samedi 13 juin 2020

Jalousie

 

Ce qui empoisonne le plus ma vie, personnelle, intime, sociale, c'est la jalousie.

La jalousie dont on dit qu'elle est la passion la mieux partagée. Qui n'a connu la jalousie s'il a un jour aimé ? On n'aime pas si on n'est pas jaloux, dit-on.


Mais est-elle d'ailleurs une passion ou l'ombre sinistre qui s'attache à toute passion ?

Ce qui est sûr, c'est que c'est une passion triste. Le jaloux cherche à contrôler l'autre, à se sentir en complète communion avec lui, mais dès qu'il sent qu'il lui échappe, c'en est fini de la paix et du partage.


La jalousie, ça devient la guerre et la guerre, ça peut aller jusqu'au meurtre de l'autre : l'aimé (e), le (la) rival (e).

C'est ça qui me terrifie, m'épuise, dans la jalousie. Souvent, je rêve d'un monde dans le quel la jalousie serait absente. Je me souviens de mes dernières vacances l'an dernier en Ukraine. Je m'y suis sentie légère. D'abord vis-à-vis des hommes, parce que là-bas, je passe tout de même beaucoup plus inaperçue. Ensuite, socialement, économiquement, parce qu'on a du mal à me situer. On suppose qu'à l'Ouest, je m'en sors mais c'est tout.


En France, ça n'est pas pareil. Je sens que les types sont gênés par ma retenue, mon ambiguïté. Je ne suis pas du genre à me livrer. Et puis mon pluriculturalisme est un problème : c'est sans doute plus difficile de me décrypter (qu'est-ce qui relève de ma dinguerie propre et de mon origine nationale ?) ; alors on fait semblant de s'y intéresser ou alors, plus généralement, c'est occulté complétement. Quant à ma situation professionnelle, mes revenus, j'ai l'impression que c'est toujours jugé illégitime, c'est attribué à la chance dans le meilleur des cas, à l'imposture le plus souvent.


La grande force des jaloux, c'est en effet qu'ils parviennent souvent à instiller le doute en vous-même. Petit à petit, vous vous interrogez, vous commencez à leur donner raison et à vous sentir coupable. C'est vrai que je m'habille de manière trop voyante, presque aguicheuse. Et puis, mon petit air de supériorité, mon arrogance d'autant plus insupportable qu'elle est soigneusement dissimulée. Pas étonnant que je me prenne régulièrement un boomerang dans la figure. Je vis ça régulièrement avec mes amants, au boulot et même sur mon blog où je reçois régulièrement des messages anonymes d'insultes (que je me refuse à publier).


Je me dis ainsi parfois que j'ai tout pour susciter la jalousie : pas trop moche, pas trop bête, pas trop fauchée. Rien pour susciter la compassion, pour éveiller un sentiment protecteur à mon égard, pour trouver prétexte à me placer sous tutelle, en dépendance.


Mais pourquoi me plaindre ? On est généralement avenant, attentionné et souvent séducteur, avec moi. Mais j'ai aussi le sentiment d'une insincérité, d'une espèce de servilité qui recouvre, en réalité, une espèce de haine sourde, inexprimée, dissimulée. Je pense alors qu'il doit bien y avoir une raison objective, que j'en suis largement responsable. Peut-être que si je me faisais passer pour une fille un peu paumée, je susciterais davantage de sympathie.


C'est peut-être vrai, c'est probablement la conduite à adopter, mais c'est tout de même se plier à la tyrannie de l'autre qui, lui, ne se remet surtout pas en question, qui est persuadé d'avoir raison et qui refuse absolument votre volonté d'autonomie.  Ce qui semble en fait évident, c'est que la jalousie est sans fin, elle ne s'éteint jamais. On peut même dire que le jaloux préfère à tout, au calme, à l'amour confiant, la persécution mortelle qu'il inflige, à lui-même et à l'autre, l'aimé (e) soupçonné(e). Le jaloux aime la guerre et ne recherche surtout pas la concorde et la paix. Le jaloux étend le règne de l'Enfer et de la mort dans l'amour, c'est ce qui le fait vivre.


La revendication de vérité du jaloux n'est qu'un masque. Tout se joue pour lui dans le rêve et le fantasme, il revit la faille identitaire, l'incertitude sur soi-même éprouvée dans son passé avec cette question : quelle est ma place dans l'existence, ma place d'abord vis à vis de ma mère puis de mon père et ensuite vis à vis de mon entourage, de tous les autres ?


 La jalousie lui permet alors de rejouer les expériences de rejet qu'il a vécues, cette expérience essentielle de la mort de l'amour (tellement redoutée de la part de la mère)  et des désirs de meurtre qui ont accompagné cette crainte. Le jaloux revit l'arrachement subi à sa mère et tous les doutes et toute la rage qui l'ont accompagné. Être jaloux, c'est alors chercher à conjurer et à se venger du traumatisme subi. Et tant pis si le jaloux perd à tous les coups parce que la jalousie, c'est une véritable passion de la perte, c'est même une érotisation de la mort et de la perte à tel point que le meurtre est ce qui la guide obscurément.


"On tue ce que l'on aime" écrit Oscar Wilde. Et on le tue, pour ne plus avoir à risquer de le perdre, pour être débarrassé de l'angoisse de sa fuite incontrôlable.

 Le jaloux, c'est finalement "un pauvre type", quelqu'un dont l'estime de soi est défaillante, qui éprouve des difficultés à trouver sa juste place par rapport aux autres. C'est pour ça qu'il cherche à tout contrôler, à exiger des autres une transparence complète. Ça ne tirerait pas à conséquence, s'il ne voulait se venger, s'il n'était plein de rage et de haine. La violence totale et la vengeance seraient les seules voies de résolution de la jalousie.


C'est ça qui me terrifie, qui me conduit à fuir le plus possible les jaloux. Mais il ne suffit pas de fuir les amants jaloux pour trouver la paix. Le pire, c'est que la jalousie est sans doute la matrice de la haine sociale et il faut bien reconnaître qu'on est rentrés dans le temps des jaloux et qu'on vit dans des sociétés d'exacerbation de la jalousie. Innombrables sont les frustrés et "les mal dans leur peau" qui en veulent à la terre entière, qui souhaitent que le monde entier s'écroule et disparaisse avec eux. L'esprit de vengeance n'a pas fini d'exercer ses ravages avec un déchaînement possible et incontrôlé de la violence.

Dans l'évolution du sujet, la haine précède l'amour, estimait Freud.  C'est peut-être la clé de compréhension de notre monde.

Tableaux d'Edvard Munch (1863-1944) . Tout le monde connaît "Le cri" mais sait-on que Munch a consacré une série de 11 peintures à la jalousie ? Gérard Garouste (1948), Rafal Olbinski (1943), Robert Lenkiewicz, Jean-Pierre Gibrat, Emile Bernard (1868-1941).

Sur le thème de la jalousie, je conseille vivement un livre complexe mais profond : "Jalousie" de Claude Rabant (paru en 2015). On pourra également se reporter à Marcianne Blévis : "La jalouise, délices et tourments".

Au cinéma, il y a bien sûr "L'enfer" de Claude Chabrol (avec Emmanuelle Béart) mais il y a surtout "L'enfer" de Georges Clouzot (malheureusement inachevé mais aujourd'hui diffusé) avec Romy Schneider. Une véritable révolution esthétique ! Il y a enfin le film de Pier Palo Pasolini : "Médée"

4 commentaires:

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla

Vous tombez toujours sur des amants jaloux...vous qui êtes une femme hors normes, vous ne vous en apercevez pas tout de suite?...On voit tout dans les yeux, paraît-il, avant d'en voir plus...

Mais le pire dans la jalousie ce sont les femmes...
"Si vous voulez connaître la lie des sentiments humains, penchez-vous sur les sentiments que nourrissent les femmes envers les autres femmes : vous frissonnerez d'horreur devant tant d'hypocrisie, de jalousie, de méchanceté, de bassesse."(Amélie Nothomb)

Et... l'amitié entre homme et femme est très délicate, c'est encore une manière d'amour... la jalousie s'y déguise.

Prenez soin de vous le covid est toujours là, et il ne fait pas de jaloux...

Jeff  
  

Nuages a dit…

Je viens de commander le DVD du film de Clouzot, réalisateur que j'aime beaucoup ; je viens de voir "La vérité" (1960), avec Samy Frey et Brigitte Bardot, excellent.

Sur le thème de la jalousie, je conseille aussi le film "Jalouse" (2017), avec Karin Viard.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Je ne suis sûrement pas "hors normes" et j'exagère peut-être un peu du moins en ce qui concerne mes relations affectives. Mais je crois qu'on est quand même tous confrontés à la jalousie et que ça empoisonne beaucoup nos vies. Surtout aujourd'hui où la jalousie sociale est exacerbée. Personnellement, j'éprouve beaucoup ça dans les relations professionnelles mais je n'avais pas envie d'en parler et c'est très feutré.

La jalousie entre femmes, oui ! elle est très forte et c'est peut-être davantage sexualisé que chez les hommes. C'est une compétition pour être la plus belle et conquérir un mâle jugé dominant. La jalousie chez les hommes porte peut-être davantage sur la conquête des positions de pouvoir. Mais tout ça apparaît bien archaïque et contraire à nos belles idées démocratiques.

J'espère que vous avez, vous aussi, bien traversé l'épreuve Covid. Mais vous avez raison, il faut plus que jamais demeurer prudents. Je suis personnellement toujours méfiante et disciplinée.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Vous faites bien de rappeler le film "Jalouse" avec Karin Viard.

Je n'arrive pas à lire les bouquins de David Foenkinos, qui rencontrent pourtant un grand succès, mais j'avais vraiment été conquise par son film, très juste et très drôle.

Quant aux films de Clouot, ils ne sont jamais décevants. Curieux de penser que le bonhomme était un horrible tyran.

Bien à vous,

Carmilla