samedi 3 février 2024

Le ciel étoilé et la loi morale

 

J'ai vu le film "Stella: une vie allemande". 

C'est l'histoire authentique d'une jeune femme juive (Stella Goldschlag incarnée par l'extraordinaire actrice Paula Beer) qui collabora à la traque des Juifs de Berlin en les dénonçant à la Gestapo. Elle serait ainsi responsable de la capture de 600 à 3 000  Juifs. Elle a été jugée pour collaboration après la guerre avant de se suicider en 1994 à 72 ans.


A sa décharge, elle avait été initialement torturée par la Gestapo et les nazis lui avaient ensuite fait miroiter qu'en échange de ses bons services, ses parents échapperaient aux camps de concentration.

Inutile de préciser qu'on sort du film dans une situation d'inconfort total. "Qu'est-ce que j'aurais fait à sa place ?" se dit-on. "Aurais-je fait preuve d'une rigueur morale absolue quitte à périr sous la torture et à sacrifier mes parents ?"


On est, bien sûr, incapables de répondre mais on ne peut s'empêcher d'éprouver une certaine compassion pour Stella Goldschlag. Comme l'indique le réalisateur du film lui-même, Stella Goldschlag n'était pas un simple monstre, elle était aussi une victime devenue coupable pour survivre.

Rien à voir avec le collabo moyen qui dénonce pour assouvir une petite vengeance personnelle ou par appât du gain. 


Et d'ailleurs, est-ce qu'on n'est pas tous des collabos par simple indifférence ? Quand on privilégie ses petits problèmes domestiques. Quand on s'inquiète davantage, par exemple, de la hausse des prix du gaz et de l'électricité plutôt que des dizaines de morts quotidiens sous des bombes dans des pays proches.  La tendance naturelle, elle est bien au chacun pour soi, au repli, à l'égoïsme.


Vivre en société en réfrénant notre égoïsme et en domptant nos appétits individuels, ça relève d'une équation quasi insoluble. Ca a turlupiné les philosophes des Lumières: Hobbes, Rousseau, Kant et...le marquis de Sade.


Mais finalement, c'est un vieux garçon, sans doute pas drôle et bourré de manies, qui a eu le dernier mot: Emmanuel Kant qui n'est jamais sorti de son trou de Koenigsberg. Il s'est débarrassé de la vieille morale chrétienne et il a inventé une machine diabolique, un véritable rouleau compresseur: la Loi pour tous. Ca a donné lieu au Droit moderne et à tous les systèmes juridiques complétement abstraits qui gouvernent aujourd'hui les sociétés occidentales. 


On ne devrait agir qu'en faisant abstraction de toute considération égoïste, émotionnelle, affective. Même ses voisins, même sa famille, même ses amants ne doivent pas faire exception, on ne saurait les favoriser. On ne doit, en fait, agir que par devoir, en fonction d'une Loi morale universelle et désincarnée. Et il y a même un devoir, exorbitant, de ne jamais mentir.


Kant a ainsi résumé ça en quelques mots : Il y a deux choses absolument admirables dans le monde : "le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi".

Et c'est effectivement la Loi pour tous, la loi abstraite et universelle, celle qui a été établie, en fait, par la Révolution française, qui cimente aujourd'hui les sociétés occidentales.


Et on est tous égaux face à cette Loi universelle. On a les mêmes droits et les même devoirs. Et surtout, en regard de la Loi, il n'y a plus, en principe, ni riches, ni pauvres, ni puissants, ni misérables, ni Français, ni immigrés, ni hommes, ni femmes, ni hétérosexuels, ni homosexuels.


C'est le grand système sous lequel on vit aujourd'hui. Mais il faut bien dire que sa mise en place n'a vraiment pas été évidente. Je ne peux d'ailleurs m'empêcher de me référer à mon expérience personnelle: dans les anciennes sociétés soviétiques, la notion d'Etat de Droit était aussi peu développée que possible. C'était plutôt le règne de la débrouillardise et de la corruption généralisées. On avait pris l'habitude de tout arranger à coups de faveurs et de pots de vin et c'est pourquoi l'adaptation y est, là-bas, aujourd'hui si difficile. 


Par exemple, les Ukrainiens qui débarquent en France sont absolument effrayés: qu'est-ce que le pays est compliqué, c'est un cauchemar de Lois et réglementations, s'exclament-ils.


Mais il est vrai que ça vaut aussi pour tous les ressortissants français: qui arrive, aujourd'hui à se retrouver dans ce dédale administratif, tous ces Codes, toute cette grande bureaucratie du pouvoir ? On a le sentiment d'un Etat opaque et tout puissant. Chacun de nous se retrouve, en fait, entièrement dans les écrits prémonitoires de Kafka: on n'y comprend plus rien et on se sent broyés par une mécanique implacable et insensible. 


Il faut même bien le reconnaître: absolument plus personne n'est aujourd'hui capable d'appréhender et de réformer notre invraisemblable système bureaucratique. Seul un grand coup de balai le pourrait. Mais le balai, il risque de ne pas être tenu par un Napoléon mais plutôt par un barbare ou un tyran.


Ca explique que la Loi pour tous, celle qui englobe tout le monde, elle commence à avoir du plomb dans l'aile. 


C'est vrai d'abord qu'on n'en peut plus de cette arrogance technocratique censée faire notre bonheur. On se rend bien compte qu'elle repose sur une véritable jouissance du pouvoir. Derrière l'éthique de l'impartialité et du désintéressement, il y a, en effet, une absolue férocité. Le monde de la Loi universelle, sous la quelle nous vivons, est aussi effroyable que le monde du Marquis de Sade. 


"Kant avec Sade", c'est, à ce sujet, un texte lumineux de Jacques Lacan. L'éthique du devoir repose sur une même implacable cruauté que celle du libertin. C'est, en quelque sorte, l'esprit de Robespierre: s'afficher absolument vertueux, incorruptible et envoyer, en même temps, des milliers de gens sur l'échafaud. Derrière la vertu, il y a, en fait, le vice. L'un et l'autre sont d'ailleurs absolument liés. Sous le devoir proclamé, sous la Loi qui s'impose à tous, il y a la jouissance du bureaucrate pas moins forte que celle d'un libertin.


Et c'est vrai que la Loi universelle, elle est souvent intenable. On ne peut pas tout le temps se montrer impersonnel, faire abstraction de toute circonstance singulière, de toute émotion, de toute affectivité. C'est aussi pour cela que j'éprouve de la compassion pour Stella Goldschlag. Elle est sans doute condamnable au regard du Droit mais certainement pas au regard de ce qui fait aussi l'humanité: la faiblesse. Qui peut, en réalité, se prétendre un héros ?


Le problème, c'est qu'on ne sait pas vraiment comment sortir de la Loi universelle et que ça peut même être dangereux. On emprunte ainsi aujourd'hui des pistes douteuses. On se met d'abord à revendiquer des droits singuliers pour des particularismes. On voudrait des droits pour des minorités: ethniques, religieuses, sexuelles. Et on se plaît à afficher sa différence, ses goûts singuliers: piercing, tatouage, pratiques sexuelles diverses. C'est le temps du "c'est mon choix". Et puis, on se met à afficher son ethnie, sa race, sa religion. Avec un présupposé commun: on serait tous opprimés.


Les particularismes prennent aujourd'hui le pas sur l'universel. La nation, la République, le bien collectif, ça ne signifie plus grand chose. On préfère se replier sur sa petite vie à soi, sur sa satisfaction personnelle.

Mais doit-on pour autant suivre le mouvement et légiférer pour des catégories ? Les femmes, les immigrés, les Blacks, les LGBT ? 


Un simple exemple: tout le monde se réjouit aujourd'hui du projet d'inscription dans la Constitution du droit à l'avortement. Je ne suis évidemment pas contre mais je ne suis pas juriste et je m'interroge: est-ce que cette affaire est bien à sa place ? Parce qu'il s'agit quand même d'une énorme brèche dans un texte dont l'esprit, inspiré par la Révolution française, était d'inspiration résolument universaliste.

Reconnaître chaque différence, c'est aussi constituer autant de ghettos et se profilent alors de nouvelles formes de racisme et de ségrégation.


Comment peut-on, dans ce contexte, continuer à vivre ensemble ? Universalisme (la même Loi pour tous) ou particularisme (chacun pour sa chapelle, autant de droits que de différences)? L'avenir est sans doute explosif. Je vois surtout poindre de nouveaux maîtres-censeurs, de nouveaux puritains, qui voudront nous embarquer dans leurs délires populistes. Mais c'est une autre histoire...


Images de Vincent van Gogh, Edvard MUNCH, MAN RAY, Honoré DAUMIER, Udo KEPPLER

Je recommande: 

- Takis WURGLER: "Stella". C'est le bouquin (traduit en France en 2020) qui a inspiré le film. C'est un jeune journaliste qui l'a écrit. Ce n'est donc pas de la grande écriture littéraire. Le texte est néanmoins plus riche que le film.

Le film "Stella: une vie allemande" peut être utilement prolongé par le film de Jonathan GLAZER: "La zone d'intérêt". La vie quotidienne du chef du camp d'Auschwitz (Höss) au sein de sa famille. C'est la description glaçante de "la banalité du Mal". L'extermination des déportés perçue comme un problème d'administration: avec des objectifs, des procédures, des tableaux de bord, des fonctionnaires, une réglementation. Tout ce que l'on continue de trouver, en bref, dans une société bureaucratique.

- Harald JAHNER: "Le temps des loups - L'Allemagne et les Allemands (1945-1955)". L'Allemagne au lendemain de la 2nde guerre. Une situation apocalyptique. Curieusement, l'état d'esprit de la population, ses réactions, n'ont guère correspondu à ce que l'on croit. Croit-on que les Allemands se sont considérés comme des coupables méritant leur punition ? Sait-on que ces 10 années effroyables ont souvent été considérées comme une période heureuse ? Un très grand livre sur lequel je reviendrai probablement.

- Geoffroy de LAGASNERIE: "Se méfier de Kafka". Un petit livre qui sort des sentiers battus. C'est vrai qu'on a tous, plus ou moins, adopté le point de vue de Kafka sur le pouvoir contemporain. Un Etat effrayant, omniprésent mais insaisissable, finalement injuste et arbitraire. Le "monstre froid" par excellence. Mais est-ce qu'on ne se trompe pas complétement, surtout en ce qui concerne notre système judiciaire ? Un bouquin qui remet bien des idées à leur place. 




6 commentaires:

Anonyme a dit…

Vampirverwandlung a dit…

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Carmilla Le Golem a dit…

Merci Vampirverwandlung,

Mais...il me semble que c'est déjà fait, que j'appartiens déjà, depuis une éternité, à votre communauté. Et je m'y sens parfaitement heureuse.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla.

Vous avez le choix entre le vieux garçon bourré de manies, ou bien, le caustique passionné de guillotine, et je suis persuadé qu’aucun des deux ne s’attaquera à votre vertu! La belle vie quoi, pas besoin ni de lois, ni de règlements tortueux. Se serait peut-être une grande avancée pour l’humanité. Terminé l’État de Droit. Ne reste plus qu’à se trouver un divin marquis, mais je ne descendrai pas jusque là. Quoi que, nous sommes peut-être sur le bon chemin pour rencontrer un tyran? Les barbares sont de retours? Et tout ce qu’on trouve à faire, c’est de rester ankylosé dans notre petit confort. Attention vous allez vous faire dérober la chaise sur laquelle vous êtes assise sans vous en apercevoir. C’est le risque présentement que courent les démocraties. Tant qu’à trouver un réformateur dans genre napoléonien cela tient peut-être plus de la lubie que de la lucidité.

Pourquoi le vice ne précéderait pas la vertu? Si on examine bien ce monde, il y aurait plus de vices que de vertus. Dans ces conditions la vertu ne peut pas cacher le vice, mais le vice peut largement cacher la vertu jusqu’à la faire disparaître. Sans doute que le vice est plus attrayant que la vertu, plus séduisant, ce qui explique peut-être sa popularité.

Tant qu’à la jouissance du bureaucrate vertueux, pas assez courageux pour se tremper dans le vice, il ne lui reste que ce petit pouvoir malheureux d’embêter les autres. Ce qui ressemble à une triste existence. J’ai même du mal à trouver un fonctionnaire heureux, souriant, fier de son travail. Disons que ce n’est pas le compagnon agréable pour aller siffler une bière après 18 heures.

On serait tous opprimés? Ce qui me semble un genre de soumission volontaire victimaire. Je leur dis : Arrêtez de vous plaindre, prenez le pouvoir, on verra bien quelle sorte de loi vous allez sortir de votre chapeau. C’est épuisant à la longue toutes ces plaintes souvent pour des peccadilles, lorsque ce ne sont que des modes passagères. On colmate les trous dans les bulletins de nouvelles avec ces genres de propos ennuyeux.

L’avenir est sans doute explosif? Ce n’est pas une autre histoire, parce que c’est la réalité que nous vivons présentement. Il y a toujours un triste personnage pour mettre la main sur le pouvoir dans des périodes de chaos. Le pire, c’est qu’on les laisse faire. C’est maintenant que cela se passe, nous les voyons émerger partout. Peut-être que le plus grand vice, c’est de les laisser faire.

Je suis preneur pour Harald Jahner : (Le temps des loups), ça me semble très intéressant. On ne s’est pas exprimé beaucoup sur cette décennie. Quoi? Les allemands étaient peut-être soulagé qu’on les aient soulagé de Hitler. Je peux comprendre que ce fut une période heureuse. Quelle soulagement!

Merci Carmilla et bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

On peut voir, en effet, ainsi les choses. Kant et Robespierre sont vraiment apparentés. Des fanatiques de la Loi universelle. On peut aller jusqu'à tuer en toute bonne conscience dès lors que c'est au nom de la Raison. Robespierre était un pur, un ascète comme Kant. Comme lui, il vouait simplement un culte à la Raison et au Droit. Ca fait réfléchir parce que des Robespierre, de Lénine à Mao, il y en a eu ensuite beaucoup dans l'histoire, des gens qui se prétendaient férus de philosophie et de Droit.

Mais ils ont sans doute, en effet, un lien avec le Marquis de Sade. Lui aussi était passionné par la philosophie des Lumières et ses livres prétendaient en être une illustration. Ils n'étaient pas des ouvrages simplement pornographiques et d'ailleurs les personnages de Sade ne sont pas des sadiques mais de grands raisonneurs. Il faut vraiment lire son texte : "Français, encore un effort si vous voulez être Républicains". Son point de départ est le philosophe Hobbes pour qui l'homme est un loup pour l'homme. Pour Sade, il s'agit de la simple Loi naturelle et vouloir s'opposer s'opposer à cette Loi naturelle par une autre Loi, la Loi Universelle, est tout simplement insensé. La vraie République, c'est donc celle de la Loi Naturelle qui consacre la singularité absolue de l'individu et ses droits imprescriptibles. C'est l'exact contraire de Kant: autrui ne sera jamais pour moi qu'un instrument de jouissance personnelle.

Mais il y a chez Kant et chez Sade, une même "jouissance de la Loi", quelle soit universelle ou de la Nature. Et on retrouve cela chez nos technocrates contemporains: quel immense plaisir, ils retirent de nous rappeler à l'ordre, de nous faire "sentir" le poids du règlement. Je crois quand même qu'il y a beaucoup de fonctionnaires heureux. Jouir du pouvoir, c'est très concret.

On a donc envie de tout bazarder, de faire une nouvelle Révolution. Le problème, c'est que je préfère malgré tout la loi Universelle. Parce que tous ces gens qui se déclarent opprimés sont vite exaspérants et que les droits particuliers, ça se transforme vite en une injustice générale.

Voici quelques unes de mes petites réflexions.

Sinon je suis sûre, en effet, que "Le temps des loups" vous plaira beaucoup. C'est vraiment un grand livre qui soulève des questions fondamentales sur les comportements humains. Pourquoi, en effet, a-t-on très peu parlé de cette période ? Sans doute, parce qu'elle est très peu glorieuse.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

À vous lire dans ce dernier commentaire, je sens chez-vous cette fluidité de l’écriture, la puissance du raisonnement, le confort de la parole, vous maîtrisez parfaitement l’art de la pédagogie. Sans fausse modestie, il y a l’approche de la conférencière. Vos petites réflexions comme vous le dites, ne sont jamais petites. Votre savoir vous avez le désir de le semer, pour éclairer. Je n’ai aucun doute sur vos capacités d’aller enseigner la philosophie ou la littérature et peut-être bien autres choses.

Kant, je ne le connais pas, pas facile à lire; mais Robespierre lui c’est un personnage fascinant, sorti d’une formation ecclésiastique pour devenir un activiste politique, avec une bonne dose de religion, pour terminer comme tribun et dictateur. Il terminera sa vie avec la même médecine qu’il aura servi à tant d’humain, décapitation. Il aura le culte de l’être suprême. Il était un redoutable manipulateur. Ce n’était pas n’importe qui, il avait une belle plume, il était aussi intelligent que magouilleur. Un danger publique! Il aurait pu dîner avec Kant, et je me demande qui aurait payé la facture? Pas sûr que Kant l’aurait nourrit sur sa bourse.

La raison n’a pas toujours raison, et on ne peut la laisser seule pour diriger le monde, il faut s’en servir avec diligence, ce qui fait la différence entre un aventurier politique et un homme d’état.

C’est vrai que le pouvoir peut devenir très grisant. Il suffit juste de regarder un film de Hitler en train de prononcer un discours devant des partisans aveugles pour sentir la jouissance de l’homme qui jouit du plaisir de dominer, le tout avec l’aide de la raison. De-là à passer au petit fonctionnaire, qui profite de son petit pouvoir pour écraser son interlocuteur qui ne fait qu’une simple demande de permis, il y a juste l’épaisseur d’un comptoir. Habituellement ce ne sont que des petits serviteurs serviles, qui lorsqu’ils se retrouvent devant leur patron, subissent l’humiliation de la soumission.

La question reste posée, et il faut toujours l’avoir en tête lorsque nous sommes appelés à gouverner, peu importe la sorte de gouvernance; la raison oui, mais toujours l’avoir à l’œil pour l’ajuster à la réalité, ce qui n’est pas toujours évident. Surtout éviter de transformer la réalité pour l’ajuster à la raison, ce qui fut la cas de plusieurs dictatures. Oui, nous pouvons tout bazarder comme vous dites; mais après, la révolution je veux bien, pour la remplacer par quoi? Si tu n’as rien pour la remplacer, alors ne te lance pas dans la révolution. Parce qu’un jour tes partisans ne te suivront plus, et d’une manière ou d’une autre, tu risques de te faire raccourcir.

Pour le dire autrement : Le cœur a ses raisons que la raison ignore…

Il y a matière à méditer.

Merci Carmilla et bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne m'aventurerais certes pas à donner des cours de philosophie. La seule discipline que j'aie enseigné (à des professionnels et ça m'arrive encore), c'est l'analyse financière.

Disons que je sais faire illusion. Je le répète, ce que j'ai retenu de l'université française, c'est l'esprit de synthèse. Si vous abordez un bouquin de philo en essayant de le lire de la première à la dernière page, vous perdez vite pied et êtes complétement découragé. Mais, en fait, un système philosophique, ça repose d'abord sur quelques grandes idées directrices. Il faut d'abord essayer de bien comprendre et de bien assimiler ces grandes idées et, ensuite, tout s'enchaîne très vite. Un bouquin de philo, ça peut alors se lire plus vite qu'un roman.

C'est pareil en matière financière. Quand on vous livre les comptes d'une entreprise, vous êtes confronté à une tonne de documents et de chiffres impossibles à traiter successivement. On a vite fait de se perdre dans une foule de considérations anecdotiques (spécialité des syndicats ou des journalistes). Mais si vous savez aller chercher les bons chiffres et savez les mettre en relation, tout va très vite. Vous aboutissez rapidement à un diagnostic d'ensemble avec des propositions de mesures correctrices.

L'esprit rationnel, la vue d'ensemble, c'est donc très important. C'est pour ça, aussi, que je demeure, malgré tout, attachée à la Loi pour tous sans distinction des particularismes. C'est ce qui garantit la démocratie. Mais c'est vrai que le système peut se montrer implacable, voire cruel. Comment introduire là-dedans un peu de compassion, d'humanité ? Il me semble que les systèmes judiciaires progressent en ce sens. Mais sûrement pas les systèmes bureaucratiques. Comment (peut-on même ?) mettre fin à leur incroyable prolifération réglementaire ? C'est vrai qu'on est tous perdus et désorientés et ça devient une véritable menace. C'est ce qui nourrit l'esprit populiste et fait courir le risque d'un grand coup de balai. L'ancien régime, en France, s'est écroulé à cause de ça (une administration et un système fiscal compliqués, absurdes et injustes). Ca a donné lieu à la nuit de l'abolition des privilèges. Heureusement, il y a eu ensuite Napoléon (dont le système institutionnel perdure, aujourd'hui encore, en France). Mais il n'est pas sûr qu'on retrouve un Napoléon. Le plus probable, c'est, plutôt, une sorte de Trump ou de Poutine.

Bien à vous,

Carmilla