samedi 17 mai 2014

"Pour en finir avec le bonheur"


Ce sont bientôt les élections européennes et, à cette occasion, on nous a parlé, à plusieurs reprises, du Danemark, le pays où la plus grande proportion de gens se déclarent heureux.


La Scandinavie, je connais un peu. Je suis allée, à plusieurs reprises faire du tourisme en Suède et au Danemark. C'est vrai que c'est impressionnant. Ce sont d'abord des sociétés de confiance. On peut déposer sans crainte son vélo dans la rue ou même oublier son sac dans un café. Dans les relation sociales,  on est, d'une manière générale, convaincus de la probité des autres. En plus, c'est vrai que ce sont des sociétés très égalitaires, qu'il y a un réel confort de vie et que le système éducatif met moins l'accent sur la compétition que sur la valorisation de l'individu.



Tout ça, c'est sûr, c'est formidable. On se sent d'abord très bien là-bas et puis, petit à petit, on se pose des questions. On commence à s'ennuyer : tout est trop lisse, fade, propret avec l'impression que tout est prévisible et que rien ne peut vous arriver. Le Mal, la souffrance, l'inquiétude ont été complètement éradiqués; même l'amour, la sexualité sont d'une troublante simplicité, perçus sous l'angle du seul l'hygiènisme. Tout est cool, sympa, décontracté, nature, sans mystère ni profondeur. C'est le triomphe de la pensée conforme, sans angoisse ni tourments. 


Je ne veux pas médire des pays scandinaves d'autant que je les aime bien et que c'est un peu plus compliqué que ça : ce sont quand même des sociétés qui ont vu naître Strindberg, Munch, Kierkegaard et Lars Von Trier. Mais c'est sûr aussi que la Scandinavie représente un peu l'idéal de ce bonheur européen auquel il est presque exigé de croire. 


Et c'est vrai que l'Europe, c'est maintenant un peu ça : une société entièrement domestiquée et pacifiée, d'un prosaïsme complet, sans douleur et sans passion, entièrement absorbée dans la satisfaction de ses besoins économiques. Rien qui dépasse l'horizon de nos petites peines et de nos petites joies puisque de toute manière, on est tous résolument athées et laïcs. C'est la société du "Faut pas se prendre la tête" et du "Y'a pas de souci".
.

On n'est finalement soumis qu'à une seule contrainte, ou plutôt une injonction : celle du bonheur obligatoire. Il faut être heureux à tout prix et continuellement. Le chagrin, la tristesse, l'échec sont prohibés. C'est la société de l'accomplissement personnel, la société Facebook et des réseaux sociaux où on est tous des gens formidables, brillants qui passent leur temps à s'éclater.


Tout ça, moi, ça me débecte profondément et l'Europe vue comme ça, ça me consterne. Je ne suis vraiment pas sûre qu'on ait pour aspiration le bonheur, en tous cas pas sous cette forme obligatoire, popote et policée. Et puis, j'ai une expérience de la vie dans différents pays. Je vais peut-être choquer mais j'ai vraiment l'impression que dans des pays comme l'Ukraine et l'Iran, dont la réputation n'est pas brillante en Europe, on est, à bien des égards, plus heureux qu'au Danemark.


Du moins, on s'y ennuie moins. Parce que, c'est bien ça. Qu'est-ce qu'on recherche en fait ? Une béatitude ahurie et chloroformée dans la quelle on se complaît dans la certitude de soi-même ?

Ou bien l'intensité et la douleur de la vie, tout ce qui m'arrache à moi-même, me bouleverse et me dérange. Tout ce qui peut être déplaisant, désagréable, tragique, mais qui, du moins m'apprend quelque chose des autres et du monde. Contre le bonheur, la peur, l'angoisse,  l'incertitude...la vraie vie en fait.


Je recommande par ailleurs le récent livre de Malene RYDAHL : "Heureux comme un Danois"
Le titre de mon post est emprunté à celui du livre d'André GUIGOT (je n'ai pas encore lu).


4 commentaires:

Guigot André a dit…

Bravo et merci pour votre blog brillant dans le fond et très beau dans sa forme.Je crois que nous partageons la même analyse du "bonheur".
André Guigot

Carmilla Le Golem a dit…

Grand merci André pour votre message qui m'honore beaucoup.

A ma grande honte, je n'ai pas encore lu votre livre mais c'est programmé.

D'après les critiques que j'ai pu en lire, je crois en effet que nous partageons des points de vue très proches.

Bien cordialement

Carmilla

nuages a dit…

A vous lire, je pense au film norvégien "Norwegian Way of Life" (ou "The Bothersome Man"). Un bon film fantastique de 2006, où le personnage principal se retrouve dans une ville fade et lisse qui ressemble à vos propos. Plus de détails ici :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Norway_of_Life

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages !

Je ne connais pas ce film norvégien qui semble en effet intéressant. Je vais le rechercher.

C'est vrai que les pays scandinaves apparaissent presque trop paisibles et atones.

Mais c'est compliqué. Par exemple, le Danemark a largement voté extrême-droite dimanche dernier.

Carmilla