jeudi 14 août 2008

Au nom du Diable - Le pays des Bogomiles














Carmilla Le Golem

Alors voilà, j’ai décidé de donner un peu de matière à vos rêves. Mais ne l’oubliez pas, c’est moi la prédatrice.

Sofia : soudain, l’avion déchire la moquette des nuages et j’atterris au fond d’une cuvette couronnée de montagnes étincelantes. 35 °- chaleur d’étuve. Les bulbes et les coupoles vert et or de Saint Alexandre Nevski et de Saint Nicolas sur fond d’arbres en fleurs. Sur de gigantesques boulevards, des voitures hurlantes s’en vont se fracasser sur les montagnes. A Sofia, j’ai l’impression de me retrouver à Téhéran ou même à Grenoble.

Sofia est une ville jaune, toute jaune, pavés ocres et façades ambrées, fond d‘écran de cafés criards. Des filles à la chevelure noire et au regard bleu.

Le jaune et le bleu, comme en Iran, comme en Ukraine.

Je loge avenue du Tsar Libérateur (Tsar-Osvoboditel) dans l’hôtel même, le Bulgaria, où se rendait Albert Londres. Réputation d’être mal fréquenté, mais c’est justement pour cela que j’y vais. Effectivement, c’est plein de compatriotes russes, jouant aux hommes d’affaires en goguette. La Bulgarie est peut-être le seul pays où les russes ne soient pas détestés, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont aimés. On mange, on boit, on danse sans fin. C’est ridicule, c’est vulgaire, c’est kitsch, mais j’aime cela, cette gaieté communicative…, et puis j’aime ces filles splendides, leur liberté, leur ambition et finalement leur audace.














Carmilla Le Golem au club Raj ("Paradis")

Pour trouver un peu de fraîcheur, je monte au village de Boyana sur les contreforts du mont Vitosha. Les fresques byzantines de l’église puis l’immense mer laiteuse de la ville et la cacophonie de décibels des boîtes de nuit.

Mais que viens-tu donc faire en Bulgarie, Carmilla, dans ce pays qui n’intéresse personne ?

- La terreur : c’est en Bulgarie qu’a pris naissance le terrorisme moderne. En effet, durant toute une décennie, de 1925 à 1935, les Comitadjis et l’Orim, des nationalistes macédoniens, s’élevant contre la division de leur terre entre la Bulgarie, la Serbie et la Grèce, ont fait régner la terreur à Sofia. 20 000 à 30 000 personnes auraient été assassinées dans la rue, le plus souvent au pistolet, pour des raisons politiques ! « Ici, on ne renverse pas un ministre, on l’assassine ! ».Un chiffre considérable qui donne une idée de l’ambiance très particulière qui devait régner à Sofia entre les deux guerres. En me promenant dans la ville, je suis hantée par ces meurtres élégants, en tenue de soirée, dans un restaurant, un café, un théâtre, à l’Opéra. Les crimes de grand style…

- Les Bogomiles : le Manichéisme, provenant d’Iran, a été introduit en Europe via la Bulgarie. Le Manichéisme, c’était une religion splendide, prolongeant le zoroastrisme, très vivante dans l’Iran sassanide jusqu’à la conquête musulmane. L’Islam n’a pas complètement détruit le manichéisme puisque l’hérésie manichéenne a été prêchée en Bulgarie vers 950 par le pope Bogomil (celui qui est aimé de Dieu). Elle a trouvé des adeptes en Bosnie-Herzégovine et surtout chez les cathares du Languedoc. Le manichéisme énonce un dualisme radical et proclame la séparation de l’esprit et de la matière qui recoupe l’opposition du bien et du mal. Surtout, selon les Bogomiles puis les Cathares, le monde n’a jamais été créé par Dieu mais par Satan, ce qui est une idée tout à fait étrangère à un chrétien. De ce fait, le monde d’ici bas, le monde charnel est corrompu, impur, démoniaque. Il faut donc s’arracher à ce monde de la matière, se dépouiller de toute écorce terrestre, pour devenir pur et accéder au monde de l’Esprit, de Dieu.


C’est une jolie histoire, Carmilla, mais en quoi nous intéresse-telle aujourd’hui ? C’est très simple : je crois que l’on assiste à un extraordinaire retour de la pensée manichéenne, comme en témoigne le goût immodéré pour l’occultisme (cf le succès du Da Vinci Code) et les pensées mystiques, l’exaltation politique des forces du Bien ou des forces du Mal.

Le manichéisme, c’est magnifique, effroyablement séduisant mais c‘est aussi le vecteur de la pensée totalitaire.

Coïncidence, c’est à Sofia que se trouve, dans un musée délicieusement ridicule (la Galerie Nationale des Arts Etrangers), le célèbre tableau de Franz Von Stück «Lucifer ». Sous son aspect original, il est extraordinairement impressionnant et justifie à lui seul un voyage à Sofia.

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