est l’angoisse, l’exaltation, la servilité, le triomphe, la haine, l’audace, la manipulation, l’humiliation. Et ça, c’est le monde « normal » du travail et de l’entreprise.

Moi, j’ai immédiatement retrouvé dans « Victoria » mes repères. On y confronte deux types d’entreprises : une classique, « à l’ancienne », une entreprise du bâtiment, avec une hiérarchie verticale et un fonctionnement «marche ou crève » ; et puis une entreprise mondialisée, décentralisée, en apparence plus cool mais où le pouvoir est insaisissable, partout et nulle part à la fois.



Dans la première entreprise, on a tout de même des comptes à rendre et il y a des responsables nommément désignés que l’on saura passer à la trappe si nécessaire. L’entreprise mondialisée, elle, est organisée de manière à rendre les plus abstraites possibles les relations des décideurs avec « le terrain » (producteurs et consommateurs) et à leur garantir toutes marges de manœuvre et pleine irresponsabilité.

Tout ça, c’est bien connu. Ce qui est intéressant, c’est qu’Eric Reinhardt opère à partir de là un croisement éclairant entre l’organisation économique et le vécu sexuel.


Il nous délivre surtout de toute vision romantique en matière de jouissance sexuelle. On a toujours eu tendance à croire que le plaisir était réservé à ceux qui sont en marge du système social : les rebelles, les marginaux, étudiants, hippies, artistes. Le désir et l’amour seraient forcément subversifs, dirigés contre un ordre social qui, lui, réprimerait forcément la sexualité. Qu’on puisse éprouver de la jouissance quand on est dirigeant ou cadre dans une entreprise, ça semble incongru.



Victoria renverse complètement ce point de vue : « le sexe était du côté des hippies dans les années 1970, il est du côté des DRH dans les années 2000 ».

On assiste aujourd’hui à l’apparition d’une nouvelle icône de la séduction : celle de la femme de pouvoir. Finis les vieux mâles frustrés, finies aussi les figures niaises et dominées de l’étudiante, de la secrétaire, de l’infirmière, de l’hôtesse de l’air.


La femme de pouvoir est « une femme-reine » et une « femme-monde », forcément dominatrice, maîtrisant tous les codes et toutes les langues, surfant à toute vitesse sur les conventions pour la recherche de son seul plaisir.

De ce point de vue, le capitalisme mondialisé offre aujourd’hui à une femme prédatrice une infinité d’opportunités d’assouvissement de ses désirs.

Agir à sa guise, selon son bon plaisir, en toute impunité, c’est ce que permet aujourd’hui l’entreprise mondialisée mais cela déborde la sphère économique et concerne aussi la vie émotionnelle et sexuelle.


Il faut le reconnaître : il y a une puissance révolutionnaire du capitalisme qui ne craint pas de sans cesse briser les codes et bousculer les hiérarchies. Le puritanisme, ce n’est pas sa tasse de thé. Loin de réprimer les pulsions sexuelles, il est peut-être même l’instrument de leur assouvissement. Ca avait été théorisé au début des années 70 par Pierre Klossowski dans un livre d’une étrangeté absolue : « La monnaie vivante ».

Eric Reinhardt en donne aujourd’hui une magnifique illustration en consacrant l’assomption d’un nouveau féminisme : la cadre supérieure, la femme puissante qui ne craint pas de fusionner travail et plaisir.



Tableaux de Kazimierz MIKULSKI, peintre surréaliste polonais décédé en 1998.

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