dimanche 24 août 2008

Les chemins de la peste













Brueghel

Le triomphe de la mort


Je suis maintenant à Wismar, une ville du nord de l’Allemagne, de l’ancienne R.D.A. .


Wismar, vous ne connaissez probablement pas, mais cela n’a rien de répréhensible. C’est une ville de la Hanse, cette puissante Ligue portuaire de la Baltique, emmenée par Lübeck, Gdansk et Riga, qui a préfiguré l’économie-monde dès le Moyen-Age.


J’adore et trouve splendides les villes de la Hanse, austères et festives, encore imprégnées de l’angoisse médiévale.


Poursuivie par une chaleur infernale, je vais nager sur l’Ile de Poel puis rêver sur une plage déserte et immaculée à l’abri de ces magnifiques fauteuils en osier qui agrémentent les plages baltes.


Le soir, je vais sur le port, l’Alte Hafen, dans une taverne où j’entends parler russe, polonais, letton, suédois. J’y bois de la bière du Nord, très forte, et je m’y empiffre de poisson fumé (c’est en fait la base habituelle de mon alimentation de vampire) : de l’anguille, de la limande, du saumon, des sprats.


Wismar, des rues pavées, des canaux, une énorme place du Marché, des maisons à fronton, celle du « vieux suédois », de gigantesques églises gothiques, d’une hauteur vertigineuse, toutes de brique rouge. C’est à Wismar que Werner Herzog a tourné la seconde partie (la 1ère partie se déroulait à l’Est de la Slovaquie) de son « Nosferatu » avec Isabelle Adjani et Klaus Kinski. A la fin de cet admirable film, la ville est envahie par une multitude de rats blancs porteurs de peste tandis qu’un splendide cheval noir emporte un vampire au galop sur les plages de la Baltique.


Les vampires sont en effet étroitement associés, dans l’imaginaire collectif, à une terreur ancestrale, celle de l’épidémie destructrice d’une civilisation toute entière. Il s’agissait autrefois de la peste, il s’agit aujourd’hui du SIDA. Même terreur de la contagion, du contact corporel, même effroi vis-à-vis du sang, mêmes jugements moraux : une punition divine contre le Mal qui aurait gangrené la société.


Wismar, comme tous les grands ports commerciaux du Moyen-Age, a constitué un point de passage de la Grande Peste, la Peste Noire, qui, pendant 3 ans, de 1348 à 1350, a ravagé l’Europe. La maladie aurait été acheminée par des marins revenant de la mer Noire, d’un comptoir génois de Crimée. « Ils avaient la peste dans leur sang ».


La peste provoque une fièvre comparable à la grippe. Sur le cou, les aisselles et les aines apparaissent des bubons (vésicules pleines de pus). Des hémorragies internes sous-cutanées provoquent des taches pourpres et noires. La mort intervient après 1 semaine suite à un engorgement des poumons, engorgement comparable à une pneumonie.


D’Italie jusqu’en Irlande, sur une période de quelques mois, de 20 à 30 millions d’européens trouvèrent la mort, soit entre le quart et le tiers de la population du continent. C’est même 50 % de la population de Florence qui aurait disparu.


Des chiffres inouis ! La fin du monde ? L’avènement de l'Antéchrist ? C’est ce que croient beaucoup qui cherchent alors des boucs-émissaires (étrangers, hérétiques, juifs). Dans beaucoup de villes, les juifs furent éliminés avant même l'apparition de la peste, permettant ainsi aux notables de ne pas avoir à rembourser leurs créanciers.


Il faut surtout imaginer la complète décomposition de l’ordre social. Familles et amis se fuient, plus rien ne fonctionne, on ne cultive plus les terres, on n'enlève plus les corps, le maintien de l’ordre est impossible, l’insécurité est totale. Bientôt, les esprits changent, la société est en déliquescence. Persuadés de mourir rapidement, les gens cherchent à vivre pleinement et profiter de ces moments de vie. Une crise morale atteint la société européenne.


De plus, beaucoup de biens sont laissés à l’abandon. La classe dominante est bouleversée et on assiste alors à des transferts massifs de propriété.


Cataclysme moral, économique, il y a une complète redistribution des cartes sociales….


Mais, mais …c’est peut-être ce bouleversement total qui explique l’étrange leçon de l’histoire qui s’en est suivie. Après le reflux de la Grande Peste, alors que l’on pouvait s’attendre à un effondrement de l’Europe, on a au contraire assisté à son renouveau progressif.


A la Grande Peste, a en effet succédé la Renaissance…


La Peste Noire a permis un progrès de la société !

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