samedi 31 mai 2014

Les nouvelles guerres


Les guerres, ça ne produit pas seulement des dégâts matériels.

Entre les gens, ça fait voler en éclats beaucoup d'anciennes sympathies, amitiés.


Moi, depuis le début du conflit ukrainien, c'est terrible le nombre de gens, des pro-russes, avec qui je me suis fâchée à mort. Les opinions, c'est bien plus important et ravageur qu'on ne le croit.

Je me rends compte aussi que lorsque je vais aller en Ukraine cet été, je devrai continuellement faire attention à ce que je raconte. Il va falloir vivre dans la schizophrénie. S'afficher trop pro-ukrainienne, pro-européenne, ça peut en effet vous valoir de sérieux ennuis dans certaines zones. Et puis, est-ce que je ne vais pas moi-même être tentée d'aller au coup de feu contre les Russes ? Surtout, j'ai maintenant l'impression que cette guerre, ça va durer très longtemps parce que la Russie est décidée à déstabiliser durablement l'Ukraine et qu'à l'Ouest, on a décidé de fermer les yeux, de rentrer dans la logique du mensonge de la Russie et de cacher tous les problèmes et tous les grands principes sous le tapis.



Enfin, je suis quand même contente que les élections aient été un succès en Ukraine. J'avoue que j'étais plutôt Ioulia Timochenko; Porochenko, je n'aimais pas trop, pas seulement parce qu'il est physiquement caricatural mais surtout parce que son chocolat, le Roshen, avec lequel il a fait fortune, c'est une horreur : c'est un truc à l'allemande, très peu de chocolat, plein de sucre et beaucoup de crème fourrée. Un type qui vend une pareille cochonnerie, j'ai des doutes. Mais bon..., il a l'air d'être un moindre mal. Un oligarque quand même... qui est heureusement assez riche pour ne pas être tenté de chercher à faire fructifier ses propres affaires.


Ce qui est vraiment positif, c'est qu'il y a eu, en Ukraine, un scrutin enthousiaste en faveur de l'Union Européenne qui a balayé dans le même temps les partis d'extrême droite locaux. Ceux-ci n'ont recueilli qu'à peine 2% des suffrages. C'est surtout un cinglant démenti à l'infecte propagande russe, hélas souvent relayée par les médias et certains hommes politiques occidentaux (Mélenchon, Chevénement, le PCF)  qui faisait de la révolution de la place Maïdan un coup d'Etat mené par des néo-nazis, des "Banderistes". Mensonges énormes.


Du coup, en Europe de l'Ouest, on se reprend à souffler. Peut-être qu'on va pouvoir rester tranquilles et cesser d'entendre parler de cette Ukraine dont on n'a que fiche et continuer de faire commerce avec la Russie.

Peut-être... mais je ne suis pas sûre qu'on en ait fini, de si tôt, avec Poutine. Il ne navigue pas simplement à vue mais il a des idées, une idéologie, un grand projet qu'il est absolument déterminé à mettre en oeuvre.


Ses idées, c'est d'abord la voie russe et la slavophilie. C'est ce qu'on appelle simplement l'âme russe, sa spiritualité propre. Ca a notamment été largement développé par Alexandre Soljetnitsyne. Il y aurait un caractère, un génie russes qui permettraient de faire rempart à la décadence occidentale. Ce serait évidemment quasi-inscrit dans les gènes. L'âme slave, c'est évidemment une bêtise ultra-réactionnaire mais il est vrai que presque tous les Slaves, et surtout les Russes, y croient dur comme fer. Moi-même, j'y succombe parfois : on serait moins matérialistes, moins conventionnels, plus déjantés, on aurait davantage le sens du beau, on serait plus romantiques, plus audacieux, plus créatifs... Tout ce fatras, c'est en fait surtout profondément anti-occidental et anti-démocrate mais Poutine a vraiment beau jeu de s'appuyer là-dessus et de l'exalter.


Après, c'est ce grand projet eurasien dont l'acte de naissance vient d'être signé, jeudi dernier, à Astana. Aujourd'hui, évidemment, ça n'associe pas grand monde : outre la Russie, deux autocraties : la Biélorussie et le Kazakhstan. Mais il s'agit bien de refonder un Empire rassemblant "les terres russes" et les anciens pays satellites vont être sommés d'y participer. Cet Empire d'Eurasie sera capable de faire contrepoids à l'Occident atlantiste considéré comme le mal absolu. Il pourra même étendre son influence en Europe de l'Ouest via les mouvements conservateurs (on aime bien la Russie au Front National).


Donc, à l'Ouest, on n'a pas fini de rigoler si je puis dire. Et c'est d'autant plus inquiétant que comme l'écrit Andreï Kourkov : "Poutine ne rêve pas, il dresse des plans, tout en vérifiant à chaque fois la réaction de la prétendue communauté internationale, il poursuit la réalisation de son plan de manière dynamique, étape par étape".

Et comme il n'y  aucune réaction de la communauté internationale qui se montre d'une écoeurante lâcheté (honte à Hollande qui invite Poutine aux cérémonies du 6 juin et entend bien vendre ses navires de guerre), la voie est libre !


Images de jeunes femmes peintres russes (qui sont tout de même moins bêtes que leurs compatriotes masculins) : Nina Ryzhikova, Alexandra Nedzvetskaya, Agaphya Belaya, Olga Larionova.

Si vous vous intéressez aux événements ukrainiens, il faut absolument lire "Le journal de Maïdan" d'Andreï Kourkov, le grand auteur ukrainien dont je recommande tous les bouquins ("Le pingouin", "Les pingouins n'ont jamais froid", "Laitier de nuit", "Le jardinier d'Otchakov")

2 commentaires:

nuages a dit…

Pour les thèses "eurasiatiques" on dit souvent que l'idéologue Alexandre Douguine a une certaine influence sur le pouvoir russe.
Et si vous voulez rire (jaune), vous pouvez aller sur le blog de Luc Michel, leader du "Parti communautaire national-européen", un micro-parti qui rêve d'une Europe unifiée de Reykjavik à Vladivostok, et qui admire la Russie de Poutine...
http://www.lucmichel.net/

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages pour votre message,

Effectivement Douguine aurait une influence sur le pouvoir russe.

Ce qui est sûr, c'est que Poutine est animé par une idéologie et qu'à ce titre, on ne peut pas le traiter comme les autres dirigeants.

Ce qui me terrifie, c'est qu'il perpétue, avec un aplomb extraordinaire, la tradition soviétique du mensonge d'Etat. Ce serait, comme ça, l'UE qui serait responsable de la crise ukrainienne. Et personne n'ose répondre.

Ce qui me consterne aussi, c'est qu'en France (je ne sais pas comment c'est en Belgique), la majorité des gens semblent soutenir Poutine. C'est ce qui ressort des forums sur Internet ou de mes échanges personnels.

C'est vrai que Poutine est en phase avec les évolutions droitières de la France : un pouvoir fort au service de la défense de l'Occident.

Et puis, il y a les milieux d'affaires qui exercent une pression très forte en faveur de la Russie.

Carmilla