samedi 10 décembre 2016

La disparition de l'amour




On s'applique, aujourd'hui, à classer à peu près tout au patrimoine mondial de l'humanité, même la cuisine et l'art des jardins.

Il manque quand même, pour moi, une dimension essentielle: le sentiment amoureux. Faut-il le rappeler, le souligner? L'horizon premier de la culture européenne et occidentale, ça a été, longtemps, l'amour, la passion amoureuse ? Le désir amoureux comme moteur et destin de l'Occident ! La littérature ne parle que de ça et l'histoire politique elle-même (Napoléon, Louis XIV etc...) n'a longtemps reposé que là-dessus. L'amour, vérité de l'Occident !


On s'interroge beaucoup, aujourd'hui, sur l'identité européenne mais on est trop timorés pour avancer un trait remarquable. J'oserais, quand même, affirmer que l'amour, la culture amoureuse,  a été, pendant des siècles, l'enchantement de l'Europe et de l'Occident, son destin ! C'est bien différent des terres d'Islam, de la Chine, de l'Inde où les techniques sexuelles étaient, éventuellement, plus sophistiquées mais séparées de la relation sentimentale. Le génie du christianisme, ça a été de fusionner le sexe et le sentiment pour en faire l'amour.


Mais l'amour en Occident, ça n'a jamais été la vertu, la tempérance, le respect de l'ordre social. Ça a toujours été, au contraire, l'amour qui renversait les barrières, l'"Amok", la brûlante folie qui me saisissait, tout à coup, qui transformait ma vie à la suite, simplement, d'un regard échangé, d'une silhouette perçue au-milieu de la foule, d'un éclair fulgurant."Et toi que j'eusse aimée, et toi qui le savais" écrivait Baudelaire.


Cet instant extraordinaire où tout son passé, tout ce que l'on a fait, tout ce que l'on possède, ne compte plus pour rien en regard de celui/celle que l'on vient de découvrir. Cet instant où l'évidence de l'amour va transformer une vie. 



Tout ce qui nous constituait, autrefois, devient insignifiant, il n'y a plus qu'une vérité ultime: ce désir, cette passion qui me poussent vers l'autre, combattent l'isolement, déjouent toutes les frontières. Qu'importe tout le reste pourvu que je puisse continuer de trembler, de palpiter, pourvu qu'au moment de se donner, de se promettre, l'élu/l'élue conservent leur caractère magique. On bazarde tout, immédiatement et sans hésitation, pourvu qu'on puisse sortir de la grisaille quotidienne, pourvu que la rue, le quartier, sinistres dans lesquels je vis soient tout à coup transfigurés. L'amour, révolution ! L'amour, histoire !


Tout ça, ça a été, pendant quelques siècles, la merveilleuse folie de l'amour en Occident, sa vérité, son destin. Par amour, on a renversé les tables, fait l'histoire, transformé le monde.


Mais de cette vérité ultime, ne faut-il pas parler, aujourd'hui, au passé ? La passion amoureuse disparaît, progressivement, de la conscience occidentale. On ne s'en rend pas tellement compte parce qu'on est, dans le même temps, inondés d'images et de scénarios érotico-pornos.


Mais qui, aujourd'hui, est encore amoureux ? Qui est prêt à tout par amour ? Mourir d'amour, se tuer par amour, c'est devenu ridicule, risible. Plus de nuits blanches, plus d'angoisses, plus de tremblements, plus de courses-poursuites de l'amant/amante. Un ascenseur, un escalier, ça n'est plus que pour me rendre chez moi.


On est devenus des experts. Des techniques sexuelles, on n'ignore plus rien. Il n'y a plus que quelques filles hyper-coincées pour ne pas déclarer qu'elles adorent la sodomie, la fellation, le cunilingus, les sex-toys. On est prêtes à tout, à se faire défoncer de partout, on est modernes !


On n'est plus des "possédés". La passion s'est assagie, raisonnée. On est devenus de simples gestionnaires, des comptables, du désir. Le désir d'amour, le désir d'être hors de soi, ne nous habite plus. On se contente de se mettre en ménage, de partager un loyer et des factures. On a peur de l'inconnu, du bouleversement.



Et puis, on vit aux temps de l'égalité démocratique, du partage fifty-fifty et de la transparence. L'amour, aujourd'hui, ce serait l'entente, l'accord, l'harmonie, la sincérité. Un contrat en bonne et due forme entre individus responsables.

Ce serait la recette du bonheur: pas de bouleversement, pas de désordre. Sauf que l'amour, la passion, n'ont rien à faire de l'égalité, du contrat. L'amour, c'est la dissonance, la dissymétrie.


Il faut oser l'affirmer : il n'y a pas d'égalité sexuelle et il ne saurait y en avoir. L'homme et la femme ne sont pas dans une relation d'équilibre, donnant-donnant. Il y a toujours un mouvement de bascule, une inégalité, un rapport de domination. La domination, c'est l'étincelle, le coup de silex, qui provoquent la déflagration du désir, l'émergence de la passion. Je sais bien que ces propos peuvent faire hurler mais de toute manière, l'inégalité, la domination, quoi qu'en pensent les féministes, c'est toujours réversible, éminemment réversible.


Tableaux de Max ERNST (1891-1976). Un peintre majeur, pour moi.

Ce post m'a été inspiré, pour partie, par le livre récent de Hervé JUVIN: "Le gouvernement du désir".

2 commentaires:

KOGAN a dit…

Bonsoir CARMILLA

Tomber amoureux est toujours sans raison prédéterminée, c'est une évidence millénaire.

Cela arrive spontanément et bien souvent par deux regards qui se croisent, les yeux étant pour ma part le reflet de l'âme, et dévoilant sans triche plus que tout autre partie du corps, une vraie nature.

Aimer et rester libre...un duetto assez difficile à vivre... il y a encore là du Sigmund FREUD sous roche, mais on n'est pas obligé de se coucher tout de suite sur les rails pour en finir avec un existentialisme pouvant conduire à l'aliénation ...
(mais ne nous aliénons nous pas nous-même?).

Comme le dit si justement Martin BUBER : "toute vie véritable est rencontre" et que le mot Amour en fait partie ...à différents degrés d'intensité de la vie de chacun.

Etre soi-même, c'est le véritable succès d' une relation affective en prenant soin d' éviter autant que faire se peut, l'attirance hypnotique de l'autre.

On aime pour des raisons inconscientes, c'est un fait établi, l'Amour est cette folie qui rend dépendant... inévitablement.

Amour et liberté, l'éternel mariage improbable, et que même être deux n'empêche pas mille fois... d'être seul.

Bien à vous
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff pour votre message,

Je suis d'accord avec vous mais j'ai surtout souligné que le sentiment amoureux et la prise de risque qui l'accompagne étaient en voie de disparition. Ce n'est peut-être plus l'un des moteurs de la culture européenne.

Bon dimanche à vous,

Carmilla