samedi 3 octobre 2020

Le corps marqué

 

Enfin ! Cet été épouvantable avec ses chaleurs affolantes vient de s'achever. 

Pour moi, le passage à l'automne se marque très concrètement: je porte à nouveau des collants. Ça me fait plaisir car j'aime bien les collants C'est surtout pour leur esthétique, ceux qui sont agrémentés de jolis motifs qui "accrochent" les regards sur vos jambes. Mais il faut reconnaître que c'est de moins en moins prisé, la plupart des femmes se contentant d'un modèle "pratique" et de bas de gamme, d'une teinte unie.

 

Le collant continue quand même de  charrier un certain potentiel érotique même si la plupart des hommes, mais aussi certaines femmes, fantasment plutôt sur les bas et les porte-jarretelles. C'est vrai que le porte-jarretelles, c'est davantage un marqueur de cette fameuse différence sexuelle que l'on s'emploie aujourd'hui à effacer.  C'est sûr que ça engage davantage un rapport à "l'autre". Un collant, surtout s'il enveloppe une affreuse culotte, ça n'est pas très dépaysant. Ce qui est intéressant, c'est la réprobation ricanante des bien-pensants à l'encontre du porte-jarretelles. Il faut être tordu, voire pervers, pour apprécier ça laisse-t-on entendre.

Depuis le début du siècle, une tendance de fond se dessine : celle d'une désérotisation du corps et de ses marques. Simple anecdote : quand je vais à la piscine, les femmes ne portent presque plus que des maillots une pièce. Le bikini devient osé et les seins nus carrément proscrits. C'est d'ailleurs pareil pour les hommes : un slip tarzan, ça fait carrément libidineux. Et que dire des shorts des joueurs de football ou de tennis. On est devenus très pudiques. Quant à l'actuelle polémique sur l'habillement républicain et le crop top, elle est carrément hilarante. Souvenons-nous que la mode est née à la fin du 18 ème siècle, avec les Incroyables et les Merveilleuses, en réaction à la Terreur.
 

Il paraît ainsi qu'en 1999, les Galeries Lafayette avaient exhibé dans des vitrines de charme des mannequins vivants "en petite tenues" affriolantes de la dernière collection lingerie Chantal Thomass. Ça avait fait scandale et provoqué une manifestation féministe au point que les Galeries Lafayette avaient du reculer. Ça n'est pas si vieux que ça et ça serait probablement encore pire aujourd'hui. Finalement, Paris est moins éloigné de Téhéran  qu'on ne le pense.

Il paraît aussi qu'en 2003, la ministre Ségolène Royal, jamais avare de moraline, avait condamné le port du string à l'école. Comme si on ne pouvait pas laisser aux femmes la liberté de s'habiller comme elles l'entendent (sans le consentement de leurs pères et de leur frères), et comme si on ne pouvait pas reconnaître que le port du string était, pour une jeune fille, un véritable "rite de passage à l'âge adulte" (Jean-Paul Kaufman), un premier accès à la sexualité.

La réprobation, elle porte aujourd'hui sur une foule de détails d'apparence. Ça concerne, par exemple, l'épilation dite "intégrale" qui établit presque une frontière entre générations. C'est sûr que Gustave Courbet ne peindrait pas aujourd'hui, de la même manière, "L'origine du monde". C'est sûr que beaucoup d'hommes ont la nostalgie de sexes féminins sombres et velus, comme d'effrayantes araignées. "J'ai l'impression de devenir pédophile ou bien d'avoir affaire à une prostituée", m'ont dit certains amants. Pauvre patate, je réponds, c'est exactement ce que je recherche. Va retrouver ta mère adorée ! Apprends ça, le sexe, ça ne se confond pas avec le naturel. Le sexe a besoin d'un étayage, d'un truc, d'un artifice propre à chacun qui le met en marche.

La séduction,  le trouble, c'est ce qu'on cherche à tout prix à extirper. On se félicite ainsi que, de plus en plus, les tenues vestimentaires des écoliers, garçons et filles, soient à peu près interchangeables. Et en effet, toutes les adolescentes se contentent, aujourd'hui, de porter, comme les garçons, un jean, des baskets et un tee-shirt. On pourra dire que c'est moderne, non discriminant, que c'est dans l'esprit de la "fluidité" des genres. On pourra aussi considérer que c'est le prélude à une nouvelle époque d'écrasement et de répression du désir. Des temps modernes mornes et atones.

L'horizon des temps futurs, c'est la banalisation, l'aplatissement de la vie. Et on se soumet bien volontiers à cette vaste entreprise. J'en veux notamment pour preuve la quasi-généralisation du "tatouage" dans nos sociétés. Il paraît que près de 20% des Français majeurs seraient aujourd'hui tatoués et que la proportion serait même de 30% chez les moins de 30 ans. Autrefois marginale, anecdotique, signe d'appartenance à un groupe (mafia, secte), la pratique du tatouage est maintenant en voie de généralisation dans toutes les couches sociales. Mais l'ampleur du phénomène fait qu'il ne s'agit plus de revendiquer sa singularité mais au contraire d'emprunter les chemins du conformisme. 

Le plus inquiétant, c'est que le tatouage est aujourd'hui tellement banalisé qu'il est devenu presque interdit, au nom de la tolérance et du vivre ensemble, de s'interroger ou d'émettre des réserves à son sujet.

J'avoue que le tatouage me révulse. Je passe sur la laideur esthétique de la chose, l'agression visuelle qu'elle constitue. Le tatouage, ça n'a vraiment rien de fun, ça évoque trop, pour moi, les prisonniers des camps ou le bétail ou les animaux domestiques que l'on marque. Est-il vraiment possible d'éviter ce sinistre rapprochement quand on se fait tatouer ?

Le tatouage, ça en dit long sur l'évolution de l'espèce humaine. On était censés avoir un corps unique, incomparable. On était censés pouvoir entamer un dialogue singulier avec Dieu dont notre corps et notre âme étaient les garants. On avait un corps glorieux, singulier et sans limites.

Avec le tatouage, l'espèce vient de se réveiller. On a maintenant soif de grégarité : tous tatoués, tous pareils ! Le respect, on n'a plus que ce mot là à la bouche aujourd'hui. Mais du respect pour notre corps, on n'en a justement plus beaucoup. On cherche à s'en débarrasser, on l'efface, on le désérotise, on le marque à même la chair, on le puce, on l'incinère. Le grand projet de conquête de l'immortalité parachève la tendance : il s'agira de télécharger les données de notre cerveau mais le corps on s'en passera.

Images du grand photographe américain Horst P. HORST (1906-1999). Deux photographies, également, de Sophie Pawlak.

Un post qui provoquera peut-être des froncements de sourcils interrogateurs mais il faut aussi savoir laisser l'inconscient s'exprimer.

Quant à mon départ en congés, c'est maintenant conditionné par la météo.

8 commentaires:

KOGAN a dit…

Bonsoir Carmilla
"Le corps marqué" , le mot est bien faible , quand on voit l'échantillon hommes femmes tatoués , un professeur des écoles "intégralement tagué" compris , j'avoue que je suis en phase avec vous quant à la laideur qui s'en dégage, mais surtout les personnes qui se sont lancés dans cette tendance à "corps perdu" et à force de l'abîmer, sont censées marquer leur  personnalité et se pensent fièrement "rebels de la société" en dépensant un fric fou de surcroît dans cette affaire.
Sans compter la négligence de l'habillement homme/femme de "l'air du temps ", on peut constater également  un degré de propreté corporelle défaillant et qui progresse.
Alors quel plaisir de voir de temps en temps de charmantes femmes élégantes et d'imaginer leurs dessous affriolants Chantal Thomas etc... plus prompts à émoustiller tous les sens que les culottes TENA silhouette anti-fuites.
La capacité de certains à se penser uniques sont finalement exactement comme les autres, et bien adaptés au moule. 
Bien à vous
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Ce qui est étonnant, c'est qu'au vu de la tendance actuelle et de son extension à toutes les classes sociales et catégories d'âges, les gens tatoués seront bientôt majoritaires.

Ce qui est étonnant-inquiétant aussi, c'est qu'il est presque interdit de formuler des interrogations sur cette question qui n'est tout de même pas anodine, sur ce trouble plaisir à être marqué, estampillé comme un animal de boucherie. On n'a même pas le droit de protester parce qu'on nous inflige cette laideur, on passe immédiatement pour ringard, réactionnaire.

Sinon, je suis bien d'accord avec vous, Chantal Thomass a fait bien plus pour la condition féminine que les militantes enragées. Procurer la maîtrise de la séduction, combattre le puritanisme, c'est très important mais c'est un combat complétement effacé, voire dénoncé. Ce serait se plier au jeu des hommes, ce que je ne crois pas. Et puis j'en suis convaincue, le désir s'appuie toujours sur des artifices, il n'a rien de naturel. Il vaut donc mieux qu'il trouve des objets étincelants.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

Au début de cette vogue du tatouage, j'ai cru qu'il s'agissait surtout de "tatouages provisoires" (des décalcomanies quoi, on en trouve plein à acheter sur le net) ; mais non, c'est une vogue de vrai tatouage, ineffaçable ou presque, souvent laid, envahissant.

Pour le moment, il me semble que ce sont plutôt les jeunes (20-30 ans), souvent de milieu populaire, qui se font tatouer, et plus les filles. Mais, à cet égard, je doute que les jeunes filles de culture musulmane soient nombreuses à adopter cette pratique.

Parmi les quinquagénaires, les sexagénaires, ça me semble nettement moins répandu, mis à part évidemment certains milieux (style camionneurs, maçons, agents de sécurité...).

KOGAN a dit…

Merci Carmilla

Pour les objets étincelants (belle chute) chez l'homme c'est quand même plus retreint , et vous avez dans ce domaine plus d'atouts.

Pour confirmer le phénomène un article que Sigmund Freud aurait pu écrire.

Bien à vous.

http://patrickfrasellepsychanalyse.over-blog.com/2014/02/psychanalyse-du-tatouage-et-du-piercing-par-patrick-fraselle.html

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Le tatouage, s'il n'était qu'un décalcomanie, ne poserait pas de problème. Moi-même, je pourrais essayer pour le fun. Mais il est irréversible et ça en change toute la signification. Il s'agit alors d'une atteinte à l'intégrité du corps.

D'après les études dont nous disposons, 20 % des adultes français seraient tatoués (et 30 % chez les moins de 30 ans). Le phénomène est donc d'ampleur massive et, surtout, il se développe. On peut donc s'interroger sur cette nouvelle image de notre corps.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff pour cette référence. Je vais bien sûr la lire avec attention.

Vous êtes-vous mis à l'étude de la psychanalyse freudienne ?

Je vous conseille à cet égard un roman policier ahurissant de la suédoise Camilla Grebbe qui vient de paraître en poche : "L'ombre de la baleine". Je vous avais conduit, je crois, à lire "Un cri sous la glace" mais je ne suis pas sûre que vous avez apprécié. "L'ombre de la baleine" est, en tous cas, encore plus fort.

Bien à vous,

Carmilla

KOGAN a dit…

Merci à vous,
Freud a tout dit et vous en connaissez davantage que moi sur l'homme, il disait qu'il y a trois métiers impossibles : enseigner, psychanalyser et gouverner. Le métier d'enseignant peut d'une certaine manière regrouper les trois : il faut savoir enseigner, mais aussi diriger sa classe et guider ses élèves, donc gouverner, sans oublier de "les comprendre", d'être un peu psychologue "par moment"...Mais dans l'état actuel des choses c'est une véritable sinécure que d'enseigner aux jeunes diablotins de notre époque...beaucoup de prof lâchent les cordes...en représailles des parents.
Quand je fréquentais l'école communale, les dérives étaient vite remises d'équerre par une bonne paire de taloches avec doublement de la mise en rentrant le soir à la maison.
Nous vivons une époque formidable.

Merci pour le livre
Bien à vous
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Je me souviens de propos que j'avais jugés étonnants de Daniel Cohn-Bendit. Il a bien connu les deux systèmes d'enseignement, le français et l'allemand. Il disait que, contrairement à ce que l'on imaginait, la discipline dans les écoles françaises était très dure, presque cruelle. En comparaison, les écoles allemandes, c'était ultra-cool et libéral.

C'était il y a 50 ans mais les choses ont bien changé depuis. L'enseignement supérieur en France demeure de très bon niveau mais on peut effectivement s'interroger sur les écoles primaires et les collèges. La sacralisation des jeunes a abouti à un renversement des rapports de pouvoir.

Bien à vous,

Carmilla