dimanche 7 juin 2015

Les couleurs de l'inceste


Au même titre que la pédophilie, l'inceste, ça fait partie, aujourd'hui, des grandes angoisses sociales.
On avance des chiffres ahurissants impossibles, évidemment, à valider. On nous raconte qu'un enfant sur 10, soit deux millions de personnes (principalement des femmes), aurait été victime d'inceste en France. La littérature contemporaine (Angot), le monde des médias (chanteurs, acteurs: Barbara, Darc) fait son miel de révélations concernant un inceste subi dans la petite enfance, jusqu'alors toujours occulté et forcément destructeur. C'est vrai que c'est en phase avec l'esprit victimaire contemporain et puis ça vous confère une aura séduisante de maudit romantique. Mais il n'est pas sûr que ce soit glorieux.


Bien sûr, je ne vais pas prétendre qu'il s'agit d'affabulations. C'était pourtant presque la position de Freud quand il s'était rendu compte que la presque totalité de ses patientes évoquaient des scènes de séduction paternelle. Que penser ? En fait, probablement, personne n'exagère, personne ne ment. Simplement il y a deux vérités: le sentiment et la réalité de l'inceste.


Il y a une ambivalence terrible. L'inceste fait horreur et fascine. C'est le tabou fondamental de la culture humaine mais c'est très compliqué. Bien peu de gens savent, par exemple, qu'en France (j'ai découvert cela , moi-même, récemment, avec surprise) que l'inceste ne figure pas dans le Code Pénal. En d'autres termes, l'inceste n'est pas, pénalement, interdit entre adultes consentants en France (de même qu'en Espagne et au Portugal). On peut ainsi vivre librement en France, sans encourir de poursuite pénale, avec son père, sa mère, son frère, sa sœur pourvu que l'on soit adulte et consentant. 


C'est incroyablement libéral! C'est, peut-être, d'une absolue modernité. C'est l'esprit de Kant: on dissocie complètement le droit de la morale. C'est, en revanche, différent, "moins avancé", en Allemagne, Angleterre, Suisse, Pays scandinaves, Italie où l'inceste, en lui-même, est effectivement un délit. 

Ce qui fait l'infraction en France, ce n'est pas l'inceste mais le fait que les relations ne soient pas consenties et que la victime soit mineure. La peine est en outre aggravée si l'auteur est un proche parent.

Mais c'est vrai que tout ça, toutes ces considérations, ce ne sont que des problèmes de Droit. Dans la réalité, dans notre vécu quotidien, il faut bien reconnaître aussi qu'on vit dans des sociétés de plus en plus incestueuses.


On parle de pères violeurs... en toute bonne conscience; c'est l'inceste ordinaire. 

C'est vrai... mais il y a aussi un inceste premier, sans passage à l'acte, celui de la relation mère-enfant. Et cette relation, elle est aujourd'hui, on le sait, toujours plus dévorante. Au nom de la sollicitude et des meilleures intentions du monde (que l'enfant trouve toujours satisfaction, qu'il soit continuellement protégé), les mères empêchent les enfants de faire l'expérience du manque et le privent ainsi d'un accès à l'autre et au désir.


On dit que le féminisme est aujourd'hui triomphant. C'est peut-être à nuancer. J'ai l'impression qu'on assiste, en fait, au triomphe des mères plutôt qu'au triomphe des femmes. Au triomphe des valeurs les plus conservatrices et les plus anesthésiantes. La société de la peur, de la sécurité absolue et du repli sur soi. "Big mother", c'est un peu, aujourd'hui, notre réalité, c'est l'emprise absolue des mères sur des individus incapables d'autonomie et privés de repères.

Mais la société maternante, elle a aussi une façade moins reluisante: celle d'un inceste généralisé, modelant toutes les relations humaines.


Surtout, l'esprit maternant semble incapable de permettre l'éclosion de l'amour. Parce que c'est ça, me semble-t-il, la véritable énigme posée par les violeurs et les agresseurs sexuels. Alors que l'humanité se définit avant tout par la capacité d'empathie, les agresseurs, et notamment ceux qui commettent l'inceste, en sont totalement dépourvus. Ils sont incapables d'accéder aux sentiments de l'autre et de comprendre la signification de leur geste. La culpabilité leur est étrangère et c'est cela qui est glaçant. La culpabilité, on ne veut plus en entendre parler aujourd'hui mais ça préfigure peut-être un monde terrifiant.


Ce post m'a été inspiré par des articles de Boris CYRULNIK: "Le sentiment incestueux" et Aldo NAOURI: "Un inceste sans passage à l'acte: la relation mère-enfant". On peut les trouver dans un très bon ouvrage collectif: "De l'inceste" qui vient d'être réédité en poche.

On pourra aussi se référer au livre de Michel SCHNEIDER: "Big Mother - Psychopathologie de la vie politique."

Les images sont du peintre allemand Walter SCHNACKENBERG (1880-1961) que j'ai déjà récemment présenté. Elles donnent une autre facette de son immense talent.

2 commentaires:

Richard St-Laurent a dit…

Bonjour, madame le Golem !

Voilà un blog qui mérite d’être lu. Habituellement, je ne suis pas un lecteur de blog, mais je suis arrivé à vous par des chemins très singuliers, en fait par des lectures d’ouvrages de Théodore Monod. En faisant des recherche sur ce vieux baroudeur, je me suis intéressé à Lieve Joris et en lisant Sur les ailes du dragon, désirant en savoir plus sur cette femme, j’ai fais des recherches pour en arriver à vous. Nous n’en n’avons pas terminé avec le livre et la lecture qui est une autre façon de voyager, voilà le résultat de la curiosité. Il aura suffit d’une toile qui aura attiré mon attention dans le fouillis du web pour entrer chez-vous.

Cela nous change de l’information spectacle, nourriture insipide qu’on nous sert à volonté comme à des cochons stupides afin de nous engraisser d’inepties. Vous avez du cran madame, parler de pédophilie ou encore d’inceste, en étalant une réflexion solide sur ce que tous monde passe sous silence. Nous avons trouvé des nouvelles inquisitions, moi qui pensais qu’on en avait terminé avec ce genre d’épouillage. Est-ce que l’homme a besoin d’ennemis pour se sentir vivre ?

Depuis l’arrogance nécessaire, en passant par de la misogynie au féminin, le mal de vivre, il y a chez vous une ligne directrice, libertaire, et un gros bon sens qui fait plaisir à voir. Les penseurs ne sont pas tous là où l’on tente de nous le faire croire.

Dans ce blog sur l’inceste vous dites une chose qui m’accroche : …on ne veut plus en attendre parler aujourd’hui mais ça préfigure peut-être un monde terrifiant… Je le pense aussi. Espérons que nous n’en arriverons pas là.

Nous devrions relire tout Cyrulnik, c’est un homme qui m’étonne toujours, surtout ces deux derniers ouvrages : Sauve-toi, la vie t’appelle et Les âmes blessés. Tant qu’au vieux Naouri, formidable, je l’embrasse pour ce qui nous apporte, j’ai aimé son ouvrage sur l’adultère. Quel sens du réalisme ! C’est étrange on dirait que nous sommes dans la mouvance de Nancy Huston : Reflet dans un œil d’homme.

Il y a quelque chose de rassurant dans tout celas, c’est qu’il y a encore des gens qui réfléchissent sur cette terre, peut-être qu’à force de réflexions, on évitera un monde terrifiant. C’est ce que je nous souhaite.

Bien vôtre madame

Continuez

Richard St-Laurent



Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Richard,

Grand merci pour ce commentaire sympathique mais peut-être excessivement louangeur.

Je n'ai à vrai dire pas beaucoup de prétention d'autant que je ne suis nullement une spécialiste en quoi que ce soit. Mais cela me fait évidemment grand plaisir quand mes "petits textes" rencontrent une certaine adhésion.

Simplement, je n'aime pas les idées communes et surtout les hurlements avec les loups.

Je n'ai bien sûr pas de sympathie particulière pour les pédophiles et les incestueux, mais je déteste qu'on les présente comme des monstres.

Sinon, j'aime effectivement beaucoup Nancy Huston et notamment son livre : "Reflet dans un œil d'homme". Je partage entièrement son point de vue et je trouve ahurissant qu'on l'ait parfois présenté comme réactionnaire.

De même, j'admire beaucoup Lieve Joris.

Bien à vous

Carmilla