samedi 12 janvier 2019

"Les liaisons dangereuses"


Régulièrement, je participe à des soirées de "copines". C'est une dizaine de nanas qui se réunissent autour d'une grande tablée. C'est un peu bizarre évidemment, ça n'existe pas en France, mais c'est habituel en Russie, en Ukraine où les relations entre les sexes ne sont pas les mêmes. Moi-même, a priori, je n'aimais pas trop mais j'y ai pris goût. D'abord, les femmes slaves se détestent et se jalousent peut-être moins entre elles que les Françaises et puis, l'alcool aidant, ça devient vite complétement débridé. C'est le grand exutoire, la parole libérée dans des hurlements de rire. Principaux sujets évidemment: le sexe, les amants, les amours et le fric. Et puis on se pavane, on exhibe ses fringues, ses bijoux, son maquillage en étant sûres qu'on va les remarquer et qu'on ne va pas vous les reprocher.

C'est agréable, ça permet de donner libre cours à son hystérie, à sa demande d'amour, ce qui devient de plus en plus difficile aujourd'hui. On sort réconfortées de ces soirées, avec un regard autre sur soi-même. Ça permet de débrouiller pas mal de choses parce qu'on se critique et se recadre gentiment les unes les autres, c'est une vraie thérapie collective.



Le plus souvent, évidemment, les filles évoquent leurs malheurs et déboires amoureux. Elles seraient tombées sur des types affreux, des méchants, des tyrans, des avares, des violents. Très à la mode bien sûr aujourd'hui, un bipolaire, un pervers narcissique ou un obsessionnel.

Toutes ces descriptions, moi, ça me laisse de marbre et je prends alors plaisir à leur voler dans les plumes.

Tes histoires, je n'y crois qu'à moitié, que je dis. Ça te réconforte évidemment de raconter que t'es tombée sur un salaud ou un pervers. Ça te permet de te présenter en victime et de t'exonérer de toute responsabilité. Mais il faut aussi que tu arrives à reconnaître ta propre participation à cette relation pourrie. Les salauds ou les pervers à l'état pur, ça n'existe pas, ou plutôt on les construit ensemble, à deux, si je puis dire. Les mecs, ils ne valent peut-être pas grand chose mais les femmes, ça n'est pas mieux. Quand ça se met à tanguer dans une relation de couple, on aime bien essentialiser, catégoriser, l'autre ("t'es qu'un nul, qu'un salaud"), le réduire, presque, à un objet, lui dénier toute profondeur, toute subjectivité ("avec toi, on a vite fait le tour"). C'est la stratégie perverse par excellence et c'est à force de considérer l'autre comme un objet, qu'on abandonne si vite tout scrupule, toute attention envers lui (ce n'est qu'un pauvre con sans intérêt) et qu'on sombre rapidement dans la haine. Mais on peut trouver aussi une sombre satisfaction dans cette haine et elle cimente souvent un couple entraîné dans la folie perverse.


Les relations entre les hommes et les femmes, de toute manière, c'est un jeu de pouvoir, de domination-sujétion. Quand on est pris dans l'engrenage, il faut savoir en être l'élément moteur ou parvenir à s'en déprendre. C'est un jeu cruel dont j'ai, je crois, perçu, très jeune, la logique. L'un des livres-révélation de mon adolescence, ça a été "les liaisons dangereuses" de  Choderlos de Laclos. La passion amoureuse soumise à la froide Raison, au calcul cynique et égoïste. C'est terrifiant, ça va à l'encontre de tous les romantismes,  mais c'est, peut-être, salvateur.


J'ai toujours ainsi été très dure avec les autres et notamment avec les hommes.  Mais j'ai toujours considéré que c'était pour ma survie. Il faut dire que les sollicitations ne manquent pas et qu'on a vite fait de se retrouver encagée.

La nana compatissante, à l'écoute, pleine de compréhension pour les "suicidés de la société", les trop sensibles qui ne peuvent supporter la dureté des temps modernes, ce n'est pas moi. Les types velléitaires, il n'y a rien de plus dangereux; ils sont innombrables et ils rêvent de vous mettre le grappin dessus, de vous assujettir, pour s'assurer une vie peinarde. Il ne faut donc surtout pas faire traîner les choses. Il ne faut pas s'attendrir, il faut absolument éviter de se faire manipuler, dominer.


Je ne suis peut-être pas très sympathique mais j'ai plutôt pour habitude, pour tactique générale, de mettre, d'emblée, l'autre sous pression. Je fais ça, évidemment, de manière détournée, pas trop directe. Avec moi, de toute manière, on n'est pas dans le registre de la compréhension mutuelle mais dans celui de la compétition, émulation.

C'est peut-être détestable et c'est sans doute déstabilisant. Mais qu'est-ce qu'on retire d'une relation dans la quelle on passe son temps à se dire qu'on est les mêmes ? Je préfère les relations dans les quelles on est contraints de sortir de sa coquille et de se botter les fesses. Il y a les relations qui vous amoindrissent et celles qui vous transforment.

Images de: Francesco del Cossa, Andrey Remnev, Francis Delamare, Leonora Carrington, Pierre-Amédée Marcel-Béronneau (1869-1937).

Au cinéma, je recommande trois très grands films, de ceux qui laissent une empreinte durable en vous:


- "Asako I et 2" du Japonais Ryûsuke Hamaguchi; le retour et la répétition dans l'amour
- "In my room" de l'Allemand Ulrich Köhler; du besoin, ou non, de l'autre
- "Border" de l'Irano-Suédois Ali Abbasi; du monstre

10 commentaires:

Richard a dit…


Bonjour madame Carmilla

domination-sujétion

Pas de temps à perdre avec cela...

Balancez ça par-dessus bord.

Vaut mieux être bien détesté
Que mal aimé.

Bonne journée

Richard St-Laurent

Anonyme a dit…

Votre blog est fascinant, car on peut y voir comment s'articulent préférences esthétiques, intimité psycho-sexuelle, choix politiques et mise en scène de soi.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Mais il me semble que votre propos valide mon analyse.

Et puis on déteste à proportion de l'amour porté.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Anonyme,

De pareils compliments m'émeuvent bien sûr.

Mais disons simplement que j'essaie de décaler un peu les points de vue et que je recherche aussi, comme vous l'avez bien vu, une certaine cohérence générale sous des abords peut-être un peu farfelus.

Bien à vous,

Carmilla

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla

Aimer, selon Lacan, c’est:

« donner quelque chose que l’on a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas. »

Cet aphorisme pessimiste et néanmoins réaliste, rend compte de la précarité de l’amour dans ce qu’il a d’illusoire, son arrimage au fantasme, à l’imago de l’objet de la pulsion, miroir aux alouettes qui ne trouve jamais son adéquation dans la réalité de l’autre toujours autre, ni tout à fait le même ni tout à fait autre, comme disait le poète.
L’objet idéal est interne et ne trouve jamais sa réplique dans la réalité externe, d’où ces jeux de l’amour et du hasard, où les sujets s’efforcent de paraître comme conformes à la figure de l’objet idéal interne du partenaire dans le processus de la séduction, une parade amoureuse où les protagonistes font briller le simulacre, la pâle réplique, l’ersatz, le succédané, le trait du corps ou de l’âme qui est en eux et fascine l’autre par sa ressemblance avec l’objet interne idéalisé.

Cette mascarade de l’amour, dont les artifices sont factices, est un théâtre où les acteurs maintiennent plus ou moins l’illusion de la réalité du fantasme, d’où la durée plus ou moins longue du succès de la pièce.

selon Lacan

“Le désir de l’hystérique, c’est d’avoir un désir insatisfait, afin d’être assuré de ne point manquer du manque à être qui sert de moteur à l’existence dans son cycle ininterrompu des répétitions”
FERNAND REYMOND


Heureusement il reste les SOLDES de Janvier.


Humour toujours....

Bien à vous.

Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Effectivement Jeff,

Le manque et la finitude signent la condition humaine.

C'est pour ça qu'on est continuellement aspirés par la recherche d'un objet manquant qu'on a bien du mal à identifier tant il est mouvant.

Évoquer les soldes est pertinent. D'un point de vue rationnel, ça n'a pas de sens d'y aller. Mais on espère toujours y trouver l'objet ultime et définitif qui nous donnera satisfaction.

Quant aux hystériques, je les aime bien mais elles sont de moins en moins nombreuses (les femmes ont de moins en moins tendance à s'afficher). Mais je sais que j'en suis une.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla

Voilà que la lettre aux français tombe à point avec ma lecture de l'ouvrage de Thierry Lefèvre, sur le quel, comme je vois l'avais mentionné, je reviendrais. Ouvrage très intéressant et malgré ses 250 pages succinct à souhait. J'ai retenu deux passages très engageant de votre président. Le président Macron est informé. Il sait de quoi il parle.

Macron écrit :

« Je pense toujours que l'épuisement des ressources naturelles et le dérèglement climatique nous obligent à repenser notre modèle de développement. Nous devons inventer un projet productif, social, éducatif, environnemental et européen nouveau, plus juste et plus efficace. Sur ces grandes orientations, ma détermination n'a pas changé.


La transition écologique est le troisième thème, essentiel à notre avenir. Je me suis engagé sur des objectifs de préservation de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l'air. Aujourd'hui personne ne conteste l'impérieuse nécessité d'agir vite. Plus nous tardons à nous remettre en cause, plus ces transformations seront douloureuses. »
Tiré de : Lettre aux français
Emmanuel Macron

Lorsque je vous disais que nous étions appelés à penser autrement, et bien, nous y voilà, nous y sommes, que ça nous plaise ou pas. Mes petites questions simplistes sur les prix des carburants et le nombre d'habitant sur cette terre, ne sont pas innocentes. Ce qui implique que nous devrons penser autrement, que nous devrons asseoir autour de la table, les scientifiques, les économistes et les politiques. Monsieur Macron rejoint monsieur Lefèvre, nous commençons à sentir ce qui s'en vient.

Je vais vous revenir sur l'ouvrage de Lefèvre, surtout du point de vu scientifique. Comme d'habitude après une lecture, j'en suis à l'analyse et quoi de mieux pour réfléchir qu'une bonne randonnée de ski de fond.

La souffrance n'est pas une obligation, mais il ne faudrait pas par indifférence, ignorance, ou encore par refus, qu'elle devienne une obligation.
Bien à vous
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je l'avoue, je n'aime pas beaucoup les écologistes. Ils rassemblent trop de gens intolérants et moralistes. Ils ont en outre tendance à raconter tout et n'importe quoi, emportés par un prophétisme de malheur annonçant la disparition imminente de la planète. Ils cherchent, en fait, à instaurer une véritable « tyrannie de la pénitence ».

Je suis enfin très sceptique concernant leur principal argument: l'épuisement des ressources naturelles et l'arrêt simultané de la croissance. J'avais, bien modestement, développé ça dans un très ancien post : la croissance économique est presque sans limites parce qu’elle ne repose pas, comme on le pense généralement, sur une simple accumulation de facteurs de production mais plutôt sur leur combinatoire et leur recomposition perpétuelle. La croissance est une affaire d’idées, d’inspiration, de facteurs qualitatifs et intellectuels et non de consommation quantitative (la preuve: les pays détenant d'importantes réserves naturelles ne sont pas souvent les plus riches, c'est même souvent un obstacle). Nous ne devons donc pas avoir peur de la fin du monde.

Mais je ne manquerai pas de consulter l'ouvrage de Thierry Lefèvre car, si j'ai quelques lueurs en économie, j'avoue être ignare concernant les questions écologiques. Je reconnais qu'elles me rebutent un peu tellement elles sont encombrées d'idéologie.

Bien à vous

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla
Vous en êtes à la tyrannie de la pénitence et j'en suis à la tyrannie de la souffrance. L'expression de la tyrannie de la pénitence m'a bien fait sourire. Cependant vous avez raison, et là, j'abonde dans votre sens, que ces milieux écologies ruissellent de dogmatistes, parce que sur le fond ils sont comme toutes organisations humaines teintées d'idéologies. Lorsque je les écoute, cela ne va pas sans me rappeler certains propos tenus jadis par des communistes. C'est toujours le même danger qui nous guette, celui de nous faire emporter par une avalanche de propos fallacieux. À ce chapitre je comprends votre réticence, devant des gens qui n'ont aucune formation, qui fréquemment se cherchent une cause pour exister et donner sens à leur vie. Ce qui a l'art de me répugner.
Tant qu'à l'argument de l'épuisement des ressources elle n'est pas fausse ; mais ce n'est qu'un facteur dans toute cette équation, souvent mystérieuse, d'autre fois incompréhensible, souvent aride, entre les modifications climatiques, la surpopulation, nos procédés industriels, nos manières de consommer, en un mot, nous sommes dans un procédé complexe. Lefèvre l'exprime clairement dans son livres. Je donnais un exemple hier lors d'une discussion : Nous perdons en 28% à 32% des denrées alimentaires entre les champs et les consommateurs, là il faut agir, mais pas besoin d'idéologie pour cela, juste du sens commun. Un autre dossier qui m'horripile ; obsolescence programmée de certains biens que nous achetons. Ce qui me fâche lorsque je démonte une pièce de mécanique lors de réparations. Je suis en train de me demander si nous devrions pas augmenter les prix des biens de consommations afin de pouvoir bénéficier de produits durables ? Nous sommes, nous les humains, des horribles gaspilleurs et le verbe gaspiller n'est pas un vain mot au Québec, souvenons-nous, pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire, que nous avons déjà été aussi pauvres que les Polonais et les Russes voilà un siècle.
Par contre il ne faut pas cesser nos recherches dans tous les domaines, former des personnes, éduquer, informer, afin de comprendre ce monde qui nous entoure et qui est loin d'avoir livré toutes ses complexités. Ce qui pourrait nous transporter dans des univers bien différents de tous les scénarios catastrophiques qu'on nous annonce. Mais, pour se faire il faut garder l'esprit ouvert.
Reçu hier : le livre de Oulitskaïa, Sonietchka. Un ouvrage tout en finesse qui raconte l'histoire d'une femme toute simple pour ne pas dire laide, dans un univers difficile et qui y trouve une certaine forme de bonheur. Dans ce court roman, j'ai été conquis par la prose d'une densité peu commune de Oulitskaïa très différente de L’échelle de Jacob.
Bonne fin de journée sous un ciel clair par -25 degrés
Richard St-Laurent

KOGAN a dit…

Merci pour la pertinence... Mais on me reproche beaucoup et surtout mon humour impertinent et sarcastique...mais c'est ma nature...je n'arrive pas à chasser le naturel et Il faut bien se différencier,avec le risque et la certitude même de prendre des râteaux, mais ça m'évite de fait ,d'aller chez Jardiland. Bien à vous. jeff