dimanche 19 février 2012

Eloge de l’ennui



Enfant, adolescente, je m’ennuyais à périr.




L’école, je détestais. La violence, l’humiliation, les profs hystériques, les copines dévorées par la rancœur, la jalousie, l’obsession sexuelle.



Alors, je m’absentais, je me mettais en retrait. Je passais la plupart de mes journées à rêvasser, à regarder par la fenêtre. Je survolais la vie. J’étais totalement non impliquée, ce qui irritait beaucoup mes profs, mes camarades parce que, même si je planais, je me baladais aussi. J’avançais sans donner l’impression d’y toucher, comme sur la pointe des pieds. Quelle injustice !



Le pire, c’est qu’adulte, je suis toujours un peu comme ça, toujours aussi distancée,,.., ailleurs. Le mérite, j‘ai l’impression d’en être la négation.




A la maison, c’était pareil. Je détestais les réunions de famille, les repas interminables, les vacances passées au bord de la mer à fixer bêtement l’horizon.



Je rêvais de me balader toute seule dans la ville, d’aller trainer dans les cafés, d’explorer le monde mais ça n’était pas possible, surtout dans les pays nuls où je vivais, où il n’y avait à peu près rien.




Donc tout ça n’était, en apparence, pas très rigolo. Pourtant, je considère aujourd’hui que j’ai eu une grande chance de pouvoir m’ennuyer autant. Ca m’a permis de développer mon imaginaire et surtout de me mettre à lire comme une forcenée.




Aujourd’hui, il est devenu interdit de s’ennuyer. On veut tous afficher des emplois du temps pleins à craquer, on est toujours débordés. Les enfants eux-mêmes n’ont plus une minute à eux : leurs vacances, leurs week-ends sont entièrement consacrés à des activités éducatives (de la musique, de l’équitation, de la danse, etc..). Que du sérieux, que du contraint.



Le temps mort, le temps perdu, c’est l’ennemi absolu. Il ne faut pas qu’il y ait place pour le plus petit moment d’intimité, la plus petite fraction de temps pour soi, à ne rien faire, à simplement rêver. Il ne faut surtout pas que puisse éclore la plus petite parcelle d’individualité.



Le temps rempli comme un œuf, c’est notre grand fantasme, ce qui nous donne l’illusion d’être actifs, responsables, de participer au monde, à la société.


Ca permet de s’étourdir et de justifier sa propre vacuité.


Mais c’est aussi surtout comme ça qu’on fabrique des crétins, d’un conformisme béat. On dit bêtement que le temps perdu ne se rattrape jamais. Le temps perdu, c’est en fait celui qui vous donne un temps d’avance sur les autres. C’est le temps passé à construire son individualité, à critiquer et à se révolter. Et ça, c’est inéchangeable, ça n’appartient qu’à vous parce que c’est ce qui vous rend libre.



Images de Jared JOSLIN, peintre américain né en 1970. Il vit à Chicago.



Je signale par ailleurs deux excellents films :



- « Elles » de Malgorzata SZUMOWSKA avec Juliette Binoche. Un film qui révolte toutes les féministes franco-françaises. L’actrice polonaise Joanna KULIG est étonnante.



- « Triangle » de Christopher SMITH. C’est Roland Jaccard qui a recommandé ce film. Il n’est pas sorti sur les écrans en France mais vous pouvez acheter le DVD. Précipitez-vous, il est fascinant ! C’est David Lynch qui aurait fait un film d’épouvante. La répétition du cauchemar, les boucles du temps et de l’identité.

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