samedi 7 mars 2020

Nouvelles peurs

 

L'actualité, je ne la connais qu'à travers la presse. Quant aux informations, à la télé ou la radio, je prends bien soin de les éviter. Ça me soûle et m'abrutit. Surtout, j'ai l'impression qu'il n'y a rien de plus normalisateur. Ça permet de croire qu'on peut se dispenser de réflexion: il suffit d'être connectés, d'être en "temps réel", pour savoir tout du monde.


Une semaine de régime "informations", surtout sur le mode "en continu", et vous voilà transformés en citoyens "lambda", péremptoires, réagissant au quart de tour, ayant un avis sur tout et sur rien. De vraies "boules nerfs", tiraillés d'affects contradictoires. On devient vite plein de certitudes, on est "au courant", on se met à avoir des idées, souvent des "engagements", mais on ne perçoit finalement pas l'essentiel: qu'on est enfermés dans une petite bulle, souvent très "du côté de chez moi", de préjugés et d'idées toutes faites.


Je me trompe peut-être, j'ai peut-être tort, mais ça me permet d'échapper aux hystéries ambiantes et aux grands délires collectifs. Je remarque évidemment qu'en ce moment tout le monde est remonté comme des coucous, proche du "nervous breakdown", à propos du Coronavirus. Ça n'arrête pas de caqueter et de se lamenter, d'échafauder les scénarios les plus catastrophistes. La puissance des médias, ça n'est finalement pas rien: capables de provoquer instantanément les grandes émotions, les grandes peurs, surtout les plus malsaines, les plus viles. Il est vrai qu'inspirer la pétoche, c'est ce qui fait leur fonds de commerce. La stratégie des médias, c'est finalement: cultiver l'émotion pour empêcher de penser.


Je n'ai bien sûr aucun avis concernant la menace réelle que fait planer le coronavirus. Mais il suffit peut-être d'analyser un peu les chiffres. On a aujourd'hui, en France, juste un peu plus de (mal)chances de décéder du coronavirus que de gagner au Loto (1 sur 16 millions en France). Pas de panique si vous n'êtes pas trop vieux et bien portant : les décès sont en effet surtout liés à des comorbidités. Mais il est vrai qu'on ignore tout de l'extension potentielle de la maladie.


Les chiffres de mortalité liée au coronavirus sont actuellement très faibles, du moins pas suffisamment importants pour motiver, sauf effroyable malchance, une réelle angoisse voire la panique de la population. On a ainsi rappelé que, chaque année, la simple grippe fait en France, bon an mal an, environ 10 000 morts. Et durant la période épidémique, il y a, chaque semaine, près de 1 000 morts. Mais personne ne s'en émeut.  Qu'est-ce que ce serait pourtant si c'était 1 000 morts du coronavirus ? Il est d'ailleurs comique  d'entendre les médias réclamer, à cors et à cris,  un vaccin alors que celui contre la grippe fait l'objet d'un rejet massif en France. Qui parle également des 6 000 nouveaux séropositifs et 500 décès annuels du SIDA en France ?


On peut aussi relativiser les choses en se penchant sur le passé. La grippe espagnole qui a sévi de 1917 à 1919, aurait fait, selon les dernières évaluations, jusqu'à 50 millions de morts dans le monde, dont 2,3 millions (0,4 million en France) en Europe (parmi les quels, Guillaume Apollinaire, Edmond Rostand, Egon Schiele, Max Weber, Franz Kafka) et 6 millions en Inde et en Chine. La grippe espagnole s'est finalement révélée une tueuse beaucoup plus efficace que la Grande Guerre.


Et que dire de la " Grande Peste Noire" médiévale qui a principalement sévi au 14 ème et 15 ème siècle ? Pour le seul territoire français, la population aurait décru, entre 1340 et 1440, de 17 millions à 10 millions d'habitants, soit une diminution de 41%. Ce n'est ensuite qu'à la fin du 17 ème siècle que la France aurait retrouvé son niveau démographique du début du 13 ème siècle.


Ou bien, sur une période de quelques mois, de 1348 à 1350, d’Italie jusqu’en Irlande,  à partir d’un comptoir génois de Crimée, la maladie aurait fait de 20 à 30 millions de morts, soit entre le quart et le tiers de la population européenne. C’est même 50 % des habitants de Florence qui auraient disparu.


Il y avait effectivement de quoi être terrorisé. La Grande Peste a été un véritable cataclysme pas seulement démographique mais moral, économique, social, politique.


Confrontés à ces chiffres inouïs, comment ne pas croire, en effet, à la fin du monde ? L’avènement de l'Antéchrist ? C’est ce qu'ont cru beaucoup qui ont alors cherché des boucs-émissaires (étrangers, hérétiques, juifs). Dans beaucoup de villes, les juifs furent éliminés avant même l'apparition de la peste, permettant ainsi aux notables de ne pas avoir à rembourser leurs créanciers.


Il faut surtout imaginer la complète décomposition de l’ordre social durant la Peste Noire. Familles et amis se fuient, plus rien ne fonctionne, on ne cultive plus les terres, on n'enlève plus les corps, le maintien de l’ordre est impossible, l’insécurité est totale. Bientôt, les esprits changent, la société est en déliquescence. Persuadés de mourir rapidement, les gens cherchent à vivre pleinement et profiter de ces moments de vie. Une crise morale atteint la société européenne.


De plus, beaucoup de biens sont laissés à l’abandon. La classe dominante est bouleversée et on assiste alors à des transferts massifs de propriété mais aussi à un développement du salariat et à une augmentation du coût du travail.



La Grande Peste a ainsi opéré une complète redistribution des cartes sociales. A tel point que l'on peut dire qu'elle n'a pas eu que des conséquences négatives. A tel point même que lui a succédé,comme une étrange leçon de l’histoire,....la Renaissance.


Alors que l’on pouvait s’attendre à un effondrement de l’Europe, on a au contraire assisté à son renouveau progressif.

Il ne faudrait évidemment pas en conclure qu'on aurait besoin aujourd'hui d'une Grande Peste pour régénérer le monde mais je me demande souvent si cette idée n'affleure pas, avec complaisance, dans les médias et chez nombre de responsables politiques.


En tous cas, l'histoire de la Peste médiévale rencontre étrangement nos angoisses actuelles : d'abord les fantasmes délirants d'une fin du monde prochaine annoncée, voire souhaitée, par les écologistes ou bien cette idée devenue dominante d'une décomposition morale et économique de la société (et singulièrement du capitalisme) à la quelle seul un Grand Soir peut mettre fin.


Avec la menace du coronavirus, pointe aussi cette idée qu'on l'avait bien cherché et que cette épidémie n'est que la conséquence de nos errements: la mondialisation, les migrations, la science et les expérimentations devenues folles, la surpopulation, la rapacité économique... Ce qui se profile aujourd'hui, l'effondrement de la civilisation, ne serait qu'une juste punition de nos péchés.


Très vite s'installe la peur de l'autre. On rentre en pleine société disciplinaire, on prescrit déjà de nouveaux rituels comportementaux : limitation des déplacements, lavage des mains,  port de masques, restriction des contacts corporels (Point positif tout de même pour moi : ça va peut-être conduire à mettre fin, en France, à cette manie qui m'exaspère de se faire systématiquement la bise). On encourage aussi la restriction du lien social (confinement), le repli sur soi-même, sur la cellule familiale, sur son ordinateur. Inévitablement, s'accroît la méfiance vis-à-vis de l'autre, de l'étranger.


La peur de l'autre, ça devient vite la haine de l'autre (il est édifiant d'entendre Greta Thunberg et les "jeunes" d'aujourd'hui s'en prendre aux générations passées). Mais la haine de l'autre, c'est aussi la haine de soi-même. Parce que c'est bien là le fond du problème. Si on se met à haïr l'autre, à se détester soi-même, c'est aussi parce qu'on se sent coupables, universellement coupables. On est incapables d'admettre la réalité brute de la vie, son absence de justification.


La fatalité du Destin, ça nous est étranger. Le malheur doit être obligatoirement rapporté à quelque chose, à quelqu'un, à soi-même. On n'arrive pas à accepter le caractère monstrueux de la vie, son arbitraire et son indifférence.  et on se convainc alors d'une nécessaire expiation.


On a souvent dit que le 21 ème siècle serait religieux. Peut-être ! Ce qui est sûr, c'est qu'on est déjà fortement incités à faire pénitence et à dénoncer les corrompus sur terre. L'Empire du Bien se généralise et on prépare activement des lendemains qui ne seront peut-être pas roses.


Tableaux de Caspar David FRIEDRICH (1774-1840), Brueghel Le Jeune (1564-1636), Francisco de GOYA (1746-1828), Arnold Böcklin (1827-1921) + images du film "Nosferatu le Vampire" de Werner Herzog ainsi que divers anonymes.

Le coronavirus m'a du moins fait renoncer à me rendre en Iran ce printemps: par crainte surtout d'être mise en quarantaine au retour.

Dans le prolongement de ce post, je recommande un très bon livre : "Peste et Choléra" de Patrick DEVILLE. Prix Fémina 2012 , on le trouve aisément en poche.

8 commentaires:

Nuages a dit…

Intéressante réflexion, très pertinente.

Toutefois, le coronavirus n'est pas anodin (1,7 fois plus contagieux que la grippe saisonnière, 2 ou 3 fois plus mortel), il peut, en évoluant vers une véritable épidémie, faire pas mal de dégâts. Rien à voir évidemment avec Ebola, ou la peste.

Une intéressante tribune ici (d'un médecin belge spécialisé en soins intensifs).

https://www.lalibre.be/debats/opinions/coronavirus-sans-mesures-de-precaution-drastiques-on-risque-d-avoir-850-000-personnes-infectees-et-50-000-morts-en-belgique-5e5cf60f9978e23106a0bfd9

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Au sortir de la lecture d'Amin Maalouf : Le naufrage des civilisations, les propos de votre texte croisent ceux de ce libanais de naissance qui est devenu français. Son livre est une analyse de l'histoire humaine des cinquante dernières années. Je vous le recommande parce que ça fourmille de toutes sortes de pistes de réflexions. C'est une vision très singulière du Moyen Orient et du monde. Il y a matière à alimenter plusieurs débats. Qui plus est, son écriture est savoureuse.

Vous avez raison, nous n'avons pas besoin de la peur, encore moins de la panique ; nous avons besoin de réfléchir.

Dommage pour votre voyage, mais on est en train d'installer un climat pourrit.

Dites-moi, avec les plongeons des marchés boursiers et surtout l’effondrement des prix des matières premières, en autre le baril de pétrole qui a perdu 10 % au cours de la journée d'hier sur le marché de New York, est-ce que nous assistons a un réajustement des marchés ? Est-ce qu'on se sert de ce virus pour effectuer des corrections ? Ou bien, est-ce un début de crise financière ? C'est intéressant, pouvoir se cacher derrière un virus et lui attribuer la faute.

La faute, puis la recherche du coupable, ce qui est très judéo-chrétien.

J'ai trouvé l'intervention de la Fed cette semaine complètement inutile. On aurait dit du n'importe quoi.

Par chance, qu'il y a les livres, les longues séances d'écritures, la rivière qui débâcle, les semailles intérieures, je vais partir mes tomates et mes poivrons et contrairement à l'année dernière, nous aurons connu un hiver beaucoup plus doux. Cette année les chevreuils s'en sortent bien. Ils n'ont pas besoin de dévorer les jeunes pousses de sapins pour survivre. Ce qui ne signifie pas que nous ne connaîtrons pas à l'avenir des hivers intenses comme celui de 2019. Ce qui est intéressant, c'est que beaucoup de ces jeunes sapins qui ont été dépouillés de leur écorce vont survivre.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

julie a dit…

Bonsoir CARMILLA,
Vous dites très bien les choses, merci !
Je n'ai pas peur pour ma pomme... mais pour ceux qui ont beaucoup d'argent en banque :)

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

On ne peut effectivement exclure une propagation massive de l'épidémie avec beaucoup de morts. Le problème est qu'on est face à l'inconnu avec des mutations possibles du virus. On ne sait pas non plus s'il est sensible au climat et aux températures. Les beaux jours ne vont peut-être rien changer.

Sa contagiosité est certes élevée mais il ne semble pas qu'il soit le facteur principal des décès constatés. Il est plutôt une comorbidité associée, ce qui explique que ce sont les personnes déjà fragiles qui sont les plus exposées.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Oui, j'ai lu Amin Maalouf. Son récit de l'histoire récente du Moyen-Orient est effectivement édifiante.

On a tendance à penser que les pays concernés (Egypte, Syrie, Liban) étaient pauvres et arriérés. Grave erreur ! C'étaient des foyers culturels importants avec un niveau de vie et des infrastructures enviables. Tout cela a été balayé par un nationalisme étroit et des politiques économiques absurdes. Nasser, tant vénéré, a initié le déclin.

S'agissant des marchés financiers, je ne pense pas que les Bourses (pour des raisons qu'il n'est peut-être pas opportun de développer ici) étaient surévaluées (je parle du moins de l'Europe car je connais mal le marché américain).

La baisse offre donc des opportunités. Ça peut être une bonne occasion d'acheter à bon prix de belles valeurs. Il faut guetter le bon moment en espérant toutefois qu'il n'y aura pas de catastrophe sanitaire.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

Je ne crois pas qu'il faille s'inquiéter pour les "riches".

Il n'y a pas, aujourd'hui, de crise du système.

L'impact économique est en ce moment limité et si l'épidémie n'est pas trop méchante, il y aura un "rattrapage".

En outre, la baisse des cours des marchés financiers offre, en ce moment, de belles opportunités d'achat et de plus-values futures.

Mais évidemment, rien n'est sûr...

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Rien n'est sûr... sauf notre vulnérabilité.

Les humains détestent parler de leur vulnérabilité. Silence sur nos faiblesses. Lorsque tout va bien, nous osons nous croire invulnérables, pour souvent nous transformer en monstres arrogants. Nous oublions que la modestie demeure une qualité.

Tout cet épisode de coronavirus me rappelle l'époque où j'élevais des bovins. À chaque printemps, à l'époque des vêlages, nous luttions contre une des souches de coronavirus chez les jeunes veaux naissants. Les pertes devenaient notre hantise et une lutte de chaque instant s'installait. Tout ce que nous pouvions faire se résumait à du palliatif, par la réhydratation des jeunes veaux qui attrapaient le virus de l'année. Les veaux ne mourraient pas du virus, ils mourraient des suites de la diarrhée, au moment où ils perdaient leurs électrolytes.

Lorsque les vétérinaires proposèrent les fameux vaccins (parachute), un ensemble de virus en un vaccin, qu'on administrait aux vaches environ six semaines avant les vêlages, un peu comme celui qu'on administre aux humain en automne. Cependant les vétérinaires nous avertissaient de cette part aléatoire, que les souches contenues dans le vaccin ne serviraient à rien, si notre souche dans l'étable différaient. Vous évoquiez Carmilla dans votre texte, qu'en France ces genres de vaccins, pour les humains, furent l'objet d'un rejet massif. Ce qui m'étonne venant du pays de Louis Pasteur.

Reste que ces genres de virus affectionnent la promiscuité. Nous avions de très bonnes discussions avec nos vétérinaire à l'époque sur une multitude de maladies contagieuses. En autre, la rage, beaucoup plus dangereuse. Je constate que souvent ces maladies contagieuses proviennent d'Asie. L'augmentation du nombre d'individus multiplie les possibilités d'éclosions et de transmissions tout comme dans une étables qui débordent d'animaux. Loin de moi l'idée d'ostraciser. Je préfère comprendre au lieu de condamner.

Oui, nous sommes vulnérables, et ce n'est ni un défaut et surtout pas une faute.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La vie est effectivement une maladie mortelle; maladie, qui plus est, sexuellement transmissible, dit-on.

Mais de quoi meurt-on exactement ? On est bien en peine d'identifier une cause unique. Il y a toujours en médecine un diagnostic principal et des comorbidités associées. Il semble ainsi que le coronavirus n'est pas un tueur en tant que tel mais, au sein d'un organisme affaibli, il peut avoir un impact mortel.

De même, j'évoque Kafka parmi les victimes de la grippe espagnole. Je sais que ce n'est pas entièrement exact car il était avant tout tuberculeux. Il aurait cependant contracté, quelques mois avant sa mort, une grippe qui aurait beaucoup dégradé son état de santé.

Effectivement, seulement 30 % des Français se font vacciner contre la grippe. Plus étonnant : cette faible proportion est à peu près la même parmi les personnels hospitaliers qui devraient pourtant tous être vaccinés.

On n'a pas toujours un comportement rationnel face à la maladie et au risque de maladie.

Mais quand on est vraiment malade ou quand une personne meurt jeune, on cherche à rationaliser. C'est à cause d'excès ou d'une mauvaise hygiène de vie, dit-on. C'est une manière de culpabiliser. C'est aussi une manière de refuser l'arbitraire de la vie et de la mort qui n'ont que faire de la rationalité.

Je vous signale enfin que l'hiver parisien a été exceptionnellement doux. Je ne crois pas qu'il y ait eu une seule journée de gel. Plus étonnant : je viens d'avoir des nouvelles de Russie et il n'y a eu quasiment pas de neige à Moscou et Saint Pétersbourg. Les températures ont oscillé entre + 5° et - 5 °. C'est en fait surtout en Europe du Nord que le réchauffement climatique se fait sentir. Il n'y a plus d'hiver.

Bien à vous,

Carmilla