dimanche 11 septembre 2011

Mon corps rêvé


La plupart d’entre nous rêvons d’habiter un autre corps. Plus beau, plus séduisant. C’est particulièrement vrai pour les femmes avec l’habillement, le maquillage, la chirurgie esthétique.


Je n’ai rencontré aucune femme assurée de sa beauté. Chaque femme vit en fait dans un décalage perpétuel par rapport à l’autre femme qu’elle voudrait être. C’est son angoisse, sa fragilité, mais c’est aussi sa séduction. C’est même parfois dévorant au point d’entraîner une quête éperdue.


Cette recherche sans cesse déçue d’une image identificatoire, je dirais même que c’est le moteur premier du psychisme féminin. Il est peut-être plus important de trouver quelque chose à quoi raccrocher son identité, de se sentir indiscutablement belle, l’espace d’un instant, que de conquérir un objet d’amour. D’ailleurs, on n’aime jamais que ceux qui confortent ou offensent votre narcissisme.


On peut dénoncer la dictature de l’apparence, la terreur de l’artifice. Il faudrait obligatoirement être bien dans sa peau, simple et naturelle.

Ce n’est évidement pas mon point de vue, moi Carmilla la vampire. En recherchant une autre apparence, on se projette hors de soi-même, on façonne soi-même son identité, on redevient maître de son destin. On n’est plus seulement des êtres biologiques, on est un mouvement, une aspiration, celle de la vie même comme dépassement continuel des formes établies.


Accepter de rentrer dans le jeu des signes, c’est en effet d’abord refuser de n’être que ce que l’on est, de n’être qu’une fausse évidence, une femme en chair et en os. C’est refuser aussi d’être sous la dépendance absolue du regard de l’autre, réduite à un statut, à un sexe.

Les étapes décisives dans la vie d’une jeune fille ne sont peut-être pas celles communément citées : la naissance des seins, l’apparition des règles. C’est peut-être plutôt ce moment où, vers l’âge de 13/14 ans, elle acceptera ou non de répondre aux regards qui se posent sur elle. C’est aussi ce moment, un peu plus tard, où elle cherchera à susciter ces regards, en s’achetant par exemple une trousse de maquillage.


Cette acceptation ou ce refus d’entrer dans le jeu de la séduction sont, je crois, essentiels dans la constitution de la personnalité d’une femme. Il y a vraiment les séductrices et celles qui ne le sont pas.


C’est très bien illustré par un film récent : « Léa » de Bruno Rolland avec Anne Azoulay. Ca m’a bien plus même si je n’en tire pas du tout les mêmes conclusions que le réalisateur. Il s’agit d’une fille moche et banale qui travaille durement pour payer ses études. On lui propose un jour, un peu par hasard, de participer à la revue dénudée d’un dancing. Elle en est métamorphosée et y prend goût parce qu’elle se sent tout à coup investie d’une capacité de séduction et d’un pouvoir qu’elle ne soupçonnait pas.


Pour exister, pour être reconnue, il faut apprendre, peut-être pas à se prostituer comme le laisse entendre le réalisateur de « Léa », mais à dompter, manier les signes. Qu’on le veuille ou non, les jeux de la vie et de l’amour reposent sur des rapports de force et d’assujettissement. Il faut donc essayer de conduire à son avantage l’exercice de la séduction et du pouvoir. C’est cruel mais c’est aussi la rançon de l’autonomie et de la puissance.


Le lien profond de la femme avec le pouvoir et la puissance, c’est une question généralement occultée. Mais ça permettrait peut-être d’ouvrir de nouvelles perspectives et de sortir du féminisme victimaire dont on nous abreuve aujourd’hui.


Tableaux de Franciszek STAROWIEYSKI, sans doute le plus connu, internationalement, des peintres et affichistes polonais, mort récemment en 2009.

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