dimanche 18 janvier 2015

De la servitude volontaire


Le bonheur, on pourrait aussi le trouver dans la servitude.

Ça peut paraître scandaleux de dire ça mais c'est ce qu'on constate tous les jours.


Ça ne concerne pas seulement les masochistes. Combien de filles, par exemple, acceptent de se faire humilier par des types qui les dominent , les étouffent, leur interdisent de vivre ? mais ces sinistres abrutis "assurent", comme on dit: ils déchargent leur moitié de toutes les petites bêtises de la vie quotidienne. Beaucoup de filles, en fait, sont disposées à échanger, sans hésitation, leur liberté propre contre la tyrannie d'un mâle dominant qui leur assurera sécurité matérielle.



Ça se retrouve, à l'échelle politique, dans les pays totalitaires. Par exemple, ça me fiche en rage d'entendre tous ces Russes, rangés comme des crétins derrière Poutine, exprimer, aujourd'hui, leur nostalgie de l'ancien régime. Tout le monde sait bien, pourtant, que l'U.R.S.S. était un sinistre cloaque, sordide et déglingué. Mais c'est vrai qu'on était tous logés à la même enseigne, la même effroyable médiocrité, et qu'on y avait d'étranges libertés, celle en particulier de n'être soumis à aucune contrainte professionnelle et de pouvoir passer ses journées à divaguer en se saoulant avec ses copains. De plus, si on était minables, ce n'était pas notre faute mais celle du grand Autre, du Parti.























La dictature, sociale, sentimentale, ça convient donc très bien à celui qui ne nourrit pas de grandes ambitions et souhaite surtout avoir la paix. Eventuellement même, un minable s'y verra offrir davantage de possibilités de promotion.C'est terrible de reconnaître ça mais la vie n'est pas complètement sinistre dans une dictature: elle peut même être agréable, pleine de petites joies.

 L'ordre, la sécurité, l'irresponsabilité, ça devient, aujourd'hui, une revendication profonde, dût-on y aliéner sa liberté.


Il faut bien le reconnaître: l'aspiration démocratique est en recul. La démocratie, c'est d'ailleurs quelque chose de très récent, ça n'a pas plus de deux siècles. Ça a déclenché une déstabilisation permanente, une remise en cause continuelle, bref l'entrée dans l'Histoire. La démocratie, c'est l'incertitude, le conflit, l'inachèvement, toujours liée à ce qui la menace.C'est pour ça que beaucoup n'aiment pas la démocratie. Et pourtant, nous nous déclarons tous démocrates. Mais ils sont de plus en  plus nombreux, aujourd'hui, ceux qui voudraient que l'Histoire s'arrête, que ce que l'on vive aujourd'hui ne soit que la répétition de ce qu'a vécu la génération précédente.

Peut-être sommes-nous, comme l'a analysé Emmanuel Carrère dans un récent article du "Monde", dans une période de basculement de la culture européenne, période comparable à l'émergence du christianisme dans le monde romain.C'est ici qu'intervient la question de l'Islam et de l'étrange fascination qu'il exerce aujourd'hui. Je ne prétends pas être une spécialiste de l'Islam mais j'ai tout de même vécu, un certain temps, en Iran, et je suis l'une des rares Françaises à y passer, occasionnellement, des vacances.



Soyons clairs: l'Iran, c'est un pays politiquement abominable. La Terreur de la Terreur ! Pourtant, ça n'est pas du tout ça pour moi; je suis follement émue quand je reviens dans le pays et j'y retrouve, surtout, une foule d'amis/amies éternels. Tout est hyper-cool là-bas, tout trouve une solution, j'y fais la fête sans cesse, tout m'émerveille mais c'est, aussi, une terrible énigme: comment puis-je me sentir heureuse et parfaitement à l'aise dans un pays fasciste, terroriste, au point que ça ne me poserait aucun problème de revenir y vivre ? Je suis malgré tout complice d'un pays criminel.

Je suis aussi allée au Qatar récemment (en 2012): j'ai haï mais aussi aimé. La Turquie, c'est pareil: jeune étudiante, j'y suis allée maintes fois, en solo, dans les endroits les plus improbables. Là aussi, j'ai adoré et détesté.


Cette complaisance personnelle vis-à-vis de dictatures, ça  m'effraie et m'interroge de même que je suis étonnée par tous ces Français qui, malgré leurs opinions de gauche (BHL, Strauss-Kahn), adorent le Maroc.

C'est un fait: il est relativement agréable de vivre dans un pays musulman. Il y existe une convivialité inconnue en Europe, on y est formidablement accueillis.C'est vrai ce que proclament les Maghrébins français: l'Islam, c'est la paix, l'amour! Et, d'ailleurs, les terroristes actuels ne sont pas du tout des révolutionnaires: il ne s'agit que de restaurer l'ordre archaïque.


Et puis, avec l'Islam, on n'a pas à se prendre la tête! Sa simplicité est même revendiquée. L'Islam, c'est d'une évidence absolue. Tout y est clair, précis, c'est du concret de chez concret. La question essentielle est celle du pur et de l'impur et ça a une signification très matérielle. Mais dans l'Islam, on trouve réponse à tout, c'est un ensemble de règles codifiées de la vie quotidienne. Même pour faire pipi, caca, faire l'amour ou quand on a ses règles, on trouve plein de conseils. Comme ça, on sait bien si on est ou non un bon musulman tandis qu'un chrétien, il est dans l'interrogation perpétuelle, il ne sait jamais s'il a été un salopard ou un saint.

L'Islam n'a pas pour projet de transformer l'homme et le monde mais de consolider l'ordre établi. Et être un bon musulman, c'est accepter de se conformer à cet ordre. Ce qui fait carburer les purs, c'est bien le plaisir de la soumission.


Et puis on y est débarrassés de toutes les angoisses de la sexualité: les femmes sont des femmes, les mecs, des mecs et chacun sait ce qu'il a à faire. Ça a même des aspects positifs: être laids, affreux, sans emploi, n'est pas un handicap absolu.

Alors oui! l'Europe va peut-être avoir prochainement envie de sortir de l'Histoire. C'est d'ailleurs déjà largement amorcé, pas sous la forme de l'Islam comme le prophétise Michel Houellebecq, mais sous une nouvelle terreur: celle du consensus mou, de l'empire du Bien.



Images de Ruth Bernard, Bill Steele, Pasetti, Jay Briggs.
Photo prise au Koweit

Sur l'Islam, je recommande absolument un livre: "Principes politiques, philosophiques, sociaux et religieux de de l'Ayatollah Khomeiny". Un livre incroyable! Il a été édité, en 1979, aux éditions libres Hallier; il aurait été négligé au moment de sa publication, à l'époque où Khomeiny passait pour un révolutionnaire, et il est devenu, aujourd'hui, introuvable. Qui aura l'audace de le rééditer aujourd'hui? Il permet de comprendre, pourtant, comment l'Islam régit tout, a son mot à dire sur tout, du lever au coucher, dans le moindre détail, jusqu'à la plus stricte intimité.

Il faut aussi relire les deux derniers chapitres de "Tristes tropiques". Claude Levi-Strauss y parle de l'Islam avec une acuité incroyable. Il y écrit notamment (c'était en 1955) que la France est "en train de devenir musulmane".

Ce post est bien sûr rédigé dans le prolongement des événements français et de la publication du dernier livre de Michel Houellebecq dont je souscris, pour l'essentiel, aux analyses.

2 commentaires:

nuages a dit…

J'ai lu des extraits du "livre" de Khomeiny sur ce site :
http://www.altersexualite.com/spip.php?article446
C'est en effet à la fois tragique et hilarant !
Quand on pense que ce personnage a été à la tête d'un grand pays comme l'Iran pendant tant d'années, c'est vertigineux.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

J'ai cherché moi-même et l'ai trouvé presque complet ici:

forums.france5.fr › FORUM C dans l'air › Religions

Au-delà des polémiques soulevées (est-ce bien Khomeiny qui en est l'auteur ?), ce livre met bien en évidence le caractère très concret de la religion musulmane.

Bien sûr, il y a aussi une haute spiritualité islamique mais ça n'est pas la pratique religieuse de base.

Au niveau de celle-ci, on se pose sans cesse la question, de manière presque obsessionnelle, du pur et de l'impur, bref de la souillure. Ca touche tous les aspects de notre vie quotidienne et il y a, dans ce cadre, un long effort d'adaptation à faire quand on arrive dans un pays musulman pour éviter de commettre de multiples impairs.

Cette matérialité de la faute dans la religion musulmane, c'est pour moi ce qui marque la différence essentielle avec les pays de culture chrétienne où la faute est, avant tout, spirituelle et où il y a moins de tabous alimentaires et matériels.

Carmilla