dimanche 7 décembre 2014

Le bouc-émissaire



On est convaincus d'être modernes: tolérants, démocrates. Et surtout d'avoir des avis personnels, éclairés.

Mais le plus souvent, on se range simplement aux opinions et instincts communs. Il n'est qu'à suivre l'actualité médiatique:  on n'entend que des hurlements de haine, pleins d'unanimité.

Il est intéressant de consulter la liste des personnalités les plus détestées en France: Nabilla, Zahia, Franck Ribéry. On peut y ajouter: Valérie Trierweiler, Rachida Dati, Jérôme Cahuzac, Thomas Thévenou, Gérard Depardieu; et puis, aussi, la foule innombrable des pédophiles, harceleurs, violeurs, pervers, manipulateurs, escrocs, dont on se plaît à considérer que l'on est entourés.


Le mécanisme du bouc émissaire fonctionne, aujourd'hui, à plein. Nabilla, par exemple, elle joue ce rôle de manière exemplaire. Avec elle, on est sûrs d'avoir trouvé quelqu'un de beaucoup plus bête que soi. Comme l'a bien montré le sociologue François Jost, Nabilla est une cible idéale pour le "bashing" et "le foutage de gueule décomplexé" qu'affectionnent tant les "djeuns" et les medias. On tape sur elle au lieu de taper sur son voisin, son collègue, ou sur son camarade de classe en lui faisant subir les pires moqueries. 

Quant à Franck Ribéry, il incarne ce que détestent le plus les Français: la racaille et le fric.

Zahia, elle, c'est la banlieusarde qui s'accommodait, sans doute, des tournantes; Rachida Dati et Valérie Trierweiler, c'est l'Arabe et la bourgeoise qui ne savent pas se tenir à leur place; Cahuzac et Thévenou, les technocrates détestés mais dont on voudrait bien occuper la fonction. Depardieu, c'est le ludion addicto/alcoolo.


Tout ça, bien sûr, c'est anecdotique mais c'est quand même bien la morale contemporaine. En toute bonne conscience, on est d'un parfait cynisme, prêts à massacrer "les impurs" sans états d'âme. Parce que nous, bien sûr, on est vertueux, exemplaires. On dégouline de bons sentiments mais on est de parfaits salopards.


La vertu, ce n'est généralement que le masque de la crapulerie. Et c'est pour ça que l'unanimité bêlante actuelle est terrifiante. 

Que peuvent d'ailleurs nous apprendre de la vie les gens vertueux si ce n'est le conformisme et l'obéissance? 



Dans son livre "le Royaume", Emmanuel Carrère esquisse une éthique qui va complètement à rebours des emportements actuels. 

Je ne suis plus chrétienne mais je suis très sensible à ce message: ce n'est pas la vertu qui doit être recherchée et, d'ailleurs, les gens vertueux ne sont pas intéressants. Etre proche de Dieu, ce n'est pas vouloir ressembler aux gens honnêtes et exemplaires.


Il s'agit plutôt de s'ouvrir à tous ceux que l'on hait et méprise, tous ceux que l'on juge indignes: "collabos, psychopathes, pédophiles, chauffards qui prennent la fuite, types qui parlent tous seuls dans la rue, alcooliques, clochards, skinheads capables de foutre le feu à un clochard, bourreaux d'enfants, enfants martyrs qui, devenus adultes, martyrisent leurs enfants à leur tour."

C'est le refus absolu de tout bouc-émissaire. On est évidemment très loin de ça aujourd'hui. Mais c'est pour moi une conviction profonde: si bas que l'on soit descendu, on demeure proche de Dieu; peut-être même plus près de lui que la personne vertueuse.


Œuvres de Marta ORLOWSKA, jeune artiste polonaise.

Pour illustrer mes propos, je recommande absolument le livre courageux de l'écrivain flamande Kristien Hemmerechts consacré à l'épouse de Marc Dutroux: "La femme qui donnait à manger à ses chiens". Oserais-je le dire? J'éprouve une grande compassion pour la femme de Marc Dutroux et lui-même ne me répugne nullement. 

Enfin, même si ça n'a rien à voir, je vous invite à vous dépêcher d'aller voir au cinéma:

- "Respire" de Mélanie Laurent. L'amitié, l'amour entre filles, est-ce que ça existe vraiment? Les rapports de manipulation, fascination, pouvoir, c'est plutôt ce qu'on a, toutes, connu. C'est un film très fort.

- "White God" de Kornel Mundruczó. Un film hongrois extraordinaire, un hommage à Miklos Jancso et Alfred Hitchcock. Il faut voir ce film ne serait-ce que pour les images extraordinaires des meutes de chiens courant dans Budapest. C'est aussi une grande réflexion politique.

- "Les opportunistes" de Paolo Virzi. Un grand film italien comme on les aime.

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