samedi 18 mai 2019

Regards persans : la vie publique


Revenir en Iran, c'était bien sûr très émouvant pour moi. Comme un retour à ma prime jeunesse, à une époque où mes parents vivaient encore: un monde qui apparaissait plus sûr, un paradis qui réservait ses instants de magie (les montagnes gigantesques, la neige, le désert de pierre, l'air électrique, les fleurs printanières) .



Mais le risque, c'est de s'abandonner à la nostalgie. Car il faut bien le constater: presque tous les éléments du passé sont irrémédiablement effacés. Comment reconnaître, dans l'enfer urbain qu'est devenu Téhéran, la ville que j'ai connue, qui ménageait encore quelques havres de paix ? Et puis les maisons où j'ai vécu, l'école où je suis allée, ont disparu, rasées pour faire place à des constructions modernes à multiples étages et façades de verre.


La seule attitude possible vis-à-vis de son passé, c'est en fait de ne pas s'exténuer à rechercher ses traces, à essayer de retrouver ses vestiges. De toute manière, il est révolu: plus rien ne sera jamais comme avant. NEVERMORE !



La seule démarche cohérente, c'est peut-être d'essayer de comprendre comment ce passé nous a façonnés, comment il s'exprime en nous aujourd'hui, d'une façon que nous seuls pouvons percevoir. Je dis parfois à des Français que je suis un peu Persane. Vu mon apparence peu orientale, ils me jugent toquée mais je sais bien, néanmoins, que c'est vrai.


Voici du moins quelques éléments que j'ai retenus de la vie sociale en Iran et qui continuent d'imprimer mon comportement.


1) D'abord, l'espace public y est un véritable espace public. Je pense que le visiteur, le touriste, ne peuvent qu'être surpris de l'extrême facilité avec la quelle les Iraniens s'interpellent, échangent et dialoguent dans la rue, les transports, les commerces. Chaque rencontre fortuite devient prétexte à long échange, sur la vie, sur le monde, sur la politique. C'est même possible entre hommes et femmes aujourd'hui sans que cela donne lieu à interprétation sexuelle. Ces échanges urbains, ça existe aussi un peu en Russie mais c'est souvent sur un mode agressif, pour le plaisir de se quereller, tandis qu'en Iran, c'est une grande gentillesse qui prévaut, on semble vraiment s'intéresser à vous.



Cette convivialité publique, je trouve ça formidable même si on peut se sentir épuisés en fin de journée. Ça témoigne d'une véritable attention à l'autre quel que soit son statut social. Ça me manque en Europe: essayez donc d'adresser la parole à votre voisin dans le métro ou d'engager une conversation dans la rue, on vous prendra tout de suite pour une folle ou une allumeuse. Ce sera tout de suite interprété comme une invite sexuelle.



2) Mais ce que j'aime le plus en Iran et qui continue de m'influencer, c'est le Taarof. C'est la forme de politesse et de courtoisie persane qui combine code d'honneur et considération accordée à l'autre. Ça s'exprime dans les multiples échanges de la vie quotidienne. Il est ainsi très fréquent que le chauffeur de taxi, le coiffeur, l'artisan etc..., vous déclarent que ça a été un honneur de s'occuper de vous et que leur prestation est donc gratuite. Ou bien, quand on est invité dans une famille, l'hôte vous propose tout ce qu'il a dans sa maison. Ou alors, quand vous faites une queue, chacun supplie l'autre de passer devant, ce qui fait que tout le monde reste immobile.


Il ne faut bien sûr jamais accepter d'emblée car il ne s'agit pas d'une offre véritable.

Il faut toujours refuser en faisant, en réponse, la louange de votre interlocuteur. Mais ça peut donner lieu à beaucoup d'échanges et on peut donc penser que ce fichu Taarof fait perdre un temps infini. Peut-être ! Mais je vois personnellement dans cette pratique du Taarof une forme supérieure de politesse qui valorise entièrement l'autre, en fait une personne éminemment respectable.



Confrontés à cette pratique, les Occidentaux commettent bien sûr des impairs presque à chaque fois.

De même, ils ne comprennent pas que les Iraniens ne leur disent jamais que quelque chose est impossible. C'est toujours oui, jamais non. Alors, ils les soupçonnent d'être menteurs quand la réalité vient les rattraper.

En réalité, il s'agissait d'être polis avec eux, de ne pas les décevoir et les attrister lorsqu'ils avaient exprimé un désir.


Je me rends compte, même si c'est plus ou moins conscient, que je manie souvent le Taarof dans mes relations sociales en France. Évidemment, c'est rarement compris ou plutôt, ça entretient de fausses idées dans l'esprit de mon interlocuteur et le plonge souvent dans la perplexité. Mais tant pis, je n'ai pas envie de me défaire de cette pratique même si elle peut être jugée hypocrite. Il faut simplement faire effort pour me décrypter.



3) J'évoquerai enfin la relation entre les hommes et les femmes en Iran. Évidemment, déclarer que les Iraniennes ne sont pas si malheureuses que ça pourra sembler de la provocation dans un pays où une tenue vestimentaire incorrecte peut vous faire condamner pour "incitation à la débauche", où la prostitution, l'adultère et les relations lesbiennes sont passibles de la peine de mort, où il est interdit de chanter sur scène, où il faut une permission du mari pour voyager à l'étranger, où les lois relatives à l'héritage, au divorce, aux affaires pénales sont iniques.


Mais on le sait bien, les Lois n'expliquent pas tout et ne rendent qu'imparfaitement compte de la réalité du vécu d'un pays. Les aménagements, les accommodements sont multiples. Les Lois n'existent en fait que pour être détournées, contournées.


Bien sûr donc que c'est affreux la condition de la femme en Iran mais pas complétement. Je retiens d'abord que les Iraniennes sont éduquées, plus nombreuses que les hommes dans les universités et les écoles supérieures. Et puis, il y a une forte présence féminine dans les arts et les lettres: les réalisatrices Samira Makhmalbaf et Marjane Satrapi, l'actrice Golshifteh Farahani, de nombreuses peintres et  photographes...


C'est vrai, bien sûr, qu'en Iran les sexes sont strictement séparés. Il y a le monde des hommes d'un côté et celui des femmes de l'autre. Deux mondes qui communiquent peu avec des préoccupations, des goûts, des activités, des centres d'intérêt très différents. C'est inauguré avec l'absence de mixité à l'école et ça se concrétise dans la vie quotidienne jusque dans les bus, les métros, les piscines, les plages.



Mais personnellement, ça ne me dépayse pas trop. Il est fréquent de croiser dans les villes iraniennes des groupes joyeux et bruyants de jeunes filles qui sortent ensemble pour s'amuser, faire la fête dans un café ou un restaurant. Ça me rappelle alors furieusement le Japon ou... l'Ukraine et la Russie.


La séparation des sexes, ça ouvre aussi des espaces de liberté insoupçonnés.


Dans les pays occidentaux, on idéalise l'amour et le rapprochement, voire l'identité des sexes. Mais ça prend, généralement, une forme dévorante, destructrice. L'idéal, ce serait de rencontrer quelqu'un qui vous soit semblable en tous points, qui vous ressemble. Mais on ne semble pas se rendre compte qu'il s'agit d'une revendication exorbitante qui aboutit à une vampirisation commune, à un assujettissement de l'un par l'autre.



Dans les pays où les sexes sont séparés, et notamment en Iran, on est libérés de ce type de préoccupations fusionnelles. On ne demande pas aux hommes de voir le monde comme nous et c'est très bien comme ça. Chacun peut finalement faire ce qui lui plaît sans la pression réprobatrice de l'autre.


On gagne finalement en autonomie. Chacun fait de son côté ce qui lui plaît sans avoir de compte à rendre. La vie d'un couple n'est donc pas forcément oppressante car chacun a son domaine réservé.


Pour les filles, c'est d'abord l'expression corporelle et vestimentaire qui est privilégiée. C'est peu dire que les Iraniennes sont des fashion-addicts, on est tout de suite éblouis par les couleurs éclatantes de leurs foulards, l'élégance de leurs manteaux, leur maquillage appuyé. Ça se prolonge bien sûr avec le recours à la chirurgie esthétique. Détail amusant, les Iraniennes sont les championnes du monde de la rhinoplastie ce qui fait que les rues de Téhéran grouillent de jeunes filles avec le nez dans le plâtre.



Ce goût pour la mode et l'apparence n'est pas forcément la caractéristique de jeunes femmes décervelées. Il revêt plutôt un caractère contestataire car il est un mode d'expression de leur sensualité.



Et elles semblent toutes l'avoir bien compris car elles arborent généralement un sourire triomphant.


C'est bizarre, contrairement à ce qu'on imagine dans les pays occidentaux, on ne voit jamais à Téhéran de fille sinistre, qui semble triste ou malheureuse.



Le machisme est puissant évidemment mais la ville exhale plutôt une étrange atmosphère d'hyper-féminité, faite de légèreté et de gaieté. Ce n'est que l'un des nombreux paradoxes de l'Iran.


Ça donne à réfléchir ! On vit dans un drôle de monde. En Europe de l'Ouest, on croit qu'on a un siècle d'avance et qu'on est sexuellement libérés. Mais, aujourd'hui, les jeunes Françaises n'osent plus se maquiller, porter de jupe ou de chaussures à talons. Elles ont peur d'être mal vues. En réalité, on assiste plutôt au retour des valeurs patriarcales et de la domination masculine.


Peut-être faudrait-il donc offrir un voyage à Téhéran à de jeunes Françaises. Elles comprendraient peut-être qu'il ne faut jamais cesser de combattre les préjugés et les regards moralisateurs et, surtout, que leur premier droit est de s'habiller comme elles le veulent.






Photographies de Carmilla Le Golem dans les principales grandes villes d'Iran: Téhéran, Shiraz, Yezd, Ispahan, Kashan.

La première image, c'est la Tour Azodi (liberté), ancienne Tour Shahyad, inaugurée en 1971. Elle  a longtemps symbolisé l'Iran. Son architecte était de confession bahaï.

La 2nde image, c'est Téhéran depuis le pont Tabiat, un pont récent et piétonnier à l'architecture révolutionnaire, réalisé par une toute jeune architecte, Leïla Araghian. C'est à seulement 26 ans qu'elle a remporté le concours.

La troisième image est celle du Palais Blanc à Saad-Abad, l'ancien Palais résidentiel du Shah, construit par le père Reza dans les années 30. L'un des lieux les plus étonnants de Téhéran. C'est ici, le 31 décembre 1977, que le Shah d'Iran a reçu Jimmy Carter. Ça a été l'apogée de son règne, juste avant sa chute.

La 5ème image, c'est le marché de Tajrish au Nord de Téhéran.

La 20 ème photo avec les perruches se réfère à un divertissement très courant en Iran. Les oiseaux sont dressés pour choisir une carte (à gauche de la photo) sur la quelle est rédigée un poème (les Iraniens sont fous de poésie). Ce poème donne en outre une indication sur l'avenir du joueur. J'aime tellement ce jeu que je me dis souvent que lorsque j'en aurai marre de mon boulot dans la finance, j'irai m'installer sur les boulevards parisiens avec des perruches qui prédiront l'avenir. Je suis sûre que j'aurai beaucoup de succès.

Il faut enfin préciser que les Iraniens n'aiment pas beaucoup les animaux (les chats et les chiens errent dans les rues de façon pitoyable) sauf les oiseaux et les poissons japonais.

10 commentaires:

Michael a dit…

Encore merci de partager ces expériences, ces souvenirs, ces images. Pour ma part, c'est un vrai régal de découvrir ainsi un pays dont j'ignore pratiquement tout. Et ces oiseaux qui prédisent l'avenir par la poésie, une vraie perle !

Carmilla Le Golem a dit…

C'est moi qui vous remercie Michael !

On ne le dira jamais assez: il y a souvent un abîme entre la présentation médiatique d'un pays et sa réalité quotidienne.

Le cas de l'Iran est exemplaire. Je le répète: le pays n'a rien de monstrueux et on peut être sûrs qu'il ne vous y arrivera rien. On y sera au contraire accueillis avec la plus grande gentillesse. C'est de plus un pays de grande culture que je recommande vivement de visiter. Évidemment, il faudra renoncer à se bronzer sur une plage ou à sortir en boîte de nuit (même si ça n'est pas non plus complétement impossible).

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla.
Si de lassitude vous ne parvenez pas à vivre de la vente de vos oiseaux dans les rues de Paris, vous pourriez vous transformer en reporter international, car vous n'avez pas juste le coup d’œil, mais aussi le sens des choses. C'est ma manière de dire que j'ai bien aimé votre texte et vos photos.
J'aimerai revenir sur votre texte précédent, surtout la dernière photos, puisque vous avez évoquée dans vos commentaires, la crise de l'eau en Iran. À mon humble avis c'est sans doute une des vos meilleures photos. On dirait une toile impressionnisme. L'action à l'air de se tenir sur un barrage, deux personnages recouverts et sombres, de l'eau qui coule, peut-être que l'avenir de ce pays se jouera ainsi, entre le devenir des femmes, et l'eau qui va devenir si précieuse ? C'est ce que m'a inspiré cette photo qui n'est pas innocente, loin de-là.
D'après ce que vous en dites, la rareté de l'eau serait un problème qui n'ira pas en s'amenuisant. Comment les autorités iraniennes envisagent de régler ce problème d'approvisionnement eu eau ? Juste à Téhéran, 15 millions d'habitants ça consomme. J'ai remarqué que sur plusieurs de vos photos, il y a des bassins au milieu de ce qui ressemblent à des parcs ou des places publiques. Comment ils se débrouillent pour s'approvisionner en eau dans les grandes villes ? Est-ce qu'il y a des restrictions ? Est-ce que l'eau est rationnée ? Sans doute qu'il vous apparaîtra étrange qu'un Québécois s'intéresse au problème de l'eau en Iran, venant d'une province possédant pratiquement la même superficie et beaucoup plus pourvu en eau que l'Iran. Je m'intéresse à l'eau partout dans le monde. On est prêt à livrer bataille pour du pétrole, imaginez lorsque se sera pour de l'eau ! Je pense aux Américains qui regardent avec envie notre eau par-dessus la frontière. Dans d'autres région du monde c'est encore pire.
Pourriez-vous me dire pour la photo 4, qu'elle est cette sorte d'arbre qui bordent ce sentier. J'ai beau examiner les troncs, je ne pense pas que ça existe en Amérique du Nord. Ce parc à l'air d'un bel endroit, du moins il me plaît.
Dans votre texte précédant la première photo m'a vivement intéressée et je pense que nous la retrouvons dans votre texte suivant, photo 7. Où ces photos ont été prises ? Les Iraniens s'intéressent aux vitraux ? Ce qui m'a mis la puce à l'oreille, se sont les boiseries autour de ces vitraux. J'aime l'atmosphère de cette photo.
Ne partez pas, j'ai plein d'autres questions à vous poser.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Votre deuxième photo nous donne une merveilleuse perspective de l'environnement de Téhéran. Est-ce que cette neige au sommet des ces montagnes persiste pendant tout l'été ?
La photo 13 évoque pour moi l'Iran, c'est l'idée que je m'en fait, elle a été prise où ?
Les iraniens semblent posséder l'art de l'aménagement, des parcs, et surtout lorsque je vois ces arbres bien taillés, il me semble avoir le pousse vert. Est-ce qu'ils sont de bons jardiniers ?
Est-ce bien de la céramique que nous voyons sur plusieurs murs ? Si c'est le cas, c'est très impressionnant. Dans tous les cas, c'est rudement bien construit. Comment font-ils pour coller cette substance sur la maçonnerie ? J'aimerais bien connaître leur procédés de constructions. Les teintes de bleus sont vraiment hypnotisantes. C'est de la grande architecture !
La photo 26 est superbe. C'est bien un homme solitaire que nous pouvons voir à droite, et plus au fond à gauche une groupe de femmes ? Est-ce dans une mosquée ou un temple ? Je vois que ces gens se sont déchaussés avant de prendre place sur ces immenses tapis. Est-ce une marque de respect ? Cette photo m'obsède et j'en ignore la raison. En fait ce n'est pas juste une photo, c'est une atmosphère, un moment unique.
Bien sûr en tant qu'occidental je m'interroge sur toute ces femmes voilées, couvertes, presque effacées. Une des questions qui me vient à l'esprit comment font-elles lors des grandes chaleurs pour supporter tous ces vêtements, qui plus est, sont noirs ? Cela doit devenir étouffant à la longue ?
Quelques sortes de conditions météorologiques avez-vous rencontrez au cours de ce voyage ?
Est-ce que vous étiez toujours couverte ? Pas questions de porter vos tenues affriolantes habituelles.
J'ai une impression étrange, surtout lorsque je regarde des photos de femmes iraniennes de l'époque du Shah, toutes ces femmes en robe, bien coiffées, bien maquillées, nonobstant l'environnement, on se serait cru en Amérique ! Qui plus est, quoi qu'on en dise, la femme iranienne est jolie.
Que dire de ces sourires ? Je pense qu'il faut beaucoup de finesse et de caractère pour subir ce qu'elles subissent. Je sais, c'est une réflexion tout à fait personnelle, une réflexion d'occidental, nourrit à la sauce catholique romaine, que nous avons rudement contestée. Les religieuses qui enseignaient dans les couvents, ne se sont pas fait prier, après Vatican II pour laisser tomber le voile. Ça nous a fait toute une impression, lorsque nous les avons vu pour la première fois habillé en civil comme toutes les autres femmes.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Dans tous vos déplacements, j'espère que vous m'avez conservé quelques photos de la campagne, de l'arrière pays, que voulez-vous, on peut sortir un homme de la campagne, mais on ne sort jamais la campagne de homme, ce qui est mon cas.
Qu'est-ce que les iraniens cultivent ?
Est-ce que l'Iran connaît les mêmes problèmes que l'Irak en ce qui concerne leurs sols agricoles ? On connaît les problèmes de salinité des sols Irakiens.
Qu'est-ce qu'ils mangent ?
Est-ce que vous vous êtes rendue dans les régions arides ?
Est-ce que le niveau de vie est marqué entre les habitants des villes et ceux des campagnes ?
Est-ce qu'on peut encore rencontrer des animaux sauvage ?
Les Perces c'est une vieille civilisation, cela fait des millénaire que des hommes habitent cet endroit. Je crois que cette question est juste, elle se pose, elle touche la biodiversité tout comme l'eau. Ce sont des sujets qui me passionnent.
Bon ! La question a un million de dollars :
Est-ce que l'Iran possède la bombe atomique ?
Pour revenir à la nostalgie comme vous dites, quelle âge aviez-vous lorsque vous êtes arrivée en Iran ?
Est-ce qu'on vous avait préparé pour votre entrée à l'école française ? J'espère que ce fut plus facile que pour Abnousse Shalmani ? Je sais que les institutions françaises d'enseignements internationales à travers le monde sont de haut niveau.
Est-ce que vous parlez couramment la langue du pays ?
Veuillez excuser mon intarissable curiosité, mais ce n'est pas à tous les jours que j'ai l'opportunité de pouvoir m'informer sur un pays tel que l'Iran, qui pour nous les Québécois revêt tant de mystères. Il semblerait selon vos dires que nous accueillons beaucoup d'iraniens. Je sais que le Québec et le Canada pour tous ceux qui se cherchent un pays d'adoption c'est le paradis. J'ai souvenir d'un certain petit déjeuner à Paris dans un petit hôtel de la rive gauche à l'époque. Il y avait des français autour de la table, et quelques uns voulaient émigrer au Canada. Il aura fallu que je temporise leur enthousiasme, en leur révélant, que non, le Canada ce n'était pas le paradis. C'était juste un endroit sur terre. J’imagine ces iraniens, qui décident un jour de quitter leur sol natal, mais cela s'applique aussi à toutes les autres nationalités, quelques valises, beaucoup de souvenirs, pour nourrir quoi ? La nostalgie.
Merci de m'avoir lu, merci pour toutes vos photos et surtout vos réflexions.
En attente de votre prochain texte, toujours sur l'Iran.
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je précise d’abord que je n’envisage pas de vendre des perruches mais de prédire l’avenir, sur les boulevards parisiens, avec le concours de perruches.

Mes photos sur la campagne iranienne risquent de vous décevoir. L’Iran est, pour l’essentiel, un grand plateau montagneux désertique et la majorité des terres ne sont pas arables.

De grands champs de blé, vous ne pouvez en voir que dans les régions côtières (la Caspienne en particulier où la végétation est même luxuriante) et le Nord-Ouest mais je ne suis justement pas allée là-bas.

Sinon, c’est le désert de pierres et même de sel ponctué de vergers : dattes, grenades, figues, raisins, pastèques etc…Les fruits sont réellement délicieux. J’ai rapporté de l’Iran une addiction au jus de grenade. Heureusement, on commence à en trouver en France.

Ce que mangent les Iraniens ? La base de l’alimentation, c’est le riz agrémenté de différentes viandes ou légumes. Quand vous avez goûté une fois au riz à l’iranienne, vous devenez incapable d’en manger un autre. C’est mon cas. De même, le pain est délicieux.

Il y a effectivement, paraît-il, des animaux sauvages (ours, loups et même tigres sur la Caspienne) mais je n’en ai jamais rencontré. Le vrai danger provient des meutes de chiens sauvages. Comme en Turquie, ils sont impressionnants et il faut s’en méfier.

Le problème de l’eau est devenu une menace majeure pour le pays et pour le régime. L’accroissement de la population et une politique de multiplication des barrages expliquent le désastre. Mes photos sont trompeuses parce que juste avant mon départ, il y a eu une période exceptionnelle de pluies et même d’inondations. Mais, en temps normal, les rivières des grandes villes sont complètement à sec et les coupures d’eau deviennent fréquentes. C’est d’une tristesse infinie à Ispahan. Pourtant, l’ancienne Perse avait développé un fantastique système millénaire d’irrigation souterraine (les khanats) qui avait notamment permis d’entretenir les fameux jardins persans. Dans une vingtaine d’années, l’Iran devrait avoir plus de 100 millions d’habitants. Que se passera-t-il alors ?

Carmilla Le Golem a dit…

L’arme nucléaire ? Comme elle soupçonne les mollahs de tous les méfaits, la population iranienne semble penser que le pays a d’ores et déjà la bombe. Mais personne n’en sait rien. Ce qui est sûr, c’est que l’Iran est en capacité, technique et intellectuelle, de l’avoir. Quand on regarde la télévision iranienne, on peut alors se dire qu’Israël a du souci à se faire.

Les montagnes qui surplombent immédiatement Téhéran (le Tochal) culminent à 4 000 mètres. On peut y accéder facilement, depuis la ville, par un téléphérique. Elles sont toujours couvertes de neige mais c’est très réduit en juin, juillet, août, septembre. Sinon, un tout petit peu plus loin, à 60 kilomètres de Téhéran, il y a le Demavend qui fait plus de 5 600 mètres et est donc toujours couvert d’une calotte de neige. Il est, paraît-il, assez facile d’en faire l’ascension en été. Je ne suis malheureusement pas allée dans la montagne cette année. Ce sera peut-être pour l’an prochain.

Le climat en Iran est très sec et très chaud de la mi-mai à fin septembre. Je déconseille absolument un voyage durant cette période sauf si on supporte sans broncher 40° à l’ombre. Ca ne dispense pas les femmes de devoir porter un foulard, un manteau long, un pantalon et des chaussures plates. Il y a quand même un progrès parce qu’on peut maintenant être maquillée, avoir des vêtements de couleur et un foulard qui laisse apparaître un peu les cheveux. En privé, tout change et les Iraniennes ne se privent pas de porter des tenues affriolantes et sexy. Mon expérience iranienne m’a bien sûr, sur ce point, influencée. Pour les hommes, il n’y a que le short et la cravate qui soient interdits.

Les arbres que vous voyez sur la photo 4 sont des platanes qui ont été plantés en très grandes quantités dans Téhéran par l’ancien Shah, il y a plus de 60 ans. La plus grande avenue de Téhéran (la Vali-ye Asr autrefois Pahlavi) est ainsi magnifiquement ornementée sur plus de 15 kilomètres du Sud au Nord.

La photo 7 a été réalisée à Shiraz (tout à fait au Sud-Ouest de l’Iran) dans la mosquée Vakil.

La photo 13, c’est la ville de Yezd (au Sud-Est). L’une de me villes préférées en Iran, très austère et située en bordure du désert. On y voit notamment de nombreuses tours qui ont pour fonction d’absorber un peu de fraîcheur.

La photo 26, c’est la mosquée du vendredi à Ispahan. D’Ispahan, vous voyez également la Place Royale.

En Iran, on achète des tapis avant même des meubles. On porte grande attention à la beauté et la propreté du sol. Quand on rentre dans un appartement, à la différence des occidentaux, on regarde le plancher avant les murs. Je fais moi-même un peu comme ça. Cette attention au sol ne caractérise pas seulement la culture musulmane.

Je me débrouille bien sûr en persan. Je suis en effet arrivée toute jeune (7 ans) dans le pays, j’y ai séjourné assez longuement et y suis ensuite revenue à plusieurs reprises. Mais il n’y a pas de miracle : c’est en étant scolarisé dans une langue que vous l’apprenez. Mon niveau est donc demeuré celui d’une petite fille qui parle la langue de la rue. Mais ça permet quand même de ne pas être perdue.
Bien à vous

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Merci pour vos commentaires toujours intéressants et pertinents.

Ce système d'irrigation souterrain (Khanats) m'intéresse vivement.

Comment peut-on traduire Khanats en français ?

Est-ce qu'il y a des livres sur ce système d'irrigation ?

Auriez-vous une suggestion pour un livre en français sur l'histoire de l'Iran ?

Merci de me lire, et surtout merci pour les informations.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Richard,

Je me rends compte qu'il y a un problème de translittération. Mon Khanat s'écrit plutôt Qanat en français (même si la prononciation est à peu près la même).

En tapant Qanat sur Google, vous trouverez donc plein d'articles qui vous expliqueront beaucoup mieux que moi le système d'irrigation persan. Celui-ci, il faut le souligner, existe toujours et n'a pas été détruit comme en Mésopotamie.

Je vous recommande deux livres sur l'Iran:

- "L'Iran en 100 questions" de Mohammad-Reza DJALILI et Thierry KELLNER. C'est paru chez TEXTO. C'est excellent, ça parle très bien de l'Iran contemporain.

- "Le grand jeu - Officiers et espions en Asie Centrale" de Peter HOPKIRK. Un livre merveilleux qui ne parle pas seulement de l'Iran mais de toute l'Asie Centrale (où l'on parlait d'abord persan) et aussi de la lutte entre la Russie et l'Angleterre au 19 ème siècle. Un extraordinaire livre d'aventures avec des personnages d'une audace et d'un courage inouïs. Ce livre est maintenant en poche aux éditions NEVICATA.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla.

Moi aussi je me suis buté avec surprise sur le mot Khanats et j'ai trouvé Qanat en français.
Khanats. d'après mes maigres recherches, serait le nom d'une tribu Turco-Mongol. Ce qui m'a éloigné des systèmes d'irrigation, parce que j'ai pensé que Khanats, nommait et décrivait ce système. C'est vraiment étrange de penser dans une langue, en nous imaginant que notre pensée comme notre langue sont universelles et nous oublions qu'il y a des millions de personnes qui pensent dans d'autres langues. Nous pouvons au moins comprendre ce que cela implique comme difficulté de compréhension.
J'ai fait quelques recherches sur ce système, photos très intéressantes, mais je suis resté sur ma faim. J'imagine les hommes qui creusèrent ces tunnels à une époque où les techniques étaient primitives. Moi, je me dis qu'il y a peut-être des solutions dans ces manières de faire pour résoudre certains de nos problèmes actuels. Quoi que j'ai été un peu déçu de ce que j'ai lu sur le web à ce sujet.
Je ne manquerai pas de lire : Le Grand Jeu, ça m'intéresse vivement. Cela me rappelle : Les Sept Piliers de la sagesse de T.E Lauwrence.

Merci pour les suggestions

Richard St-Laurent