samedi 17 février 2024

Psychologie des temps de guerre

 

Dans la plupart des pays, on mène une existence que l'on juge normale. Normale parce que pacifiée, ordonnée, réprimée. On croit que ça va de soi mais on a généralement effacé que la normalité des relations entre les hommes et les nations, ça a d'abord été un état de guerre quasi permanent. 


Et puis, si on se risque à un examen de conscience, il faut bien reconnaître que les individus se détestent tous en réalité. Chaque jour, presque chaque heure, on est ainsi parcourus d'envies de meurtre: ce passant qui m'a bousculé(e), cette Dame de la Préfecture ou du Centre des Impôts qui m'a envoyé(e) promener. 

Dans une plus vaste perspective,  la guerre, ça ne se traduit pas seulement par des massacres et des destructions matérielles, ça provoque  surtout un fantastique bouleversement des mentalités. Chaque individu y révèle, pour le meilleur et pour le pire, une autre part de lui-même, celle des sombres tréfonds qui l'agitent et qu'il parvenait à réprimer jusqu'alors. Car la guerre n'autorise plus l'hypocrisie antérieure, celle des belles proclamations altruistes et désintéressées. La civilisation n'a pas effacé ceci: on est, certes, à force d'éducation, devenus éclairés, animés d'intentions généreuses. Mais le cul du monde, et le nôtre propre, est plein de merde.


Et la guerre, au plus profond de nous-mêmes, on la désire et on s'y est préparés mentalement depuis de longues années. Ca s'exprime par le biais de tous les discours déclinistes et anxiogènes dont on nous abreuve aujourd'hui. Le monde courrait à sa perte emporté par un effondrement économique et une surchauffe climatique. Une idée absurde, irrationnelle, se propage : l'Apocalypse est pour demain, ne cesse-t-on de marteler. Mais impossible d'argumenter car cette perspective donne, en fait, satisfaction à la plupart des gens.


Pour quelle raison ? Sans doute parce que le plus intolérable dans l'idée de notre mort propre, c'est de penser que nous ne serons plus rien, plus que poussière, tandis que les autres, les survivants, continueront de vaquer joyeusement à leurs occupations et loisirs. Cette disparité est absolument insupportable et c'est pour ça que l'idée d'une fin du monde est réconfortante. Au moins, on sera tous frappés du Néant de manière absolument égalitaire.


Une guerre, ça n'est, certes, pas une fin complète du monde mais psychologiquement, c'est bien ainsi que c'est vécu. Et il est vrai que ça rebat complétement les cartes.


D'abord sur le plan économique. La guerre, c'est un effondrement général du niveau de vie et surtout une "euthanasie des rentiers" (selon l'expression du célèbre économiste Keynes pourfendeur des situations acquises). Les "grandes familles" n'ont plus que leurs yeux pour pleurer la perte de leur patrimoine. 

Mais les "entrepreneurs" sont, dans leur immense majorité, pareillement touchés. Que la logique du capitalisme conduise à la guerre, ça n'est qu'une ânerie de Lénine. Dans la réalité, de larges pans de l'économie officielle s'écroulent. A sa place, fleurit une économie souterraine manipulée par des truands et des escrocs. Et il faut bien dire que cette nouvelle économie de combine, de débrouillardise et de  corruption est loin de déplaire à tout le monde. Un banal trafiquant peut devenir rapidement aussi riche qu'un industriel. C'est aussi une revanche sociale, celle des malins sur les "messieurs", les experts. 


Toutes les hiérarchies sociales sont ainsi bouleversées. On peut se permettre de regarder "de haut" les anciens riches. Psychologiquement, c'est très gratifiant pour "les masses" et ce bouleversement complet sera même éventuellement bénéfique, porteur d'une nouvelle dynamique, quand la paix sera revenue. Rien de pire pour l'économie que les situations acquises et figées.


Mais le renversement des hiérarchies en temps de guerre va très loin. Peut-on imaginer les regards échangés, sur un boulevard parisien, entre une famille déchue et leur ancienne domestique rencontrée au bras, tenu fièrement, d'un soldat allemand ?


Ou bien, le développement de nouvelles haines et jalousies: en Ukraine, par exemple, on se met à considérer avec hostilité, voire envie, les veuves de guerre. Il faut savoir que l'Etat ukrainien les indemnise généreusement: 370 000 euros pour un époux mort au combat. Une somme qui est un pactole dans un pays où le salaire mensuel moyen est inférieur a 400 euros. "Ne te plains pas trop" dit-on aux veuves, "ton mari est mort, mais, au moins, tu es riche". Ca a même donné lieu à un sketch sinistre : "Comment appelle-t-on les femmes les plus riches et les plus heureuses en Ukraine aujourd'hui ? les veuves". Il va de soi que les dites "veuves" se sentent doublement rejetées.


C'est encore plus effroyable en Russie même si l'indemnité y est moindre:  un peu plus de 100 000 euros. Dans un petit village sibérien, c'est, néanmoins, une vraie manne et avoir un héros mort pour la patrie, ça apparaît finalement une très bonne affaire pour la famille concernée. Elle en devient même reconnaissante à Poutine parce qu'elle a pu s'acheter, grâce au prix de la Mort, cette belle voiture autrefois inenvisageable. Et quel plaisir de parader maintenant à son volant devant les voisins. On se dit finalement que la guerre, ça a des aspects positifs. Ca permet à de pauvres gens de sortir de l'ornière de la pauvreté.


On touche bien sûr ici à l'ignominie. On est prêts à sacrifier ses proches, à offrir un cadavre à l'Etat,  pour un peu d'argent. On vend son fils, son époux, son père, dans l'espoir (?) d'un joli gain. Les vivants en viennent à se nourrir des morts. Mais qui peut vraiment condamner ? La guerre, c'est la légalisation du crime et, partant, l'inversion de toutes les valeurs.


Et il faut ajouter qu'en plus des hiérarchies économiques, la guerre bouleverse les hiérarchies de genre. Les femmes sont, tout à coup, propulsées sur le devant de la scène: ou bien, elles suppléent à l'absence des hommes partis sur le front, ou bien elles prennent l'ascendant sur des hommes que la défaite militaire a dévalorisés (France: 1940; Allemagne: 1945): des types qui n'ont pas été à la hauteur.   


Cette promotion des femmes est sans doute l'un des rares aspects positifs de la guerre. Mais ça a aussi contribué, par contrecoup, au développement d'une sinistre "haine des femmes". Les hommes, éloignés ou mis à l'écart, se sont mis à fantasmer sur la lubricité de leurs épouses et amies: toutes des putes, des chiennes ou des comtesses de la Gestapo. Il y a  eu un retour de bâton et les femmes ont, finalement, payé très cher cette courte période d'affranchissement. Au delà du nombre de ses victimes, l'épisode des "tondues de la Libération" a, ainsi, eu une portée symbolique extraordinaire qui continue de glacer les consciences. Comment cela a-t-il été possible, surtout en France ?



C'est évidemment ineffaçable, impardonnable. 



Mais il est vrai que la guerre, c'est un état de schizophrénie perpétuelle. Des monstres viennent assaillir notre cerveau et prennent parfois le pouvoir. On vit constamment dans deux réalités; celle qui est vécue et celle qui est imaginée. Il y a d'abord une énorme disparité entre la guerre sur le front et la guerre à l'arrière. 

La guerre sur le front, c'est une hallucination permanente, un univers d'effroi où plus aucune Loi ne subsiste. C'est aussi une suspension de la morale. Velibor Colic, enrôlé, dans les années 90, dans l'armée croato-bosniaque, rapporte ainsi qu'un soldat peut y jeter une grenade sous une vache, juste pour rire, et qu'un autre peut voler à un vieillard son appareillage respiratoire pour le revendre. 


Et puis c'est l'infinie détresse seulement apaisée par une infecte mangeaille et des beuveries interminables. Et aussi, la crasse immonde et la boue partout. Et cet abandon absolu ne trouve pour distraction que le plaisir de voler, de violer, de tuer. 


Mais, dans le même temps, aussi, cette effroyable cruauté est tempérée "par la douceur des souvenirs d'avant - en particulier des souvenirs amoureux". Dans la guerre, l'abject côtoie ainsi le rêve et le merveilleux. Dans la nuit la plus noire, on continue de percevoir une petite lueur qui nous permet de ne pas totalement désespérer.


La guerre à l'arrière, elle est d'apparence presque normale. Parfois même, cafés, commerces, dancings, spectacles, tournent à plein. L'ambiance est même débridée, on se lâche, on cesse d'être "coincés". On a ainsi pu constater qu'en temps de guerre, ceux qui sont à l'abri, pas trop exposés, se sentent mieux psychologiquement. Ils reprennent du poil de la bête. Freud en a donné une explication : la guerre donne satisfaction au sentiment de culpabilité des obsessionnels et névrosés (c'est à dire l'immense majorité d'entre nous); elle leur procure un excellent objet sur le quel reporter leur souffrance intérieure. La guerre comme "doudou" sur lequel on évacue ses peines.


Le livre le plus singulier sur la guerre vécue à l'arrière, c'est "le Temps retrouvé" de Marcel Proust, le dernier tome de "La Recherche" qui évoque Paris durant la 1ère guerre mondiale. C'est, évidemment, déconcertant, la dissymétrie est évidente: si les soldats du front peuvent imaginer, sans difficultés, la vie à l'arrière, les gens de l'arrière n'ont, eux, absolument aucune idée de la vie du front. Tout est pour eux dans un brouillard complet. A l'arrière, tout est indécis en fait : même les gens que l'on côtoie, qui sont-ils finalement ? des patriotes sincères ou bien des trafiquants, des collabos, des espions ?


L'incompréhension entre les deux camps est forcément totale. C'est ce qui explique qu'aujourd'hui, de nombreux soldats ukrainiens écourtent ou même renoncent à leurs permissions. Ils ne supportent plus cette vie urbaine qui leur apparaît  totalement artificielle.


Et c'est bien la question essentielle qui est ainsi posée: qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux ? Dans la vie, où se situent la vérité et le mensonge ? Dans la paix ou dans la guerre ? 


Peut-être que l'une et l'autre (la paix et la guerre) sont, en fait indissociables; que chacune n'est qu'un moment de notre histoire et de nos conflits intérieurs et qu'on aime la guerre autant qu'on la déteste.


Mais ce dont je suis sûre, c'est que la guerre n'a aucune vertu rédemptrice, qu'elle ne rend pas les hommes meilleurs. Il est ainsi significatif que la majorité des Allemands se sont considérés, au lendemain de leur défaite, non pas comme des criminels ou des complices de criminels mais comme des victimes (victimes des bombardements et de l'écrasement du pays). Il en va de même des Russes aujourd'hui (victimes de l'OTAN et de l'Occident). Et que dire des Français qui, dans un tout autre registre, n'ont pas cessé de ruminer une honte inavouée ? La défaite continue d'imprégner leurs mentalités.


Quant aux véritables victimes, on ne les entend guère, elles s'expriment à peine. Elles sont simplement anéanties, tétanisées, tellement traumatisées qu'elles sont probablement incapables de revivre. C'est ce qui me rend très pessimiste pour l'Ukraine.


Tableaux de Francisco de GOYA (1746-1828). J'appelle votre attention sur son tableau le plus énigmatique (image 9). Que signifie ce petit chien perdu dans une masse de sable ? Rien de convainquant n'a encore été écrit à ce sujet. 

Je souligne que ces quelques réflexions sur la guerre, principalement puisées dans les deux guerres mondiales, ne s'appliquent pas à l'Ukraine (même si j'en évoque les veuves). La psychologie de guerre n'y est pas la même: le pays n'avait aucune intention belliqueuse quand il a été agressé.

Je recommande:

- Sarah CHICHE: "Les alchimies". Un livre paru en août dernier (donc presque ancien). Il se réfère beaucoup au peintre Goya, grand explorateur des ténèbres de l'âme humaine, hanté par la guerre et la mort. Il est à noter que la peinture de Goya était, à ses débuts, assez académique. Mais soudain, un accident neurologique majeur, qui l'a rendu complétement sourd, l'a conduit à changer radicalement de style et à se faire le peintre de l'horreur. 

- Velibor COLIC: "Guerre et pluie". Un écrivain croato-bosniaque dont je lis toutes les parutions (il écrit en français). Il évoque notamment la guerre dans laquelle il a été enrôlé dans les années 90, alors qu'il n'avait absolument pas l'âme d'un soldat. Il parvient aujourd'hui à l'évoquer sur un mode halluciné et drolatique. L'absurde et l'effroi ne cessent de se côtoyer. On pense évidemment beaucoup à l'Ukraine mais le temps n'est évidemment pas à l'humour en ce moment en Ukraine.

- Julie HERACLES: "Vous ne connaissez rien de moi". Un livre incandescent, trop peu remarqué par la critique cet automne dernier, sur une femme tondue à la Libération.

- Philippe JAENADA : " La petite femelle". Je rappelle ce livre, paru en 2017, qui m'avait beaucoup impressionnée. Le magnifique portrait d'une femme, tondue elle aussi, devenue plus tard, accidentellement, une criminelle. L'un des grands romans français de ces dernières années.

- Anne SEBBA : "Les Parisiennes - Leur vie, leurs amours, leurs combats - 1939-1949". Une grande fresque, très vivante, faite de gloire et d'indignité.

- Cyril EDER: "Les comtesses de la Gestapo". Une galerie de femmes vénales qui vécurent un étrange conte de fées qui se termina en cauchemar.

- Harald JAHNER : "Le temps des loups - L'Allemagne et les Allemands (1945-1955)". Je rappelle ce livre exceptionnel et de référence. 






8 commentaires:

Richard a dit…

Et c'est bien la question essentielle qui est ainsi posée: qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux ? Dans la vie, où se situent la vérité et le mensonge ? Dans la paix ou dans la guerre ? 

Bonjour Carmilla

L’horreur ne ment jamais! Le mensonge lui se complaît dans le luxe de la paix. Il faut bien ajouter quelques pincées poivre afin de donner de la saveur à une époque immobile et fade dans l’inconscience de que nous allons perdre un jour. Cette merveilleuse facilité de nous regarder dans les yeux sans la honte, de se sourire, de rire, et de vivre libre, serions-nous trop riche de notre paix, de notre confort, surtout de notre inconscience pour les protéger? À mes yeux, ne pas reconnaître qui est l’agresseur, c’est une faute majeure, et transformer l’agressé en agresseur, intellectuellement et moralement, c’est une faute mortelle. Ne plus distinguer le bien et le mal, au pire, les confondre, nous transforment en indifférents. Ce qui nous amène à cette réflexion :

« Si nous devenons peu à peu incapables de remettre en cause nos propres modes de pensée, nous perdrons aussi notre capacité à observer lucidement le mode de pensée de celles et ceux qui aspirent à nous gouverner. »
Maryanne Wolf
Lecteur, reste avec nous!
Page – 229 -

Assistons-nous présentement à cette réalité du manque de discernement avec tout ce qui se déroule présentement sous nos yeux? Surtout lorsque nous sommes incapables de faire la différence entre l’information, la connaissance, et le savoir. Alors, comment s’affranchir d’une fausse nouvelle? Qu’est-ce qu’on a fait de notre lucidité? À ce chapitre, avons-nous déjà eu cette lucidité?

Non seulement la lecture influence nos pensées; mais aussi nos manières de penser; que dire, l’agencement même de notre cerveau. Madame Wolf va très loin dans sa réflexion dérangeante. Ce qui dépasse largement, seulement l’acquisition des connaissances, mais de la manière de comment nous réfléchissons.

« Lecteur, reste avec nous! » Devient une lecture incontournable, à lire, à relire, à penser. Surtout en cette époque, où tout le monde semble perdre les pédales. Pour le dire autrement : (À quoi pensent les électeurs qui s’apprêtent à voter pour le Blondinet de Washington mieux connu sous le nom de Trump?) Ou encore : à quoi pensent les russes du décès d’Alexeï Navalny? Naturellement si les russes pensent encore. Serons-nous poussés à commettre l’irréparable, parce que nous aussi notre sommes une entité participative de cette réalité.

Il appert que je suis un inconditionnel de Maryanne Wolf et je ne manque pas une occasion de recommander cette lecture, à lire attentivement!

Note : Maryanne Wolf est professeur à l’UCLA, (Université de Californie à Los Angeles.) Spécialiste en dyslexie et en neuroscience. Elle est en autre l’auteur de : Proust et le calamar.

Bien vôtre Carmilla

Richard St-Laurent

Nuages a dit…

Ce samedi après-midi, j'ai visité cette exposition au "Hangar" à Bruxelles ; 22 photographes ukrainiens, de toutes les époques (soviétique, ukrainienne indépendante, de la guerre après 2014 et 2022).

https://www.hangar.art/generations-of-resilience

C'était remarquable, même si j'ai plus aimé certains photographes que d'autres, bien entendu.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La Paix est, en effet, souvent mensongère. C'est l'image de la cocotte-minute, dont le couvercle semble bien vissé mais qui vole un jour en éclats.

Des hommes dont la violence fondamentale entre eux est contenue, tant bien que mal, par l'Etat, c'est peut-être cela la réalité. C'est peut-être Hobbes qui a raison.

Et puis, il faut s'interroger sur notre aveuglement et notre complaisance envers les Etats voyous. A force de fermer les yeux et de tergiverser, on est maintenant confrontés à une "Internationale des Brutes" (Russie, Chine, Iran, Corée du Nord) qui n'a rien à proposer d'autre qu'une hostilité envers l'Occident mais rencontre de plus en plus de partisans. Et s'ajoute maintenant la menace du Grand Blond.

En effet, si on ne réagit pas avec vigueur, si on n'arrive pas à dézinguer Poutine et sa clique, on est dans de beaux draps.

Que pensent les Russes du décès de Navalny ? Il est d'abord assez peu connu (sauf sa vidéo sur la villa pharaonique de Poutine) et la propagande a réussi à le présenter comme peu sympathique et recommandable.

Maryanne Wolf, je connais son nom mais avoue ne pas l'avoir lue. Merci pour ce conseil.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Vous donnez envie de se rendre à Bruxelles pour voir cette exposition.

J'imagine également que, comme à Paris, sera organisée, samedi prochain, une manifestation pour commémorer le second anniversaire du déclenchement de la guerre. C'est aussi le 10ème anniversaire de Maïdan.

J'ai peur qu'il n'y ait pas un chat à Paris.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Aucune somme d’argent ne peut remplacer l’amour d’une vie. La vie ne s’achète pas, ne se remplace pas, elle est unique. 370,000 euros cela semble beaucoup, mais si les russes gagnent cette guerre, cet argent ne vaudra plus rien, alors que les Ukrainiens, dépensent sans compter, que ce n’est pas le temps d’être chiche, avaricieux, pingre, surtout lorsque ta peau est en jeu. La vie est au-dessus de tout cela. Pour reprendre une phrase célèbre : la vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie! Mais, dans les pires insanités, il y a toujours des jaloux qui redressent la tête. Faut vraiment ne pas avoir d’honneur pour agir ainsi. Je n’ose même pas vous demander en combien de paiements cela s’effectue. Dans la situation actuelle cela me semble trop grossier. Pour certains individus, il semble, qu’ils n’ont pas saisie le sérieux de la situation. Et plus cela va durer longtemps, pire sera la situation. Tu peux parader dans ta belle voiture, mais ton lit est vide, il n’y a plus personne pour te prendre dans ses bras pour te consoler ou t’encourager. Est-ce si important de devenir riche lorsque tu as perdu la moitié de toi-même? Et, les enfants dans tout cela…? La perte d’un père; mais rien ne peut combler cette perte. C’est la présence qui ouvre la porte à ta pérennité. La présence d’un père et d’une mère, qui veille au grain, qui rassure, qui encourage, et vous enseigne la reconnaissance, la générosité, pour que la vie soit une ferveur afin de se sentir pleinement humain. Avons-nous oublié ces valeurs qui nous font? Ça prend du temps pour faire un humain, et pourtant il suffit juste d’une balle dans une fraction de seconde pour que la flamme de la vie s’éteigne. Il ne faut pas oublier aussi les filles et les fils qui luttent au prix de leur jeunesse et de leurs espoirs. Encore d’autre pertes irremplaçables, c’est ainsi que se creuse le vide. Tout cela pour conquérir des tas de cendre. Il n’y a pas de quoi être fier de cette humanité. Comment ne pas être habité par la rage? Il appert que le destin ne vous offre aucune autre option que de vous défendre. Ce qui s’appelle de la légitime défense. Ici, nous sommes bien confortables, bien au chaud, en sécurité, nous n’avons, pour la plus part d’entre nous, jamais eu besoin d’utiliser, cette (légitime défense). Mais, on ne perd rien pour attendre. Ceci, pourrait devenir notre destin, pour nous transformer en être cruels. Ce n’est pas derrière qu’il faut regarder; mais bien devant, mêmes dans les pires horreurs. Cette malheureuse histoire est loin d’être terminée. Pour l’heure, il n’y a qu’une chose, un seul objectif : la victoire, pas autre chose. C’est là-dessus que nous devons tous nous concentrer, même devant les frasques des civils à l’arrière. Nous n’avons pas le luxe de nous gaver de psychologie présentement. Souvenons-nous, continuellement, de tous ces Ukrainiens et Ukrainiennes qui sont décédés, il ne faut surtout pas qu’ils soient morts inutilement!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je vous confirme le montant de l'indemnité accordée aux veuves de guerre ukrainiennes: environ 370 000 euros. C'est évidemment beaucoup, plus, paraît-il, qu'aux USA. Mais cela a été voté au lendemain de l'agression russe en 2022 pour favoriser le volontariat dans l'armée et à une époque où l'on pensait que la guerre ne durerait pas longtemps. Autre problème: cette indemnité est très supérieure à celle versée aux familles des soldats morts entre 2014 et 2022 (de mémoire un peu plus de 20 000 euros). Ces familles des années 14-22 se mettent donc à revendiquer une même indemnité. Et enfin, il y a tout le problème des soldats disparus, très nombreux. Aussi longtemps qu'on ne peut apporter la preuve qu'un soldat est bien mort, on ne peut rien réclamer.

Quant aux paiements, ils s'effectuaient, au début, en une seule fois. Ils sont maintenant échelonnés.

Tout cela, ce ne sont, bien sûr, que de sordides histoires d'argent. Mais l'argent se mêle bien souvent à la mort. On peut en venir à se réjouir de la mort d'un proche si on fait un bel héritage. Ca n'a pas forcément un impact négatif sur l'économie ukrainienne parce qu'il s'agit d'une simple redistribution entre catégories de population.

Au total, il ne s'agit que d'un aspect sinistre, parmi tant d'autres, d'une guerre psychologiquement ravageuse. Comment pourra-t-on sortir de ça ensuite ? Je n'ose y penser. Les après guerres sont souvent effroyables avec de multiples règlements de compte. En France même, d'après le peu que j'ai pu en lire, ça a été terrible. Et il est vrai qu'il y a un grand silence à ce sujet.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

La haine silencieuse.

Je vous sent particulièrement inquiète de l’après-guerre, si on y parvient, ce qui ne masque pas que ces genres de lendemains pourrait être douloureux. Souvenons-nous, que certains ont été fusillés pour des peccadilles, des erreurs sur la personne, mais plus souvent qu’autrement ils auront été les victimes d’une vengeance implacable. La faute, d’avoir folâtré avec l’ennemi victorieux qui occupait votre territoire. Comment pardonner à une jeune femme romantique, pleine de désirs, d’avoir séduit un grand blond aux yeux bleus, poli et respectueux? Personne au printemps 1940, dans les heures les plus sombres, savait comment cette guerre allait se terminer; pas plus que nous pouvons imaginer comment cela va se terminer pour les Ukrainiens. Toutes ces situations sont incontrôlables, surtout tomber en amour en pleine guerre. Est-ce que ces femmes avaient décidées d’aimer ces guerriers victorieux? Rien de moins sûr. On ne choisi pas toujours l’amour passion. Certes, moi aussi j’ai vu ces femmes se faire tondre, subir des violences, pleurer, être humiliées, ostracisées. Nous l’oublions, mais ce fut un dossier difficile de ramener la paix civile en France après la libération. De Gaulle a fait ce qu’il a pu, car il fallait réinstaurer l’État de Droit le plus rapidement possible. Cependant, les autorités ne pouvaient pas être partout à la fois. Il y a eu des bavures, où les plus bas instincts se sont manifestés sans retenus. Ce qui pourrait être le cas en Ukraine, et cela pourrait être pire s’ils perdent cette guerre. Lorsque ça ne fonctionne plus, les humains ont cette fâcheuse tendance à rechercher des coupables pour soulager leur lâcheté, pour mettre la faute sur une personne ou un groupe de personnes. C’est sans doute ce qui est le plus désolant chez l’humain, ce côté pervers, sans réserve, souvent inconcevable, où la haine appelle la vengeance, où les lendemains ne chanteront pas. Nous en sommes conscients, et cette état de conscience nous amène à ne pas renoncer à nos convictions, même si nous ne sommes pas nombreux, même si le ciel est sombre, même si l’espérance est à l’agonie. Il se pourrait que se soit difficile; mais là encore, rien n’est sûr, nous ne le savons pas, rien n’est encore joué. Peu importe le plus beau panier de pommes, il y en a toujours quelques unes de pourrîtes. Il y a toujours quelqu’un pour te tirer dans le dos. Il ne faut pas se laisser aller au pessimisme et je me dis que ça pourrait aller encore plus mal. Je m’attends toujours au pire, mais je ne suis pas pessimisme, inquiet quelques fois, mais pas pessimisme. Sans doute que vous avez des nouvelles de vos correspondants et de vos amis en Ukraine, ils n’ont peut-être pas de bonnes nouvelles, peut-être même qu’ils ont le moral en berne. Ce n’est qu’une partie de la réalité. Le tout est beaucoup plus grand, et nous dépasse. Soyez froide et lucide comme vous savez l’être, c’est sans doute votre meilleur atout. Vous êtes sans doute beaucoup plus forte que vous ne le croyez. Au moins terminons sur une note encourageante. L’humain n’est jamais totalement conscient de ses forces. Il pense qu’il est fini, qu’il n’y a plus d’espoir, et pourtant au fond de lui-même jaillit une nouvelle lumière, un nouvel espoir, qui débouchent sur de nouvelles solutions. Nous sommes fait pour cela, exclusivement pour cela. Voilà ce qui m’anime!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je parle ici, en effet, des temps de guerre.

Mais l'après guerre est presque aussi redoutable. Et sur cette période, une chape de plomb, un silence quasi absolu, s'abattent en général.

On a très peu de documents sur l'immédiat après-guerre. Et pourtant, ça semble sinistre, effroyable. Pour la France par exemple, quelques documents permettent de deviner une période absolument noire d'autant plus que les Français n'avaient pas le sentiment d'être de véritables vainqueurs. Les règlements de compte, les exécutions arbitraires et hors de toute procédure, les vengeances, les trafics de toutes sortes, le marché noir, se sont ainsi développés à grande échelle.

Je suis donc très inquiète pour l'Ukraine même si la situation est, bien sûr, différente. Il y a d'abord deux cas de figure.

En cas de défaite, il y aura un exode massif de population. Ne resteront que les vieux. Et le pays, déjà largement dépeuplé (3O millions aujourd'hui contre 50 millions il y a 20 ans), sera peut-être réduit à 20 millions d'habitants. Quels pays européens et américains pourront accueillir tout ce monde ?

En cas de victoire, il y aura, quand même, inévitablement, une explosion des rancoeurs et vengeances. Ceux qui ont collaboré avec les Russes seront traqués. Et on en voudra aussi à tous ceux qui ont profité de la guerre ou ont été à l'abri.

Et puis le pays sera complétement misérable. Des villes en ruines, des campagnes très dangereuses parce que tapissées de mines et de missiles et bombes non explosés.

Et il faut surtout rappeler que la plupart des hommes qui ont combattu sur le front, pendant une longue durée, reviennent généralement tellement traumatisés par la guerre qu'ils sont devenus inaptes à toute vie familiale et professionnelle.

Alors qui sera là pour aider au redressement du pays ? Et il est peu probable que tous ceux qui se sont expatriés récemment (10 millions de personnes environ) reviendront au pays.

Même si l'Ukraine gagne, ce ne sera pas la joie.

Il y a, hélas, vraiment de bonnes raisons de broyer du noir.

Bien à vous,

Carmilla