samedi 13 avril 2019

IRAN, IRAN


Pas de post consacré au Code Pénal cette semaine. Ça reprendra plus tard. Dans l'immédiat, je m'envole dans quelques jours pour l'Iran.

Ça a été plus difficile que je ne pensais d'organiser ce voyage. D'abord l'obtention d'un visa à titre individuel  vous confronte tout de suite aux méandres d'une administration orientale: il faut contacter (rien que ça !) le Ministère des Affaires Étrangères à Téhéran. Ensuite, il faut s'assurer que ce visa ne sera pas tamponné dans votre passeport (vous auriez alors des difficultés pour vous rendre, plus tard, en Israël ou aux États-Unis).



Mais le pire vient de l'embargo de nouveau imposé sur l'Iran. Impossible d'abord de payer ou de réserver quoi que ce soit via Internet. Surtout, il n'existe plus aucune compagnie aérienne européenne qui desserve l'Iran. Il y a donc une pénurie dramatique de vols !

Heureusement, l'Iran fait aussi partie de ces pays, de plus en plus rares, où, après force palabres, tout peut s'arranger. Après avoir beaucoup pleurniché, j'ai donc réussi à obtenir une place sur Iran Air. Ce qui me console dans ces difficultés, c'est qu'au moins, je suis sûre de ne pas rencontrer trop de touristes dans le pays.



Mais je n'ai maintenant plus aucune inquiétude ni appréhension.

Je ne dirai pas, bien sûr, que l'Iran est une destination de tout repos: l'arrivée à Téhéran est, par exemple, sûrement un choc pour tout voyageur. Il faut plusieurs jours pour s'adapter au bruit, aux couleurs, à la circulation démentielle, à la pollution, à la démesure de la ville et des montagnes qui l'écrasent. Ce qui me stresse personnellement et à quoi je n'ai jamais pu m'habituer, c'est simplement de traverser une rue: il faut avoir le courage d'affronter un flot continu de voitures qui n'ont aucunement l'intention de céder le passage.



Mais cela n'est rien ! Séjourner en Iran permet vite de mesurer le décalage immense entre la présentation médiatique qui est faite d'un pays et la réalité de sa vie quotidienne. J'ai souvent pu éprouver que dans les pays qualifiés de moches, sinistres, d'horribles dictatures, on vivait plus intensément et même plus joyeusement. La vie y est souvent débridée. "Tout est interdit sauf quand on ne sait pas" dit-on couramment. A l'inverse, je m'ennuie à périr dans tous les lieux (la côte méditerranéenne en particulier) qui concentrent l'image européenne du bonheur.





En Iran, je sais que je vais tout de suite rencontrer une multitude de gens attentifs, bienveillants, prêts à m'aider et me distraire. Ça devient même le point problématique du voyage, tant je sais que je serai partout et continuellement sollicitée. 


Mais retrouver l'Iran, c'est aussi retrouver une partie de moi-même, cette part forgée dans ma prime jeunesse. Je ne suis, en effet, pas seulement slave et Française mais je me sens aussi un peu iranienne. J'en ai acquis des attitudes et des comportements que moi seule peux analyser. Par exemple, j'ai plein de manies concernant l'hygiène et la propreté: je me lave toujours à grande eau les fesses après être allée aux toilettes (comme les occidentales sont sales avec leur papier), je scrute toutes les taches sur le sol, je m'épile intégralement. D'une manière générale, je n'aime pas les contacts et je déteste surtout les bises. Et puis, j'ai toujours une expression réservée et peut-être ambiguë. Je pratique moi-même beaucoup le "Taarof" (aimable accueil, louange, offre), cette forme de politesse iranienne qui n'est pas toujours bien comprise.

Devoir porter un voile ne me gêne pas. Ça m'embête plus de ne plus pouvoir porter de jupe et de chaussures high-heels. Mais pour le reste, on peut maintenant s'habiller et s'exhiber comme on veut surtout si on est occidentale.


Avant tout, il y a pour moi la culture persane et son raffinement. Je la caractériserai ainsi:

- d'abord, un certain goût du luxe et du confort qui s'exprime  dans les logements; on l'ignore généralement mais les appartements et maisons des Iraniens sont souvent époustouflants, des lieux d'accueil, de repos, de rêve;

- on rencontre aussi beaucoup de gens sophistiqués, très éduqués. Le niveau d'éducation est élevé avec un nombre considérable d'étudiants (et surtout d'étudiantes). Il y a un véritable appétit de réussite et d'entreprise dont témoigne la formidable réussite de la diaspora iranienne.


- et puis c'est toute une série d'images, d'éclairs visuels:  les oiseaux (des perruches) vendeurs de fortune, les poissons rouges de Now-Rouz, les vieillards ou le chauffeur de taxi qui récitent, dans la rue, un poème de Hafiz ou Saadi, les jardins magnifiques (ceux de Kachan et Mahan sont indépassables), les fleurs à profusion, les villes de faïence, les montagnes gigantesques, le ciel azur, les déserts de pierre, l'atmosphère électrique à force de sécheresse. 


Enfin, il faut évoquer les motifs fascinants et abstraits des tapis (mes préférés: les naïns). On acquiert prioritairement des tapis avant même des meubles. On les contemple ensuite infiniment chez soi. C'est presque un objet de méditation.

Et la cuisine iranienne sublime (on ne sait pas ce qu'est le riz tant qu'on n'a pas goûté au riz à l'iranienne). Malheureusement, on ne peut la découvrir qu'"à la maison" mais surtout pas dans les restaurants en Iran ou à l'étranger.

Voilà ! Je m'en vais donc faire un grand Tour avec une voiture (et un chauffeur, c'est obligatoire). Ma ville favorite: Yazd qui abrite encore une communauté zoroastrienne. Je vous en parlerai sans doute.



En attendant, dans l'hypothèse où je vous aurais intéressés à l'Iran, voici ma petite liste, entièrement subjective, des livres que j'aime et que je recommande sur le pays :

- Sadegh HEDAYAT: "La chouette aveugle".  La grande figure de la littérature contemporaine persane. Sa tombe est à côté de celle de Marcel Proust au Père Lachaise.

- James MORIER: "Les aventures d'Hadji Baba, d'Ispahan". La Perse au 19 ème siècle décrite avec verve et humour par un diplomate anglais. C'est d'une fascinante justesse.



 - Jane DIEULAFOY: "Une amazone en Orient", "En mission chez les Immortels", "L'Orient sous le voile". Les antiquités persanes du musée du Louvre (Suse notamment) ont été ramenées, à la fin du 19 ème siècle, par Jane Dieulafoy et son mari. Elle fait le récit de ses périlleuses expéditions  au cours des quelles elle était, pour des raisons de sécurité, contrainte de se travestir en homme.

- Vladimir BARTOL: "Alamut". Un grand livre du grand écrivain slovène (1903-1967). Il parle de la secte des Assassins (ou mangeurs de haschich) à la fin du XI ème siècle. Un texte qui demeure d'une brûlante actualité politique (la violence et les complots).


- Nicolas BOUVIER: "L'usage du monde". Un grand classique de la littérature de voyage.

- Ella MAILLART: "La voie cruelle"

- Anne-Marie SCHWARZENBACH: "La mort en Perse".

- Shushah GUPPY: "Un jardin à Téhéran"

- Nicholas JUBBER : "A la barbe des Ayatollahs"

- Helen ZAHAVI: "Dirty Week-End". Un roman noir qui avait fait scandale. Il vient d'être réédité en poche. Le récit d'une tueuse en série.

- Nahal TAJADOD: "Passeport à l'iranienne"

- Shariar MANDANIPOUR: "En censurant un roman d'amour iranien".

- Négar DJAVADI : "Désorientale"

- Maryam MADJIDI: "Marx et la poupée".

- Abnousse SHALMANI: "Khomeini, Sade et moi". J'adore Abnousse Shalmani.

Bonne lecture. J'en omets sûrement beaucoup mais ce ne sont que les ouvrages que j'ai aimés. Vous avez du moins de quoi tenir jusqu'à mon retour.

A bientôt ( aux alentours du 10 mai).



Curieusement, dans un pays où règne une féroce censure morale, il existe une photographie iranienne de grande qualité (représentée notamment par beaucoup de femmes). Tout le monde connaît Reza mais il faut aussi citer Sadegh Tirafkan, Babak Kazemi, Niloufar Bani-Sadr, Shirin Neshat, Tamineh Monzavi, Mahdyar Jamshidi, Newshat Tavakolian et beaucoup d'autres ...

Enfin post-scriptum qui n'a rien à voir: je recommande au cinéma "Blanche comme neige" d'Anne Fontaine. Beaucoup de critiques assassines mais je me suis personnellement retrouvée à fond dans l'héroïne, avec d'étranges recoupements de vie.

4 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla !

Enfin, le grand jour du départ arrive.

Il y a longtemps que vous en parlez de ce voyage, que dire, que vous en rêvez fort.

Dites-moi, comment se fait-il qu'un peuple aussi instruit accepte de vivre dans ce régime politique ?

Je suis d'accord avec votre énoncée, dans un pays sous régime dictatorial, la vie quotidienne prend un autre sens, elle devient très importante. C'est une manière de vivre sa liberté, d'ajouter de la qualité à sa vie quotidienne, mais cela laisse le champ libre aux tyrans.

Soyez prudente, prenez soin de vous, et revenez-nous avec des photos, des récits, et des réflexions intéressantes comme vous en avez l'habitude.

Bon voyage, bon vent.
Au plaisir
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Comment le peuple iranien supporte son régime ?

- Historiquement, la Révolution de 79, initialement républicaine et démocratique(gouvernement Bazargan, Président Bani-Sadr) a été rapidement détournée et confisquée par les mollahs qui ont conquis tous les rênes du pouvoir.

- alors que le régime était initialement instable, la guerre contre l'Irak (septembre 80)l'a ensuite, contrairement aux attentes, considérablement renforcé.

- il y a, depuis le début, une forte opposition au régime. Mais il faut être très, très courageux pour s'exprimer. Le régime s'appuie en particulier sur les Gardiens de la Révolution (les Pasdarans), une sorte d'armée parallèle (150 000 hommes environ) dont les membres sont rattachés au Guide Suprême (Ali Khameneï). Il s'agit de véritables tueurs professionnels recrutés généralement dans les milieux de la délinquance. Ce sont des gens terrifiants qu'il vaut mieux ne pas croiser.

- sinon, il y a une diaspora iranienne importante dans le monde: au moins 6 millions, notamment en Californie qui devient un petit Iran.

Sinon, l'Iran est un pays très sûr. Se faire agresser, voler, est peu probable. Comme partout, il vaut évidemment mieux être prudent et discret dans les petits villages ou les endroits retirés: il y a très peu de touristes occidentaux qui voyagent en individuel. Il est préférable de communiquer son itinéraire précis à quelqu'un d'extérieur mais ce sont les précautions normales de tout voyage en solo.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

J'ai plutôt bien aimé aussi "Blanche comme neige". Un côté transgressif, jouissif aussi, libertaire, chaleureux. Et Isabelle Huppert en "méchante reine" comme dans le conte de Blanche-Neige, est excellente !

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Le film repose beaucoup, c'est vrai, sur les deux actrices.

Et puis il y a la beauté des paysages alpins.

D'une manière générale, j'aime bien les films d'Anne Fontaine et je regrette que ce "Blanche-Neige" ait parfois été vivement critiqué.

Bien à vous

Carmilla