dimanche 25 janvier 2015

Livres d'hiver


La roue tourne! Durant ces deux derniers mois, j'ai lu, notamment, quelques pavés épuisants mais déroutants. 

Elisabeth ROUDINESCO: "Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre". Sigmund Freud est, sans doute, l'un des penseurs que j'admire le plus. Je l'ai beaucoup lu et étudié et j'ai visité à peu près tous les lieux où il avait vécu (à Vienne, à Londres, en Moravie) et même les villes d'origine de ses parents (en Ukraine à Brody, Buczacz). Sa pensée est pour moi toujours d'actualité. Pourtant, je n'ai jamais été tentée ni éprouvé le besoin de suivre une analyse; je suis même franchement réticente à l'embrigadement  psychologique que l'on fait, aujourd'hui, de nos vies. Bref, je suis très sceptique! La psychanalyse, ça rend mieux compte, pour moi, des phénomènes culturels que de la psychologie individuelle. Des biographies de Freud, il y en a déjà eu des pelletées: Ernest Jones, Peter Gay, Emilio Rodrigue et même celle, grossière et malhonnête, de Michel Onfray. Ce livre d'Elisabeth Roudinesco fera date par sa rigueur, sa probité, son intelligence.



Michel HOUELLEBECQ: "Soumission". Sur le plan formel, c'est un peu déconcertant tant l'écriture est sèche. Mais peu importe! Il y a bien dans ce livre un diagnostic impitoyable et une interrogation: allons-nous nous laisser entraîner par le plaisir de la sujétion ?



Virginie DESPENTES: "Vernon Subutex". Virginie Despentes, je n'avais pas trop lu jusqu'alors mais j'ai vraiment éprouvé du plaisir à lire ce bouquin. C'est une écriture! Une galerie de portraits acides et bien ciselés. Ça n'est tout de même pas du Balzac car, d'intrigue, il n'y en a point. Et puis la faune décrite par Virginie Despentes, rock/addicto, est étrangement datée voire déjà obsolète.

Mathias MENEGOZ: "Karpathia". Un livre OVNI. Je l'avais remarqué à sa parution mais j'ai été effrayée: 700 pages! Je m'y suis quand même attelée. C'est d'abord une formidable reconstitution historique: celle de l'Autriche-Hongrie du milieu du 19 ème siècle et plus précisément de la Transylvanie. A lire absolument si on s'intéresse à l'Europe Centrale. C'est aussi une réflexion sur l'exercice du pouvoir. Un regret tout de même: l'écriture est vraiment trop classique.




Oriane JEANCOURT GALIGNANI: "L'audience". Le récit d'un ahurissant procès au Texas en 2003. Une jeune enseignante, mère de trois enfants traînée en justice pour avoir entretenu des rapports sexuels avec quatre de ses élèves. Ça pose plein de questions; j'en retiens deux: l'énigme des comportements amoureux et puis le droit des femmes à une vie sexuelle libre.


Jean des CARS: "Le sceptre et le sang". C'est le genre de bouquin que l'on ne se vante pas de lire. Jean des Cars! La honte! Pourquoi pas Stéphane Bern ? Mais connaissez-vous bien Guillaume II, François-Ferdinand et François-Joseph d'Autriche, George V, Victor-Emmanuel III, Pierre 1er de Serbie, Nicolas 1er de Monténégro, Carol 1er de Roumanie et son épouse Carmen Sylva, Carol II ey Magda Lupescu "la louve des Carpates, le prince Vidi puis le roi Zog d'Albanie, Ferdinand 1er et Boris III de Bulgarie, Alexandre 1er de Yougoslavie ? Une foule personnages étonnants dont la vie est un roman. Bref, je ne me suis pas ennuyée une seconde en lisant ce livre et j'ai appris plein de choses.


Sebastian HAFFNER: "Considérations sur Hitler". Des livres sur Hitler, il y en a eu des milliers mais il faut absolument lire celui-ci; il est écrit par l'auteur de l'incontournable "Histoire d'un Allemand. Souvenirs 1914-1933". C'est très concis et il pose vraiment les questions essentielles. Sans doute, "l'étude la plus originale, la plus abordable et la plus stimulante sur Hitler".


Michael J. SANDEL: "Ce que l'argent ne saurait acheter". C'est bien sûr un livre d'économiste mais qui pose des questions de portée philosophique touchant à l'éthique de la vie. On assiste en effet aujourd'hui à une extension complète de la sphère du marché. Tout semble pouvoir être acheté, monnayé : le temps, l'amour, la parenté etc...Michel J.Sandel montre bien qu'il s'agit d'une corruption dangereuse. La société humaine ne repose pas en effet sur de simples rapports marchands. Il y a aussi tout le jeu des relations symboliques qui fonde notre affectivité. C'est la logique du don et du contre-don et cela, justement, ne relève pas de l'échange monétaire. Un livre très pertinent.


Tableaux de Claire TABOURET (née en 1981), jeune peintre française. Elle expose en ce moment sa série "Les débutantes" à la Galerie Bugada & Cargnel (75019), jusqu'au 7 février. Je trouve ça très fort et impressionnant. Ça ouvre plein d'interrogations: "Ce qui fascine dans le groupe, c'est la question du destin. Qu'est-ce qui fait que certaines personnes sortent de leur place ?".

9 commentaires:

Anonyme a dit…

He non ,jean des Cars ce n'est pas la honte; une plume très virevoltante ;c'était son père Guy qui était considéré comme un "auteur de gare" !! Votre vélocité fait mon admiration ;vous devez manger beaucoup d'oranges et de saumon pour aller si vite ! je trouve Onfray carrément illisible ; vous savez sûrement que sa douce amie déconseillait vivement à Rilke d'engager une psychanalyse;ce qui fait la richesse d'un individu et d'un créateur c'est le tumulte qui s'agite en lui,disait-elle; Virginie Despentes c'est finalement assez classique ;un certain ennui ...Lola

Anonyme a dit…

... la douce amie de Rilke :Lou Andreas-Salomé ;et sur la psychanalyse ,on pouvait lui faire confiance .Mais il y a "la gradiva" et cela pose le problème autrement .Lola .

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Lola,

Je ne suis pas très connaisseuse mais ce livre de Jean des Cars est effectivement très bon. Il retrace très bien une histoire complexe, remplie de personnages extraordinaires, souvent méconnue en France, celle de l'Europe Centrale.

Michel Onfray, je trouve que sa pensée est incroyablement simplificatrice et il ne s'embarrasse pas de rigueur historique.

Virginie Despentes, c'est sûr qu'elle a du mal à évoluer. Elle demeure scotchée à la période de ses vingt ans, les années 80. J'ai quand même apprécié son dernier bouquin mais je l'avais peu lue jusqu'alors.

Enfin, je mange effectivement beaucoup de saumon. Avec les maquereaux, les sardines, l'anguille, le foie de morue, les coquillages et crustacés, c'est à peu près la base de mon alimentation. Il paraît que c'est sain mais je ne crois pas que ce soit ça qui explique mon goût pour la lecture.

Carmilla

Anonyme a dit…

Coquillages et crustacés! je crois qu'ils aident mais ne créent pas le goût pour la lecture...Quant à V.Despentes ,j'ai lu d'elle une interview où elle explique que depuis 20 ans elle n'a pas bossé,ses livres lui rapportent "assez";elle habite dans un quartier bobo,et tout est parfait.Bref,ses lecteurs l'enrichissent pour qu'elle écrive des salades auxquelles elle n'adhère plus depuis longtemps ;une rentière donc; j'ai feuilleté son livre à la fnac ; du petit classique sans idée ;bof .Lola

Carmilla Le Golem a dit…

Vous êtes sévère Lola,

Virginie Despentes vit peut-être de sa plume (ce qui n'a d'ailleurs rien d'offusquant) mais ça ne doit tout de même pas aller bien loin. Et puis, elle n'est tout de même pas rentière. Ecrire un livre, c'est quand même un gros travail...

Par ailleurs, il n'y a rien d'infamant à être un bobo et je me sentirais personnellement mal placée pour la juger. Je pense qu'elle est quand même beaucoup plus déjantée que la plupart d'entre nous et qu'elle a sans doute eu une vie peu banale.

Enfin, je persiste à penser que son livre "Vernon Subutex" a de grandes qualités. On ne peut pas dire que ce soit classique, même s'il y a des clichés, et elle a le talent pour écrire un jour un vraiment très bon livre.

Carmilla

nuages a dit…

A propos de Michel Onfray, d'Elisabeth Roudinesco, je suggère de lire cet intéressant article de Jacques van Rillaer, devenu un critique de la psychanalyse et du freudisme, comme Mikkel Borch-Jacobsen :
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1424

En tout cas, la psychanalyse et le freudisme ont encore, en tout cas en France, un statut de dogme et jouissent d'une sorte d'hégémonie culturelle et médiatique.

Anonyme a dit…

Non,Carmilla,je ne suis pas sévère!J'admets fort bien qu'un écrivain ait le droit de vivre où il veut et que ses livres lui permettent une vie aisée.Qu'on parle de V.D comme d'un grand écrivain qui a révolutionné la littérature ,quel fou rire...livre qui exploite la naïveté de qui?? vous êtes trop exigeante et trop fine connaisseuse de l'art et de la littérature pour vous laisser prendre,j'en suis sûre .Lola

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Nuages,

Je ne suis pas moi-même convaincue de l'absolue efficacité d'une cure analytique. Vous citez Mikkel Borch-Jacobsen. Son livre, très bon, "Les patients de Freud- Destins" conduit à se poser beaucoup de questions.

Mais je suis à vrai dire encore plus effrayée par les pratiques psychiatriques actuelles. Le souci premier semble être d'abrutir le malade d'anti-dépresseurs, anxiolytiques, somnifères. Je suis effarée par la facilité avec laquelle les médecins prescrivent, en France, ce type de poisons. Beaucoup de gens vivent comme ça comme des zombis, dans la dépendance continuelle d'une véritable drogue.

La psychanalyse a du moins le mérite de permettre un échange entre le thérapeute et le patient. Surtout, elle responsabilise le malade. C'est à lui de parvenir à démêler l'écheveau de symptômes et répétitions dont il est prisonnier.

Mais il est vrai que je ne suis pas moi-même une spécialiste. Je suis simplement une névrosée normale dont les symptômes ne m'empêchent pas de vivre. Je n'ai donc pas besoin de thérapeute et je crois qu'il faut savoir, parfois, s'abstenir (ne pas se placer en situation de dépendance) et surtout éviter de se considérer comme forcément malheureux.

J'insiste quand même, au final, sur la grande qualité du livre d'Elisabeth Roudinesco qui présente un Freud très humain (son rapport aux animaux, aux objets, à la nature, l'importance de la famille, sa relation avec les femmes, son attitude face à la mort ...). Le livre est en outre parfaitement documenté.

Et puis je persiste à penser que la pensée freudienne demeure complètement d'actualité peut-être pas en tant que thérapie mais sûrement comme instrument d'analyse de la culture humaine.

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Lola,

Je crois qu'il n'y a pas de quoi "fouetter un chat".

Virginie Despentes, je la connais moi-même très mal. Je l'ai peu lue et c'est sûr que nous n'avons pas du tout les mêmes vies.

Cependant, son bouquin m'a fait découvrir un monde que je ne connais pas et j'ai bien aimé sa galerie de portraits, très vifs et sans complaisance.

Il est évident qu'elle n'a pas révolutionné la littérature et qu'elle peut avoir tendance, depuis 20 ans, à ressasser.

Mais je persiste à penser qu'elle a néanmoins du talent et une écriture. Elle dérange quand même un peu.

Il faut voir comment elle évoluera.

Carmilla