vendredi 3 juillet 2020

Morne cruauté

L"école jusqu'au baccalauréat..., je n'éprouve aucune nostalgie.

L'enfance, l'adolescence, bouh... Je ne me reconnais pas du tout dans la vision sucrée, idéalisée, aujourd'hui diffusée.

Dans les Paradis enfantins, je ne vois que tristesse, ennui, violence. Ma vie, j'ai vraiment l'impression qu'elle n'a commencé qu'après le baccalauréat, quand j'ai pu conquérir un peu d'indépendance et d'autonomie. Avant, pour moi, ça n'a été que sujétion, coercition et violence.


Ceux qui me connaissent peuvent me trouver effroyablement injuste. De quoi tu te plains ? Tu ne vivais pas dans la misère, tu avais des parents aimants, tu n'avais aucune difficulté scolaire.

Les lieux (Lviv, Téhéran, Paris), c'est vrai que c'est à eux que je demeure le plus attachée même si, en bonne insatisfaite, j'ai toujours pensé, et je continue de le faire, que c'est mieux, beaucoup mieux ailleurs. Mes souvenirs sont donc toujours mélangés, de tristesse, de grisaille, d'ennui. Ça a néanmoins eu une conséquence positive : pour échapper à cette effroyable monotonie, je suis devenue une grande lectrice. Il faudrait pouvoir ne jamais s'attarder quelque part.


Pour mes parents, j'ai souvent élaboré, en bonne névrosée, mon "roman familial", en m'inventant, dans des rêveries, une autre famille, en pensant que mes vrais parents n'étaient pas ceux auprès des quels je vivais mais des êtres d'une "classe supérieure" qui se révéleraient un jour.


L'école, j'ai tout de suite été terrorisée par la violence qui y régnait. Je ne parle pas seulement de la violence physique et des garçons qui se bagarraient sans arrêt. C'était surtout la violence morale qui s'attachait à juger sans cesse les autres, à les catégoriser, à les désigner soit comme leader, soit comme bouc-émissaire. A ce jeu, les filles n'étaient sans doute pas moins douées que les garçons. Et puis, il y avait ce climat perpétuel d'obscénité gluante et ricanante.


Rien à voir, au total avec cette mythologie d'enfants purs et sans tâche aujourd'hui entretenue, de pauvres petites créatures qu'il faut à tout prix protéger. On vit sous le régime d'une étrange "pédophilie institutionnelle".


C'est étrange. Il y a déjà beaucoup plus d'un siècle que Sigmund Freud a publié, en 1905, "Trois essais sur la théorie sexuelle". On a l'impression que ce qu'il y raconte n'a absolument pas été entendu. Depuis Freud, on porte certes davantage attention aux enfants mais à des enfants idéalisés, qui n'existent pas.


Freud évoque ainsi non seulement l'intérêt et les penchants sexuels des enfants mais il ajoute que la pulsion sexuelle a, chez eux, une "composante de cruauté", dans la relation la plus intime. L'enfant cruel, c'est la révélation freudienne. Un enfant peut-être pire qu'un animal parce que non seulement il détruit mais il inflige sa cruauté à soi même et aux autres.


Certes, être cruel, ce n'est pas être sadique. Sur l'échelle du Mal, c'est peut-être moins effrayant ou alors, c'est encore plus terrifiant. La grande différence, c'est que les gens cruels sont complétement indifférents à la souffrance de leur objet tandis que les sadiques tirent une jouissance de cette souffrance.


L'indifférence, l'absence d'empathie, c'est donc ce qui caractérise l'enfant cruel. Sa conduite n'est pas forcément pathologique, perverse, mais il est bien un véritable petit monstre froid que seules la culture, les barrières érigées parviendront à éduquer progressivement.


Cette vision freudienne très noire de l'enfance contraste totalement avec l'image pure et aseptisée aujourd'hui diffusée. Elle correspond néanmoins à ce que j'ai vécu, éprouvé, dans mon enfance-adolescence. Et d'ailleurs, ma propre cruauté, mon absolue indifférence aux autres, mon intérêt dévorant pour la sexualité, je les reconnais volontiers. J'y pense souvent presque avec effroi et culpabilité.


Pourtant, j'ai été largement épargnée. Victime, je ne l'ai quasiment jamais été. J'étais plutôt solitaire, absolument pas populaire, mais, du moins, on me fichait la paix. Sans doute parce qu'on avait du mal à m'identifier (les Russkofs, on s'en méfie) mais surtout à cause de mon attitude générale : ma façon précieuse (que j'ai conservée) de parler, mon habillement bon genre imposé par ma mère, ma distance et réserve générales.


L'enfance, l'adolescence, j'ai l'impression d'en être, un jour brusquement sortie non pas après la "honte" des règles ou après avoir perdu ma virginité, mais après cette révélation soudaine à la quelle accède toute jeune fille, vers 13-14 ans, même si elle n'est pas toujours immédiatement comprise. C'est celle du Pouvoir exercé sur les hommes. Ce pouvoir qui émane d'un corps que l'on ne connaît pas encore; un corps qui est la source du désir, le désir des hommes qui, tout à coup, nous fait exister plus fort.


Un Pouvoir qu'il n'est pas facile de maîtriser et qui, pour cette raison, peut devenir un piège. Le Pouvoir doit être exercé sinon il vous dévore et vous fait basculer dans la faiblesse et la sujétion. Il est en effet plus facile de se soumettre que de dominer, mais cela, c'est une autre histoire...

Images principalement de Roland Topor (1938-1997), Hans Bellmer (1902-1975), Paula Rego (1935), Henri Cartier Bresson (1908-2004).

2 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla !

Vous avez écrit :

« Il ne faudrait pourvoir ne jamais s'attarder quelque part. »

J'aime cette phrase, qui ressemble à un portique de la liberté. Elle est très inspirante !

Se soumettre ou dominer ?

Quoi encore ?

Il reste toujours la bonne vieille et incontournable révolte. C'est le chemin que j'ai emprunté au cours de ma vie.

La soumission, très peu pour moi ; et la domination c'est épuisant.

Il semble que je ne suis pas le seul à n'avoir pas compris Freud, d'après vos propos du jour. Voilà qui est rassurant.

Inutile de s'attarder, il y a toujours un autre univers à découvrir.

Merci Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je n'ai pas la prétention d'énoncer une quelconque vérité. Moi-même, je ne suis jamais sûre de ce que j'avance.

Ma seule intention, c'est de proposer d'autres perspectives, éventuellement déconcertantes je le comprends.

Freud a en effet une vision très noire de l'humanité, hantée par le crime et la violence. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas une opinion très haute de l'homme qui fait le choix du Mal dès son plus jeune âge. Sur ce point, sa pensée a généralement été souvent édulcorée et on fait silence sur son pessimisme fondamental. La psychanalyse n'est pas du tout, en fait, une thérapie du bonheur.

Dernier point : soumission-domination. Il m'apparaît que les rapports de pouvoir imprègnent les relations sentimentales et affectives. Dans un duo, un couple, il y a toujours un dominant et un dominé. Si on refuse ce jeu cruel, si on s'en abstrait en choisissant la liberté, on court également le risque de l'absence de relation affective (amitié, amour) et finalement de la solitude.

Mais cela est peut-être préférable à une situation où l'on est dominé par quelqu'un.

Bien à vous,

Carmilla