samedi 29 juillet 2023

Mes nuits magnétiques

 

Parmi toutes les choses qui me rendent difficile à vivre, il y a, sans doute, mes horaires, mon mode de vie un peu aberrant. C'est mon côté vampirique le plus prononcé.

Je suis ainsi souvent à pied d'œuvre dès 3H 30, 4 heures au plus tard, et je m'active aussitôt énergiquement. Je pense que ça a été un motif de rupture rapide avec de nombreux amants. Ca signe, en effet, une immédiate incompatibilité d'humeur.


Pour moi, c'est, pourtant, un moment de grand plaisir. Se lever tôt, ça donne d'abord un sentiment de puissance, celui ne pas être comme tout le monde. Et puis, on a l'impression d'avoir toujours un coup d'avance sur les autres, d'être celle qui est la première au courant. 


Et surtout, c'est, pour moi, un grand sentiment de liberté. Personne pour m'embêter, me rappeler à mes obligations. Personne pour m'écrire, me téléphoner. Je me risque même à sortir, en chemise de nuit, dans la rue. Pour déposer mes poubelles en particulier mais pas que... Sans doute aussi, pour impressionner les très rares passants croisés.

J'aime en effet beaucoup cette légende de la Dame Blanche. Il est vrai qu'on ne croit plus guère, aujourd'hui, aux revenants et à un monde enchanté mais il existe, quand même, une version moderne de cette histoire. C'est celle de l'auto-stoppeuse fantôme. Il s'agit d'une femme vêtue de blanc qui surgit sur une route lugubre, au cœur de la nuit, en faisant du stop. Une femme étrange qui monte sans crainte puis disparaît sans laisser de trace, soit au cours du voyage soit après avoir été déposée en un lieu que l'on peut qualifier de nulle part.


 Je trouve que cette histoire a une charge émotionnelle et érotique très forte. Qui en effet, homme ou femme, ne s'arrêterait pas, en pleine nuit, pour faire monter dans sa voiture une femme en blanc ? On aurait trop l'impression de manquer complétement à tous les devoirs d'assistance. 


Sauf que c'est, bien sûr, un piège. Faire monter "la Dame Blanche" dans son véhicule, ça revient à installer la Mort à ses côtés. C'est un thème récurrent de la littérature du 19ème siècle, une époque où on était hantés par les revenants, où on cherchait à communiquer avec les morts. Et jusqu'à aujourd'hui, il y a quelques histoires de Dame Blanche qui courent encore. Au nom d'un rationalisme d'épicier, on a bien sûr largement évacué ces superstitions et on a beau jeu de jouer les esprits forts. 


Il n'empêche! La légende de la Dame Blanche illustre bien, à mes yeux, cette vérité profonde énoncée par le regretté Philippe Sollers  : "Le monde appartient aux femmes, c'est-à-dire à la Mort. Là-dessus, tout le monde ment". Et en effet, on le sait bien: la grande affaire des femmes, c'est l'enfant, la perpétuation de soi-même et de l'espèce. 


Mais ce que l'on occulte, c'est que donner la vie, c'est, en même temps, donner la mort: l'une et l'autre sont indissociables. Etre enceinte, c'est aussi être porteuse de Mort. Ca n'est pas seulement une période de félicité, c'est aussi une angoisse terrible qu'on n'évoque jamais. Et la dépression post-partum vient souvent clore celle-ci comme l'expression d'un remords. Parce que les femmes savent bien que la vie, c'est épouvantable. Mais elles ont, malgré tout, fait le choix de livrer un petit humain à cette horreur.


La femme figure porteuse et annonciatrice de la Mort. Voilà pourquoi il me plairait beaucoup d'incarner une Dame Blanche mais je crains que ce ne soit vraiment trop dangereux aujourd'hui. Le risque, c'est, au minimum, d'être internée dans un établissement psychiatrique. Je ne me balade donc pas trop longtemps en chemise de nuit.


Qu'est-ce que je fabrique donc alors ? Généralement, j'allume la radio. Etrangement, les programmes musicaux et les émissions nocturnes sont complétement différents. Plus de "musiquette" sirupeuse et déculturée, moins de misérabilisme et de larmoiements. Un peu de rêve, un peu de réflexion.


Souvent alors, je lis et j'écris (mon blog notamment mais pas seulement). Ca va plus vite en pleine nuit . Pas seulement parce qu'on est plus vifs mais surtout parce qu'on a moins de filtres et d'inhibitions. On se censure moins. 


Il m'arrive souvent aussi de m'habiller et de sortir dans la ville. Evidemment pas en tenue chic parce que le risque, à ces heures là, c'est de passer pour une prostituée ou une aventurière, avec une foule d'inconvénients et d'ennuis potentiels. 


C'est, il est vrai, un énorme problème en France: on n'évoque presque jamais ça mais, par peur, beaucoup de Françaises renoncent à sortir la nuit. C'est sans doute, en partie, irraisonné. Il n'empêche: la liberté de circulation des femmes, en raison des potentielles agressions qu'elles peuvent subir, varie beaucoup selon les pays et la France ne figure sûrement pas parmi les pays les plus sûrs et les plus "modernes". Il y a un énorme travail d'éducation à y faire. On vous fiche davantage la paix dans les pays d'Europe Centrale et du Nord. Il faudrait y réfléchir, l'orgueil séducteur du pays dût il y prendre un coup.


Pour sortir seule la nuit, la première solution, c'est donc de revêtir une tenue de jogging et de courir ou trottiner dans les rues. C'est radical parce qu'une sportive, il n'y a vraiment rien de tel pour faire fuir les dragueurs ou les mâles en quête d'affirmation. A croire qu'il s'agirait de deux espèces incompatibles, répulsives l'une pour l'autre.


Paris, c'est quand même un peu décevant parce qu'entre 3 et 5 heures, c'est vraiment le black-out, le couvre-feu complets. Ca n'est pas New-York, ça n'est pas Tokyo, presque rien n'est animé, n'est ouvert. En plus, les Parisiens sont vraiment des lève-tard avec des journées de travail qui démarrent, au plus tôt, à 9 heures. Cette ville devenue bonnet-de-nuit, on m'a raconté que c'était relativement récent. Le changement d'ambiance remonterait au début des années 80.


Il reste qu'une ville la nuit, c'est vraiment autre chose. Ne connaître une ville qu'au grand jour, c'est n'en connaître qu'une moitié. La nuit, on croise d'autres gens, on arpente d'autres lieux.  Les rares endroits éclairés sont pleins de mystère et chargés d'émotion. On a l'impression que l'ambiance paisible initialement éprouvée est susceptible de se déchirer brutalement, de libérer, tout à coup, une violence incontrôlée. 


Mais soi-même, on devient plus audacieux (se). On peut se laisser aborder par de parfaits inconnus pas très engageants et, qui sait, développer quelque chose avec eux avant que le jour ne se lève.


Etre chauffeur de taxi de nuit, je crois que ça m'aurait passionnée, nonobstant les risques encourus. A titre de compensation, je sors parfois en bagnole et j'en plonge les phares dans les recoins obscurs. En émergent parfois des silhouettes fantômes, à peine entrevues, presque hallucinées, mais d'autant plus prégnantes. C'est bizarre, je conserve très bien et très longtemps la mémoire de toutes ces apparitions furtives. Comme si la nuit leur communiquait un pouvoir de sidération.


La nuit, c'est une période de suspension des contraintes et conventions. La pression des interdits sociaux est alors moins forte. On a droit à davantage de folie et d'exubérance.


Mais cette liberté retrouvée s'estompe peu à peu. Au fur et à mesure que s'efface la nuit, j'ai l'impression de devenir de plus en plus conventionnelle. Dès 8 heures du matin, c'est fini, je retrouve ma peau de "travailleuse" au sein d'une entreprise.


Tableaux (outre des photos internet de Dames Blanches) de Moritz Von SCHWIND, Steven McKAY, Pamella WELLINGTON, William WORRALL, Ivan KRAMSKOY, Egon SCHIELE

Il semble que la légende de la Dame Blanche ait surtout été vivace en Normandie et particulièrement dans le département de la Manche. Je n'ai, bien sûr, pas d'éléments à ce sujet mais Barbey d'Aurevilly l'évoque notamment dans "Une vieille maîtresse" et dans "L'ensorcelée".

Il n'est pas absolument nécessaire de se lever aux aurores pour suivre les programmes musicaux de la radio. On retrouve notamment sur Internet la playlist Sound System de France-Inter de Jean-Baptiste Audibert (diffusée entre 3 et 4 heures du matin); on y découvre plein de choses pas forcément bonnes mais du moins différentes. Et de 4 heures à 5 heures, j'aime beaucoup, en ce moment, l'émission "Grand bien vous fasse" d'Eva Roque avec des thèmes, à chaque fois, originaux: ce qu'il y a d'animal en nous, une chambre à soi, manuel/intellectuel, comment voyager seul(e). Tout cela se retrouve facilement en podcast, ça fait du bien tellement ça change des pleurnicheries habituelles.

Mes conseils de lecture :

- Philippe SOLLERS: "Femmes". A lire absolument. 40 ans après, ça demeure d'une brûlante actualité et c'est l'un des grands bouquins de la littérature française contemporaine.

- Jacques BESSE: "La Grande Pâque". Un grand livre récemment réédité. Une déambulation hallucinée dans le Paris du début des années 60. Narrée par un sans domicile fixe tenaillé par la faim. Une écriture portée par la gloire et la misère. Un parcours "nomade" qui, en son temps, avait été célébré par Gilles Deleuze dans "L'Anti-Œdipe".

- Victoria THERAME: "La dame au bidule". Une femme chauffeur de taxi dans les années 70. Je n'ai pu que feuilleter ce bouquin vraiment unique en son genre. J'en ai aimé le ton. On a bien oublié Victoria Thérame mais elle a, paraît-il, été une figure du féminisme des années 70. Je crois qu'elle est décriée aujourd'hui mais je pense vraiment qu'on devrait la rééditer.

- Rétif de la BRETONNE: "Les nuits de Paris". Une multitude de rencontres extraordinaires du côté des Tuileries, du Palais-Royal ou de l'Opéra par un des grands écrivains libertins du 18 ème siècle. Un monde surréaliste avant l'heure (un homme aux lapins, une fille ensevelie vivante, un pendu décroché, deux abbés qui se battent en duel, un garçon-fille). Une complète liberté de pensée et de mœurs. Un bouquin absolument "moderne", écrit juste avant la Révolution française, qui donne une idée de cet incroyable 18ème siècle.

17 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Dans la foulé de votre commentaire bien senti sur Jankélévitch, J’ai retenu ce bout de texte :

« Ainsi le péché est la contribution cynique, gratuite, volontaire que l’homme apporte au mal métempérique d’absurdité. Quelle dérision! Le vicieux animal se lamente pour tout ce désordre supplémentaire dont il est l’auteur; les peuples belliqueux dévastent ce que les cataclysmes naturels ont épargné, et ils font ensuite des prières pour la paix comme si la méchanceté sanguinaire et la perversité des hommes dépendaient du bon Dieu. »

Vladimir Jankélévitch
Traité des vertus
Page 1,100

Dans ce volumineux ouvrage Jankélévitch fait allusion au fascisme que quatre ou cinq fois, et ce n’est jamais long, une phrase ou deux et c’est tout, mais ça claque comme un coup de fouet.

Je me cacherai pas que j’aime ce réalisme, qui ne nous cache rien, qui nous place face à nos absurdités, dont nous sommes les auteurs. Il y a beaucoup plus de facteurs qui dépendent de l’homme que d’un être suprême hypothétique.

Tout au long de cette lecture qui s’est étirée sur plusieurs jours, j’ai copié de nombreuses notes, sans compter mon temps, j’ai relu certains chapitres pour bien m’imprégner de l’atmosphère, sans oublier mes propres réflexions dans mon journal.

Pour ceux que ça intéresse, je recommande cette biographie de Françoise Schwab sur Jankélévitch qui est une spécialiste de ce philosophe. Cette lecture comme entrée en matière, demeure un excellent débroussaillage.

J’y reviendrai…

Richard St-Laurent

Richard a dit…

La dame en blanc dans la nuit noire.

J’ignore si mes nuits sont magnétiques, ce que je sais depuis longtemps, tout comme vous, c’est que cette période de la journée procure à ceux qui l’a vive intensément, une ferveur jusqu’à la démesure. Ce que je préfère tout particulièrement, c’est ce moment ou la nuit souveraine se prépare à se retirer. Ce que je nomme le moment de la bascule. Tu te réveille dans la nuit noire, tu sors du sommeil comme si tu avais échappé à un état inexplicable, dans la grande nuit noir qui recouvre tout comme un apothéose. La nuit noire enveloppe tout comme si c’était l’éternité.

Soudain, dans un grand silence, la noirceur s’étiole, une certaine teinte de gris s’installe comme un soupçon de poivre dans la soupe. La dame en blanc recule sans protestation. Elle se prépare à quitter la scène, sans applaudissement, sans reconnaissance, encore une fois, elle sait qu’elle a bien joué son rôle, et qu’elle reviendra encore ce soir.

J’aime particulièrement ce moment de bascule comme je me retrouve dans les grands bouleversements émouvants. Je sens l’inspiration monter en moi. C’est très fort, puissant, irrésistible. Alors, j’écris, ou bien je récite, jusqu’à oublier de préparer mon café. Je ne manque rien, surtout pas une seconde. Je surveille. Mon œil s’adapte à la lumière. Une avalanche d’idées, de pensées diverses me submergent. Je me sens merveilleusement bien. Les souvenirs cognent à ma porte. Les flots déferlent. La vie palpite. C’est le moment de tous les moments. Les débuts aussi intensifs ne durent jamais longtemps comme les orgasmes qui nous échappent.

La lumière s’intensifie. Ici, je voudrais arrêter le temps, mais on n’arrête ni la plénitude, ni la beauté. Je sens que quelque chose d’inexplicable m’échappe. Impossible de revenir en arrière. La grande dame en blanc disparaît. Bonjour monsieur le jour! Reste quelques taches de cette noirceur qui fausse encore les couleurs. J’empoigne mes jumelles. J’ajuste la vision. C’est le temps où les chevreuils viennent boire, mais je n’en voit pas à tout le jour. Je pense que je voudrais avoir la même énergie pendant toute la journée. Mais c’est impossible, le sablier ne cesse pas de couler.

Oublier la belle dame en blanc. Je peux l’imaginer, mais je ne l’ai jamais rencontré, ni sur les rives de cette rivière, ni sur le plateau, encore moins dans le ciel nordique. J’ignore si on peut la rencontrer dans les rues de Paris ou de Montréal, mais je ne fréquente jamais les villes à l’aube. Je suis un être du jour, un être lointain éloigné, qui a besoin de cette noirceur pour un profond sommeil, sans oublier ces possibilités immenses des rêves qui font partie de l’inspiration. Et, l’aube c’est le meilleur moment pour ramasser les brindilles des rêves nocturnes.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Néanmoins, dans tous les pays démocratiques, la relation à l'Histoire a pu être constamment réévaluée, revisitée. Presque partout, même si ça prend du temps, les peuples repensent leur passé. Même les pays les plus nationalistes relativisent, petit à petit, leur point de vue. C'est ainsi que l'Allemagne, le Japon, l'Italie, l'Espagne etc... sont maintenant des démocraties. En France même, on ne cesse d'évoquer le passé colonial et, 60 ans après, la guerre d'Algérie.

Mais en Russie, absolument rien de tout cela. On n'imagine pas à quel point l'enseignement de l'histoire y est mensonger. Rien que la glorieuse Russie. Les crimes, les atrocités, les défaites, ça n'a jamais existé. Le goulag, le pacte avec l'Allemagne nazie, l'effondrement de l'URSS, ce sont des mensonges ou des machinations des Occidentaux.

Je suis même sûre que si l'armée ukrainienne est victorieuse, les Russes sauront présenter leur défaite en victoire.

Il n'y a eu qu'une période de relative pensée critique: celle des années 90. Mais cette décennie est aujourd'hui violemment critiquée et rejetée.

En ce qui concerne la Dame Blanche, j'ai découvert que cette "croyance" était, en fait, largement répandue dans tous les pays d'Europe. Coïncidence: dans le journal "Le Monde" de ce jour, une page entière consacrée à une Dame Blanche qui hanterait le château de Belcastel dans l'Aveyron. Un château splendide mis aujourd'hui en vente pour 2,4 millions euros.

A Paris, ce que je trouve désagréable, c'est qu'en raison d'une heure d'été inadaptée, le jour se lève tardivement: 6h 21 aujourd'hui. Au plus tôt, fin juin, c'est aux environs de 5 heures. Je trouve que ça ne va pas du tout. Il faudrait une bonne heure plus tôt. Mais j'ai l'impression que c'est une question qui ne préoccupe à peu près que moi.

Bien vous,

Carmilla

Nuages a dit…

L'heure d'hiver toute l'année, je signe tout de suite, pour éviter surtout les interminables soirées d'été où la nuit ne vient pas avant 22 h 30, voire plus tard. Mais en revanche, la lumière matinale, ça ne m'intéresserait pas du tout. Je ne me lève pas aux aurores, sans pour autant faire la grasse matinée. Ce que j'aime surtout, c'est être éveillé tard le soir, et savourer la nuit, l'obscurité (relative en ville, bien sûr). Etre privé d'une belle et longue obscurité nocturne, en été, c'est très désagréable pour moi.

Pour le moment, et depuis plusieurs jours, nous avons à Bruxelles un temps doux, presque frais, avec souvent des nuages et de la pluie. C'est un vrai soulagement après un mois de juin surchauffé, même si on n'a pas atteint les températures insoutenables du sud de l'Europe.

Pour échapper à la chaleur et à la lumière excessives, j'ai une solution bien agréable : aller au cinéma. Depuis quelque temps, à Bruxelles, il y a la carte Cinéville : pour 21 € par mois, on peut aller à volonté au cinéma, en tout cas dans toutes les bonnes salles (je ne vais presque pas dans les multiplexes commerciaux à popcorn). J'ai bien été 12 fois au cinéma ce mois-ci, et j'ai vu ou revu plusieurs films de Werner Herzog. J'ai fait aussi des découvertes, comme le film norvégien "Sick of myself" ou celui de Robin Campillo, "L'île rouge".

Nuages a dit…

Merci à Richard pour son beau texte sur l'aube. C'est souvent un grand plaisir de le lire.

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla

«  Or comment hâter le devenir pour qu’il devienne plus vite? Pas plus que le voyageur pressé n’accélère le train en poussant la banquette dans le sens de la marche, la conscience immanente au devenir ne devient plus vite en bousculant, par nervosité et hâte fébrile, l’opération temporelle. Travailler et laisser faire à la fois, attendre et peiner à la fois, - voilà le propre d’une bonne volonté sérieuse et passionnée qui commence d’emblée par la fin et pur la totalité, qui n’est ni convulsionnaire ni démissionnaire. A bien y réfléchir, on trouverait là sans doute un moyen d’accorder le fatalisme et l’immanence avec l’optimisme de la transcendance. En effet on n’apprend pas à vouloir, mais parce que l’on sait déjà; ou mieux, - nous avons tous les moyens de notre salut, mais ces moyens sont la simple possibilité visuelle de ce salut; ce qui, en d’autres termes, nous est immanent, c’est la capacité de vouloir; la capacité de vouloir est pour nous une destinée malléable et non un dur destin ni une fatalité toute faite en vertu de laquelle le quiétiste se pourrait croire prédestiné. Ainsi l’agent est bien l’ouvrier de sa propre nature, sa destinée morale est entre ses mains, non pas qu’il l’édifie ou la fabrique pièce par pièce, comme la voudrait la bonne conscience pédagogique, mais non pas davantage qu’il subisse, comme dirait Leibniz, son fatum Mohammedanum. »

Vladimir Jankélévitch
Traité des vertus
Tome II
Les Vertus et l’amour
Si la vertu s’apprend
Page 346 et 347

Voilà une des manières de penser de Jankélévitch. Elles sont nombreuses, intéressantes, déstabilisantes, mais toujours riches d’enseignements.

Nous sommes capables, tout dépend de nous, de notre courage comme de notre vouloir.

Est-ce que la Dame en Blanc est courageuse et volontaire?

Pourquoi, nous ne pourrions pas mélanger, La Dame en Blanc, les Ukrainiens qui luttent, nos quotidiens, nos espérances, la vie est un ensemble, elle forme un tout?

Lorsque l’angoisse nous presse, nous semblons l’oublier.

Qui a dit que se serait facile?

Je vous sens plus que préoccupé, cela ressemble à de l’angoisse.

Rien n’est totalement joué!

Bonne fin de nuit Carmilla.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

C’est à moi de vous remercier nuages pour votre lecture attentive.

N’oublions pas que nous avons une muse exceptionnelle en la personne de Carmilla, que je soupçonne d’être la Grande Dame en blanc. Ses nuits magnétiques étaient très inspirantes. Il y a des textes ainsi, qui te donnes juste l’envie d’écrire. Carmilla en a écrit plusieurs au cours de la dernière année. On sent chez elle une progression constante, un esprit du dépassement, une ferveur, où les propos quotidiens glissent vers des pensées plus universelles. C’est comme une ferveur qui monte, une vibration satisfaisante, parce qu’à chaque lecture, j’avoue que c’est étrange de commencer la lecture, parce que je me demandes : Mais où elle veut en venir? Et puis les choses s’ajustent, se mettent en place, on comprend mieux, et j’avoue que souvent ça me prends deux ou trois lectures pour en saisir tout la substantifique moelle. Moi, cela me plaît bien, parce que c’est ouvert aux quatre vents et que cela peut aller dans toutes les directions. Et, nous savons tous qu’il n’y a pas de limite à cette exploration de la société et de l’humain. Carmilla nous en donne maintes exemples! Je cherche les esprits ouverts aux grands vents du large. Et puis il y a cette curiosité insatiable de comprendre, ce qui est beaucoup. Ce qui nous permet de nous distancer d’une société amorphe. Il y a beaucoup plus que la distance entre la France, la Belgique et le Québec, et de bien d’autres endroits dans le monde. Voilà qui est rassurant comme un gilet de laine en novembre. La distance ne compte plus, nous sommes les humains d’une même humanité. Tout ce que nous désirons, c’est comprendre! Je trouve que c’est une belle aventure. Comprendre c’est déjà beaucoup, ce qui nous amène à la tolérance, ce qui n’est pas toujours facile, mais que c’est un pas de plus, même si nous doutons de la direction. Tous ceux qui errent ne sont pas perdus! J’aime cette phrase. Elle est pleine de ferveurs. Parce que tous ceux qui errent, cherchent. Et, un jour ou l’autre, ils finissent pas déboucher quelque part, ce qui sera peut-être l’une des révélations de la vie, de leur vie. Ce ne sera peut-être pas une découverte, ni une solution, mais se sera peut-être la porte ouverte devant un autre continent, une autre manière d’être. Ce qui me rappelle la merveilleuse chanson de Jacques Brel : Aux Marquises. Où il n’est pas question de se plaindre aux Marquises! Pas plus d’ailleurs, qu’au Québec en France ou en Belgique, face à ce qui se passe ailleurs dans le monde.

Merci, c’est toujours stimulant de penser avez vous!
Je vous en suis très reconnaissant!

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Je pense que la météo parisienne est à peu près identique à la bruxelloise (avec 1 ou 2 degrés de plus toutefois). L'été 2023 continue d'être relativement frais et on a même le plaisir, en ce moment, de recevoir quelques trombes d'eau. Il était temps: le Parc Monceau était triste et tout pelé mais il a déjà reverdi.

Je pense en effet que la fixation de l'heure officielle en regard des heures de lever et de coucher du soleil est quelque chose d'important. J'ai compris ça en allant au Japon. En été, il y a un écart de plus de 2 heures avec la France. Aujourd'hui, le soleil se couche ainsi à 18 H 46 à Tokyo et à 21 H 30 à Paris. Mais il se lève aussi, évidemment, beaucoup plus tôt (ce n'est pas pour rien qu'on parle du pays du Soleil Levant). Autre bizarrerie: quand il est midi à Tokyo, il est 13 H à Vladivostok (alors que ça devrait être le contraire).

Ca veut dire que si vous allez au Japon, vous devez sérieusement recaler votre mode de vie. Se lever à 7 heures, c'est vraiment faire la grasse matinée.

Cette fixation de l'heure officielle a même, probablement, des conséquences économiques. Avec ces longues soirées d'été à Paris et à Bruxelles, les gens s'endorment beaucoup plus tard et sont donc davantage fatigués le lendemain.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je le précise à nouveau: mon blog n'est qu'une distraction sans prétention. Une manière de m'évader de mes chiffres, de mes bilans et de mes comptes de résultats qui font quand même l'essentiel de mes journées.

Comme vous l'avez bien remarqué, j'ai une technique simple. Je parle d'abord un peu de moi, de ma vie concrète, et, après, j'essaie d'élargir. J'essaie aussi de ne pas trop radoter mais je sais quand même que j'ai quelques obsessions.

Il ne faut pas trop, en ce sens, porter trop attention à mes formulations lapidaires ou provocatrices.

Je tombe aussi, quelquefois, sur quelques thèmes originaux. Ce mythe de la Dame Blanche, je viens ainsi de découvrir qu'il était connu dans toute l'Europe et je pense qu'il a, en effet, une portée symbolique puissante.

Sinon, bien sûr que je suis une anxieuse et une angoissée. Mais c'est aussi une force.


Au total, l'important, c'est d'évoluer, de ne pas s'enfermer dans des préjugés définitifs. C'est effectivement cet apprentissage de la tolérance que vous évoquez. Jankélévitch constitue un excellent guide en la matière. Malheureusement, ce n'est pas la voie qu'empruntent les sociétés actuelles. On sent une inquiétante montée des haines partout dans le monde. Surtout, on remet de plus en plus en question la démocratie.

Quant à Jacques Brel, oui ! sa chanson est magnifique. Mais quant aux Marquises, je ne suis pas sûre que j'y partagerais son point de vue ("gémir n'est pas de mise"). Je crois que je me sentirais vraiment mal à l'aise là-bas. Je préfère Tokyo ou New-York.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Brel aurait pu écrire : il n’est pas de mise de gémir dans la vie, mais cela aurait été moins poétique, moins prégnant, en fin de compte, ces Marquises, c’est une toile de fond parce que l’auteur y va de grandes touches impressionnismes à la façon des peintres. Voilà un grand texte d’une vérité renversante, déstabilisante, qu’il n’y a pas de paradis sur terre, peut importe l’endroit où vous vivez. Brel, par ses textes, n’a pas arrêté de nous décrire nos travers et nos manques, ce qui a fait grincer des dents bien des Belges et des Français. Même au Québec on se reconnaissaient dans ses paroles, surtout lorsqu’il évoquait un certain passé religieux et ce n’était pas du tout élogieux, mais qui demeurait véridique. Il n’en manquait pas une! Jamais un mot de trop, l’expression simple mais toujours juste, comme une lame de couteau qui gratte une plaie.

Des gens envieux ont dit de lui, qu’il était allé s’établir aux Marquises pour jouer à Gauguin, passant sous silence, qu’il avait appris à piloter, qu’il s’était acheter un petit bimoteur, et qu’il livrait des médicaments sur les Îles, faisaient des évacuations médicales, aidaient les gens en faisant le taxis. J’aime bien lorsqu’il évoque les pluies traversières parce que nous les aviateurs ont sait de quoi il en retourne lorsqu’on traverse un grain. Si tu veux te faire brasser tu es au bon endroit. Pourquoi on se limiterait seulement à évoquer la douceur de la Polynésie Française? Nous évoquons la douceur perpétuelle pour fuir des réalités déplaisantes. Mais on ne peut pas toujours être dans la douceur. La réalité finit toujours pas nous rattraper.

Étrange inspiration encore une fois, parce que lorsque j’ai commencé à écrire mon commentaire hier, j’étais loin d’évoquer Brel et son texte. Et soudain, comme il m’arrive souvent, ça déborde, ça revient comme une vague de marée, je n’ai même pas eu besoin de chercher, c’est venu tout seul. C’est l’une des phases de l’inspiration que j’aime, où je me sens particulièrement bien. L’écriture n’est pas une distraction sans prétention, il en reste toujours quelque chose, peut importe le sujet. Et de cette écriture Carmilla, vous en faites partie, parce que vous êtes une excellente observatrice, vous ne manquez pas grand-chose, vous lisez non seulement des livres, mais vous lisez aussi au travers des gens même dans le quotidien le plus banal. J’ose même avancer comme Jankélévitch, que n’est pas seulement une qualité, mais une vertu que vous cultivez.

Mais, comment peut-on vivre dans l’angoisse et l’anxiété et en faire une force?

Il appert, que nous la sentons tous cette montée de violence dans le monde, et l’on peut prendre l’exemple du Niger en Afrique présentement, qui en profite pour cracher sur La France en brandissant des drapeaux russes. Nous allons peut-être nous retrouver avec un autre merdier sur les bras? Se sera peut-être à l’échelle d’un continent. Les événements pourraient bien nous forcer la main pour nous obliger à relever nos manches afin de s’impliquer à fond. Il faudra faire reculer l’angoisse et l’anxiété pour retrouver la force.

Merci pour vos propos Carmilla, ils sont toujours aussi pertinents.

Bonne nuit!

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Bien sûr! La chanson de Jacques Brel est très belle. Elle a une puissance poétique et émotionnelle très forte.

Ce qui m'interroge simplement, c'est son choix des Marquises comme lieu de retraite. Comme Gauguin et aussi comme Stevenson (qui lui avait choisi Samoa).

Est-il lieu plus perdu que les Marquises ? Les plus gros villages ont 2 ou 3 mille habitants. A-t-on besoin de faire le vide autour de soi pour se sentir bien ? Je crois que je me sentirais vite comme un lion en cage et je me mettrais à détester la Nature si je devais séjourner aux Marquises.

Etre angoissé, c'est un peu avoir la force des faibles. Etre angoissé, c'est, en effet, ne pas avoir une confiance absolue en soi. Pour pallier ce sentiment, on essaie donc de se faire violence et de se surpasser. D'ailleurs, s'il est des gens que je déteste, ce sont ceux pleins d'idées toutes faites et qui s'affichent sûrs d'eux-mêmes. Savoir douter de soi-même, c'est important.

Je me perçois donc comme une personne sans qualités. Et je ne sais même pas écrire parce que je ne sais écrire que correctement. Mais la véritable écriture, c'est celle qui invente de nouvelles formes et de nouvelles expressions.

Quant à ce qui se passe en Afrique, au Mali, au Niger etc..., je ne me sens vraiment pas compétente pour en parler. Ce qui est curieux, c'est que la France a un grand passé colonial. Ca n'a pris fin que récemment (60 ans) mais j'ai l'impression qu'hormis l'Algérie, c'est complétement sorti de l'imaginaire collectif des Français. L'esprit de l'Empire semble avoir totalement disparu. C'est peut-être préférable mais ce n'est, bien sûr, pas du tout la même perspective en Russie et en Chine.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Ça y est les statistiques météorologies ont été publiées pour Sherbrooke. Nous avons reçu 303mm de pluie au cour du mois de juillet 2023. Ce qui dépasse largement l’ancien record de 220mm de 1974. Ce fut un rude mois de juillet très humide et désagréable. J’espère que tout cela est derrière nous. Nous passons présentement un front froid. Quel confort! Il fait présentement 7 degrés à six heures du matin, alors que le soleil se lève dans un épais brouillard. Cela sent l’automne. Je vais aller vérifier s’il n’y a pas une Dame en Blanc sur le bord de la rivière! Il me semble que se serait bien une Dame en Blanc, dans le brouillard blanc, qui marche sur les eaux entre les petits paquets d’humidité qui s’élèvent.

Brel avait choisi Les Marquises, parce qu’il voulait fuir cette vie de bête de scène, fuir l’Europe, fuir l’étouffante existence de ce qu’on nomme : (Vie d’artiste), fuir les médias, les journalistes. Il n’avait pas envie de jouer l’intellectuel qui sait tout. Monter sur scène pour lui était un supplice comme plusieurs autres, il fallait voir Brassens ruisselant de sueur lors de ses spectacles de peur d’oublier ses textes, et que dire de Gilbert Bécaud qui cachait bien des angoisses derrières ses grands sourires. Les Marquises sont assez isolées pour se faire oublier. Cela aurait pu être n’importe où sur terre, pourvu que se soit loin des médias. Je crois que le mot retraite ne va pas à Brel comme à plusieurs autres humains sur terre, pour eux ce n’est pas la retraite, c’est tout simplement la vie qui se poursuit sous une autre manière. Le presque centenaire Gilles Vigneault compose encore, fait son sirop d’érable, raconte des histoires, bien isolé sur son petit bout de terre.

Les envieux n’ont aucune idée des cheminements de ces artistes, de leur existence privée, de leur histoire personnelle, celle de tous les jours, du vrai quotidien et du quotidien vrai. Travailler d’arrache-pied pendant des années pour perfectionner son art, connaître enfin le notoriété, avec la peur au ventre à chaque soir que tu dois monter sur scène, au point d’en devenir malade.

Je me souviendrai toujours de ce moment où j’assistais à un spectacle de Gilles Vigneault. C’était une représentation spéciale, parce qu’elle était accompagnée d’un orchestre symphonique. Nous étions au coeur du spectacle, tout allait merveilleusement bien, et soudain...au coeur d’une chanson que Vigneault avait chanté à maintes reprises...le blanc...il ne se souvenait plus du texte. Le chef d’orchestre a très bien géré la situation, il a commandé à l’orchestre de rester sur ce passage musicale, en attendant que Vigneault retrouve ses mots. L’orchestre a joué en boucle ce passage, et soudain, soulagement, le Grand Gilles a retrouvé son texte, le chef d’orchestre comme si de rien n’était a repris la suite de cette musique.

Cela a duré seulement une minute; mais quelle minute! Je pouvais sentir le malaise dans la salle. Imaginez, une salle comble, tous des admirateurs de ce grand poète, un orchestre symphonique. Mais je pense que tout le monde a saisie dans le fond de son être, cette vulnérabilité qui nous habite tous. Lorsque Vigneault a terminé sa chanson, la salle s’est levée, et une clameur a explosé sous forme d’ovation comme une tempête. Je pense qu’on peut nommer ce moment exceptionnel : une communion humaine!

J’ai toujours eu de l’admiration pour les êtres, qui un jour plaquent tout, pour partir vers une région éloignée, afin de se réfugier dans la solitude. Je pense que Brel avait fait le bon choix, d’autant plus qu’il ne lui restait plus beaucoup d’années de vie.

Vraiment, n’envions personne, contentons-nous de vivre notre vie!

Bon fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il est préférable que vous n'ayez pas croisé de Dame Blanche. Elle est tout de même annonciatrice de la mort (pas forcément la vôtre toutefois).

A Paris, le temps continue d'être frais et humide (près de 100 mm au cours de ces deux dernières semaines mais ça fait suite à une longue période de grande sécheresse). Toutefois, l'été est loin d'être terminé. Il dure souvent jusqu'à fin septembre avec des températures voisines de 30°.

Je suis toujours embarrassée quand on me parle de chanson française. S'il est un domaine dans le quel je me sens vraiment une étrangère, c'est celui là. Non seulement, la chanson française ne m'émeut pas mais je la trouve globalement kitsch et sirupeuse. Souvent même un défilé d'horreurs.

Je reconnais toutefois la puissance expressionniste de certaines chansons de Jacques Brel ou Robert Charlebois.

Mais je déteste la façon dont les médias promeuvent en icônes ces personnages "fabriqués" en qui j'ai du mal à reconnaître des artistes. On ne cesse de nous bassiner en ce moment, en France, avec la mort de Jane Birkin. On lui prête toutes les vertus. Elle n'était probablement pas antipathique mais après...? Toutes ces personnes que l'on offre à l'admiration commune, ça m'irrite beaucoup. Je m'intéresse plus aux failles gens qu'à leurs qualités.

Quant à tout plaquer et à se réfugier dans la solitude, j'avoue que ça aussi, ça m'est étranger. Je crois que je m'enfoncerais vite dans une dépression complète même dans un lieu enchanteur. J'ai besoin d'une confrontation continuelle avec d'autres personnes.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Rencontrer la Dame Blanche au milieu de la nuit, pour mourir dans ses bras à l’aube, il me semble que se serait une belle fin pour un Sasquach comme moi. Après c’est elle qui aurait le problème de m’enterrer. Peut-être qu’elle verserait même quelques larmes! Et pourquoi pas brûler mon corps sur les rives de cette rivière mythique? Se serait une belle conclusion et ça lui éviterait de manœuvrer la terre lourde des Cantons de l’Est. Se sont les vivants qui restent pris avec les problèmes que les morts laissent derrière eux. Vous pourriez me servir d’intermédiaire pour amorcer des négociations avec la Dame Blanche, vous qui l’a connaissez si bien! Ainsi elle ne pourrait pas faire de moi son esclave. Se serait une échappée belle, plus qu’une fuite, dans le genre apothéose. Monter dans le ciel transformé en fumée pour survoler la Dame Blanche, avec comme souvenir un peu de braise et des cendres par le vent nul de l’aube. Après la grande liberté, la grande paix. Qui dit mieux? Moi je suis tout à fait partant. Elle pourrait même prendre la direction du nord où tout est blanc éternellement, je pense que se serait un excellent territoire pour elle, que demandez de plus que blanc sur blanc. Je pourrais lui donner l’adresse d’un Yéti qui habite dans les Torngat, qui serait très intéressé à recevoir la Dame en Blanc. Il l’amènerait chasser l’ours blanc dans la nuit polaire, pour la gaver d’huile de baleine et de graisse de phoque, elle pourrait tirer et pousser le traîneau, apprendre à tirer à la carabine, chasser les mauvais esprits, s’entretenir avec quelques Inuits qui ne manqueraient pas de l’inviter dans leurs couches, pêcher le saumon en saison de montaison. Ainsi le souvenir du corps et de l’esprit du Sasquach carbonisé s’estomperait. Elle aurait enfin un avenir, de l’espace, de la liberté, et surtout beaucoup d’aventures. Se serait dans le genre une libération. Et pour les disputes il n’y a pas meilleur partenaire que le Yéti, cet être de la mort, mais qui n’est jamais un meurtrier parce qu’il est conscient de son intérêt, qui lui enseignerait l’art de gratter les peaux et de la tannerie, où elle devrait se servir de ses dents pour les assouplir. Elle serait confrontée au lourd silence du Yéti, être de peu de mots et de beaucoup d’exemples, aux vents nordiques qui vous lamelle le corps et l’esprit, aux difficultés qui vous sculptent où seul compte le courage, la force, l’habileté et la volonté. Une vie intense de peu de chose mais riche en expériences. Ce qui la changerait de son château aux longs rideaux dans l’eau. La nuit polaire s’incrusterait en elle dans les poudreries dansantes comme devant la lune piteuse et les aurores boréales mystérieuses. Je pense qu’elle aimerait bien! La Dame en Blanc aurait peut-être découvert, non pas un pays, mais un univers. Elle dépasserait les légendes, les fantômes, les vampires, pour peut-être se croiser avec le Yéti. Je me demande bien quel sorte de descendance sortirait de son ventre? Une Dame en Blanc avec un Yéti, ça donne quoi? Connaissant l’humanité c’est une possibilité plausible, peut-être même intéressante? Mais de cela nous n’en savon rien parce que le futur nous échappe toujours, même à la Dame en Blanc, surtout lorsque le Yéti ronfle auprès d’elle.

« Tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare. »
Baruch Spinoza

Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Belle rêverie sur la Dame Blanche.

J'ai fait quelques recherches et, en effet, le mythe semble très répandu en Europe et cela depuis plusieurs siècles. Il faut croire, en effet, que c'est une expression de la Mort qui apparaît moins répugnante et peut-être même attirante.

L'expression moderne, c'est aujourd'hui l'auto-stoppeuse nocturne. Et aussi, la femme qui conduit une voiture peu banale. J'ai ainsi remarqué que je n'avais jamais autant de succès qu'au volant de ma bagnole. Ca devient même troublant.

Il y a là une sombre attirance où se combinent le voyage, le désir et la mort.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

(pas forcément la vôtre toutefois).

Comment pouvez-vous affirmer : pas forcément la vôtre toutefois? Je puis comprendre que je suis repoussant, mais jamais je n’aurais cru à ce point. Ce pas forcément la vôtre, c’est ce qui a ouvert les vannes, et c’était parti, j’ai écris ce texte avec beaucoup de plaisir.

Vous avez bien lu, c’est un sujet qui touche le désir, mais un grand désir, pas un désir niaiseux, je présume que la Dame en Blanc avait et a encore des désirs forts, puissants, bouleversants.

Il y a deux photos dans votre texte qui m’ont fait penser au voyage, et cela dès la première lecture. La photo 13, cette femme qui marche devant les phares de l’automobile dans la nuit. La grande Dame Blanche, c’est un départ, une errance, un état sans destination, comme une rumeur nocturne, et lorsqu’on ne sait rien, on imagine tout. Qu’est-ce qu’elle fait sur la route devant ces phares? C’est qui l’homme qui traverse la route, mais n’accompagne pas la dame? Comme si c’était deux êtres qui s’ignoraient? J’aime ce genre de mystère qui peut aller dans plusieurs directions, et pas forcément vers celles que nous choisissons. Comment ne pas se sentir interpellé? La tentation est forte de s’arrêter près d’elle et de lui dire : Allez embarque on va aller faire une tour.

La photo 16, c’est aussi le voyage qui ressemble à une fuite, la femme solitaire dans la nuit qui s’éloigne par une nuit de bruine sous son parapluie. C’est le vide et le silence de la déception. La fuite en avant, mais aussi le grand départ du renouvellement face au désir décevant. Tout est humide sur ce point de jonction, et il n’y a pas seulement le pavée qui est humide, les yeux aussi, elle est peut-être en train d’essuyer ses larmes. Les personnages invulnérables comme la Dame en Blanc nous remuent lorsque que s’affiche sa vulnérabilité. Elle était peut-être moins forte qu’on le croyait?

Le voyage et le désir ne sont peut-être pas si éloignés de la mort. Partir dans un certain sens, c’est peut-être mourir. Ce que nous oublions dans nos raisonnements rassurants, ce désir d’immortalité, cette vanité d’assouvir cette espèce d’éternité sans la mort, nous enferment dans nos craintes, gâche notre vie présente, et pourtant, il n’y a rien de plus naturel que la mort. C’est l’aboutissement logique pour reprendre l’idée de Spinoza, que vivre dans le raisonnement, dans la joie d’être, nous prépare bien à la mort. Après, il n’y a plus à s’inquiéter.

Ce pas forcément la vôtre toutefois, je le transforme en : en forcément la mienne. Et, la Dame en Blanc doit être très belle, tout comme les Torngat...et la mort! Chez moi aucun désir d’immortalité!

Bonne fin de journée
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

J'espère que mes propos n'ont pas été perçus de manière dépréciative. Si c'est le cas, je m'en excuse mais je voulais simplement dire que la rencontre d'une Dame Blanche, si elle était bien annonciatrice de la Mort, ne signifiait pas obligatoirement qu'elle vous frapperait personnellement. Ca peut concerner aussi votre voisinage ou entourage immédiats.

Sinon, il y a bien un lien, en effet, entre la Mort et le voyage. Partir, c'est en effet mourir un peu et la Mort est bien le Grand, l'ultime voyage.

Et que les Femmes, inspiratrices du Désir, aient un lien avec la Mort, cela est également évident. Beaucoup d'hommes sont prêts à risquer la mort pour conquérir certaines femmes.

Presque personne, en réalité, ne se satisfait d'une vie étroite, confinée dans des barrières de sécurité. On aspire toujours à autre chose et cet "autre chose", on est prêts à tout plaquer, tout abandonner immédiatement, pour le conquérir, fût-ce au péril de sa vie.

Bien à vous,

Carmilla