vendredi 15 octobre 2021

Mary Shelley et "l'année sans été"

C'est à Grenoble que j'ai commencé à travailler. J'y ai été très heureuse, notamment parce que je  retrouvais une ville entourée de montagnes comme à Téhéran. 

 De Grenoble, je me rendais fréquemment à Genève. J'en adorais le cosmopolitisme. Il me suffisait de m'asseoir à la terrasse d'un café pour entendre parler toutes les langues. De quoi éprouver aujourd'hui un regret. C'est dommage ! Combien de langues maîtriserais-je aujourd'hui si je m'étais installée là-bas ? 

Et puis, je ne manquais pas, à Genève de me rendre en deux endroits chers à mon cœur : l'Hôtel Beau-Rivage (en face duquel l'impératrice d'Autriche-Hongrie, Sissi, a été assassinée en 1898 par un anarchiste italien) et la villa Diodati. La villa Diodati, c'est moins connu, c'est là que Mary Shelly a ébauché, en 1816, un roman qui allait devenir un mythe moderne : "Frankenstein". 

Sissi, Mary Shelley, mais aussi Theodora, Emily Brontë, voici quelques femmes qui m'inspirent aujourd'hui. Elles n'ont pas grand chose à voir avec ces femmes puissantes (estampillées Léa Salamé) dont on fait aujourd'hui la ridicule promotion. Ce sont plutôt leurs lignes de faille, leurs lignes de fuite, qui me fascinent.


 La villa Diodati a donc servi de refuge, durant l'été 1816, à Mary Shelley, accompagnée de son amant, le poète Percy Shelley, et de leur bébé. Mary Shelley, qui s'appelait encore Mary Godwin, était alors âgée de 18 ans. Ils étaient accompagnés de leur ami, le célèbre poète John Byron, de son amante, Claire Clairmont, la jeune demi-sœur de Mary,  et du médecin, John Polidori.

 Ces jeunes gens, tous poètes romantiques, s'étaient enfuis en Suisse pour échapper à l'atmosphère glaciale qui régnait sur l'Angleterre, cette année là.  Mais ils n'y ont finalement pas trouvé une météo plus clémente.

 L'année 1816 a en effet été caractérisée par "un climat de fin du monde", un temps lugubre, voire terrifiant. Un blizzard accompagné de pluies incessantes, des tempêtes, des inondations catastrophiques, des digues emportées, des ponts détruits, des températures très basses (inférieures de 7° aux moyennes habituelles). Et surtout une ruine de l'agriculture avec des champs submergés. Il s'en est suivi une dramatique famine en Europe avec des populations hâves, squelettiques, monstrueuses, qui parcouraient les campagnes telles des fantômes. Il y aurait eu des millions de morts. La souffrance était telle que les mendiants ne craignaient plus la Loi et attaquaient les maisons bourgeoises. Ou bien, certaines familles abandonnaient ou tuaient leurs enfants.

Le souvenir de cette année dramatique a bien sûr été effacé d'autant qu'elle faisait suite à la longue période de chaos des guerres napoléoniennes. Et puis, ce climat apocalyptique a été, à l'époque, interprété comme une punition divine. C'est seulement aujourd'hui que l'on sait que ce complet dérèglement climatique est la conséquence directe d'une éruption cataclysmique, en avril 1815, du volcan Tambora situé près de Java. Sa formidable explosion a projeté dans la stratosphère un voile de poussière qui va obscurcir le ciel et filtrer le rayonnement solaire pendant plusieurs années. 

C'est dans ce contexte effroyable, anxiogène, qu'il faut comprendre la genèse de "Frankenstein". C'est au cours de la nuit du 18 juin 1816, une nuit importante dans l'histoire littéraire, alors qu'une tempête s'abattait sur eux,  que Lord Byron a proposé que, pour passer le temps, chacun écrive une histoire d'épouvante. Lord Byron entame alors un brouillon qui sera repris, plus tard, par John Polidori et publié sous le titre "Le vampire" (qui inaugurera le genre). Le récit le plus élaboré sera celui de Mary avec "Frankenstein ou le Prométhée moderne" (finalement publié en 1818). 

 Mais qui était cette jeune fille, Mary Shelley (1797-1851) ? On peut peut-être résumer en disant qu'elle était une personnalité radicale, tant sur le plan politique que celui des mœurs. Fille d'une philosophe féministe (c'était peu banal à l'époque) et d'un père, théoricien politique ("Justice politique") aspirant à une société civile reposant sur la coopération et la solidarité. Sous l'influence de ses parents, Mary voyait notamment le mariage comme un monopole tyrannique. Elle fut ainsi l'une des premières prophétesses de "l'amour libre".

Ça explique qu'elle n'ait pas hésité à séduire le poète Percy Shelley (1792-1822), déjà célèbre mais père de famille. Celui-ci était une personnalité impétueuse, adepte d'une vie entièrement libre, une espèce de hippie avant l'heure : surnommé "le fou", "l'athée", il se passionnait pour la chimie et l'occultisme. Épris de Nature, il était devenu végétarien par respect pour les animaux. Il méprisait bien sûr l'argent mais ne voyait pas non plus d'inconvénient à devenir héritier. Il était enfin adepte des "paradis artificiels". Il avait donc vraiment tout d'un jeune d'aujourd'hui.

De la vie de Mary Shelley, il faut surtout retenir qu'elle a été marquée par une incroyable série de morts tragiques : la mort de sa mère peu de temps après sa naissance, le décès des trois premiers enfants qu'elle a eus de Percy Shelley (seule, le quatrième, un fils, survivra), le suicide de la première épouse de Percy,  le décès accidentel de son mari (en 1822) dans un naufrage dans le Golfe de la Spezia, à bord d'un bateau d'agrément. Et elle-même endurera pendant 10 ans les souffrances d'une longue maladie (tumeur au cerveau ?) avant de décéder en 1851.

Quant à son roman-iconique, Frankenstein, il est, pour moi, plus que jamais d'actualité. D'abord, il se déroule au pays de Jean-Jacques Rousseau (le monstre est ainsi d'abord le type même de "l'homme naturel"), la Suisse, puis en Arctique et enfin sur la Mer de Glace, des lieux dont on ne cesse de parler aujourd'hui. Et puis, il ne s'agit pas d'un récit d'épouvante au sens classique, faisant appel au surnaturel. Mary Shelley est, au contraire, quelqu'un de très rationnel. Elle nous invite à réfléchir à notre volonté démiurgique de redéfinir les limites de l'Homme. C'est en effet aujourd'hui notre obsession : on ne cesse de vouloir repousser les frontières entre les sexes (transgenres), entre l'homme et l'animal (antispécistes), entre la vie et la mort (transhumanistes). On n'arrive plus à accepter notre finitude mais est-ce que ça n'est pas une folle illusion ? On vit plutôt dans un fantasme, dans un déni : le refus du Réel, le refus de la Mort. Le Monstre, c'est en fait notre Double !

Tableaux de Frederic Edwin CHURCH (1826-1900), peintre paysagiste américain, de Joseph Mallord William Turner (1775-1861) et de Caspard David Friedrich (1774-1840).

Portrait de Percy et Mary Shelley

La villa Diodati (photo ci-dessus), située précisément à Cologny, existe toujours mais elle n'est qu'exceptionnellement ouverte aux visiteurs.

Mes préconisations de lecture :

- Gillen D'Arcy Wood : "L'année sans été - Tambora, 1816 Le volcan qui a changé le cours de l'Histoire". Un livre absolument remarquable, publié en 2016 mais que l'on trouve facilement en poche.

- De Mary Shelley, il faut bien sûr lire "Frankenstein ou le Prométhée moderne" (ce n'est pas une lecture de gosse). Mais je recommande également vivement : "Le dernier homme" (publié en 1826). C'est la description postapocalyptique d'un monde vidé de ses habitants par une épidémie ravageuse. La fin de l'Histoire... j'ai l'impression que c'est d'actualité.

- Jeannette Winterson : "Frankisstein, une histoire d'amour".  Coïncidence ! Ce livre d'une écrivain anglaise, qui s'était fait connaître avec "Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?", vient tout juste de sortir. Il est une adaptation moderne du chef-d'œuvre de Mary Shelley. Je n'ai pas eu le temps ni de feuilleter ni de lire ce bouquin. Mais le journal "Le Monde" vient d'en faire une critique élogieuse, presque dithyrambique, en première page de son supplément littéraire. A vous, peut-être, de tester.

Comme illustration d'une Mary Shelley moderne, je recommande, par ailleurs, le dernier film de Joachim Trier : "Julie (en 12 chapitres)". Je me reconnais moi-même dans son insatisfaction permanente.

Enfin, je pars ce soir, pour arpenter d'autres horizons. Je ne pense pas avoir de disponibilité d'esprit suffisante pour mon blog. Vous devrez donc attendre 15 jours mon nouveau post.  Mais vous pouvez, bien sûr, toujours m'écrire.


11 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

1816, une année sans été.

Ce fut la même situation en Amérique du Nord à la même époque. Neige en juin à Québec, gèle tardif en fin de printemps, hâtif vers la fin de l’été, tout cela est documenté. Mais, les habitants du Québec, étaient habitués à l’autarcie, ils ont fait ce qu’ils connaissaient de mieux, c’est-à-dire, se retourner vers la forêt, aux maigres ressources des fermes, ils ont chassé et pêché, pour finalement se tirer d’affaire. Tout cela à cause d’un volcan en Asie, ce qui souligne la vulnérabilité de notre atmosphère. Il suffit d’un changement drastique pour changer la donne. À cette époque c’était un volcan, mais cela aurait pu être autre chose.

Sujet intéressant, suite à l’été que nous venons de vivre au Québec. Nous avons traversé une longue sécheresse, qui a débuté en plein milieu du printemps. Le 30 avril dernier fut la dernière journée où il a plut pendant 24 heures, je m’en souviens très bien, puisque j’ai reçu ma première dose de vaccin ce jour-là! Après, mai s’est installé, en douceur au début, mais par la suite avec une constante augmentation des températures. J’ai remarqué que l’ail des bois a été une douzaine de journées en avance. A c’est un signe qui ne trompe pas. Juin nous est tombé dessus avec des températures records. Et, toujours pas de pluie. C’est l’époque où j’ai commencé à traverser la rivière à la nage. En l’espace de quelques jours la température de l’eau a augmenté considérablement. Puis, il s’est passé un phénomène que je ne m’explique pas. Le mois de juillet est demeuré nuageux, avec des températures maximums sous les normales. Si bien, qu’à la fin juillet, nous étions un degré sous les normales. C’était comme si le mois de juillet avait changé de place avec le mois de juin. Toujours pas de pluie. Les cultivateurs ont commencé à être inquiet pour leurs récoltes. Les foins ne poussaient plus. Les céréales en arrachaient. Août nous est sauté dessus, c’est le cas de le dire, nous avons connu plusieurs journées avec des maximum en 30 et 35 degrés, et les minimums oscillaient au-dessus de 20 degrés. Septembre, s’est prélassé entre quelques journées de pluie et du beau temps agréable. Pendant que nous marchions sur un sol ferme qui ressemblait à un planché de ciment, La Gaspésie recevais plus de 280mm de pluie au cours du même mois. Pendant ce temps, en Colombie-Britannique les feux de forêts n’ont cessé de brûler. Je qualifierais cet été d’étrange. En ce matin du 15 octobre, à 4 heures 30 du matin, le thermomètre indiquait 15 degrés. Oui, j’ai bien écrit 15 degrés, et nous n’avons pas encore connu notre première gelée. Ce qui est exceptionnel pour le Québec.

Les jardins ont bien rendu. Les récoltes sont excellentes surtout en ce qui concerne les tomates. Je m’en gave depuis le début d’août. C’était de véritables conditions pour ce fruit. Je me suis régalé. Pour le reste, compte tenu des conditions, c’est acceptable. Lundi dernier je me suis rendu à la ferme pour arracher quelques plans de pommes de terre. Même avec l’aide d’une fourche à fumier, j’ai eu du mal à retourner la terre pour récolter, tellement que le sol est dur à cause de cette longue sécheresse. Malgré mon poids, les fourchons de la fourche, s’enfonçaient que de 10cm. Habituellement, j’enfonce la fourche, jusqu’au manche.

Je me suis demandé si nous n’aurions pas une année sans hiver?

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Faut-il se réjouir d’un si bel été 2021? Je ne pense pas que les habitants de Québec sautaient de joie à la vue de la neige en juin 1816. Entre réjouissances et déceptions, dans ce domaine capricieux de la météorologie, la nature n’éprouve aucun état d’âme, elle est ce qu’elle est. Malgré nos avancées techniques nous comprenons mal certains phénomènes. J’ai remarqué au cours des trois dernières années, particulièrement sur ma région des Cantons de l’Est, un déficit de précipitations autant en neige qu’en pluie, et cette année, ce phénomène s’est accentué. Il est probable, que l’hiver prochain demeure sec, avec peu de précipitations de neige. Mais, et cela s’est déjà produit, nous avons connu des hivers où la neige n’arrêtait plus de tomber, après un été passablement sec. L’autre phénomène que je constate, c’est que l’été se prolonge tard en automne. Habituellement, nous connaissons nos premières gelées dans la première quinzaine de septembre. Cela est un phénomène qui perdure depuis une dizaine d’années. Par contre les printemps ne sont jamais très précoce. Nous avons connu notre dernière gelée dans la dernière semaine de mai cette année.

Mardi dernier, je suis allé faire une tournée en forêt pour repérer les arbres secs pour l’abattage. En même temps, j’avais amené une centaine de glands de chênes blancs que j’ai planté dans les trous de terre noire, ou encore entre les aulnes de basses terres. Ailleurs, j’étais incapable d’enfoncer ma pelle dans le sol durci par la sécheresse. Personnellement, c’est une situation que je n’ai jamais connue. J’ai remarqué que les hautes herbes sont sèches, ce qui pourrait être propice aux feux de forêts. Les mares d’eau sont asséchées depuis longtemps. Les fossés sont vides. Plusieurs arbres sont morts à cause de cet été torride. J’espère, malgré les conditions défavorables que les glands germeront le printemps prochain. J’attends la pluie pour commencer mon bûchage d’automne. Vraiment, il faut croire en la nature et surtout en l’humanité pour planter des glands de chênes, dont la récolte cette année a été particulièrement abondante. Disons, que j’ai l’espérance tenace.

Notre atmosphère est vulnérable, et par ce fait, nous sommes aussi vulnérables tellement que nous sommes dépendants des conditions de notre environnement. Nous ne serions pas le seul animal à disparaître à cause de conditions météorologiques défavorables. Beaucoup d’animaux ont disparu au cours de l’histoire de cette planète dont l’évolution n’est pas encore terminée. Évolution qui nous réservent sans doute encore quelques surprises pour pour mettre à l’épreuve. L’avenir que nous envisageons n’est peut-être pas celui que la nature nous réserve. De toute façon rien n’est écrit, mais je trouve que c’est passionnant toutes ces situations où les gens s’énervent à élaborer des hypothèses qui finalement ne serviront peut-être à rien. J’ai un plaisir fou à penser à tout cela, assis sur un tronc d’épinette blanche renversé en croquant le fruits d’un gland de chêne. Ce qui soit dit en passant est très nourrissant. Entouré d’arbres, éloigné des humains, l’endroit est fabuleux, le silence m’enchante, la lumière oblique du soleil déclinant nourrit ma plénitude, seul l’automne peut me procurer ce plaisir, que je ne retrouve dans aucune autre saison. Comme à tous les automnes j’attends les grands froids, pendant que les bernaches se rassemblent avant d’entreprendre leurs voyages vers le sud, du moins pour celles qui partiront, en s’empiffrant de tout ce qu’elles peuvent trouver pour se faire du carburant.

Merci Carmilla et bon arpentage pour d’autres horizons

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je vous réponds de Larnaca, à Chypre, où je suis arrivée dans la nuit. Ca me donne une heure supplémentaire d'avance sur le Québec.

En France, l'été 2021 a, au contraire, été très médiocre : frais et très humide. Une partie des récoltes a été perdue par excès d'humidité. En fait, on a retrouvé, cette année, un climat comparable, paraît-il, à celui qui prévalait jusqu'à la fin des années 70.

Mais il semble que cela n'ait concerné qu'une partie de l'Europe du Nord. Difficile donc de tirer des conclusions. Il y a toujours des variations.

Mais l'éruption du volcan de Java en 1815 a, semble-t-il, impacté une grande partie du monde. C'est intéressant parce que des scientifiques travaillent aujourd'hui sur l'injection, dans la haute atmosphère, de particules qui pourraient contrecarrer l'effet des gaz à effet de serre. Il s'agirait, en quelque sorte, d'une ombrelle qui nous protègerait du soleil. Ca ne plaît pas aux écolos, pour qui il faut à tout prix faire pénitence, mais ça semble prometteur.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!

Voilà une région du monde qui m’enchante, je ne me suis jamais rendu à Chypre, mais j’ai déjà passé un mois fabuleux en Crête, il y a longtemps, à l’époque des cheveux longs et des barbes en broussaille. La liberté à fond la caisse après une dure saison d’été passé sur un hydravion. C’était plus que des vacances, c’était la vie tout simplement. Je mangeais dans des petites bicoques ce que mangeait les crétois. Je voyageais dans des vieux autobus Mercedes. Je laissais le temps couler sur moi comme une fontaine de plaisirs renouvelés quotidiennement avec la vive impression d’être au centre du monde. Je nichais entre les mythes immémoriaux, les légendes, accordé avec la vie quotidienne des habitants qui me souriaient. C’était novembre et les routards étaient peu nombreux sur les routes. Nous avions le monde en partage, certains arrivaient d’Asie, d’autres commençaient leur tour du monde. Autour de la table ça baragouinait 36 langues. La température était excellente, d’une douceur inouïe, jamais plus de 22 degrés le jour et 10 la nuit. J’étais étonné moi qui arrivait du froid et de la neige qui avait déjà commencé à tomber dans le nord du Québec. J’étais un sasquach errant en Méditerranée. Un abominable homme des neiges qui revenaient visiter ses ancêtres. Lorsque je marchais dans les montagnes, je comprenais que ces gens-là avaient imaginé le minotaure et bien d’autres histoires fabuleuses. J’ai aimé particulièrement mes traversées en bateau, une belle grosse mer avec des vagues comme je les aime. J’errais, mais je n’étais jamais perdu, même aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu errer toute ma vie?

Bon vent, que la plénitude vous accompagne, parce que c’est un moment fabuleux.

Ici, ce matin, il fait 17 degrés, sous la pluie que j’ai tant attendu.

Je me sens merveilleusement bien!

Richard St-Laurent

Nuages a dit…

Je suppose, Carmilla, que vous n'allez pas lézarder sur une plage chypriote. J'imagine que vous allez partir à la découverte du patrimoine grec, byzantin ou turc. Je crois qu'il est possible de passer au nord, dans la République turque de Chypre du Nord. Ça doit être une expérience géopolitique intéressante.

Mon séjour vénitien touche à sa fin. J'ai vu plein de belles choses, j'ai beaucoup photographié, mais le voyage en solitaire ne me réussit pas ; c'est même franchement douloureux.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Vous avez de bien beaux souvenirs de la Crète. J'imagine, en effet, que la Grèce a été un pays idyllique jusqu'à la fin des années 70. Je connais très mal à vrai dire non par manque d'intérêt mais parce que je redoute les foules qui le fréquentent. La possibilité du tourisme, c'est, d'un côté, formidable, mais, de l'autre, c'est une affreuse "dysneilandisation". Vous seriez peut-être donc déçu si vous reveniez en Crète, ce n'est sans doute plus le même pays.

L'esprit "routard", je trouve ça également formidable même si ce n'est plus de ma génération. Je trouve curieux que cela n'enthousiasme pas les jeunes aujourd'hui. Il est vrai qu'à l'heure des billets d'avion à 100 euros, on voit mal l'intérêt de se déplacer lentement à l'intérieur d'un pays. La facilité du voyage lui fait perdre son attrait. On n'impressionne plus personne avec un voyage en Nouvelle-Zélande ou en Polynésie.

Pour ma part, j'ai déjà effectué une grande part de la route des Indes (en différentes étapes, biens sûr), depuis Paris jusqu'à Zahedan, ville-frontière de l'Iran avec le Pakistan. Il ne me reste plus que le Pakistan à traverser avant d'arriver en Inde. J'aimerais bien le faire mais j'avoue être un peu inquiète.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Je précise d'abord qu'on peut effectivement lézarder aujourd'hui sur une plage chypriote: température extérieure 28 °, température de l'eau 26 °. Je suis allée nager hier mais je suis tellement habituée à la piscine que j'ai perdu tous mes repères dans la mer et je me suis sentie complétement nulle.

Cela dit, je suis à Chypre pour des motifs joignant l'utile à l'agréable, dans des activités de congrès. Vous savez sans doute que Chypre vit presque exclusivement de son activité financière et bancaire. Il y a une forte intrication des capitaux russes et, probablement encore, de nombreuses activités off-shore. Il y a déjà eu quelques séismes mais le pays ne s'en est, jusqu'alors, pas trop mal sorti et est, même, relativement riche. Ce type d'économie est cependant fragile et tout peut s'écrouler d'un coup. Alors comment s'en sortir, comment évoluer ? C'est la réflexion actuelle.

Sinon, oui ! Il y a un patrimoine byzantin exceptionnel ainsi que des châteaux forts, des places fortes, bâtis par les Croisés. Les Francs étaient très présents sur l'île de Chypre. Quant à la partie turque, il était en effet possible de s'y rendre sans difficulté avant le Covid. Aujourd'hui, c'est plus compliqué : les règles sanitaires sont draconiennes pour les touristes à Chypre : on est tous testés à l'arrivée même si on est vaccinés et il faut toujours avoir avec soi un "Cyprus pass" électronique. Il est obligatoire d'avoir un smartphone et de le consulter régulièrement, c'est étonnant.

Effectivement un voyage seul peut être difficile. Je crois aussi que ça dépend des pays. C'est dans un pays très touristique que l'on est, paradoxalement, le plus seul. A contrario, si vous allez dans des pays peu fréquentés (province russe, Ukraine, Pologne, Turquie, Iran), plein de gens s'intéresseront à vous. Et puis, il est probable que le problème n'est pas le même pour les hommes et les femmes. Personnellement, c'est au Japon que je me suis sentie la plus seule, personne n'osant s'adresser à moi.

Enfin, sur Venise, j'imagine que vous avez lu le livre de Jean-Paul Kauffmann (Venise à double tour) et, peut-être celui de Philippe Sollers ("Dictionnaire amoureux de Venise").

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

Pour ma part, ce qui me fait plaisir, c'est de retourner dans des petits restaurants où j'ai mes habitudes. Là, on me reconnaît avec le sourire. Hier midi, je suis allé pour la troisième fois dans un snack, en terrasse, où j'ai mangé à nouveau un assortiment de tapas vénitiens, les "cicchetti", à base de poissons et de fruits de mer, avec deux verres de prosecco (vin blanc mousseux vénitien). Délicieux ! Il y a une jeune serveuse (ou gérante) chinoise, mais devenue tout à fait italienne, qui m'accueille avec un plaisir non feint.

J'avais lu "Venise à double tour" de Jean-Paul Kauffmann, il y a un an déjà, et ce livre m'avait donné envie de revenir à Venise. Je suis en train de le relire ici ! Sur ses indications, je suis allé voir, de l'extérieur seulement, le fameux jardin Eden (du nom de son créateur, Frederick Eden), dans un coin perdu de l'île de la Giudecca, et qui avait appartenu à l'architecte et peintre autrichien Hundertwasser. C'est une sorte de paradis inaccessible, que Jean-Paul Kauffmann avait fini par pouvoir visiter, à force de démarches et de contacts.

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!
L’esprit « routard », voilà une expression qui me plaît. C’était exactement cela. Partir pour connaître parce que nous étions assoiffé de connaissances. Nous voulions voir de nos yeux. Sentir avec tous nos sens. Se faire une idée du monde. Nous ne reculions devant rien. Peu importe janvier ou juillet, nous partions, en plus je voyageais pour mon travail, et lorsque survenait l’automne, la longue période de glaciation, où on révisait nos appareils, nous partions pour plusieurs semaines. C’était l’époque où je ne possédais rien, ce qui soignait bien ma liberté. Ce fut une époque, où j’étais toujours parti. Lorsque je n’étais pas dans le nord du Québec, j’étais en Europe, aux USA, ou ailleurs. Si je ne partais pas vers des destinations lointaines, je me tapais des « road trip » d’enfer sur les routes du Québec, pour aller visiter des amis, lever le coude, discuter, rire, C’était vraiment des bons moments.
Vous avez entièrement raison Carmilla, la nostalgie me guette, pire, la déception, et vous avez touché exactement au bon endroit en évoquant que je serais déçu si je retournais en Crête. C’est un exemple douloureux, que j’ai déjà éprouvé lorsque je suis retourné dans une ville du Québec, où j’avais passé plus que du bon temps, où sans doute, comme je l’ai évoqué souvent j’avais vécu intensément, trop intensément pour y retourner. Quelqu’un m’a dit un jour, alors qu’il venait de traverser la route entre Wabush et Goose Bay « Richard, tu as trop aimé ce pays pour y retourner. » Il y avait raison. En quelque sorte, le monde est devenu trop petit pour moi. Vous avez vu juste, à force de carburer à l’espace et à la liberté, mon univers paradoxalement s’est rétréci. C’est pourquoi, j’évite les grandes villes et que j’emprunte les chemins de travers. Me connaissant, surtout sur un coup de tête, je pourrais repartir. Quand? Je l’ignore. Lorsque le désir se fait sentir, c’est plus fort que moi, il faut que je parte.
Ce genre de vie nomade m’a beaucoup appris, c’est qu’on peut vivre avec rien, se contenter de peu, s’enfoncer dans des expériences extraordinaires, dans un esprit ouvert sur les découvertes pour n’être jamais rassasié. J’ai conservé l’esprit du routard comme vous le dites. Dans les faits, c’est vraiment le seul qui me convient. Alors il importe d’éviter la nostalgie des expériences passées, ce qui ne signifie pas d’oublier ses souvenirs. Il y a un espace à respecter entre la nostalgie et le souvenir.
La jeune génération présentement est moins aventureuse. Elle possède plus de connaissances, vit plus dans le virtuel, redoute les difficultés, la solitude, la liberté et les grands espaces, et puis elle s’engage tôt dans la vie. Dès la sortie des études, ils commencent à travailler. Nous, nous prenions quelques années pour vivre, pour nous égarer, errer, toujours sans se perdre, parce que partir et revenir avait encore une signification pour nous. Ils s’enracinent rapidement comme s’il leur manquait quelque chose. S’enraciner c’est sans doute bien; mais être déraciné, même provisoirement, c’est rudement stimulant, c’est une autre façon de voir la vie. Je me sens privilégier d’avoir vécu ces deux états, cela m’a permis d’élargir mes horizons, (ce qui soit dit en passant, je suis encore en train de faire), et je me suis promis de le faire jusqu’à mon dernier souffle.
Il est tombé beaucoup de pluie hier. Il a plut pendant toute la nuit. Ce matin à 8 heures, il faisait 9 degrés, 8 degrés de moins qu’hier. De forts vents ont arraché beaucoup de feuilles. La véritable grisaille automnale est en train de s’installer. En prime, ici ce matin c’est le festival des pygargues. Ils tournent autour de ma tanière. Ils sont à la chasse. Le vent souffle du nord. Mon café est excellent comme la musique à la radio. Confortable dans mon corps comme dans mon esprit; encore mieux qu’hier, j’observe les nuages qui descendent du nord.

Bonne fin de journée Carmilla et bon vent!

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Je comprends ça même si la bonne chère, la cuisine que l'on fait ou que l'on goûte, ce n'est pas trop mon truc. Les choses les plus simples me conviennent le mieux.

Quant à la convivialité dans les cafés et petits restaurants, le défilé des habitués, c'est évidemment quelque chose de précieux. On y apprend une foule de choses sur une société.

Et finalement, Bruxelles, c'est comme Venise (et sans doute même plus aujourd'hui), c'est une ville-monde, un extraordinaire point de rencontres.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il est légitime d'éprouver de la nostalgie : on était plus jeunes, un temps où chaque chose était colorée de l'irrésistible attrait de la nouveauté.

Mais il faut savoir accepter que le passé est irrémédiablement révolu et que le monde dans le quel nous avons vécu autrefois n'est plus du tout le même aujourd'hui. J'en sais quelque chose à ma petite échelle pour avoir un peu connu les pays du bloc communiste et l'Iran. Je me rends d'ailleurs compte que ce passé, somme toute récent, n'intéresse pas du tout la nouvelle génération obnubilée par l'écologie mais je ne m'en offusque pas.

Et puis, je pense malgré tout que le monde évolue positivement : les gens sont plus riches, plus éduqués, plus tolérants, la vie est beaucoup plus facile. Je ne voudrais certainement pas revivre 30 ans en arrière.

Un inconvénient toutefois : le monde et les sociétés s'uniformisent. Où que l'on aille, tout se ressemble désormais : les mêmes villes, les mêmes commerces, les mêmes idées. J'exagère bien sûr mais on est rarement dépaysés. C'est la société globale infiniment moins chatoyante et diverse. Que l'attrait du voyage soit moindre peut, en ce sens, se comprendre. A quoi bon faire des milliers de kilomètres pour se retrouver chez soi ?

Mais je crois aussi qu'il faut savoir davantage exercer son attention (ce à quoi n'incite guère la "culture" smartphone-internet) et qu'il existe encore une multitude d'êtres, de choses, de sensations, de cultures à découvrir.

Bien à vous,

Carmilla