vendredi 10 mai 2019

Regards persans: les femmes / l'"Irano Nox"


Me revoilou ! Enchantée, dynamisée après avoir sillonné l'Iran, sur des milliers de kilomètres, dans une belle Peugeot. J'ai beaucoup voyagé mais pas seulement: j'ai aussi beaucoup parlé, bavassé, échangé et c'est presque aussi épuisant.



Un seul regret: comme il est dommage que je n'ai pu pendant si longtemps (du fait de mes contraintes professionnelles) revenir dans ce pays de mon cœur. Et une seule envie: y retourner le plus vite possible, peut-être dès l'an prochain.


Certes l'Iran a bien changé depuis mon dernier séjour il y a plus de 10 ans. Comme presque tous les pays, il s'est d'abord modernisé. Ce n'est plus l'austère caserne rigide de la fin des années 90. De belles routes, des aéroports, des immeubles de verre, des buildings vertigineux et même (à Téhéran) des cafés et des bars à l'européenne rivalisant avec les maisons de thé.  Surtout une incroyable profusion de commerces, une extraordinaire surabondance de marchandises.


On en vient à se dire qu'en Europe et en Amérique, on vit dans la pénurie. Que ne peut-on trouver en Iran ? On ne dirait vraiment pas que le pays vit sous un sévère embargo. Toutes les technologies les plus pointues, en téléphonie et en informatique notamment, y sont largement diffusées à des prix imbattables. Et je ne parle même pas des boutiques de mode et produits de luxe.

Mais cette façade, cette apparente prospérité, a aussi son sombre revers. Compte tenu de l'effondrement du rial, le salaire moyen ne ressort qu'à un peu plus de 100 euros. Certes, les prix sont beaucoup plus bas qu'en Europe (à l'exception de l'immobilier) mais il est incontestable qu'en regard de ses immenses ressources naturelles, la situation économique de l'Iran est une catastrophe.



Mais ce qui a surtout bouleversé l'aspect des villes iraniennes, c'est la croissance démographique vertigineuse de ces dernières décennies. Il faut le rappeler: avant la Révolution de 1979, la population totale de l'Iran était de 40 millions d'habitants. Elle dépasse aujourd'hui les 80 millions et, surtout, s'est concentrée dans les villes. Celles-ci ont emporté tous les ilots de calme et de tranquillité et sont devenues monstrueuses, effrayantes.

Je suis radicalement citadine et l'écologie, je m'en fiche. Mais je reconnais que si on veut avoir une idée du cauchemar urbain, il faut aller à Téhéran. Il faut un certain temps pour s'acclimater à cette mégapole de 15 millions d'habitants tant y règnent, au milieu d'embouteillages inextricables et dans une atmosphère irrespirable, le bruit, la fureur, l'agitation permanente, la cohue. Tokyo et New-York, c'est super-cool en comparaison. Quant à Paris, c'est quasiment la campagne.



Certes ! Mais en dépit de ces inconvénients inévitables du développement économique, la République Islamique, ça ne serait quand même pas mal ?




Voilà la question qui fâche. Je n'ai sur ce point que mon expérience propre et ma subjectivité à faire valoir. Mais je dois avouer que j'ai souvent bien du mal à me retrouver dans les analyses de la presse étrangère, particulièrement française, sur l'Iran. Il faut dire que la Révolution iranienne a longtemps bénéficié d'un préjugé favorable dans les milieux intellectuels parce qu'elle allierait préoccupation spirituelle et compassion envers les déshérités. Et il existe encore beaucoup de gentils illuminés européens qui viennent nous chanter les beautés du messianisme chiite et de l'imam caché, le culte de la martyrologie ou la splendeur de la cérémonie sacrificielle de l'Achoura. Le chiisme, nous dit-on, ça n'est pas la soumission, c'est l'émancipation, c'est beaucoup plus subtil et intelligent que le sunnisme.



C'est vrai que c'est beau ! Mais il m'apparaît totalement erroné de présenter les Iraniens comme des "fous de Dieu". A vrai dire, ils n'ont jamais été très religieux et la Révolution de 1979, initialement laïque, a été confisquée par les mollahs et ne s'est depuis maintenue que par la guerre, la terreur et la répression.


Il suffit de parler, d'échanger avec la population pour s'en rendre compte. Curieusement, c'est très facile et pas seulement en privé: dans la rue, avec les commerçants, les chauffeurs de taxis, dans tout l'espace public. Les langues se délient facilement, on peut parler sans crainte m'assure-t-on, c'est la soupape de sécurité, du moment qu'on ne fait rien par ailleurs. Blablater, ça ne tire effectivement pas à conséquence mais tout se complique sérieusement si on commence à agir ou à lever le petit doigt. On a alors vite fait de disparaître, d'être assassiné ou d'être condamné à plusieurs décennies de prison.

"Les mollahs sont implacables et cruels" m'a-t-on souvent dit. La vérité est que l'Iran est dirigé par des tueurs, bêtes, incultes et méchants.


Je le déclare tout net: durant tous mes séjours en Iran, je n'ai jamais entendu que des horreurs sur les mollahs et je n'ai jamais rencontré quelqu'un de favorable au régime. Ça existe quand même, bien sûr, mais c'est cantonné aux milieux qui ont collaboré avec le pouvoir et dans les populations âgées, très religieuses et non éduquées, voire analphabètes.

Ça rappelle furieusement l'ère communiste où, dans la rue, la population crachait continuellement sa haine du régime; dans le même temps, beaucoup de journalistes étrangers continuaient de vanter la solidité et la capacité de réforme du système alors que la dissidence était massive.


Une même dissidence est manifeste en Iran. La population vit dans une schizophrénie complète, désabusée et indifférente, en retrait délibéré de la vie politique. On ne se sent pas concernés. A peu près personne ne se reconnaît dans le pouvoir en place. Il faut le souligner: il existe un abîme immense entre la vie publique et officielle des Iraniens, austère et rigide et leur vie privée, souvent débridée et festive. Le film "Les chats persans" (2009) de  Bahman Ghobadi, illustre bien cette radicale séparation. On essaie de sauvegarder les apparences pour pouvoir gagner en marges de manœuvre.

 
"La politique de nos dirigeants, c'est d'être ennemis de tout le monde" (sauf de la Russie, de la Chine et de la Turquie qui ne font vraiment pas rêver) m'a-t-on souvent dit. Et de fait, les Iraniens ne détestent nullement les Américains et Israël, ils les admirent même en dépit d'une propagande effrénée. Quant à toutes ces guerres conduites à l'étranger, en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, elles suscitent un rejet unanime. La levée de l'embargo en 2015, ça a surtout servi à financer les Arabes, dit-on crûment.




Oserais-je le dire ? J'ai souvent entendu exprimer une nostalgie du Shah (on était plus libres et plus riches) et même un soutien à Trump (il a l'attitude adéquate vis-à-vis des mollahs qui ne comprennent que le langage de la force). Une grave conflit avec les Etats-Unis n'effraie pas complétement parce qu'il permettrait peut-être de renverser les choses.

C'est vraiment sinistre d'en arriver là !


Alors l'Iran est-il à la veille d'une nouvelle Révolution ? Oui, dans les mentalités. Non, dans le passage à l'acte tant est grande la crainte de la répression féroce qu'exerceraient les Pasdarans (les Gardiens de la Révolution, les piliers du régime, souvent d'anciens délinquants reconvertis). Il faudrait vraiment une crise aiguë pour que les choses se dénouent brutalement.




Il n'empêche que, parmi les pays musulmans, les Iraniens inaugurent l'aspiration à un un retour à une République laïque et démocratique. Combien de temps faudra-t-il pour y arriver ? Nul ne le sait mais le mouvement est irréversible.



Ça s'explique d'abord par l'évolution démographique. Les jeunes de moins de 30 ans représentent 55 % de la population (et 5 % seulement de personnes de plus de 65 ans). Ils sont tous alphabétisés, éduqués et, à peu près tous, ils n'en ont rien à fiche de la religion. Ils aspirent simplement (je me garderais bien de juger) à tout ce dont ils ont été privés au cours de ces dernières décennies: la consommation, les voyages,  la musique occidentale, les séries télévisées.



Surtout, l'évolution actuelle de la société iranienne est aujourd'hui fortement impulsée par les femmes. On les voit partout dans l'espace public, elles sont omniprésentes: elles déambulent, en groupes joyeux, dans les villes, elles conduisent, elles font des études, elles travaillent.


Elles ont permis une importante évolution des mœurs au cours de ces dernières années. Elles sont des séductrices, d'incroyables fashionistas, souvent avec beaucoup de goût. Mais ça confirme ce que j'ai toujours pensé: la mode, le sexy, c'est révolutionnaire ! D'abord, les contraintes vestimentaires se sont beaucoup allégées: plus besoin de sinistre voile noir, on peut arborer de simples foulards de couleur claire découvrant largement les cheveux. Surtout, on peut voir des jeunes gens, pas obligatoirement mariés, se promener ensemble ou bien se rencontrer dans un café. J'ai même vu, à Téhéran, des femmes assises à un comptoir ou des couples se tenir par la main. Il y a peu de temps encore, tout ça pouvait valoir de sérieux ennuis avec la police.


Alors OUI ! On peut nourrir beaucoup d'espoir pour l'Iran. La Révolution des femmes, une Révolution laïque, est en marche.


Mes petites photos dédiées aux femmes pour ce premier post consacré à l'Iran. J'ai fait ici un peu de street-photo, ce à quoi je répugne ordinairement mais j'étais aidée par la gentillesse générale. La troisième image est celle de mon amie Elaheh qui m'a longuement accompagnée et que je remercie ici vivement (même si mon blog n'est pas accessible en Iran). Il paraît qu'on se ressemble beaucoup. Il est vrai qu'elle est aussi mince et presque aussi grande que moi. En plus, elle adore le rouge et le noir.

Je vous conseille vivement de visiter l'Iran. C'est l'un des derniers pays à l'abri de la mondialisation touristique où l'on peut encore éprouver l'aventure et l'émerveillement. Je vous garantis absolument que vous n'y courez aucun risque. En outre, à l'attention des messieurs, les Iraniennes justifient à elles seules le voyage: elles sont très belles et élégantes et beaucoup plus abordables qu'on ne l'imagine.

La meilleure solution pour rencontrer la population (c'est très facile) est celle du voyage individuel. En raison des distances importantes et du caractère chaotique des villes, il est nettement préférable de louer une voiture avec chauffeur. Compte tenu du coût très bas de la vie, ce n'est pas du tout une dépense exorbitante. Pour toute précision du registre pratico-pratique, il suffit de me demander.

Enfin, en complément de ma liste, fournie dans mon précédent post, de livres à lire sur l'Iran, je mentionne également :

- Iouri TYNIANOV: "La mort du Vazir-Moukhtar". J'ai relu ce livre (qui vient d'être réédité en poche Folio) durant mon voyage. C'est l'un des grands romans russes (malheureusement un peu méconnu) du 20 ème siècle. Ça se termine par l'assassinat tragique du diplomate et écrivain Alexandre Griboïedov à Téhéran en 1829. C'est surtout une description prodigieusement juste et documentée de la Perse et de la Russie au début du 19 ème siècle ainsi que du "Grand Jeu" entre la Russie et l'Angleterre.

- Ramita NAVAI: "Vivre et mentir à Téhéran". La vie quotidienne aujourd'hui à Téhéran.

10 commentaires:

Michael a dit…

Merci. Vraiment très intéressant, et superbes photos!

Carmilla Le Golem a dit…

Grand merci Michael,

Pour le texte, disons que je profite de la liberté d'expression qu'autorise un blog.

Pour la photo, je n'ai aucune prétention, je ne la pratique qu'occasionnellement. Je préciserai simplement que j'utilise un matériel inhabituel et compliqué (4 appareils Sigma DP et Quattro).

Bien à vous,

Carmilla

Olympe a dit…

Merci Carmilla
En quelle langue peut-on rencontrer les Iraniens si on ne connaît pas encore le Farsi ?
Olympe

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Olympe,

D'abord apprendre un peu de farsi n'est pas si difficile. C'est une langue indo-européenne dont la grammaire est assez simple et pour la quelle les Français ont "naturellement" un assez bon accent (même accent tonique sur la dernière syllabe).

Sinon, on se débrouille très bien avec l'anglais. Les Iraniens chercheront de toute manière à toujours vous aider.

Ne craignez vraiment pas de vous rendre en Iran même si vous êtes seule. Retenez toutefois dans ce cas la solution que je préconise d'une voiture avec un chauffeur qui vous accompagne en permanence.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Heureuse comme Carmilla qui a fait un beau voyage !

Bonjour Carmilla

Dès les premiers mots de vos premières phrases, je sens l'enthousiasme de la réalisation. À mon sens, voilà ce que j'appelle un véritable voyage. Parcourir, regarder, s'interroger, et surtout échanger et discuter beaucoup. Vous étiez fébrile de partir et le retour est tout aussi fébrile au point de remettre cela pour l'an prochain. Pourquoi pas, on ne vit qu'une fois.
Peut-on affirmer que l'Iran, quoi qu'on en pense, constitue le nœud de cette région du monde ? Les Anglais et les Américains sont déjà passés par là. La Chine est vivement intéressée par sa route de la soie. Les Russes ont toujours entretenue des relations, bonnes ou mauvaises avec ce pays. Nous pourrions remonter très loin dans le passé. Dans le genre l'Iran c'est un carrefour.
C'est le pays de votre cœur et c'est peu dire. Il y a des endroits comme cela, où l'on se sent particulièrement bien. Si je me souviens de certains de vos propos, vous affirmez y avoir déjà vécu, ce qui est une bonne entrée en la matière. Dites-moi, ce qui vous attire dans ce pays. Je sens qu'il y a quelque chose de profondément viscérale dans cette relation entre vous et l'Iran, qui dépasse largement le simple voyage.
Vous avez évoqué le côté urbain ce qui est dans votre nature profonde comme la campagne pour moi. J'espère que vous avez quelques photos des vastes espaces hors des villes. Votre texte était exceptionnellement long, ce qui n'est pas pour me déplaire au contraire et j'espère qu'il sera suivit de d'autres textes car le sujet est vaste.
Les paradoxes des biens de consommations et la situation économique catastrophique sous-tend bien d'autres problèmes. Le pouvoir des mollahs est lourd mais pas dénué de finesse, s'ils veulent conserver leur pourvoir, ils se doivent de donner quelques bonbons à la population. Vous l'avez bien cerné lorsque vous avez écrit ce court paragraphe :
« Certes ! Mais en dépit de ces inconvénients inévitables du développement économique, la République Islamique, ça ne serait quand même pas mal ? »
Voilà une réflexion lourde de sens. Ce qui explique le pourquoi de ma question avant le départ : Comment un peuple aussi instruit peu supporter un tel régime politique ? Cette question mérite grandement d'être creusée !
Dans le cas de l'Iran, c'est plus une question de civilisation que de peuple.
Dans le même sens, j'avoue que l'augmentation de 40 millions d'habitants en quarante ans c'est sidérant. À défaut de faire de la politique, les Iraniens et Iraniennes font des bébés. Comment nourrir 80 millions d'habitants ?

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Comment nourrir 80 millions d'habitants ? Les religieux barbus comme bien d'autres dirigeants dans le monde ont intérêt à remplir les ventres. D'après ce que j'en sais, l'Iran arrive à peine à son autonomie alimentaire. Un chiffre que j'ai retenu, la surface moyenne d'une exploitation agricole en Iran ne serait que de dix hectares. Ce qui n'est pas énorme. Les personnes que nous pouvons voir sur vos photos me semblent en bonne forme physique dans des tenues modestes mais pas pauvre. Les écolières m'ont beaucoup intéressées. L'état de santé des enfants ne ment pas parce que habituellement c'est chez eux qu'on remarque les premiers signes de carences.
Les mollahs ont une gros problème entre les mains, nourrir leur peuple, tout en les soumettant. Donc, il y aurait une espèce d'accord tacite entre le pouvoir des religieux et leurs sujets. Vous nous donnez à manger et on ne vous renversent pas. Ce genre d'accord implicite va durer encore pendant combien de temps ? Faut reconnaître que 40ans de pouvoir ce n'est pas rien. Je suis sûr que les mollahs ont fait le tour de la questions plusieurs fois. Donc, 150,000 pasdarans plus 350,000 hommes d’infanteries dont 220,000 conscrits, tiennent en otage 80 millions d'habitants ! Peut-être que les iraniens sont contents de la situation, les mollahs ont leur pouvoir et le peuple sa paix. J'ai bien aimé votre comparaison avec les russes qui crachaient sur leur régime communisme à l'époque, mais qui évitaient de lever le petit doigt comme vous dites. Pour couronner le tout, ils font alliance avec la Russie, la Chine, et la Turquie, dans de telles circonstances on a les amis qu'on peut avoir. Ce qui laisse penser que ce régime, comme bien d'autres dans la région, demeure branlant. Mais qui sait ? C'est peut-être mieux ainsi pour le moment, personne n'est assez puissant pour se sauter à la gorge de l'autre.
Dites-moi Carmilla ; est-ce qu'il est facile d'émigrer de ce pays ? Est-ce qu'on laisse partir les gens facilement ? Ce qui m'a mis la puce à l'oreille, c'est que vous avez dû négocier pour avoir votre visa, j'ai senti que cela ne s'était pas fait tout seul. Un régime politique qui a confiance en lui se reconnaît à la libre circulation des personnes et des biens.

"La politique de nos dirigeants, c'est d'être ennemis de tout le monde" Voilà qui laisse un arrière goût propice au doute entre leurs dirigeants et le peuple. Après bien des années je me demande comment ont-ils pu faire la guerre à L’Irak au début des années 80 ?
Faut-il tous se détester pour assurer la paix mondiale ?

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Je ne voulais pas être en reste, mais pendant votre voyage j'ai eu le temps de lires deux livres sur l'Iran. Je reconnais qu'en Amérique, les livres sur l'Iran c'est difficile à trouver.
Debout sur la terre par Nahal Tajadod. Rien de tel qu'une bonne saga pour pénétrer dans l'atmosphère d'un pays, bien des fois c'est mieux qu'un ouvrage spécialisé.
L'autre il a fallu que je fouille pour le trouver. Ma recherche n'a pas été vaine, je suis parvenu à mettre la main sur : Khomeiny, Sade et moi, par Abnousse Shalmani. Là ça tombait en plein dans mes cordes. J'ai savouré ce récit et vous pouvez être sûr que je vais le relire.
J'ai lu à la page 213 de son ouvrage cette phrase :

« La vérité n'est jamais facile d'accès et la peur de la violence est une frontière qui doit être dépassé. »
Abnousse Shalmani

J'ai imaginé que les iraniens pourraient faire comme cette petite fille qui se dénudait à l'école parce qu'elle refusait le voile.
Qu'est-ce que les mollahs pourraient faire face à 80 millions d’iraniens tous nus ?
La nudité comme protestation moi j'aime bien, de toute façon les Doukhobors pratiquaient la chose dans l'ouest canadien dans les années 1950. Cette façon de protester ou de contester le pouvoir établi, dépasse la nudité parce qu'on entre dans le dénuement. Ma vulnérabilité est tellement grande que vous ne pouvez pas me l'enlever.
Ce que j'ai particulièrement aimé dans ce livre de Shalmani, c'est lorsque qu'elle arrive en France à l'âge de huit ans, qu'il lui faut apprendre une nouvelle langue, comprendre cette société nouvelle pour elle, s'acclimater, étudier, et le parcours ne sera pas facile, puis subir les regards et les reproches des autres, d'être elle-même contestée. Apprendre le français en lisant Les Misérables, il faut le faire.
Cette lecture aura été un bon croisement avec une autre auteur de j'apprécie tout particulièrement dont j'ai du deux ouvrages que je vous ai déjà signalés.
Réflexions sur la question antisémite par Delphine Horvilleur publié chez Grasset
Et
Des milles et une façons d'être juif ou musulman publié chez Seuil
Entretien entre Delphine Horvilleur qui est Rabbin et Rachid Benzine un spécialiste de l'Islam. Propos intelligents qui dépassent la peur et la violence. À lire pour mieux comprendre ce monde. Je vous le recommande. Dans un certain sens, ce n'est pas très éloigné de l'Iran, ni de Shalmani, ni de nos propos et c'est très inspirant.
En attendant vos autres textes sur l'Iran
Merci Carmilla
Richard St-Laurent

dominique a dit…

merci de nous faire voyager Carmilla! Je ne connais de l'Iran que quelques films : ceux d'Abbas Kiarostami, Ashgar Farahdi, et aussi Taxi Téhéran.
L'Iran est un pays complexe, et vous en parlez bien. Vous dites que certains regrettent l'époque du Shah ; ces belles jeunes femmes que vous avez photographiées sont trop jeunes pour avoir connu autre chose que l'Iran islamique. Visiblement,elles se débrouillent pour avoir, malgré tout, une vie intéressante et même agréable!

Carmilla Le Golem a dit…

Oui Richard,

J'ai vécu un bon moment en Iran, j'y ai même été à l'école (française) avant d'arriver en France. C'est comme ça que ma famille a franchi le "rideau de fer", un voyage pas si inhabituel pour beaucoup de ressortissants d'Europe Centrale.

L'Iran n'est tout de même pas un pays si pauvre que ça. Personne n'y meurt de faim. Le niveau de vie est comparable à celui de pays comme la Roumanie et la Bulgarie, pas très loin même de la Russie mais en plus égalitaire. L'effondrement du rial fausse aujourd'hui toutefois les comparaisons. Il faut rappeler aussi qu'avant la Révolution, le PIB/habitant de l'Iran était comparable à celui des pays européens.

Le principal obstacle à la croissance économique de l'Iran est maintenant le problème de l'eau. La pénurie commence à être dramatique. Les rivières des grandes villes (Ispahan, Shiraz)sont souvent à sec. En regard de cette contrainte, le projet des mollahs d'un Iran de 130-150 millions d'habitants semble totalement irréaliste. Il faut noter toutefois que depuis 10 ans, le taux de fécondité s'est effondré et est inférieur à 2, semblable à celui des pays européens.

En dépit du mécontentement général, le régime est tout de même solide. Sa grande force: il est impitoyable, il réagit immédiatement. Pour que la population se soulève, il faudrait qu'elle perçoive une petite faiblesse, qu'elle n'ait pas à craindre une répression sanglante. Quant à la Russie, la Chine, la Turquie, l'alliance avec ces grandes "démocraties" ne soulève vraiment pas l'enthousiasme, compte tenu surtout du poids de l'histoire. Les Iraniens préféreraient mille fois mieux normaliser leurs relations avec Israël et les Etats-Unis.

Les voyageurs occidentaux peuvent obtenir un visa iranien sans difficulté majeure. C'est simplement un peu plus compliqué si vous ne passez pas par une agence et sollicitez un visa à titre individuel. Mais ça vient d'être simplifié avec un visa électronique. Vous avez même la possibilité d'obtenir un visa directement à l'arrivée à l'aéroport mais ça vous fait quand même courir un petit risque. Personnellement, je n'ai pas eu de difficultés avec le visa (c'est simplement un peu long) mais avec l'avion: il y a maintenant peu de compagnies aériennes qui desservent l'Iran et le vol que j'avais réservé a été annulé au dernier moment.

Quant aux Iraniens, ils peuvent en théorie quitter le pays. Mais dans la pratique, ils ont les plus grandes difficultés pour obtenir un visa pour les pays qui les intéressent (l'Europe, les Etats-Unis). On leur demande des garanties financières importantes qu'ils ne peuvent fournir compte tenu de la faiblesse de leur monnaie. Un seul pays occidental se montre, paraît-il, accueillant à leur égard: le Canada.

Nahal Tajadod est une personne remarquable. Je précise qu'elle est l'épouse du grand scénariste Jean-Claude Carrière. Quant à Abnousse Shalmani, je me sens très proche d'elle intellectuellement.

Bien à vous

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Dominique,

Je vous conseille vivement un voyage en Iran. Vous en reviendrez sûrement enchantée par la beauté du pays et la facilité des contacts avec la population.

A vous qui êtes grande lectrice, je conseille vivement: "La chouette aveugle" de Sadegh Hedayat. C'est un livre magique que l'on trouve facilement aux éditions José Corti.

Quant aux femmes en Iran, elles ne sont effectivement pas si malheureuses que ça, du moins celles qui vivent dans des milieux éduqués. Je vais essayer d'en parler dans mon prochain post.

Quant au cinéma iranien, sa richesse est une énigme parce qu'on ne peut vraiment pas dire qu'il est soutenu par les autorités.

Bien à vous

Carmilla