samedi 27 juillet 2019

À trottinette


Paris désert ! Paris accablé de chaleur !

Je vais donc essayer d'être plus légère ces prochaines semaines.

Je vais d'abord parler de ma passion pour la trottinette électrique. Croyez-moi, par ce temps et avec ce trafic, c'est le moyen idéal pour s'aérer en sillonnant la ville.


Mais il y a quelque chose de bizarre avec les trottinettes ! Depuis qu'elles sont apparues dans la capitale, il y a moins de deux ans, elles sont devenues, paraît-il, le sujet de conversation numéro un des Parisiens. Mais voilà au moins un thème qui ne divise pas ! C'est bien simple tout le monde, médias en tête,  ne raconte que des horreurs à propos des trottinettes: de véritables machines infernales qui terroriseraient la population ! Elles seraient responsables d'un nombre incalculable de morts et blessés. Chacun y va de son anecdote grotesque comme quoi il aurait failli périr écrasé par une trottinette. Et puis elles polluent, elles traînent partout, elles encombrent les trottoirs, elles enlaidissent la ville.


En bref, à peu près tout le monde, à Paris, déteste les trottinettes et ceux qui les utilisent. Ça me sidère, je ne comprends vraiment pas. Voilà qu'on vient d'inventer un moyen de transport pratique, agréable et surtout écolo et voilà qu'on se dépêche de le rejeter, de réclamer sa disparition immédiate. Ça en dit long sur les résistances au changement et aux innovations. Le tournant écologique dont on nous rebat les oreilles, on n'est pas près de le prendre.



Parce qu'on baigne ici dans l'irrationnel complet. Quels que soient les dégâts et accidents provoqués par les trottinettes, c'est infinitésimal en regard des dommages immenses provoqués par les automobiles. On hurle quand on voit une trottinette garée sur un trottoir mais personne ne s'offusque des milliers de voitures garées sur les places ou les grands boulevards (je conseille un voyage à Tokyo ou à Ljubljana pour comprendre l'agrément d'une ville sans stationnement automobile).


Quand je serai Maire de Paris (dès l'an prochain, j'espère), je n'autoriserai qu'un seul véhicule: la trottinette pour une ville calme, sans stress ni pollution. 

Pourquoi les Parisiens aiment-ils donc si peu les trottinettes ?

Il y a bien sûr une part de ronchonnerie de vieillards. La trottinette ressuscite d'abord, en effet, un conflit des générations, un affrontement entre jeunes et  vieux mais des vieux qui comprennent, en l'occurrence, une très vaste classe d'âge, celle des plus de 40 ans.


Les "vieux" ont d'abord une point de vue moral sur la trottinette; ils lui reprochent de ne pas solliciter d'effort physique. Ce n'est pas sain, ce n'est pas un sport, c'est pas comme le vélo. Mais c'est pareil pour le métro, le bus ou la bagnole me semble-t-il. Et puis moi, je n'aime pas le vélo. C'est vraiment pas sexy. Ça vous fait des jambes affreuses et puis vous vous voyez à vélo, en jupe et talons, pour vous rendre à votre boulot où vous arrivez en sueur ? C'est bien une idée d'oisifs.


Ce que j'aime dans la trottinette, c'est qu'avec elle, on change carrément de registre. D'abord, ça ravive les souvenirs d'enfance, la trouble nostalgie des paradis perdus.

Et de l'enfance justement, quand on prend les commandes d'une trottinette, on retrouve le sentiment de toute-puissance. On devient aériens, on a le sentiment de planer au-dessus des foules, d'échapper à la bousculade d'un troupeau sur un trottoir. On se transforme presque en "albatros" baudelairiens survolant, impassibles, les tempêtes du monde et se riant des flèches décochées (je parodie, bien sûr).


C'est évidemment très arrogant comme attitude et on comprend que toutes les petites haines trouvent matière à s'y exercer.

Mais que serait la vie si certains ne cherchaient pas à bousculer les mornes habitudes du quotidien, n'en avaient pas marre de tourner en rond ? Avec ma copine Daria, on n'en a cure. Toutes voiles déployées, robes légères et cheveux dénoués, on se lance, la nuit, dans des courses-poursuites effrénées. On est les figures de proue de vaisseaux sillonnant les "gouffres amers". C'est un triomphe: les regards atterrés, réprobateurs, puritains sont notre récompense. La trottinette, nouvel instrument du féminisme. Toutes, mais aussi tous, à trottinette !

Images de l'illustrateur Didier GRAFFET (1970).

Au cinéma, je recommande, en dépit de certaines réserves: "L’œuvre sans auteur" de Florian HENCKEL

6 commentaires:

Alban a dit…

Bonjour Carmilla,
Excellent! J’ai bien ri et vous imagine très bien avec votre amie slalomer sous le regard ahuri des vieux passants! Leur problème c’est la frustration et la jalousie. Ils vous envie mais le prix d’une chute est cher : un col du fémur rédhibitoire.
Je me doutais bien que vous ne seriez pas une grande fan du tropisme normateur du maire de Paris. Quant à Jadot, s’il est élu président, je fais comme les plus grands gilets jaunes : je demande l’asile politique aux Etats-Unis.
Mon gamin a une trottinette électrique et c’est vrai que c’est assez jouissif. Mais tant qu’à retrouver le goût de l’enfance, je préfère de loin la mobylette. Un petit plaisir que je me suis offert il y a trois ans. Un vrai gamin ...
Profitez bien de votre légèreté dans le Paris morose.
Bien à vous.
Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

J'ai traité cette question de la trottinette comme un "symptôme" certes anecdotique mais néanmoins significatif de "l'esprit français".

Est-ce qu'il arrive quelquefois que l'on dise du bien de quelque chose ou de quelqu'un dans ce pays ? On préfère ronchonner et déverser sa bile et ses petites rancœurs. La trottinette a ainsi donné lieu à l'expression de petites haines difficiles à comprendre.

Pourtant, je vous assure que traverser Paris en trottinette, surtout en ce moment où il y a peu de circulation, c'est vraiment exaltant. Mais il y a toujours quelques grincheux qui viennent vous réprimander ou vous siffler. Quant aux médias, ils appuient et aiguisent ces petits ressentiments.

Certes, la trottinette peut être dangereuse. Mais il ne faut pas confondre: le principal danger provient des voitures qui peuvent vous renverser.

Quant à Jadot et aux écologistes, ils m'effraient, moi aussi, de plus en plus. Mais j'ai un post en réserve sur le sujet que je devrais diffuser dans quelques semaines.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Ce n'est plus la fille, c'est la gamine de l'est.
Bonjour madame Carmilla !
Des fois, il faut lessiver notre sérieux, plonger à l'eau comme ce matin et remonter le courant de la rivière. Plaisir assuré, merveilleux moment de solitude entre les deux rives avec cents mètres de liberté de chaque côté d'une rive à l'autre. Ou bien, comme vous le faite, grimper sur votre trottinette et faire le course avec votre amie Daria dans les rue de Paris ville ouverte. Il ne faut jamais perdre le paradis du rire de l'enfance, et si on le perd, alors il faut le retrouver. Grimper aux arbres, jouer au ballon, lancer des cailloux à l'eau pour les faire rebondir, pique-niquer sur ma grosse pierre plate sous le confort que m'offrent l'ombre des grands érables, savourer les premiers légumes du jardin, et se coucher le soir pour sombrer dans un profond sommeil. Tout cela c'est juste se sentir bien vivant et reconnaître que nous avons beaucoup de chance.
La trottinette, je n'ai jamais essayé, ici au Québec avec les routes massacrées par le dernier hiver, ce n'est pas très recommandé. Par contre ce qui m'intéresse, comme toujours, c'est le côté technique. Quelle est la vitesse maximum de ce bolide ? À pleine charge sur les batterie vous pouvez parcourir combien de kilomètres ? Combien de temps pour la recharge des batteries ? Je demeure toujours passionné par l'énergie et toutes les énergies.
L'esprit de Didier Graffet c'est tout à fait moi, les dirigeables qui transportent des bateaux d'un autre âge, les locomotives à vapeurs, les mystères qui planent entre des cieux incertains, ça me fait rêver. Je tiens cela de l'enfance, parce que le gars de l'ouest a été un bambin qui construisait des bateaux et des avions avec lesquels je m'amusais pendant des heures toujours trop courtes. Puis sont venus les radeaux, les cabanes, mes coins secrets, mon univers personnel et l'apprentissage de la liberté. Au total, j'ai découvert assez tôt dans ma vie, que l'imaginaire n'avait pas de limite.
Hier, c'était la 65ième édition de la traversée à la nage du Lac Saint-Jean, 32 kilomètres entre Péribonkas et Roberval, c'est le Néerlandais, Marcel Sohouten qui a terminé premier : 7 heures 13 minutes, par une eau à 21 degrés, ce qui est relativement chaud pour le Lac Saint-Jean. Mais pour la plus part de ces 22 nageurs ( 13 hommes 9 femmes), c'est de traverser ce lac, ce qui n'est pas une mince affaire. La dernière nageuse a terminé en 9 heures 38 minutes. Il y a eu 5 abandons.
Modestement, je vais me contenter de mon pataugeage dans la rivière Saint-François.
Bonne fin de journée sur votre trottinette.

Richard St-Laurent

Anonyme a dit…

Bonjour Carmilla,

Très bonne question.
La France est un pays de râleurs et de plaintifs. C’est un sport national et la consommation de neuroleptiques explose. Mais ça c’est quand tout va bien comme en ce moment. Je comprends que cela soit difficile à comprendre pour les gens de l’Est, et pour ceux de l’Ouest aussi. Le Français est un mystère, même pour lui-même...
Et quand tout va mal, il se ressaisit, il revit, résiste, révolutionne, invente tout, change de régimes politiques 15 fois en moins de deux siècles, jusqu’à trouver celui qui fonctionne le mieux et à sombrer à nouveau dans la dépression jaune sur un rond-point. Ca c’est la franchouille, irréductible, toujours latente, soutenue par des beaufs professionnels, de Le Pen à Mélanchon aujourd’hui.
Parfois quand on est Français, il est bon de ne pas se sentir Français, de perdre son identité et, par bonheur, certains coins de France respirent encore une autre voie, une troisième en sorte, entre le beauf et l’élégant. Alors on s’y déploie dès que possible.
Au plaisir.
Alban

Au passage, excellent commentaire de Richard. Un gamin n’a jamais d'âge, c’est son apanage.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Vous avez probablement raison. C'est l'esprit de sérieux qui, trop souvent, fait de nous des grincheux et des ronchons. Mêmes jeunes, on s'embarrasse de cette idée que "ça ne se fait pas". C'est comme ça qu'on devient vieux avant l'heure, qu'on passe sa vie vautré devant la télé ou qu'on se comporte comme un petit marquis intolérant.

Le "désenchantement du monde", c'est une triste réalité et ça n'a pas qu'une connotation religieuse. On affiche une préférence générale pour tout ce qui est formaté, banalisé, pour tout ce qui vous maintiendra dans votre petite coquille et vos habitudes.

S'agissant des trottinettes, on en trouve maintenant dans toutes les grandes villes du monde. Leur vitesse maximale est de 25 kms/heure (prochainement réduite à 20 à Paris). C'est en fait assez élevé parce qu'il n'y a pas vraiment d'amortisseurs et pas de pneus (c'est très dur): si vous rencontrez un nid de poule, vous risquez un vol plané.

Je n'ai jamais rencontré de problèmes d'autonomie. Elles sont en principe rechargées toutes les nuits par des services spécialisés. Vous pouvez de toute manière changer à tout moment, très facilement, d'engin.

La traversée, en un peu plus de 7 heures, des 32 kms du Lac Saint Jean me laisse songeuse. Je n'en suis pas encore là. J'en suis même loin parce que si j'arrive maintenant à nager pendant longtemps le crawl, c'est en piscine et la piscine, ça n'a rien à voir avec l'eau vive; j'y perdrais probablement mes repères.

Je partage enfin votre appréciation sur Didier Graffet, c'est très évocateur.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Sans doute Alban,

Mais cette attitude systématiquement négative conduit à un conservatisme politique consternant.

C'est l'ère, depuis plusieurs décennies, des "Présidents fainéants" qui se gardent bien de faire quoi que ce soit qui déplairait au Peuple.

Mais à trop caresser l'opinion dans le sens du poil, à l'acheter avec un argent que l'on n'a pas, on subit un jour le retour de bâton de la réalité économique.

Pourquoi le chômage et la fracture sociale sont-ils plus importants en France qu'ailleurs ? On connaît les remèdes (ça n'est d'ailleurs pas simplement le coût du travail) mais on se gardera bien de les mettre en œuvre. Sans doute aussi parce qu'une majorité de la population s'accommode fort bien de cette situation.

Bien à vous,

Carmilla