dimanche 1 novembre 2015

Maintenant et à l'heure de notre mort



La Toussaint puis le Jour des morts..., je m'habille avec attention ces jours là, peut-être plus qu'à l'accoutumée: escarpins, jupe courte, collant avec de jolis motifs, veste noire et chemisier blanc, maquillage soutenu. Une symbiose, une palpitation commune de l'érotisme avec la mort, c'est un cliché mais c'est vrai qu'on est toujours fascinés par le basculement. 



En général, je me rends au cimetière de Passy, face au Palais de Chaillot. Je m'arrête devant la tombe gigantesque de Marie Bashkirtseff. Sinon, c'est le Père Lachaise et la tombe de Sadegh Hedayat; elle est étrangement située tout près de celle de Marcel Proust mais est-ce que les gens qui s'arrêtent devant la tombe de Proust remarquent celle de Sadegh Hedayat ?  Il y a aussi, tout près de chez moi, le cimetière des Batignolles (Leon Bakst, Blaise Cendras) ou celui de Montmartre (Waclaw Nijinski). Quand je suis très courageuse, je vais à Montmorency où se trouve le cimetière polonais (Cyprian Norwid, Adam Mickiewicz, Olga Boznanska) ou au cimetière russe de Sainte Geneviève des Bois (Andreï Tarkovsky, Rudolf Noureev). 


Dans le monde slave, on continue d'entretenir une relation de proximité avec la mort. Les cimetières sont encore des lieux très fréquentés, de rencontre, d'échanges, de dialogues. On apporte plein de choses, pas seulement des fleurs et même, quand on est orthodoxes, de la nourriture (des pommes) voire de la vodka. La vie jusque dans la mort. Surtout, on fait brûler une multitude de bougies et c'est un spectacle extraordinaire au mois de novembre: de grands lacs de feu auprès des villages.

Mais c'est vrai aussi que rien n'est plus déprimant que de visiter un cimetière russe ou ukrainien. On a vraiment l'impression qu'on meurt, au plus tard, à 45 ans. La mortalité prématurée, ce n'est pas seulement une donnée statistique, ça recouvre aussi une foule d'existences effroyables minées par le désespoir et la folie. Là-dessus, je recommande la lecture du grand roman contemporain russe de Roman Sentchine: "Les Eltychev".


Cette relation des Slaves avec la mort contraste beaucoup avec l'Europe de l'Ouest ou les Etats-Unis où le spectacle de la mort est désormais quasiment interdit. D'abord, on parque les vieux dans d'abominables maisons de retraite où on les soumet à une discipline carcérale. Et puis, on les convainc de se faire incinérer pour être sûrs qu'il n'y aura plus aucun échange symbolique avec eux et qu'ils auront complètement disparu. Dehors, les morts ! Cessez de perturber les vivants !


Mais il est vrai qu'on annonce l'avènement prochain du transhumanisme. Ça devrait en effet séduire beaucoup de gens dans les années à venir. C'est la vision prométhéenne de Google. Bientôt, peut-être dès 2030, on pourra télécharger son cerveau sur un serveur. On deviendra comme ça immortels. En plus, on sera libérés de toutes les contraintes d'un corps, sa pesanteur, ses souffrances, sa sexuation. Tout ce qui est imparfait, inachevé, tous nos manques, sera aboli. Aucun défaut, on sera bien mieux que les hommes actuels. On pourra même probablement communiquer en toute transparence: plus aucune hésitation, plus aucune ambiguïté... mais peut-être aussi plus d'art, de poésie.



L'immortalité, ce serait, probablement, la mort de la culture humaine, de toutes les formes et expressions symboliques que nous avons élaborées dans le prolongement de nos insuffisances et de nos manques. C'est pour ça qu'on pourrait bien mourir d'être immortels, selon l'expression de Nietzsche.


Tableaux de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), Arnold Böcklin (1827-1901), J.W. Waterhouse (1849-1910), Oskar Zwintscher (1870-1916).

Sur le thème de la mort, je renvoie au livre de Jean Baudrillard: "L'échange symbolique et la mort".

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