vendredi 14 septembre 2018

Désarrois scolaires



La rentrée scolaire vient de s'effectuer. Ça réveille en moi des souvenirs d'angoisse adolescente: je détestais l'école, mes profs et mes camarades.

Pourtant, la déprime du cancre, je n'ai jamais connu: je me suis toujours baladée dans mes études.


Je n'étais probablement pas plus intelligente que les autres.

Simplement, je voulais à tout prix échapper à ce système d'humiliation organisée qu'est l'école. Un monde dans lequel on est brutalement projetés, une micro-société où règnent la saleté, le bruit, l'esprit de meute, la violence physique et verbale.

Il paraît qu'autrefois, il n'y a pas si longtemps, la discipline était très stricte dans les écoles françaises. Elle était exercée par les profs, de manière verticale.


Aujourd'hui, les enseignants sont apeurés et le contrôle est devenu horizontal, exercé par les élèves eux-mêmes. Ça n'est sans doute pas un progrès. C'est la pression terrible du groupe avec le fonctionnement, à plein, de la mécanique du bouc-émissaire.

Qui a dit que les adolescents étaient généreux, pétris d'idéaux et de compassion ? Là-dessus, je suis très freudienne. Les jeunes sont encore plus épouvantables que le reste de l'humanité. Il sont d'effroyables crapules qui adorent les comportements de mafia. "Un peu de respect", c'est la phrase, sans cesse répétée que j'ai le plus haïe. L'adversaire à l'école, ce n'est plus le prof, ce sont les supposés copains-copines.

Même quand on est devenus adultes, on n'ose pas tellement le reconnaître comme si la terreur autrefois subie avait laissé une empreinte définitive.


C'est ainsi qu'à l'école, même si on s'affiche cools et décontractés, on est d'abord priés de porter un uniforme, c'est à dire de s'habiller comme les autres (jean, baskets). On est sommés ensuite de faire allégeance à un groupe, une bande, avec ses caïds de pacotille. Il faut enfin supporter d'être catégorisé: les Blacks, les Beurs, les bourges... Supporter aussi de voir son apparence physique sans cesse commentée, d'être pelotée, insultée, ridiculisée, rackettée.


Mais c'est normal qu'on me dit; l'éducation, c'est comme ça qu'elle se fait. L'école, la vie de groupe, c'est l'apprentissage de la vie.

Laissez-moi rire, c'est surtout l'apprentissage de la sujétion, de la honte, de la dissimulation. Ceux qui n'en sortent pas brisés deviennent, pour la plupart, des citoyens lâches et retors.

Heureusement, mes notes scintillantes m'ont permis d'être largement épargnée. Et puis, j'appartenais à une espèce indéterminée: on me qualifiait de Russkoff (j'avais renoncé à expliquer que je n'en étais pas une) mais on ne savait pas trop ce que c'était et ça faisait visiblement un peu peur. K.G.B., famille d'espions ? Et puis qu'est-ce qu'elle est hautaine. Méfiance.

Mais être à part n'est pas non plus très réconfortant. On vit à l'écart, on n'a pas d'amis (sauf  la cancre de la classe, une Serbe en qui je reconnaissais une partenaire en transgression). A cet âge là, on a besoin de normalité, on ne veut pas se faire remarquer. Mais, sans m'en rendre compte, j'en rajoutais dans la déréliction en prenant le contre-pied des codes en vigueur: du sport à fond pour entretenir ma terrible maigreur et renforcer mon sentiment de puissance,  un maquillage agressif, des jupes courtes, des talons hauts.


Je fréquentais les boutiques de mode, je chantonnais des tubes idiots, j'avais tout de l'allumeuse. Surtout que j'étais attirée par les vieux (les plus de 25 ans) et que je draguais, de manière éhontée, mes profs, hommes et femmes. Les pauvres, je les perturbais sans doute beaucoup et les plongeais dans d'infinis dilemmes moraux.

Les dilemmes moraux, c'est ça, en fait, qui me torturait lorsque j'étais adolescente. Mais c'est le vrai ressort de l'éducation: savoir s'interroger. Faut-il être odieux ou sympa, compliant ou rebelle, pour trouver sa place dans la société ?


Images de Heidi HAHN, artiste new-yorkaise née en 1982. Ses tableaux expriment bien, me semble-t-il, la détresse adolescente.

Je précise enfin que je suspends mon blog Carmilla Le Golem pendant quelque temps. Je me rends dans les Balkans demain. Où précisément ? Disons que c'est un des lieux de villégiature favori des Russes. Retour vers la fin du mois.

5 commentaires:

Nuages a dit…

Iriez-vous au Monténégro ? Dans le livre "Là où se mêlent les eaux", on dit que c'est un lieu de villégiature des Russes, dans les Bouches de Kotor.

Carmilla Le Golem a dit…

Bien deviné Nuages,

Il y a effectivement des évolutions curieuses dans les pays de l'ancienne Yougoslavie.

La Bosnie-Herzégovine est ainsi, paraît-il, aujourd'hui très prisée des ressortissants du Golfe.

Quant au Monténégro, il est, depuis une dizaine d'années, envahi de Russes. C'est en partie pour ça que j'y vais. Cette présence russe s'explique par les facilités qui leur sont offertes, la langue tout de même très proche (rédigée souvent en cyrillique), l'utilisation de l'euro et la proximité immédiate de l'Europe de l'Ouest. Evidemment, ce ne sont pas les Russes les plus recommandables qui vivent au Monténégro. Mais j'essaierai de voir et de me faire une opinion.

Bien à vous

Carmilla

PS: j'espère que "Là où se mêlent les eaux" vous plaît. Je ne comprends pas qu'on ait si peu parlé de ce livre.

Nuages a dit…

Oui, j'aime beaucoup ce livre, dont j'ai lu les trois quarts déjà. Je lirai le dernier quart à Avioth la semaine prochaine.

On y apprend en effet plein de choses, notamment sur toutes les minorités ethnolinguistiques des Balkans et des rives turques de la Mer Noire.

Il y a deux auteurs et ça se sent un peu : certaines pages sont très sobres, et d'autres d'un lyrisme un peu trop lourd à mon goût. Mais c'est globalement un très bon livre.

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla

"Faut-il être odieux ou sympa, compliant ou rebelle, pour trouver sa place dans la société ?"

Odieux je n'ai pas encore réussi,il y en a bien assez comme cela, compliant , c'est l'école qui nous l'enseigne de bonne heure et qui nous fait devenir rebelle, enfin pas tous, il faut bien des "élites".

Produire ou s'épanouir, chacun sa voie.

"Dans la vraie vie, comme l'a dit une sagesse profonde, plus vous essayer de rentrer dans le moule, plus vous allez ressembler à une tarte." Idriss Aberkane

Bon voyage en "Balkanie"
Bien à vous
Jeff.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Mais vous apparaissez, comme souvent, un peu désabusé et manquant d'enthousiasme.

Quant aux tartes, elles sont souvent heureuses parce que, justement, elles ne savent pas qu'elles sont des tartes.

Bien à vous

Carmilla