dimanche 7 janvier 2018

Le sexe de la langue


On me dit, quelquefois, que je ne fais pas beaucoup de fautes d'orthographe en français. Tant mieux même si je n'y accorde qu'une importance relative: ce qui compte, ce n'est pas la correction orthographique mais c'est la correction syntaxique. Les défenseurs acharnés de l'orthographe française me font bien rire. Il y a dans leur crispation un côté vraiment trop guindé, duchesse ou petit marquis.


Du reste, je bénéficierais d'un avantage: je n'ai qu'un rapport instrumental au français tandis que les Français "de souche" sont submergés, perturbés, par leur lien affectif à la langue maternelle. Leurs fautes sont une traduction de leurs relations d'amour/haine. C'est peut-être de la psychanalyse de bistrot mais ça ne m'apparaît pas trop idiot. A l'inverse, je suis assez insensible à ce qui touche à l'affectivité: la poésie, la chanson, les gros mots, les injures.


Ce qui m'amuse beaucoup, en ce moment en France, c'est le débat sur le caractère sexiste de la langue avec la prédominance du masculin sur le féminin. Pour y remédier, on préconise l'écriture inclusive (comme dans "les député.e.s") et l'accord de proximité (comme dans les hommes et les femmes sont belles).


Ça peut être troublant, voire dérangeant au début. Mais au fond, pourquoi pas ? Le propre d'une langue est bien d'être en perpétuelle évolution et personne ne peut s'opposer à ça. 


Mais la vraie question, c'est de savoir si l'égalité des sexes passe bien par la grammaire et si une intervention sur la langue est susceptible d'améliorer les relations entre les sexes.


Je n'ai pas d'opinion tranchée sur la question mais j'ai quand même quelques connaissances linguistiques. Il y a comme ça de nombreuses langues qui, curieusement, ignorent la distinction du masculin et du féminin (et donc la suprématie d'un genre sur l'autre): le persan, le japonais, le chinois et aussi, paraît-il, le kurde, l'arménien, le géorgien. Ça n'est vraiment pas concluant parce qu'on ne peut vraiment pas dire que le féminisme soit triomphant en Iran et au Japon.

Les langues slaves, c'est exactement l'inverse. Ce sont des langues hyper-sexualisées avec une distinction continuelle du masculin et du féminin. Même les noms de famille sont distingués suivant le genre (ça pourrait être marrant d'introduire ça en France). Ça explique peut-être qu'il n'y a pas d'hostilité entre les sexes mais qu'ils sont aussi, assez fortement séparés.

Le français, lui, ne m'apparaît que modérément sexualisé (juste un peu plus que l'anglais) et même le masculin s'apparente davantage pour moi à un neutre qu'à un véritable masculin.


Tout ce détour pour dire, en conclusion, que je n'ai vraiment pas l'impression qu'une langue puisse être, par elle-même, sexiste. On a tous un rapport universel au langage et pas un rapport de dominant ou de dominé. Ce sont les hommes, leurs comportements qui sont sexistes. Ce ne sont donc pas des bricolages linguistiques, plus ou moins ubuesques, mais c'est l'évolution sociale et politique qui est seule susceptible de transformer les comportements, de promouvoir l'égalité des sexes.


Francine Van HOVE, peintre (comment on peut dire peintre au féminin: peintresse, peintrice, peinteuse ?) française née en 1942

10 commentaires:

KOGAN a dit…

Bonjour CARMILA

On parle trop en FRANCE trop!!!

З Різдвом

Bien à vous
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Merci Jeff pour vos voeux de Noël en ukrainien. C'est en effet aujourd'hui Noël chez les orthodoxes.

Mais je précise que:
- je ne parle pas ukrainien (même si je le comprends très bien);
- je ne suis pas vraiment orthodoxe.

Bien à vous

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour dame Carmilla !
Excellente analyse ce texte sur la langue. Vous y affichez une sens commun redoutable. Voilà qui est réconfortant dans cette époque qui se mord la queue pour des recherches inutiles comme si nous avions beaucoup de temps à perdre. Ce n'est pas la langue qui est sexiste, c'est l'humain, homme et femme, voila qui est clair et très inclusif.
J'espère que ces temps nouveaux que vous vivez vous apporte ce que vous souhaitiez.
J'ai bien aimé vos photos sur Moscou. On y sent la grandeur, la force, l'histoire, l'espace, et puis dans ces vieux murs, j'ai toujours eu l'impression du mystère.
Ce qui est déroutant, c'est l'absence de neige et surtout cette douceur, pendant que vous étiez là-bas, j'ai inclus Moscou dans ma tournée météorologique quotidienne, pendant que nous avons connu des froids polaires, plusieurs nuits sous les moins trente degrés, à Moscou ça variait entre moins quatre et plus deux. Ici ce matin sur Sherbrooke moins vingt-huit degrés par ciel clair. On vient de sortir d'une tempête de trois jours, neige, vent et poudrerie. Voilà l'hiver comme je l'aime.
Heureuse année à vous et j'espère que vous allez beaucoup voyager.
C'est le cas de le dire.
Bon vent dame Carmilla
Richard St-Laurent

Anonyme a dit…

rappelons que le français se targuait encore à fin du siècle, du monopole de littérature érotique, comme on pourra l'entendre dans cet éblouissant extrait :
https://m.youtube.com/watch?v=Xy8udIuQXmI
(Si l'on parle de Pauvert aujourd'hui, c'est sans doute par la nouvelle affaire Lucette Destouches, ne soyons pas dupes).
Je rejoins vos avis sur la syntaxe et l'écriture inclusive où vous mettez quelque chose à nu, finalement. Le reste comme ça, est brillant. Et donc, en vous lisant on voit plutôt des hommes nus.

nuages a dit…

On assiste actuellement à une tentative de domestication du langage.
Par exemple, on entend de plus en plus "'les femmes et les hommes" au lieu de "les hommes et les femmes".
Tout ça me semble assez vain et en tout cas très envahissant.

Qu'on dise "professeure", "écrivaine", pourquoi pas ? Ce n'est pas laid, et plutôt justifié.

Mais dire à tout propos "les électrices et les électeurs", "les agriculteurs et les agricultrices", ça me semble ridicule.

C'est croire assez naïvement que la modification autoritaire et "politiquement correcte" de la langue écrite et parlée amènerait nécessairement l'égalité des sexes.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Meilleurs voeux à vous aussi.

Vous avez raison: on perd souvent tout sens commun et on s'offre des séances d'hystérie collective.

S'agissant du climat, les effets du réchauffement climatique semblent évidents en Europe du Nord. A Moscou et Saint-Pétersbourg, bien souvent, il n'y a plus de neige à Noël. L'hiver ne commence vraiment qu'au mois de janvier mais c'est devenu tout à fait supportable. Autrefois, pourtant, la neige était là dès le mois de novembre et il faut rappeler que Napoléon avait quitté Moscou le 15 octobre.

Bon vent à vous aussi

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Anonyme,

Effectivement, je crois que l'on peut dire que la France a eu et a encore le monopole de la littérature érotique. C'est une littérature très brillante depuis le 17 ème siècle et je reconnais qu'il n'y a pas d'équivalent dans d'autres pays (pays slaves, scandinaves, germaniques, anglo-saxons). C'est vraiment une spécificité qui interroge.

S'agissant de Lucette Destouches, je pense que vous faites allusion à l'autorisation qu'elle vient de donner pour la publication des écrits anti-sémites de Céline. Je n'ai pas d'avis sur la question. Je précise simplement que ces textes n'étaient pas interdits et qu'on peut d'ailleurs les trouver, facilement, sur Internet.

Merci pour votre appréciation élogieuse de mon post mais il faut beaucoup relativiser.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Je souscris entièrement à vos propos.

J'ai l'impression qu'on est, quelquefois, en pleine confusion mentale.

"Professeure", "écrivaine", pourquoi pas en effet ? Mais j'avoue que je trouve ça ridicule parce que ces mots ne désignent pas un sexe mais une fonction, un métier, et que le masculin, en l'occurence, s'apparente plutôt à un neutre.

J'ai l'impression qu'on veut nous maintenir, à tout prix, en enfance.

Bien à vous

Carmilla

Thierry Mattart a dit…

Privat Carmilla, Le français le monopole de la littérature érotique... Alors que la France est un état laïc, sa population est crispée par la morale. En comparaison avec les Pays-Bas ou avortement, euthanasie, prostitution sont légales et des sujets qui fâchent en France !
Le français est une langue figurative ce qui peut expliquer cette littérature érotique. L'allemand étant la meilleur langue pour commencer. L'Anglais la langue de l'efficience. Le Russe me semble la meilleure langue pour exprimer ses sentiments.
Pour info Catherine Deneuve s'insurge contre le puritanisme:
http://soirmag.lesoir.be/133122/article/2018-01-09/catherine-deneuve-et-99-autres-femmes-sengagent-contre-le-puritanisme#
Thierry

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Thierry,

Je souscris, bien sûr, au manifeste signé par Catherine Deneuve. Ce qui m'a étonnée, c'est le torrent de haine qu'il a suscité. On est en pleine confusion et c'est sûr qu'il y a une extension du puritanisme.

Je ne sais pas si on est moins puritains aux Pays-Bas. C'est vrai qu'il y a une législation progressiste mais on semble avoir une vision purement hygiéniste de la sexualité. La séduction, la sensualité, ça n'est pas trop manifeste. Mais il est vrai que je connais mal les Hollandais.

De mes petites connaissances linguistiques, j'ai quand même l'impression que le français et l'allemand sont des langues de l'abstraction. C'est pour cela, peut-être, qu'elles sont les langues de la philosophie. Ça m'apparaît plus difficile en anglais ou dans les langues slaves.

Quant à la littérature érotique, ce serait plutôt un phénomène culturel.

Bien à vous

Carmilla