samedi 21 septembre 2019

Histoires russes - L'Alaska et la Californie


 

J'en ai déjà parlé. Ce qui est enseigné, à l'école, comme de l'Histoire, ça diffère profondément d'un pays à l'autre. On a vraiment l'impression que l''Histoire universelle ça n'existe pas. Elle est toujours mise au service des nationalismes, de la gloriole et du chauvinisme local. Il n'y a que des héros et des martyrs, rien que des récits édifiants, et puis les autres pays, ça n'existe quasiment pas.

Pour ce qui me concerne, je connais plutôt davantage l'Histoire russe que la française.  C'est surtout parce que l'Histoire russe, elle diffère de toutes les autres et c'est absolument fascinant. Elle est pleine de crapules et de traîtres qui n'ont vraiment rien d'exemplaire. Ça vaut tous les récits d'aventure et tous les romans policiers. Si on ne parle que des Tsars, de Rurik à ... Poutine, on ne rencontre, au masculin et au féminin, que de grands cinglés, des fous criminels, des débiles, des dépravés, des incestueux, des cyniques, des cruels, des mégalomanes. Il n'y a eu que deux gentils, deux "démocrates" : Nicolas II et Gorbatchev mais ça ne leur a pas réussi et ça explique sans doute qu'ils aient mal fini. Quand j'étais enfant, ça a été mon éducation à la vie.


Je me propose donc de vous raconter, à partir d'aujourd'hui, quelques histoires russes peu connues à l'Ouest. Pas celles de tsars débauchés sur les quels on trouve tout de même une littérature abondante mais celles de périodes, de moments critiques de l'histoire, à la suite des quels le destin du monde aurait pu basculer.

Je commence par les Russes en Amérique. Presque tout le monde semble l'ignorer mais les Russes ont failli conquérir l'Amérique du Nord, du moins sa côte Ouest. Ils ont commencé par annexer l'Alaska et ont ensuite essaimé jusqu'en Californie, à San Francisco. Ça n'est pas si vieux que ça puisque ça s'est passé au début du 19 ème siècle.


Tout a commencé avec la conquête de l'immense Sibérie et la découverte du détroit de Bering.

La Sibérie d'abord, il ne faut pas croire que ce sont les victoires militaires qui ont permis aux Russes de se l'approprier. D'ailleurs, il faut bien le reconnaître, en dépit de la propagande actuelle, les Russes sont d'assez piètres soldats. Dès qu'il s'est agi de livrer une bataille directe, ils ont été battus. Presque tout le monde les a vaincus : les Mongols, les Polonais, les Suédois, les Turcs, les Anglais, les Français, les Finlandais, les Afghans ... Leurs deux défaites les plus humiliantes : contre le Japon en 1905 et en Crimée (1853-1856) contre les Français et les Anglais [entre parenthèses : c'est drôle, les Français ne savent même plus à quoi correspondent "le pont de l'Alma", le "boulevard de Sébastopol" ou la ville de "Malakoff"; il serait pourtant bien qu'ils rappellent aujourd'hui à Poutine leur droit sur la "Crimée" à la suite de leur victoire de 1856; ça changerait la donne actuelle et les prétentions russes].


Dans l'histoire, les victoires russes, elles n'ont été obtenues que parce que l'adversaire n'avait quasiment pas d'armée (l'Asie Centrale au 18 et 19 ème siècles, l'Ukraine et la Géorgie aujourd'hui) ou bien en raison de l'épuisement, enlisement moral et matériel des troupes adverses, dépassées par l'immensité du pays : les Suédois, Napoléon, l'Allemagne nazie. La stratégie russe, elle table aujourd'hui encore sur la défense, le long terme, la dissimulation, la lassitude, presque jamais sur l'offensive directe : on ment et on fait le dos rond en attendant que les choses se tassent. Les Russes sont vraiment les champions des conquêtes territoriales sans combattre.


Ça s'est passé de la même manière pour la conquête de la Sibérie. On n'y a dépêché aucun corps d'armée. La fabuleuse expansion de la Russie vers l'Est, elle a en fait été réalisée, à partir du 16 ème siècle, par des trappeurs et marchands de peaux, cupides mais courageux. La fourrure, c'était en effet le grand business, "l'or en poils", à destination de l'Europe et de l'Asie et petit à petit, les trappeurs et marchand ont obtenu l'aval des tsars pour coloniser, avec l'appui de mercenaires, les régions à l'Est de l'Oural. En contrepartie, il leur était simplement demandé de collecter l'impôt (en fourrures) auprès des populations nomades. Bien sûr, ça n'était quand même pas si facile parce qu'il fallait affronter des conditions extrêmement hostiles : le froid, les animaux, les maladies, les peuplades hostiles. Mais petit à petit, les marchands et chasseurs ont construit des bastions et forteresses au sein d'un espace gigantesque.


Ça a pris une telle extension qu'au début du 18 ème siècle, on ne savait pas très bien où la Russie se terminait. C'est alors que le Tsar Pierre le Grand, le plus moderne de tous, a décidé de dépêcher une expédition chargée d'établir une carte du littoral russe. C'est le Danois Vitus Bering, qui servait dans la marine russe, qui a été désigné chef de cette expédition.

Une première expédition de 5 ans (1725-1730) le conduisit jusqu'au Kamtchatka puis à proximité du fameux détroit de Bering. Une seconde expédition lui permit enfin, au bout de 8 années de voyage, de découvrir, en 1841, la route maritime orientale vers l'Amérique. Mais la joie de la découverte fut de courte durée parce que Bering et la plupart de ses matelots sont morts peu après d'épuisement et du scorbut. Quoi qu'il en soit, Bering est devenu le Christophe Colomb Russo/Danois, l'homme qui a découvert, 349 ans après, la façade Ouest de l'Amérique.


Ensuite, les choses sont allées très vite et la Russie a entrepris de conquérir l'Amérique avec l'Alaska pour base de départ. Elle a créé à cette fin la Compagnie Russe d'Amérique. Elle a donc commencé par coloniser l'Alaska en faisant commerce de peaux avec les autochtones. Il semble d'ailleurs qu'elle ait surtout exterminé, comme les anciens conquistadors, la plupart de ces autochtones en exportant les maladies européennes. Quoi qu'il en soit, les Russes n'ont jamais été très nombreux dans leur colonie de l'Alaska (guère plus d'un millier). L'actuelle ville de SITKA (anciennement Nouvelle-Arkhangelsk) est cependant devenue la capitale et la base de l'Amérique russe. On y trouve aujourd'hui, pour seul souvenir, la réplique d'une tour de guet russe.


C'est alors qu'intervient un homme d'exception, Nicolaï REZANOV (1764-1807) : diplomate (premier ambassadeur russe au Japon), polyglotte d'exception, aventurier, il s'est attaché à la colonisation de toute la côte Ouest d'Amérique via cette Compagnie Russe des Fourrures dont il a pris les rênes et qui est devenue extrêmement prospère. Le rêve de Rezanov, c'était de bâtir un Empire russe du Pacifique s'étendant de la Sibérie à la Californie avec une émigration massive de Russes depuis la mère patrie. Avec quelques navires, à la tête d'un contingent de repris de justice et d'officiers frondeurs, il est ainsi parvenu, en avril 1806, jusqu'à San-Francisco (rattachée alors à la Nouvelle-Espagne). Il y a alors entamé immédiatement des négociations avec le gouverneur espagnol.


C'est alors qu'il rencontre la fille du gouverneur, une femme d'une beauté ensorcelante, Conception Arguello, dont il tombe immédiatement amoureux. L'habileté diplomatique de Rezanov fait alors des miracles et il parvient à obtenir du Gouverneur un contrat commercial et la promesse de sa fille. A ce moment, on peut considérer que Rezanov a gagné : grâce à son mariage et à son traité commercial, la Russie va pouvoir créer une colonie en Californie. Le fiancé rentre ainsi à cette fin à Saint-Pétersbourg pour faire parapher par le Tsar ces accords. Malheureusement, il meurt d'épuisement et de maladie sur la route du retour (à Krasnoïarsk en mars 1807) et son projet d'Empire russe du Pacifique ne survit pas à sa personne. Les traités n'ont jamais été signés et la jeune fille espagnole est entrée au couvent. Il n'existe plus que quelques traces (une chapelle et quelques tombes) de cette épopée russe : à Fort Ross en Californie.


C'est évidemment une histoire terriblement romanesque mais on ne peut s'empêcher de rêver : sans la mort prématurée de Rezanov, qu'auraient été les destins de la Russie et des États-Unis. Parlerait-on russe à Los-Angeles ? A quoi ressembleraient Hollywood et la Silicon Valley (je signale quand même que, par une étrange revanche de l'histoire, c'est un Russe, Sergueï Brin, qui est cofondateur de Google) ?

Après Rezanov, la Russie s'est désintéressée de l'Amérique et a renoncé à un projet de colonie. La guerre de Crimée lui a en outre fait prendre conscience de ses faiblesses militaires et elle a alors décidé de vendre l'Alaska. Ce fut chose faite en 1867 par le Tsar Alexandre II (le "Tsar libérateur" qui a aboli le servage), alors que le commerce des fourrures commençait à décliner. L'Alaska aurait été vendu aux États-Unis pour la somme de 7,2 millions de dollars. C'était évidemment un prix ridicule, ça ne représentait que 4 dollars au kilomètre carré, mais les Russes n'avaient pas non plus d'autre titre de propriété à faire valoir que celui d'être déjà là.


Ce qui est amusant, c'est que cette acquisition a d'abord été vivement dénigrée par la presse américaine : une folie, quel besoin a-t-on d'acheter ce congélateur ! Et puis les critiques se sont tues quand on a commencé à découvrir de l'or en Alaska.

Aujourd'hui, on peut même considérer qu'il s'est agi de la meilleure opération foncière de tous les temps. C'est peut-être à cette fantastique affaire que pensait Donald Trump quand il a récemment proposé au Danemark de racheter le Groenland.

Mais le plus drôle, c'est que les Russes sont aujourd'hui amers que l'on ait bradé à ce point l'Alaska. Il existe même des groupes nationalistes qui réclament sa restitution voire sa reconquête. On peut alors se poser la question : est-ce que Poutine ne va pas rééditer en Alaska, proclamé terre russe immémoriale, l'opération réalisée sur la Crimée ? Et est-ce qu'il ne faudra pas alors, après le mur du Mexique, construire un nouveau mur entre l'Alaska russe et le Canada ?


Tableaux de Nicolas ROERICH (1874-1947), grand peintre symboliste russe qui a notamment parcouru toute l'Asie. Un musée est consacré à son œuvre à New-York.

Je vous ai peut-être ennuyés avec cette première histoire russe. Mais c'est aussi une manière de parler de moi-même et de ce qui me fait rêver.

Si vous vous intéressez à l'histoire des Tsars et Tsarines russes, je vous recommande :

- Bernard Féron : "La galerie des Tsars"
- Simon Sebag Montefiore : "Les Romanov". Très complet. Il se trouve en poche.
- Tous les livres d'Henri Troyat, tous vivants et addictifs. Ils sont également tous en poche.

Si vous vous intéressez à l'Amérique russe, il y a un livre de référence publié en 2016 :

- Owen Matthews : "Nikolaï Rezanov - Le rêve d'une Amérique russe".

Je termine enfin avec mon habituelle petite recommandation cinématographique, le dernier film de Woody Allen : "Un jour de pluie à New-York". Un Woody Allen, c'est toujours jubilatoire même si ça n'est pas son meilleur film.


13 commentaires:

Michael a dit…

Merci. Avec vous, on ne s'ennuie jamais !

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Michael,

Mais dans la vraie vie, je ne suis peut-être pas ennuyeuse mais du moins peu loquace.

Bien à vous,

Carmilla

Michael a dit…

La "vraie vie"... celle de ce blog est-elle moins vraie que l'autre (ou les autres) ? Qu'importe d'ailleurs: comme lecteur, ce qui compte, c'est le plaisir de vous lire et de profiter des perspectives que vous ouvrez.

Carmilla Le Golem a dit…

Effectivement Michael,

Ce qui nous fait rêver, notre imaginaire, constitue une réalité aussi forte que ce qui constitue notre quotidienneté. Il y a d'ailleurs une pénétration continuelle, voire un débordement, de l'une par l'autre. Ça explique qu'on soit plus ou moins fantasque.

Bien à vous,

Carmilla

Alban Plessys a dit…

Bonjour Carmilla,
je connaissais un peu l'affaire de la vente de l'Alaska mais pas du tout les aventures de Rezanov! Merci.
C'est étrange et fascinant ce besoin de découvrir puis de s'approprier chez l'être humain, avec les désastres corrélatifs. Et il en va de l'homme simple comme des empires qui finissent tous par périr en ne laissant au mieux au monde qu'une histoire, une genèse, des récits d'épopée, une mythologie de la victoire, des héros et des rêves de puissance et de grandeur. Cela révèle un besoin d'exister bouleversant, des petites gens qui s'identifient à un drapeau au groupe se constituant en clan puis en nation. Ces histoires sont largement mythomaniaques, voire collectivement psychotiques.
Peu de cas est fait des déroutes, le plus souvent activées par un détail (la maladie du chef, un coup de froid, la boue, etc.). C'est tout l'intérêt de l'histoire "scientifique" que de mettre en évidence tous les aspects d'un évènement, pour éclairer les mythes et revenir à un peu d'humilité et de lucidité.
Est-ce cela la fin de l'histoire? La fin des mythes?
Vaste sujet.
Bien bonne journée Dame Carmilla.
Alban

Nuages a dit…

Très intéressant ! On apprend plein de choses. Je savais bien sûr que la Russie avait vendu l'Alaska aux Etats-Unis, mais je ne savais pas qu'il y avait eu des tentatives de colonisation jusqu'en Californie.

Je me demande si Jirinovski, en son temps, n'avait pas exigé de récupérer l'Alaska.

Si jamais Poutine annexait l'Alaska, il pourrait construire une sorte de super - Pont de Kertch à travers le détroit de Bering !

Enfin, je me souviens d'une interview de l'inénarrable Sarah Palin, alors gouverneure de l'Alaska. Elle déclarait qu'elle avait assurément des compétences pour les relations avec la Russie, puisqu'elle pouvait voir la Sibérie depuis l'Alaska...

Richard a dit…

« Je vous ai peut-être ennuyés avec cette première histoire russe. Mais c'est aussi une manière de parler de moi-même et de ce qui me fait rêver. »

Bonne nuit Carmilla !

Me faire rêver, rêver encore, et encore.

Que serais devenu l'Amérique si les Russes avaient persisté ?

Et les hypothèses se joignent aux rêves.

Et voilà, c'est reparti...

Les historiens et les les anthropologues mentionnent souvent que c'est inutile de faire dévier l'Histoire, ou bien la réinterpréter, ce qui aurait pu être autrement. Je m'élève contre tels propos. Laissons aller notre imagination. C'est ce que je fais lorsque j'engage une discussion avec un interlocuteur, connu ou inconnu, peu importe. J’essaie toujours de savoir ses rêves.

Mais qui est-ce qui te fais rêver ? Que je lui demande.

Alors s'élabore une autre manière de voir, une autre conception, et une furieuse envie d'aller voir plus loin. Les choses auraient pu être autrement ! Voilà, qui n'est pas un exercice futile, bien au contraire. C'est rudement stimulant.

Oui, les choses auraient pu être autrement, l'Amérique du Nord aurait pu être Russe ou Espagnole ; mais ce que les français oublient, c'est qu'elle aurait pu être française, et aujourd'hui ce n'est pas la langue anglaise qui dominerait le monde mais la langue française. Je le dis sans réminiscence, sans haine, mais avec le plus grand réalisme, qui je le conçois, peut-être blessant. Mais, je ne m'excuserai pas. Je n'en n'ai aucune envie. Des fois, les rêves, viennent hanter nos réalités actuelles. Les supposés génies de jadis se transforment en parfaits idiots. Que dire de Napoléon qui a vendu la Louisiane aux américains pour financer une partie de ses guerres sur le sol européen ? Vision de l'avenir où le doute s'installe à demeure, que je qualifierais de manque de vision.

Il est tard, je vais aller rêver un peu.
Vos rêves sont très excitant.
Encore une fois, bonne nuit pour ce qui en reste en Europe.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

L'Histoire collective a en effet longtemps structuré les mentalités individuelles et alimenté nationalismes et sentiment de grandeur. Et puis il faut reconnaître, quelles que soient les réserves que l'on puisse aujourd'hui formuler, qu'on ne peut qu'être admiratifs devant le courage et l'audace de tous ces "conquérants" qui ont souvent péri tragiquement.

Mais les choses changent. Les Français, par exemple, demeurent fiers d'eux-mêmes mais ils ont tendance à dénigrer leur propre histoire qu'ils connaissent d'ailleurs assez mal. Il est par exemple rarissime de rencontrer un Français qui ne critique pas violemment Napoléon (qui a pourtant façonné l’État moderne et promu l'idéal européen) ou l'Empire français. Les écrivains, les artistes, les scientifiques, on n'en tient pas non plus compte. Quant à envisager aujourd'hui la conquête de nouveaux territoires... Finalement, ce dont ils sont les plus fiers, ce sont les victoires de leur équipe de football. De ce point de vue, c'est effectivement la fin de l'Histoire.

En Russie, c'est l'exact contraire. Les Russes sont convaincus qu'ils sont peut-être pauvres mais que leur culture et leur Histoire sont supérieures à celles des autres nations (ils connaissent tous généralement bien l'une et l'autre même si c'est de manière très orientée). Et puis, il y a l'obsession des territoires russes (la population ne s'est toujours pas remise de l'éclatement de l'URSS et de sa grandeur). Ce n'est sûrement pas mieux car c'est effrayant aussi.

La "fin de l'Histoire", on y touche donc peut-être, en effet, en Europe de l'Ouest où on adopte une position de repli et de non-interventionnisme général, mais on en est encore bien loin dans beaucoup d'autres pays.

Bien cordialement,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Il faut quand même être réalistes. Si Rezanof n'était pas mort prématurément, une colonie russe se serait probablement, en effet, installée à San-Francisco. Mais elle n'aurait sûrement pas pu être très importante compte tenu de la longueur (plusieurs mois) et de l'extrême difficulté du voyage de Saint-Pétersbourg à la Californie. Les Russes se seraient donc rapidement "dilués" dans la population américaine.

C'est effectivement Jirinovsky qui a réclamé le retour de l'Alaska. C'est ridicule parce que les Russes n'ont jamais eu aucun droit de propriété "légitime" sur la région. Néanmoins, la majorité des Russes pensent que les Américains les ont volés dans cette affaire et qu'ils ont droit aujourd'hui à compensation. C'est consternant mais, pour illustrer leur mentalité, il faut savoir aussi qu'ils pensent qu'ils ont soutenu et entretenu les Pays Baltes durant l'après-guerre et jusqu'aux années 90.

Ça explique qu'on n'a pas fini d'avoir des "points de friction" avec la Russie.

Sarah Palin avait tout de même raison. On voit bien la Russie depuis l'Alaska. Je ne sais pas toutefois si un référendum de rattachement de l'Alaska à la Russie rencontrerait un grand succès. Il faudrait sans doute bien bourrer les urnes mais ça, les Russes savent faire.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Rétrospectivement, on peut en effet se dire que l'Amérique du Nord devrait aujourd'hui parler majoritairement français et que la plus grande erreur stratégique a été la vente de la Louisiane par Napoléon.

C'est cela qui est fascinant dans l'Histoire. On a tendance à penser que les évolutions sont inéluctables, presque programmées. On prédit déjà l'avenir avec un rééquilibrage des puissances sur l'Asie.

Mais il y aussi des "basculements" imprévisibles, des moments décisifs, qui changent tout à coup le destin des nations. C'est aujourd'hui le développement du terrorisme qui peut bouleverser beaucoup d'équilibres. C'est assimilable à la puissance du hasard, au "cygne noir" théorisé par Nicholas Taleb.

Bien cordialement,

Carmilla

Richard a dit…

Bonne nuit Madame Carmilla !
Il fallait quand même le faire, trois ans après la fin de La Guerre de Sécession, acheter l'Alaska. Le voilà le ressort des Américains. Il ne faut jamais les sous-estimer. Ils manquent souvent de vision, la diplomatie n'est pas leur force ; mais en affaire, lorsqu'une occasion se présente, ils sautent dessus, on appelle cela de l'audace. Contrairement aux Russes, ils ont une bonne capacité d'improviser et surtout d'oublier leurs erreurs. D'autre part, ils avaient eu une bonne pratique avec l'achat de la Louisiane, qui était à l'époque beaucoup plus vaste que le simple État que nous connaissons aujourd'hui. C'était tout le central de l'Amérique du Nord, cela avait coûté cher, mais c'était de très bonnes terres agricoles. Pourtant, les Américains de l'époque, impliqués dans ces transactions, ont hésité, autant pour la Louisiane que pour l'Alaska. On pourrait même qualifier ces deux acquisitions de coups fumants involontaires.
Disons-le comme cela pour la transaction de l'Alaska : Les Russes se sont fait fourrer jusqu'à l'os. Nous pouvons comprendre à juste titre leurs regrets et leurs récriminations. Tant qu'à la reconquête de l'Alaska par les Russes difficile d'y croire, ils ont déjà du mal à administrer ce qu'ils possèdent. Me semble de voir un mur entre le Yukon et l'Alaska. Nous pouvons rêver. Personne ne semble comprendre, que les murs c'est dépassés, avec les moyens que nous avons nous pouvons raser n'importe quelle structure. Les Chinois avaient déjà essayé la chose il y a très longtemps avec leur grande muraille qui n'a jamais arrêté aucune invasion.
On ne refait pas l'histoire, on ne soigne jamais un (Cygne Noire), aucune correction ne peut y être apporté. Seul l'avenir nous dira, si nous avions raison.
Pendant quatre siècles, ce fut un joyeux mélange dans cette Amérique du Nord. Des Italiens, des Espagnols, des Portugais sont venus hanter les côtes de cette Amérique que plusieurs confondaient avec La Chine. Puis sont arrivés, les Hollandais, les Anglais, les Français qui ont exploré, défriché, puis politisé cette Amérique en liquidant les (autochtones). Vous évoquez la possession dans votre texte. Une petite bande débarquait d'un bateau, plantait une croix et prenait possession d'un bout de terre au nom d'un roi très lointain, qui jamais ne foulerait ce sol. Je dirais que ceci, n'est pas de l'expropriation soutenu par un état de droit ; mais que c'est du vol de grand chemin. Ainsi ont allait repousser les indiens à l'ouest jusqu'à leur disparition totale.
En conclusion : Est-ce que nous possédons le sol sur lequel nous marchons ?
Mais, qu'est-ce que nous possédons au fait ?
Comment peut-on vendre ce que nous n'avons jamais possédé ?
Continuez de parler de ce qui vous fait rêver Carmilla.
Cela ne manque pas d'intérêt. J'ai hâte de lire votre prochaine histoire sur les Russes.

Merci et cordialement vôtre.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Aparté

Bonsoir madame Carmilla

Mentalement, je ne suis pas sorti de : Dans l'ombre de Byzance même si j'en ai terminé la lecture.
J'ai profité de cette fin de lecture pour me lancer dans : Neige d'Orhan Pamuk. Ce que je n'ai pas regretter, loin de-là. Vous connaissez l'action qui se déroule à Kars dans l'est de la Turquie, et je suis allé voir des photos de cette ville et de ses environs sur la toile. Vraiment, cela me ressemble, mais ce que j'ai le plus apprécié, se sont les maisons dans cette ville, où des riches marchands russes ont construit des habitations vraiment impressionnantes. Cette histoire de Neige, car il neige tout le temps dans cette histoire, ce qui n'est pas pour impressionner un Québécois, mais l'incite à aller plus loin. Pour faire le pont avec votre texte sur les russes en Amérique, à cette époque particulière, les marchands Russes étaient partout. Mais, peut-être valait-il mieux être dans l'Est de la Turquie qu'en Alaska ? Je me suis tapé, Neige de Pamuk en trois soirées et j'ai vivement apprécié. C'est cela les restes de Byzance ? Il y a de quoi se poser des questions, de quoi rêver aussi.
Je vous recommande vivement : La femme aux cheveux roux de Pamuk. Vraiment un très bon roman. Je pense que vous allez vous y retrouvez, naturellement si vous ne l'avez pas lu. J'ai bien apprécié. Pendant que vous en êtes en Alaska et en Californie ; moi je suis pris dans la neige de Kras. C'est vraiment rigolo.
Ce fut une interlude, un genre de pose, entre : L'ombre de Byzance et deux gros ouvrages que je commence à lire : La part de l'ange en nous de Steven Pinker, et, La reconstruction des nations (Pologne, Ukraine, Lituanie, Bélarus (1569-1999) par Timothy Snyder. Mais il se pourrait bien que les Russes croisent ma quête de connaissance. Pamuk fait le pont, c'est vraiment intéressant.

Merci et cordialement vôtre

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

On ne sait pas si l'acquisition de l'Alaska fut un coup de génie ou un coup de chance. Il ne faut pas oublier que le Ministre américain des affaires étrangères qui a conclu le contrat a été très vivement critiqué en 1867. Quant aux Russes, ils n'ont, à mes yeux, aucune raison de se plaindre : ils n'avaient aucune légitimité à se déclarer propriétaires et ils peuvent s'estimer heureux d'avoir vendu même si c'était à bas prix. De toute manière, ils étaient incapables d'assurer la sécurité, l'administration et l'entretien de ce territoire.

Dans toutes ces opérations foncières, il faudrait une capacité exceptionnelle d'anticiper l'avenir à long terme mais c'est difficile parce qu'"à long terme, nous serons tous morts".

Ça ne concerne d'ailleurs pas seulement les États mais aussi les particuliers. Je vous signale à ce sujet que l'on discute beaucoup, en ce moment, d'une vaste privatisation et vente des terres agricoles en Ukraine. On dit que ça peut être l'affaire du siècle parce que les terres ukrainiennes sont réputées fertiles. Si vous êtes audacieux, vous pouvez donc envisager d'échanger 100 hectares de terres canadiennes contre au moins 400 hectares de terres ukrainiennes. Ça peut être le jackpot mais vous risquez aussi de tout perdre. En tous cas, je ne vous le conseillerais pas.

J'ai lu "Neige" de Pamuk. J'ai assez aimé. J'ai également séjourné une semaine à Kars, une ville-frontière très étrange au sein d'une région magnifique toute proche de l'Arménie et de la Géorgie. C'était curieux pour moi : c'était une ville russe et elle en a conservé l'architecture.

J'avais noté et mis à mon programme de lecture : "La femme aux cheveux roux" de Pamuk.

Je vous félicite enfin d'attaquer "la reconstruction des nations" de Snyder. A vrai dire, je n'aurais pas osé conseiller ce livre qui est une thèse universitaire. C'est tout de même lourd et indigeste et j'ai l'impression que ça ne peut passer que pour des spécialistes et des ressortissants de ces différents pays. Même moi, je ne l'ai pas lu d'un trait; je ne m'y réfère que ponctuellement pour vérifier une information.

Bien à vous,

Carmilla