dimanche 23 février 2014

Mâtins blêmes



 Il y a donc eu un grand tremblement de terre, hier, en Ukraine. Je ne l’attendais pas, je n’y croyais pas et la joie est donc d‘autant plus grande.

Je l’avoue, je n’ai jamais pensé que le mouvement de la Maïdan Niézalejnochtchi  pourrait aboutir; j’admire d’autant plus tous ces gens qui ont mené, durant trois mois, une guérilla contre le pouvoir au péril de leur vie.

Quel soulagement le départ du criminel Iannoukovitch, ce sinistre apparatchik comme savait en produire, en grandes quantités, l’Union Soviétique.



C’est bien sûr d’abord une victoire de l’esprit démocratique et non pas, comme on le présente trop souvent, une victoire de l’Europe sur la Russie. L’esprit démocratique, c’est d’ailleurs bien ça qui est le moteur de l’Histoire avec un grand H, comme l’a démontré Tocqueville.

C’est aussi une reconnaissance internationale de l’Ukraine. C’est important car il y a chez les Ukrainiens un complexe : personne ne les connaît et ne s’intéresse à eux en Europe de l’Ouest. Sur ce point, je crois qu’ils n’ont effectivement pas tout à fait tort.



Mais ça change et, depuis quelques semaines, l’Ukraine n’est plus ce pays brumeux et lointain qu’on ne connaissait guère qu’à travers quelques figures féminines : Inna Shevtchenko (chef de file des Femen et modèle de la Marianne du timbre officiel), Olga Kurylenko (la grande actrice) et Ioulia Timochenko (chef de file de l’opposition démocrate qui vient d’être libérée).

C’est étrange, on n‘a jamais su quelle place donner à ce nouveau pays qui est tout de même l’un des plus importants d’Europe. Finalement, on l’a complètement ignoré et on lui a refusé tout accès à l’Union Européenne. J’ai eu moi-même, comme ça, un coup de blues lors de mes dernières vacances en Ukraine, en août dernier. C’est vrai que j’ai surtout visité de petites villes mais tout de même : je n’ai rencontré, durant trois semaines, aucun Européen de l’Ouest, aucun Français, aucun Allemand, aucun Anglais, aucun Italien. L’Ukraine, c’est vraiment la « Terra Incognita ».



Un grand espoir vient donc de se lever.

Mais il faut reconnaître aussi qu’on est aujourd’hui dans une complète incertitude.

L’ancien pouvoir est bien sûr honni mais les chefs de l’opposition sont médiocres En outre, l’opposition n’est pas constituée que de démocrates, elle comprend aussi  d’inquiétants mouvements ultra-nationalistes. De plus, la population qui se sent exclusivement russe et qui vit à l’Est du Dniepr va défendre chèrement ses positions.



A supposer donc que Ioulia Timochenko (la seule personnalité éclairée et d’envergure) remporte les élections présidentielles (ce qui n’est pas sûr), elle aura sans doute les plus grandes difficultés à composer un gouvernement. C’est comme ça que la Révolution Orange de 2004 s’était rapidement enlisée.

Passée la période d’enthousiasme, on ne peut donc pas exclure un scénario du pire, celui de l’implosion et de la scission entre l’Est et l’Ouest.

C’est peu dire en effet que l’Ukraine est profondément divisée avec des barrières religieuses, linguistiques, culturelles.



On a trop ressassé dans les medias français un cliché en vigueur : l’Ukraine serait le berceau de la culture russe et appartiendrait, presque naturellement, à la Russie. C’est à nuancer fortement parce que, culturellement et historiquement, l’Ukraine est largement aussi influencée par la Pologne que par la Russie. Ca n’est d’ailleurs pas un hasard si la Pologne est le premier pays européen à soutenir l’Ukraine.

Faut-il le rappeler ? La Pologne s’étendait jusqu’aux abords de Kiev, il n’y a pas si longtemps. D’ailleurs, l’architecture et la culture des villes de tout l’Ouest de l’Ukraine (jusqu’au Dniepr) sont  polonaises et austro-hongroises : des cafés, des boulevards (des mails), des restaurants, un opéra. Quant à la langue ukrainienne, elle est un étonnant mélange de polonais et de russe. On se comprend d’ailleurs quasi directement à partir de l’une ou l’autre langue.



Je ne vais pas dire que l’Ukraine, c’est le lieu de l’affrontement séculaire entre la Pologne et la Russie mais c’est quand même bien le théâtre du combat entre la modernité et l’archaïsme ou plutôt de la lutte entre la démocratie et la dictature.

Ce n’est pas encore gagné aujourd’hui et c’est en frémissant que j’ai lu cette conclusion, hélas pertinente, d’un article du journal « Le Monde » : « la flambée de violence menace de faire de l’Ukraine, pays de 45 millions d’habitants à la charnière de deux mondes – européen et post-soviétique -, une nouvelle Yougoslavie au cœur du Vieux Continent. »






Tableaux d’Ilya Repin (1844-1930), célébrissime peintre russe né à Tchougouyev près de Kharkov en Ukraine. La plupart des tableaux de Repin sont au Musée Russe de Saint Pétersbourg. Ils sont commentés longuement à tous les écoliers.

4 commentaires:

Sa Majesté a dit…

Bravo pour cet article qui résume parfaitement la situation en Ukraine! Passionnant et très juste dans l'analyse.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci, Majesté, pour votre commentaire louangeur. Ce que j'écris n'est sans doute pas très original mais j'espère que c'est juste. On n'a sûrement pas fini d'entendre parler de l'Ukraine.

Bien à vous

Carmilla

nuages a dit…

Ioulia Timochenko est-elle vraiment si recommandable ? Elle passe pour avoir trempé elle aussi dans des affaires de corruption...
Dans le camp "démocrate" il y a quand même des gens pas très recommandables comme le parti "Svoboda" et le Pravy Sektor. Auront-ils du poids dans le nouveau pouvoir ?
Celui-ci arrivera-t-il à asseoir son autorité dans l'Est et le Sud du pays ?
Tout ça est à la fois inquiétant et passionnant, et on peut évidemment se réjouir, en attendant, de la chute de Ianoukovitch, véritable prédateur sans scrupules.

Carmilla Le Golem a dit…

Le problème de la Révolution ukrainienne, c'est qu'il n'y a aucun leader politique d'envergure : pas de Walesa ou de Havel.

Ioulia Timochenko "tranche" quand même nettement. Elle est éduquée, intelligente et bénéficie d'une reconnaissance internationale.

Mais c'est sûr qu'on n'a pas fait la Révolution pour qu'elle revienne au pouvoir. On considère qu'elle appartient plutôt au passé. Sur les accusations de corruption qui pèsent sur elle, il est vraiment difficile de se prononcer. Il est vrai qu'elle a été une oligarque mais il est certain aussi que durant sa période d'exercice du pouvoir, elle a essayé de changer les règles du jeu. Je pense quand même qu'une grande partie des accusations contre elle ont été fabriquées.

Sinon, c'est sûr que les vrais démocrates sont minoritaires et qu'il sera vraiment très difficile de composer un gouvernement, à supposer même que l'opposition remporte les élections, ce qui n'est pas sûr.

Et puis, il faut compter avec la population russe de plus en plus hostile. Il y a vraiment 2 Ukraine et ça risque de s'aggraver avec la crise économique.

A court terme, je suis plutôt pessimiste.

A moyen-long terme, je pense que le pays a un grand potentiel, notamment économique. La crise financière est passagère mais si vous avez de l'argent à investir, c'est en Ukraine, croyez-moi, qu'il faut aller. Le pays deviendra, un jour, une destination tendance parce que, malgré tout, la vie y est agréable et relativement facile.

Carmilla